Chaque amour a le sentiment de ne ressembler à aucun autre ! Dans la lignée des anciens philosophes grecs, les psys dégagent pourtant trois grands profils types de l’état amoureux, dans lesquels nous pouvons tous nous reconnaître.
Parler d’amour, c’est associer désir physique, échange et complicité. Pourtant l’amour se décline en une infinité de nuances : fusion, raison, dépendance, haine… Mais toujours le même mécanisme est à l’œuvre : « C’est dans la relation à la mère que l’on trouve la matrice de l’amour que l’on privilégiera ensuite », explique Didier Lauru, psychanalyste. Nos comportements d’adulte sont l’occasion de prolonger – ou de réparer – les expériences vécues dans les tout premiers moments de l’enfance. Le point commun entre les différentes façons d’aimer ?
L’idéalisation de l’autre et la dévalorisation de soi. Aveuglé par les émotions, on pare notre partenaire de toutes les qualités dont on se croit le plus souvent dépourvu. D’où l’expression « tomber amoureux » : on descend quelques marches et on installe l’autre sur un piédestal. « C’est l’estime de soi qui chute d’abord », explique Didier Lauru. Ensuite ? « Tout est une question de degrés » – d’idéalisation, de dénarcissisation, de dépendance vis-à-vis de l’autre – qui, selon les spécialistes, déterminent trois grands profils amoureux : Eros ; son opposé, Agapê ; et Philia.
" Eros L’amour passion "
Le cœur s’emballe, l’excitation alterne avec la peur, le désir physique est insatiable, le manque nous obsède dès les premières séparations. Nos repères sont bousculés, on se perd un peu. Cet état est propre à la rencontre amoureuse. « Ce qui nous guide vers une relation, c’est d’abord le désir d’exaltation et cette opportunité que nous offre le partenaire de vivre plus intensément, explique Claude-Marc Aubry, psychologue. Ce partenaire est alors moins vécu comme un sujet que comme un objet. » Objet support de nos manques et de nos fantasmes d’un amour idéal, objet chargé de combler nos manques affectifs… L’intensité et la durée de cet état passionnel varient en fonction de la force de ses projections sur l’autre. « Il dure entre six mois et deux ans », ajoute Claude-Marc Aubry.
Après ? « Il a changé », « Je ne la reconnais plus », se surprend-on à dire. « La réalité de l’autre finit toujours par s’imposer à nos yeux. » Soit on l’accepte et on entre dans un autre type de relation, soit on en est incapable et la déception, donc la souffrance, est irréversible. On peut alors basculer dans la haine : les émotions exacerbées demeurent, mais changent de pôle. Ou dans la dépendance : « Sans lui, je me sens vide », « Sans elle, je ne suis rien. » Resté à l’état d’objet, le partenaire devient indispensable pour vivre.
Aimer avec passion, c’est découvrir en soi une capacité à vivre des émotions dont on ignorait l’intensité, et rompre avec un quotidien parfois pauvre en émulation. La passion amoureuse a des vertus bénéfiques et instructives pour et sur soi, mais, parce qu’elle est fondée sur le narcissisme et l’égocentrisme, elle ne peut être le seul socle de construction d’une vraie relation à deux. Laquelle n’est possible qu’à condition de pouvoir regarder l’autre vraiment : c’est en décidant d’apprécier son partenaire avec ses défauts et ses qualités, mais aussi en reprenant conscience de ce que l’on est, soi, hors du couple, que l’on peut glisser d’une passion déraisonnée à un amour plus constructif et apaisé.
" Philia L’amour-amitié "
Autant l’amour passion incite au repli sur soi et sur le couple, autant cet amour-amitié invite à s’ouvrir sur l’extérieur. On est complice, on se comprend, on s’écoute, on s’intéresse l’un à l’autre et au monde… Et, tout à coup, cette amitié a priori sans ambiguïté se transforme : les regards changent, le désir s’installe. Selon Didier Lauru, « cet instant correspond à un moment d’idéalisation de l’autre qui, bien souvent, coïncide avec celui où l’on se sent – ou se croit – aimé de lui. » Cette « intuition » donne envie de se laisser aller à des sentiments amoureux jusque-là inhibés par un manque de confiance en soi ou par la crainte de pervertir la relation amicale. La relation amoureuse se fonde alors sur des bases solides : celles qui avaient conduit à l’amitié, du partage d’une passion commune à une communication très forte.
Un virage sans dérapage ? Pas toujours. Selon Didier Lauru, « la relation qui prévalait jusqu’à présent est oubliée au bénéfice d’une nouvelle rencontre sur le mode amoureux. “On perd la mémoire”… Preuve que l’amour, même le plus “calme” et progressif, est toujours un peu pathologique ! »
Cet amour-Philia, peut-on le retrouver dans toutes les relations ? « Oui, répond Claude-Marc Aubry, on peut tout à fait considérer que l’amitié sexuée est une définition du “bon amour”. » « Bon », car à la dépendance, cet amour oppose l’attachement nourri par une entente développée au fil du temps et des expériences partagées. Seule « dérive possible » : pris dans une connaissance mutuelle parfaite, les partenaires ne ressentent plus de curiosité ou de besoin de se séduire. La tiédeur émotionnelle s’installe, au risque de la lassitude et de l’envie de trouver ailleurs des « sensations » fortes.
" Agapê L’amour profond "
C ’est l’amour alliant désir et raison : on sait "bien vivre", on sait être “libres ensemble”, on s’aime, mais on ne s’appartient pas. « L’amour profond commence avec la prise de conscience de ce qu’est l’autre réellement, loin des fantasmes », explique Claude-Marc Aubry. Amour dit « mature » ou « éclairé », « il suppose une bonne compréhension de soi-même et de l’autre, mais aussi de savoir déjouer les pièges et mécanismes qui nous lient au passé et qui entraînent la dépendance. » L’imaginaire suggéré par les sentiments amoureux n’empêche ni de voir la réalité de l’autre, ni celle du couple. Et l’idéalisation du partenaire nous narcissise plutôt que de nous faire perdre confiance en nous.
Sylvie Bellaud-Caro rappelle que cet amour réunit trois éléments : moi, l’autre et la relation. « Il peut y avoir harmonie, conflit, joie, tristesse… peu importe. Ce qui est fondamental, c’est que les deux partenaires restent indépendants et se rejoignent ensuite dans le couple pour le nourrir de projets, d’envies, d’expériences à partager. »
Mais comment faire la différence entre un « je t’aime profondément » et un « je t’aime passionnément » ? « En réfléchissant à l’intensité de son ressenti », répond la thérapeute : me manque-t-il au point que, sans lui, j’ai l’impression de ne plus exister ? Ou simplement parce que j’aimerais partager ce moment, cette conversation avec lui ? « L’attachement n’est pas la dépendance. » C’est le respect qui fait la différence : respect de soi – être à l’écoute de ses propres désirs, ne pas s’oublier pour l’autre – et respect de l’autre. Si le mot respect ne fait pas écho à nos idéaux romantiques, il s’imposera pourtant vite comme le meilleur garde-fou de l’amour.