Description minutieuse d'une politique de "gestion du personnel"...
Texte complet, rédigé en 2007. Source du précédent billet « Les conséquences psychiques du management », publié sur ce site début 2010.
L’entreprise d’aujourd’hui est à l’origine d’une nouvelle manière d’être dans la société. Là où les anciens systèmes de valeurs tels que les religions et la famille font défauts, elle se substitue en lieu et place pour apporter ses propres valeurs et développer un modèle culturel et comportemental essentiellement basé sur des principes d’action, de rapidité, de conquête, de performance et d’excellence.
Se présentant comme un « lieu social central » et non plus comme un simple « lieu d’investissement », elle s’impose comme plus crédible car pourvoyant des valeurs tangibles, des repères et des projets, tout en donnant un sens à la vie de chacun.
Mais, en agissant de la sorte, l’entreprise s’expose à des effets induits par ce que nous baptisons aujourd’hui le « stress de la performance », effets qu’elle doit désormais gérer sous ses formes les plus inattendues.
Dans une première partie, seront exposés les aspects positifs qu’offre le stress en temps que « carburant » de la performance, puis j’aborderai dans la seconde partie les côtés négatifs de ce mode de fonctionnement. Je parachèverai en troisième partie en vous exposant quelques points de vue personnels afin d’obtenir, à mon sens, une situation équilibrée.
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Nous constatons tous aujourd’hui que les entreprises exigent des salariés « toujours plus », « toujours mieux » et « toujours plus vite ». Pour répondre à ce besoin pressant, les nouveaux modes de management fondent leurs pratiques sur ce qu’on appelle la « mise sous tension ». Cette mise sous tension sous entend que l’individu est conditionné pour effectuer une cadence de travail très élevée, conditionnement provoqué par l’application du système « managinaire » (système qui suscite de l’intérieur l’adhésion de l’individu à une logique d’organisation ou à un projet collectif qui stimule son imaginaire et auquel il s’identifie).
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Ce fameux système « managinaire » a pour avantage de développer une fusion « individu- entreprise » et permet de rendre cette association extrêmement performante. En effet, la distance entre les deux parties étant abolie, le travailleur ne se présentera plus contre l’entreprise mais avec elle, les intérêts de tous étant conjugués. Grâce à cette méthode, l’employé ainsi absorbé par son entreprise va s’investir corps et âme pour remplir les objectifs fixés. Le stress suscité par cet engagement aura pour effet d’enrichir à la fois l’entreprise et l’individu puisque l’une verra ses performances augmentées alors que l’autre accroîtra ses capacités à mesure des défis qui se présentent à lui.
Cette dernière façon de procéder se nomme d’ailleurs « la logique du gagnant- gagnant », principe de base de mise sous tension qui sous-tend que tout le monde doit, à terme, être gagnant dans l’entreprise. Comme l’exprime un cadre d’une grande industrie : « Les dirigeants ont tout fait pour que l’environnement dans lequel agit l’individu soit le plus gratifiant possible et le plus positif pour lui. Partant de ça, cela vous donne le droit uniquement à la réussite c'est-à-dire que c’est gagnant- gagnant en termes de fonctionnement. Vous êtes porté vers le succès ».
Ajouté à un système de notation très exigent, amenant les employés à toujours se surpasser, il est aisé de conclure que cette forme de management qui utilise le stress et la pression permanente comme « carburant », offre aux entreprises un vivier d’employés ultra performant, passionné et motivé grâce « aux stimuli » provoqués par le besoin lié à la réussite et à la reconnaissance sociale. Beaucoup de bénéfices donc ! Et le tout pour un coup relativement peu onéreux pour la firme.
Le stress est donc un facteur essentiel de mouvement et de créativité qui, bien gérer, peut apporter indubitablement de bons résultats au sein des entreprises.
Mais pour des raisons de rentabilité, je conçois que ces mêmes structures soient tentées de pousser le stress et la pression interne à un niveau très élevé. Il y règne alors un climat insécurisant et un sentiment de mal- être général qui altère l’exaltation produite par la mise sous tension du système managinaire.
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Par le caractère extrême que revêt leurs systèmes de management, ces dites entreprises obligent implicitement leurs employés à se dépasser au-delà de toutes limites. « En réalité, explique un manager, on va vous donnez une mission, deux missions, trois missions mais on sera déçu si vous n’en faites que trois. On vous demande d’aller plus loin que ce qui est exigé. C’est dit sans être dit, ça doit être compris ». Cette citation me semble très explicite quant à la situation du travailleur confronté à l’exigence permanente de ses supérieurs : Quoiqu’il fasse, il est coupable de ne jamais en faire assez ! Donc, tant qu’il reste passionné, l’individu demeure sous le joug de l’illusion et cumule les missions (l’entreprise veille d’ailleurs très étroitement à ce que la flamme de l’engagement ne s’éteigne jamais), mais si l’individu ne parvient plus à maintenir le rythme et s’épuise, il se verra accablé de culpabilité et sera rejeté par ses confrères.
Cette façon de procéder des entreprises qui consiste à mettre sur la touche les employés peu rentables est très néfaste car elle détruit volontairement la personnalité de ces derniers. Certes, elle permet de pousser l’individu apeuré dans un dépassement permanent mais le laisse sans vie lorsque celui-ci a épuisé toutes ses ressources, vidé par un immense don de soi dont il perçoit, dans son état dépressif, l’inutilité et la vanité.
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Pour clore ce funeste tableau, je souhaite ici définir deux types de stress ayant pris une forme destructrice dû à la mauvaise utilisation qu’en font certaines entreprises et qui sont très bien décrites par le psychothérapeute Max Pages :
-D’une part, il y a le stress léger, provoqué par le surinvestissement de l’individu dans l’entreprise, mais toujours en accord avec la logique de celle-ci. Ce stress léger détruit la personne à petit feu, apportant insomnie, fatigue et irritabilité. Dans cette étape, l’individu n’a pas encore pris conscience qu’il n’est qu’un objet que l’on rentabilise.
-D’autre part, il y a le stress lourd, provoqué par le choc entre la réalité et l’idéal professionnelle du travailleur. Consumé, il réalise soudain qu’il a été utilisé par l’entreprise pour assurer ses performances. C’est la « désillusion », apportant une dépression et une aboulie lourde.
Ces deux types de stress apportent donc ruine et désolation chez l’individu, le poussant même jusqu’à la « rupture », ce point de non retour qui est finalement la seule issue possible à cet engrenage dévastateur.
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Bien que l’ère économique d’aujourd’hui réclame des entreprises beaucoup de temps et d’investissement; il serait préférable, dans leurs intérêts, de privilégier un mode de motivation basé sur le respect du personnel.
A mon sens, un individu bien encadré et sécurisé dans une société de confiance peut apporter autant de richesse qu’un travailleur pressurisé, parce qu’il aura envie de faire vivre cette communauté où il s’épanouit et dans laquelle se réalise son idéal du moi. Même en cas de « panne », il saura qu’il peut compter sur le soutien de ses pairs pour l’aider à se redresser de situations difficiles.
Un peu plus délicat à mettre en pratique et demandant une grande ouverture d’esprit de la part des entreprises, ce management engendre néanmoins un stress bénéfique et durable parce que respectant les personnes sans sombrer dans l’excès. Tout le monde y trouve son compte, l’employé passionné par son travail et l’entreprise performante.
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Mais il semble bien utopique de penser qu’il soit possible, dans le capitalisme extrême d’aujourd’hui, qu’une entreprise concilie performance économique et équilibre du personnel. Cette double exigence réclame des moyens (mise en place de systèmes de gestion particuliers) et un respect d’autrui qu’elles ne possèdent pas où ne souhaitent pas mettre en pratique pour des raisons pécuniaires. J’en conclus donc, à quelques exceptions près, que la plupart des structures continueront à « vampiriser » leurs personnels sans aucun état d’âme, prenant, usant et jetant leurs employés dans le sectarisme le plus total.
Cette technique de manipulation de haute volée, basée essentiellement sur des rapports hypocrites et des récompenses symboliques, relève bien d’une notion « d’élevage » afin d’en extirper les gagneurs pour préserver l’image de l’entreprise, les restes étant mis en pâture ou destinés à effectuer de basses besognes.
Finalement, seule l’élite, initiée et passée maître dans l’art de cette pratique, demeure, tel le noyau d’un atome, en permanence. Les autres ne sont que des électrons utilisés dans le seul but d’apporter de l’énergie et de sustenter la base : L’élite.
Je conseille donc, à tous ceux qui possèdent peu de connaissance en sociologie, de faire preuve de la plus grande prudence avant d’entrer au service d’une entreprise. Même si le manque de moyen ou l’ambition nous pousse parfois à tout accepter, il serait préférable de faire preuve d’ingéniosité pour ne pas tomber dans le piège.
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Trommenschlager Franck Tous Droits Réservés ©2010. Droits sur le texte : « L’art manipulatoire du management ». Article rédigé le 03 Février 2007.
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