29 septembre 2015 2 29 /09 /septembre /2015 11:15

Que se passe t-il quand on meurt ? Afin de tenter de répondre à cette question, des chercheurs de l'université de Southampton ont réalisé " la plus grande étude au monde sur les expériences de mort imminente ". Et selon eux, même quand le cerveau cesse de fonctionner, la conscience peut se poursuivre. Décryptage de ces résultats par le chroniqueur Jean-Paul Fritz.

 

-La plus grande étude au monde sur les expériences de mort imminente-

Lorsqu'on veut opposer science et religion, on évoque souvent la question de la survie de l'esprit (ou de l'âme) après la mort.

 

Les deux extrêmes sont d'un côté ceux qui estiment que tout ce que nous pensons n'est que le résultat de réactions chimiques et que tout cesse après la mort du corps, de l'autre ceux qui estiment que nous sommes des êtres illuminés avec un fragment de divinité / ou de conscience universelle / à l'intérieur de nous.

 

" Bien sûr, il y a des conceptions intermédiaires, mais cela pose le problème."

 

L'élément le plus fascinant, d'un point de vue scientifique, c'est bien sûr ces expériences vécues par ceux qui ont frôlé la mort de près, au point d'avoir été "cliniquement morts" pendant un certain temps. 

 

Les "expériences de mort imminente" (les fameuses NDE, Near Death Experiences chères aux Anglo-saxons) et les OBE (traduites en français par "expériences de hors-corps") font davantage l'objet de films et d'œuvres littéraires que de compte-rendus scientifiques.

 

 

Examiner les expériences mentales liées à la mort

 

 

Une étude exceptionnelle vient d'être publiée sur le sujet une étude exceptionnelle vient d'être publiée sur le sujet par un groupe de médecins de l'université de Southampton (Angleterre) dans la revue médicale "Resuscitation" (le terme est un faux ami, en anglais, il veut dire réanimation). Elle va peut-être apporter des éléments, non pas pour départager scientistes absolus et penseurs illuminés, mais au moins pour faire avancer le débat dans le domaine médical.

 

L'étude elle-même a pris plusieurs années. Débutée en 2008 dans quinze hôpitaux britanniques, américains et autrichiens, elle s'est penchée sur les cas de 2.060 patients afin d'examiner de manière la plus large possible les expériences mentales liées à la mort.

 

Cela leur a permis de tester la validité de ces expériences subjectives, afin de voir ce qui peut être attribué à des hallucinations ou ce qui, au contraire, correspond à une réelle conscience de leur environnement de la part de ces patients.

 

"Contrairement aux perceptions, la mort n'est pas un moment spécifique mais un processus potentiellement réversible qui se produit après qu'une maladie grave ou un accident amènent le cœur, les poumons et le cerveau à cesser de fonctionner", explique le Dr Sam Parnia, auteur principal de l'étude. "Si des tentatives sont faites pour renverser le processus, on parle alors 'd'arrêt cardiaque'."

 

Cependant, si ces tentatives ne sont pas couronnées de succès, on parle de "mort". Dans cette étude, nous avons voulu aller au-delà de l'expression émotionnellement chargée mais pauvrement définie de "expérience de mort imminente" pour explorer objectivement ce qui se passe quand on meurt".

 

 

Une perception de conscience après un arrêt cardiaque

 

Alors, que se passe-t-il quand on meurt ?

 

 

39% des patients qui ont survécu à un arrêt cardiaque et qui ont pu être soumis à des interviews structurés décrivent une perception de conscience, mais n'ont pas de souvenirs explicites des événements. Cela suggère que davantage de personnes doivent avoir une activité mentale, mais en perdent le souvenir une fois qu'ils se sont remis, à cause soit des effets de dommages au cerveau, soit des sédatifs sur la mémoire.

 

Parmi ceux qui rapportent une perception de conscience et ont pu compléter d'autres interviews, 46% ont expérimenté une palette étendue de souvenirs en relation avec la mort qui ne correspondaient pas à l'idée communément admise des NDE : par exemple, des expériences effrayantes, ou de persécution.

 

Seulement 9% ont eu des expériences compatibles avec la définition des NDE, et 2% ont eu une conscience de leur entourage compatible avec les OBE, avec des souvenirs précis de "voir" et "entendre" ce qui se passait. L'un de ces cas a même pu être validé grâce à des stimuli auditifs utilisés pendant l'arrêt cardiaque.

 

"C'est significatif parce que l'on avait souvent supposé que les expériences en relation avec la mort étaient probablement des hallucinations ou des illusions, se produisant soit avant que le cœur ne s'arrête, soit après qu'on l'ait redémarré avec succès, et pas une expérience correspondant à des événements réels lorsque le cœur a cessé de battre", précise le Dr. Parnia.

 

"Dans ce cas, la conscience semble se produire pendant une période de trois minutes pendant laquelle le coeur ne bat pas. C'est paradoxal, puisque le cerveau cesse habituellement de fonctionner dans les 20 à 30 secondes après l'arrêt cardiaque, et ne reprend pas ses fonctions jusqu'à ce que le coeur ait été redémarré. De plus, les souvenirs détaillés de conscience visuelle, dans ce cas, étaient en accord avec des événements vérifiés."

 

 

Il faut continuer à chercher et garder l'esprit ouvert

 

 

L'équipe du Dr. Parnia reconnaît avec beaucoup d'humilité les limites de leurs travaux, et l'impossibilité de démontrer de manière absolue la réalité ou la signification des expériences vécues par leurs patients. Mais ils sont également convaincus que ce domaine mérite davantage d'études précises, sans préjugés.

 

De mon point de vue, cette étude marque une étape essentielle : celle de l'examen scientifique des phénomènes de conscience dits "altérés" vécus durant la période entourant la mort. 

 

Cela ne réconciliera probablement pas les athées dogmatiques avec les religieux antiscientifiques, mais pour le reste d'entre nous, il y aura certainement des enseignements à en tirer, et cela pourrait aussi limiter les abus de manipulateurs sectaires. Parfois, la spiritualité et la science ne sont pas contradictoires.

 

Je me souviens par exemple d'une discussion sur la nature de la réalité à laquelle j'ai eu la chance d'assister il y a quelques années de cela, entre le Dalaï-Lama et des chercheurs. De mon point de vue de simple observateur, les deux côtés parlaient de la même chose, ils employaient juste des mots différents. Leur point commun : ils faisaient tous preuve d'ouverture d'esprit.

 

"Si on nous démontre que le dogme a tort, nous changerons le dogme", avait dit le religieux tibétain à cette occasion...

 

Finalement, c'est encore Shakespeare qui avait raison : "Il y a plus de choses sur terre et dans les cieux, Horatio, qu'il n'en est rêvé dans votre philosophie."

 

 

Source: Jean-Paul Fritz pour http://leplus.nouvelobs.com/

 

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4 août 2015 2 04 /08 /août /2015 12:46

Les neurosciences ont incontestablement amélioré les capacités thérapeutiques de nombreux champs médicaux. Elles apportent également un nouveau regard sur le fonctionnement du corps humain. Cependant, la qualité des soins " humains " n'a cessé de diminuer au profit d'une vision " discrétisée " d'un homme en pièces détachées. Afin que deux courants de pensées, l'un qualitatif, l'autre quantitatif, puissent trouver leur équilibre, je reproduis ici un éditorial de Jean-Claude AMEISEN (qui préside le Comité Consultatif National d'Ethique) paru dans la revue Cerveau & Psycho, suivi d'un dialogue "humoristique" entre un médecin et son patient.

 

-Neurosciences : Le pouvoir de désenchanter le monde ?-

 

Neurosciences : des enjeux éthiques

 

 

Aujourd'hui, les neurosciences soulèvent de nombreuses questions d'éthique, telles que l'existence d'un libre arbitre ou les relations entre raison et émotions.

 

L'une des principales découvertes des 150 dernières années est probablement l'idée que l'ensemble de l'Univers a émergé et évolué, en dehors de tout projet, à partir de combinaisons aléatoires et de plus en plus complexes entre des composants élémentaires de la matière. Ainsi s'estompe la notion de frontières absolues entre des entités qui nous semblent a priori appartenir à des catégories bien distinctes : la matière et le vivant ; les cellules et les individus qu'elles construisent ; les animaux et les êtres humains ; le corps et l'esprit... Ces représentations nouvelles, si elles peuvent faire naître un sentiment d'émerveillement, favorisent aussi une forme de désenchantement, l'impression d'être dépossédés de nous-mêmes, de nous percevoir comme objets déterminés par des forces aveugles, et non pas comme véritables sujets et acteurs de notre vie.

 

À chaque avancée de la recherche biologique - qu'il s'agisse de la théorie de l'évolution, de la génétique ou des neurosciences - correspond une interrogation éthique non seulement sur les applications concrètes possibles des découvertes, mais aussi plus fondamentalement sur les conséquences que ces représentations nouvelles peuvent avoir sur nos conduites et nos valeurs. Aujourd'hui, les neurosciences bouleversent l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes, transformant en objet d'expérimentation le fonctionnement de notre cerveau et des caractéristiques aussi intimes que nos émotions, notre conscience et la notion même de libre arbitre.

 

Quelle est la nature de ce « moi », en nous, qui dit «je » et se recompose en permanence tout en maintenant le sentiment de notre identité ? Comment émergent notre pensée, notre mémoire et nos rêves ? Les neurosciences ne partagent pas seulement avec d'autres domaines de la biologie l'objectif d'essayer de comprendre ce que nous sommes. De manière plus vertigineuse, elles ont aussi pour ambition d'explorer la nature même des mécanismes mentaux qui nous permettent d'élaborer la démarche de recherche biologique (le questionnement sur ce que nous sommes) et la démarche de réflexion éthique (le questionnement sur ce que nous voulons devenir). Ainsi les neurosciences s'interrogent sur la nature de la réflexion éthique, et la réflexion éthique s'interroge sur les implications des neurosciences.

 

Certaines des questions éthiques liées au développement des neurosciences ne sont probablement pas spécifiques à cette discipline. Il en est ainsi des risques de traumatisme et de stigmatisation provoqués par des tests dépistant ou prédisant une maladie pour laquelle aucun traitement n'est disponible ; des problèmes posés par la vulnérabilité et la dépendance des personnes dont les capacités cognitives ou émotionnelles sont altérées ; des risques de déshumanisation liés à une focalisation sur un organe ou une maladie aux dépens de la prise en charge globale de l'individu.

 

 

La singularité de l'individu

 

 

En neurosciences comme dans d'autres domaines de la recherche biomédicale, un rôle souvent excessif a été accordé au déterminisme génétique dans l'émergence de la singularité de l'individu. Par exemple, chez l'animal, certains comportements à l'âge adulte, tels que l'anxiété (et les particularités de structuration cérébrale qui leur sont associées), ont été attribués à des facteurs génétiques parce qu'ils sont transmis de génération en génération dans des lignées génétiquement identiques. Pourtant, des travaux récents indiquent que ces caractères sont modifiés si le nouveau-né est élevé par une mère de substitution, génétiquement différente. De plus, si ce nouveau-né est une femelle, elle donnera naissance à des petits qui, si elle les élève, auront, à l'âge adulte, un comportement et un cerveau semblables à ceux de leur mère, c'est-à-dire de la lignée d'adoption, et non à ceux de la lignée génétique d'origine. Ainsi se révèle la multiplicité des déterminismes à l'ouvre dans l'émergence des comportements - notion que les débats récents sur le clonage reproductif avaient tendance à occulter.

 

Un autre problème éthique qui dépasse le cadre des neurosciences est la tendance à la normativité et au classement des individus à partir d'échelles d'aptitudes, conduisant à ce que Stephen Jay Gould a appelé la « mal-mesure » de l'homme. Étymologiquement, normal signifie fréquent, et anomal, rare. Anormal ne veut donc pas dire pathologique, mais différent de la moyenne. N'y aurait-il pas pour beaucoup de personnes souffrant de ce que nous appelons un handicap une possibilité de vivre pleinement leur vie si nous envisagions de modifier nos comportements et notre environnement de manière à favoriser l'épanouissement de chaque individu dans sa singularité ?

 

 

Des interrogations sur la nature humaine

 

 

Les explorations de plus en plus fines des mécanismes neuronaux associés à nos représentations mentales et à nos comportements soulèvent des questions plus spécifiques aux neurosciences. Ainsi, certains travaux suggèrent que le sentiment que nous avons de décider librement d'une action (la réalisation d'un mouvement « volontaire » ou la « décision » de changer de stratégie au cours d'un jeu) peut paradoxalement suivre la mise en oeuvre de cette action, et non pas la précéder. En d'autres termes, le sentiment de décider pourrait n'être que l'émergence au niveau de notre conscience d'une décision qui s'est élaborée et a commencé à être mise à exécution à des niveaux de fonctionnement mental dont nous ne sommes pas conscients.

 

D'autres travaux soulignent l'importance du rôle joué par nos émotions et nos conflits émotionnels dans les processus qui font naître en nous de façon non consciente ces choix, y compris certains choix éthiques, donnant une résonance biologique à certains des concepts proposés par Sigmund Freud. Ainsi, nos représentations habituelles du libre arbitre (un moi autonome, en nous, qui pense et décide librement) ne correspondent peut-être pas à la réalité. Mais l'émergence à la conscience de décisions déjà prises ne nous ouvre-t-elle pas a posteriori la possibilité de choisir, rendant rétrospectivement lisibles et donc modifiables ces choix qui se sont initialement élaborés en nous de façon non consciente ?

 

Par ailleurs, d'autres résultats indiquent que des sensations apparemment distinctes comme le désir, la motivation, la sensation de récompense ou de manque, et la dépendance semblent résulter de la mise enjeu des mêmes mécanismes. Une meilleure compréhension de ces mécanismes pourrait-elle nous aider à mieux nous prendre en charge, augmentant ainsi notre degré d'autonomie et de liberté ?

 

Il est d'autres problèmes dont les découvertes en neurosciences peuvent changer les données. L'Organisation mondiale de la santé définit la santé non pas comme l'absence de maladie - le silence des organes - mais comme un état de bien-être. Étant donné le raffinement des modifications des émotions et des sentiments auxquels parvient progressivement la neuropharmacologie, la tentation peut devenir plus grande de modifier un sentiment de souffrance plutôt que de résoudre le problème qui la cause. Un des enjeux du débat sur l'euthanasie pourrait se déplacer de la question de savoir si le médecin doit répondre ou non à une demande de mort, à la question de savoir s'il doit ou non modifier la souffrance existentielle qui cause cette demande, reposant en d'autres termes la question de l'autonomie et de la liberté de choix du patient.

 

Ainsi, les neurosciences revisitent des interrogations ancestrales sur la nature humaine, telles que les relations entre déterminisme et libre arbitre, raison et émotions, nature et culture, individu et société, en les abordant de manière nouvelle et en changeant parfois les termes dans lesquels ces questions sont posées. A nous de débattre de ces nouvelles représentations en gardant à l'esprit que la description la plus précise d'un lien entre une activité cérébrale et une expérience vécue n'épuisera jamais, à elle seule, la réalité de cette expérience vécue. « Rien ne devient jamais réel tant qu'on ne l'a pas ressenti » a écrit le poète anglais du XIX' siècle John Keats. La réflexion éthique éprouve et confronte en permanence ce que nous apprenons sur nous - en tant qu'objet d'expérience - et ce que nous souhaitons vivre - en tant que sujet. À nous de retisser sans cesse ce lien entre les représentations toujours changeantes que construit la recherche et ce que nous souhaitons en faire, c'est-à-dire la manière dont nous voulons inventer notre avenir.

 

Rejetant l'idée d'un dualisme corps/esprit, Baruch Spinoza écrivait au XVlle siècle : « L'esprit et le corps sont une même chose vue sous deux angles différents. »

 

Aujourd'hui, les neurosciences considèrent que les émotions, les sentiments et la conscience correspondent à des états d'activité particuliers du cerveau, et donc du corps. Mais jusqu'à quel point une description détaillée d'un état d'activité du cerveau pourra-t-elle rendre compte de la réalité d'une expérience vécue par une personne.


 

Jean-Claude AMEISEN

préside le Comité d'éthique de l'INSERM.



 

 © Cerveau & Psycho - N° 5 - mai 04 - page 90

 

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« La somme des parties ne constitue pas le tout » (Lao Tseu)

 

 

  • Petite conversation autour de la réification (à ne pas généraliser à l'ensemble des médecins) :

 

 

- Bonjour Docteur, comment va ma femme ?

 

- Hummm... Bonjour, vous voulez dire la patiente en 37 ?

 

- Heuu ... oui

 

- Ecouter..., c'est embarrassant, nous avons analyser la propagation des métastases dans le liquide cérébro-spinal et il semblerait, après IRM et scanner, et aux vues de la quantité examinée dans les prélévements, que le mésencéphale et les fonctions thalamiques soient déjà atteintes... ce qui laissent présager une invasion dans le système limbique prochainement.... Et puis, les marqueurs ne sont pas bons... Vous voyez, c'est inquiétant !

 

- Et alors ?

 

- Alors, il faut vous préparer à une possible altération des fonctions préfrontales et émotionnelles ! Pourquoi pas envisager un arrêt des activités cérébrales... parlez-en à la famille, ça vaudra mieux.

 

- Mais c'est quand même ma femme, vous comprenez ?

 

- Votre femme ? Allons... vous vous remettrez vite. Ce ne sont que des cellules, tout au plus ! Vous symbolisez trop mon cher monsieur, soyez plus objectif ! Vous rencontrerez quelqu'un d'autre, voilà tout.

 

- Ce ne sont pas que des cellules ! je vous parle de ma femme, que j'aime.

 

- Ne vous ennervez pas, mon ami... Après des années de métiers, vous comprenez bien que nous voyons les choses autrement... vous verrez, on s'y habitue... avec le temps. Et puis ce ne sont que des cellules ! Pourquoi tant de bruit pour quelques atomes disparates et quelques bactéries organiques ?

 

- C'est ignoble ! Comment pouvez vous parler de cette façon ?

 

- Bon écoutez monsieur... Vous êtes fatigué... " Gardez espoir, soyez positif ! Bientôt nous pourrons même remplacer les organes endommagés... avec le cerveau d'une autre ! " Allez... partez vous reposer un peu... après vous verrez, ça ira mieux ! Et puis j'ai du travail... Bon courage et bonne continuation.

 

- Heuu... merci docteur.

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26 avril 2015 7 26 /04 /avril /2015 09:24

On sait que la coiffure a une fonction de valorisation de l’attrait et de démonstration de la jeunesse. Chez les femmes, sa fonction esthétique est manifeste et les volumes financiers qui y sont consacrés sont loin d’être négligeables. L'étude montre que le cheveu reflète aussi l’état de santé, la jeunesse... et surtout l'affectivité !

 

 

 " Le désir, sous toutes ses formes, est ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue."

  

 

On sait par exemple que la grossesse affecte la qualité du cheveu (Symons, 1995). De fait la longueur servirait aussi à qualifier ces caractéristiques : plus elles seraient positives, plus on montrerait de cheveux et donc de longueur. Jacobi et Cash (1994), en questionnant des femmes, ont montré que ces dernières pensent que les hommes préfèrent les femmes avec de longs cheveux... La crinière féminine est - en effet - un facteur manifeste de douceur et de puissance affective, dirigée vers le conjoint ou l' enfant. La chevelure, c'est aussi l'expression du désir, le soin d'exister pleinement et durablement en temps que femme libre des normes sociétales.

 

Pour d’autres chercheurs, en dehors de l’attrait esthétique, la longueur des cheveux servirait différentes stratégies et varierait en fonction de celles-ci. Par exemple, une femme installée dans une relation avec des enfants tendrait à avoir des cheveux plus courts qu’une femme à la recherche d’un partenaire, les centres d'intérêts étant essentiellement orientés vers les besoins du foyer.

 

La longueur des cheveux est-elle liée à la santé ? © Nathalie Baye, Studio Harcourt CC by-sa 3.0 
La longueur des cheveux est-elle liée à la santé ? © Nathalie Baye, Studio Harcourt

 

Afin de vérifier le rapport entre santé, esthétique, amour et longs cheveux, Hinsz, Matz et Patience (2001) ont interrogé plusieurs centaines de femmes âgées entre 13 et 73 ans, prises au hasard dans la rue. Ils leur demandaient de répondre à une enquête où on mesurait des données démographiques (enfants, âge…) puis l’état de la relation maritale ou sentimentale. Une mesure de l’état de santé demandé par rapport à une femme de leur âge était faite. On évaluait la longueur et la qualité des cheveux après formation des observateurs (l’enquêteur et un observateur discret à distance) par du personnel de salon de coiffure.

 

Les hommes préfèrent-ils les femmes aux cheveux longs ? © Katie Sagona CC by-sa 3.0
Les hommes préfèrent-ils les femmes aux cheveux longs ? © Katie Sagona CC by-sa 3.0

 

Longueur de cheveux et potentiel de reproduction

  

Une corrélation négative entre longueur des cheveux et âge sera trouvée : plus une femme est âgée et plus la longueur de ses cheveux diminue.

 

Il en va de même avec la nature de sa relation sentimentale : plus une femme est installée dans une relation durable et satisfaisante sentimentalement, plus elle tend à avoir des cheveux courts ; l' acquis favorisant la perte du besoin de séduction. Les mêmes effets sont observés avec les questions relevant de l’état physique : plus leur santé est bonne et plus elles tendent à avoir des cheveux longs.

 

Dans le même temps, une relation positive entre longueur de cheveux et potentiel de reproduction sera trouvée : à âge contrôlé, les femmes qui ont eu plusieurs d’enfants tendent à avoir des cheveux plus longs. Lorsque l’on demande aux personnes d’évaluer leur état de santé de manière personnelle, on observe le même effet : celles qui déclarent se sentir bien sont également celles qui ont les cheveux les plus longs.

 

La puissance de la douceur : un facteur de séduction ! © Anahi Linda

La puissance de la douceur : un facteur de séduction ! © Anahi Linda

Il semble donc que la longueur du cheveu soit un élément contenant de nombreuses informations. Pour les chercheurs, la longueur et la qualité des cheveux agiraient comme des prédicteurs de la jeunesse et de la santé. Le cheveu pourrait donc servir aux hommes d’indicateur de potentiel génétique. Or, ce paramètre est important dans l’évaluation des femmes. Celui qui cherche tant à disséminer son patrimoine génétique est logiquement celui qui doit avoir le plus de capacité à repérer ce potentiel.

 

Résumé de l'étude recensée par N.Guéguen, Docteur en psychologie.
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4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 20:17

La ville a toujours été le moteur de la vie intellectuelle, rappelle le journaliste spécialisé dans le domaine de la cognition, Jonah Lehrer, auteur de l’excellent Proust was a neuroscientist (Proust était un neuroscientifique) et du récent How we decide (Comment nous décidons) dans un article du Boston Globe. Reste que l’on sait encore mal comment elle agit sur notre cerveau.

 

-Comment la ville nuit-elle à notre cerveau ?-

La ville n’est pas propice à la concentration

 

Office building par Andrea CampiDes chercheurs américains et australiens commencent à montrer que le simple fait de vivre dans un environnement urbain à des effets sur nos processus mentaux de base. Après avoir passé quelques minutes dans une rue bondée, le cerveau est moins en mesure d’organiser les informations qu’il reçoit dans la mémoire, explique le psychologue du Laboratoire de neuroscience cognitive de l’université du Michigan, Marc Berman. A l’inverse, la nature serait un élément extrêmement bénéfique pour le cerveau : des études ont même démontré que des patients d’hôpital qui peuvent voir des arbres de leurs fenêtres se rétablissent plus rapidement que ceux qui en sont privés.

 

Alors que la majorité de la population réside dans les villes, les environnements de béton et d’automobiles auxquels nous sommes confrontés auraient des incidences sur notre santé mentale et physique, jusqu’à modifier la façon dont nous pensons. Les neuroscientifiques et les psychologues commencent à s’intéresser à l’aménagement urbain pour qu’il cause moins d’atteinte à notre cerveau. La plantation d’arbres en centre-ville ou la création de parcs urbains peuvent ainsi réduire de façon significative les effets négatifs de la vie urbaine. Quand on se promène en ville, notre cerveau, toujours à la recherche de menaces potentielles, doit gérer les multiples stimuli liés à la circulation et à la vie urbaine. La gestion de telles tâches mentales, apparemment anodines, a tendance à nous épuiser, car elle exploite l’un des principaux points faibles du cerveau : sa capacité de concentration. Une ville est si débordante de stimuli que nous devons constamment rediriger notre attention pour ne pas être distraits par des choses sans importance comme une enseigne clignotante ou des bribes de conversations.

 

“L’esprit est comme un puissant super-ordinateur, mais le fait de prêter attention consomme une grande partie de sa puissance de traitement.”

 

La vie en milieu naturel en revanche ne nécessite pas la même quantité d’effort cognitif. En fait, les milieux naturels sont tout autant remplis d’objets qui capturent notre attention, mais qui ne déclenchent pas de réponse émotionnelle négative (contrairement à une voiture ou à une foule de piétons) ce qui fait que le mécanisme mental qui dirige l’attention peut se détendre en profondeur. Selon la dernière étude publiée par l’équipe de Marc Berman, deux groupes d’étudiants se sont promenés, les uns dans les rues animées les autres dans un parc et ont subis ensuite une série de tests psychologiques de mémoire et d’attention. Ceux qui s’étaient promenés en ville ont moins bien réussi les tests que ceux qui se sont promenés dans un parc.

Les stimuli de la ville épuisent notre capacité à nous auto-contrôler

 

La densité de la vie en ville n’influe pas seulement sur notre capacité à nous concentrer. Elle interfère également avec notre capacité à nous auto-contrôler. Lors d’une promenade en ville, notre cerveau est également sollicité par de nombreuses tentations consuméristes. Y résister nous oblige à nous appuyer sur le cortex préfrontal, la même zone que celle qui est responsable de l’attention dirigée et qui nous sert à éviter le flot de circulation urbain. Epuisé par la difficulté à gérer notre déambulation urbaine, il est moins en mesure d’exercer ses capacités d’auto-contrôle et donc nous rend plus enclins à céder aux tentations que la ville nous propose. “Je pense que les villes révèlent la fragilité de certaines de nos “plus hautes” fonctions mentales”, explique Frances Kuo, directrice du Laboratoire du paysage et de la santé humaine à l’université de l’Illinois. “Nous prenons ces talents pour acquis, mais ils ont vraiment besoin d’être protégés.” Des recherches ont montré que l’augmentation de la charge cognitive liée à la vie urbaine rend les gens plus susceptibles de choisir un gâteau au chocolat au lieu d’une salade de fruits. La ville subvertit notre capacité à résister à la tentation consumériste, avancent même certains spécialistes.

 

La vie urbaine peut aussi conduire à la perte de contrôle de ses émotions. Kuo et ses collègues ont montré que la violence domestique était moins fréquente dans les appartements avec vue sur la nature que ceux qui n’ont vue que sur le béton. L’encombrement, les bruits imprévisibles ont aussi des effets sur l’augmentation des niveaux d’agressivité. Un cerveau fatigué par les stimuli de la ville est plus susceptible de s’emporter. Mais les pelouses ne suffisent pas à notre bien-être. Dans un article récent, Richard Fuller, un écologiste de l’Université du Queensland en Australie, a démontré que les bénéfices psychologiques d’un espace vert sont étroitement liés à la diversité de sa flore.

 

“Nous nous inquiétons beaucoup des effets de l’urbanisation sur les autres espèces”, dit Fuller, “mais nous sommes également touchés par elle.”

 

Quand un parc est bien conçu, il peut améliorer le fonctionnement du cerveau en quelques minutes. Comme le démontre l’étude de Marc Berman, pour améliorer notre attention et notre mémoire, se promener dans un environnement naturel peut être plus efficace que le dopage. “Compte tenu de la myriade de problèmes de santé mentale, qui sont exacerbés par la vie en ville, de l’incapacité de prêter attention au manque de maîtrise de soi, la question demeure : Pourquoi les villes continuent-elles de croître ? Et pourquoi, même à l’ère de l’électronique, est-ce qu’elles continuent d’être les sources de la vie intellectuelle ?”, s’interroge Jonah Lehrer. C’est parce qu’elles ont aussi l’avantage de concentrer les interactions sociales qui sont une des sources de l’innovation et de la créativité, expliquent les scientifiques de l’Institut de Santa Fe, sur le modèle de la réflexion que menait récemment Pekka Himanen sur la glocalité des réseaux d’innovation.

 

Nous ne retournerons pas à la campagne demain, mais peut-être pouvons-nous apprendre à construire des villes qui soient moins agressives et plus respectueuses des limites cognitives de notre cerveau.

 

Hubert Guillaud pour http://www.internetactu.net/

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28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 11:26

La manipulation des médias est une réalité de notre temps, mais la crédulité, elle, est universelle. Une étude en psychologie s’est penchée —encore une fois— sur les raisons qui rendent certaines personnes plus susceptibles de croire en une information fausse, qu’elle leur parvienne des médias, de la presse ou des politiciens.

 


À la base, ces chercheurs partent d’un constat récent, qui a été révélé ces dernières années par l’analyse de nos cerveaux: rejeter une information demande plus «d’efforts» que d'y croire. Notre cerveau doit en effet analyser —la fiabilité de la source d’information et le caractère plausible ou non de l’histoire— avant de la rejeter. En comparaison, si on choisit d’y croire, notre cerveau peut faire une sieste...

 

Mais c’est plus compliqué que ça, écrivent le psychologue australien Stephan Lewandowsky et ses collègues. D’une part, si le sujet n’est pas déjà important pour vous, la fausse information risque de s’enraciner plus facilement dans votre esprit —et il sera par la suite très difficile de l’en déloger.

 

Or, même lorsque le sujet est important pour vous, et que vous prenez donc le temps d’analyser l’information, cela se fait si vite qu’il n’y a que quelques éléments auxquels vous portez attention: la source d’information est-elle crédible? Quelles sont les autres personnes de mon entourage qui y croient ? Est-ce que cette information est «compatible avec d’autres choses auxquelles je crois» ?

 

Qu’ont en commun ces éléments auxquels vous portez attention? Le groupe auquel vous vous identifiez, les idéologies auxquelles vous adhérez, bref, tout ce qui prédétermine déjà votre vision du monde, sera crucial dans votre choix de croire ou non à une information —et ce, qu'elle soit vraie ou fausse.

 

Ces conclusions n’étonnent pas quand on pense politique: l’électeur qui préfère le parti X sera davantage enclin à croire au chef du parti X. Mais quand on pense science, ces constats deviennent gênants: on peut pratiquement prévoir à l’avance quels groupes croiront spontanément que la vaccination cause l’autisme, que les OGM ne sont pas dangereux ou que le réchauffement climatique est un canular, pour reprendre trois des exemples cités par Lewandowsky et ses trois collègues américano-australiens.

 

Leur article a été mis en ligne le 18 septembre par la revue " Psychological Science in the Public Interest ".

 

«Il y a un coût social à la désinformation», écrivent les auteurs: arrive un moment où une fausse croyance est si bien enracinée qu’elle influence les décisions politiques. Et sachant cela, des groupes bien organisés peuvent arriver à répandre de fausses informations, par le biais des médias, de la rumeur publique et même des politiciens: c’est le mécanisme qu’on a vu à l’oeuvre dans les années 1980 chez les défenseurs du tabac et, depuis les années 1990, chez les climatosceptiques.

 

Les solutions qui en découlent sont donc à l’envers de ce qui est couramment défendu par les scientifiques: se contenter de «dé-mythifier», ce qui serait le réflexe premier des scientifiques, n’est guère utile si la croyance est déjà profondément enracinée. Il faut travailler en amont, notamment —quand c’est possible— en prévenant les gens que «l’information qu’ils vont recevoir peut être trompeuse».

  • Les avertissements peuvent induire un état temporaire de scepticisme, qui peut maximiser l’aptitude des gens à discriminer entre une vraie et une fausse information.

Une autre piste de solution est de fournir une «explication alternative» aux causes d’un événement. Cela peut permettre d'ouvrir une voie de sortie à certaines personnes qui ont entendu dire que leur information était fausse, mais qui ne savent pas comment en «décrocher».

 

Désinformer pour régner : Un regard de la science sur elle-même !

 

Comment désinformer ? Il vous suffit d’avoir une poignée de scientifiques pour vous donner une apparence de crédibilité. Et beaucoup d’argent, à distribuer en catimini pour favoriser certaines études. À partir de là, la bête va grossir toute seule...

 

C’est tellement simple qu’on s’étonne que tant de gens puissent tomber dans le piège. Et tellement tordu qu’on a du mal à croire que certains relationnistes aient été assez fiers pour publier un guide —Bad science : A Resource Book, en 1993. Et pourtant, ce n’est qu’un fragment de ce que les procès contre les compagnies de tabac ont révélé.

 

Car tout part du tabac : dans les années 1950 et 1960, les multinationales se sentant menacées par la science du cancer ont embauché des relationnistes et des lobbyistes, donnant du coup naissance à une « industrie du doute ». Que décrit l’historienne Naomi Oreskes dans un excellent ouvrage paru plus tôt cette année, Merchants of Doubt.

 

Financement en sous-main de « groupes de réflexion » (think tank) composés d’universitaires (des scientifiques, mais aussi des économistes) payés pour donner des conférences ou rédiger des mémoires sympathiques à l’industrie; publication de dépliants, bulletins, livres, expédiés à des milliers de politiciens et de journalistes. L’objectif : non pas combattre la science par la science, mais semer le doute dans l’esprit du public : « d’autres produits peuvent causer le cancer », « la science est faite d’incertitudes », « davantage d’études sont nécessaires » avant de réglementer le tabac.

  • L’industrie avait compris qu’il vous est possible de créer l’illusion d’une controverse simplement en posant des questions, même si vous connaissiez en fait les réponses et que vous saviez qu’elles n’aidaient pas votre cause.

Car l’industrie savait : les procès du tabac intentés dans les années 1990 ont en effet révélé que les compagnies savaient dès les années 1950 qu’il existait un lien entre tabac et cancer. Elles ont dès lors travaillé à le dissimuler et la stratégie a plutôt bien fonctionné : il a fallu attendre les années 1980, voire 1990, pour que le public nord-américain cesse de croire que la science était divisée sur la question du tabac. Ce n’est que le début de l’histoire que raconte Naomi Oreskes, de l’Université de Californie à San Diego, et son collègue Erik Conway, dans cet ouvrage admirablement documenté. Car le tabac n’est que le premier chapitre : forts de leur succès, ces « marchands du doute » se sont mis au service de l’industrie du charbon —lorsque le gouvernement américain a voulu la réglementer pour combattre les pluies acides— des CFC —le trou dans la couche d’ozone— et de l’armement. Depuis 15 ans, ils sont au service des industries du pétrole, du charbon et de l’automobile, où ils travaillent à créer l’illusion que subsiste un débat scientifique autour du réchauffement climatique.

  • Le réchauffement climatique. D’abord ils ont affirmé qu’il n’y en avait aucun, puis ils ont affirmé que ce n’était qu’une variation naturelle, puis ils ont affirmé que même s’il était réel, et que c’était de notre faute, ça importait peu puisque nous avions juste à nous adapter. Cas après cas, ils ont systématiquement nié l’existence d’un consensus scientifique.

Du tabac au climat, ce sont en effet les mêmes tactiques qui se répètent encore et encore, ce qui rend cette lecture parfois désespérante.

 

Les médias portent une part de blâme, puisque ce sont eux qui répercutent les « études » de ces Instituts Cato, Competitive Enterprise Institute et autres groupes financés à 100% par ces industries. Mais la désinformation a su, avant toute chose, exploiter une qualité du journalisme, qui devient dans ce cas-ci une faiblesse : l’ambition d’accorder un temps de parole égal au « pour » et au « contre ». Devant un document farci de jargon scientifique, signé par le détenteur d’un doctorat affilié à une université, le journaliste —et le politicien— sont impressionnés... ce qui est exactement le but visé.

 

Si les tactiques sont restées les mêmes depuis l’époque du tabac, le ton est devenu plus hostile ces dernières années. La droite américaine en particulier, ne se contente plus de semer le doute, elle envoie des mises en demeure aux scientifiques, joue la carte du harcèlement et certains climatologues ont reçu jusqu’à des menaces de mort. En entrevue pour Je vote pour la science, Naomi Oreskes expliquait le mois dernier cette évolution par « les enjeux plus élevés » :

  • À mesure que les enjeux sont devenus plus élevés, la pression est devenue plus élevée et les tactiques, de plus en plus extrêmes.

Que faire ? C’est sans doute la seule chose qui manque dans ce livre. Mais le lecteur qui n’est pas scientifique y apprendra à tout le moins qu’être vigilant face aux désinformateurs, ce n’est pas sorcier. Pas besoin en effet d’avoir un doctorat en physique pour distinguer une opinion d’une étude, spécialement quand elle émane d’un groupe qui dissimule soigneusement ses sources de financement.

  • En bref, aucun citoyen n'est plus bête qu'un autre, même si celui-ci n'est pas équipé des diplômes les plus illustres. L'intuition des populations n'est parfois pas si éloignée de la vérité, fut-elle bien cachée par des personnes influentes. L'avenir appartient désormais à ceux qui, toujours plus nombreux, éguisent leur discernement... Bien loin de l'idée d'être des partisants de la "théorie du complot".

Pascal Lapointe pour www.sciencepresse.qc.ca/

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1 novembre 2014 6 01 /11 /novembre /2014 19:18

" Jusqu’où ira Google ? " Après les télécoms, la voiture sans pilote, la gestion de l’énergie ou la robotique, le géant californien s’attaque à présent aux nanotechnologies pour la santé. Son laboratoire Google X, spécialisé dans les technologies de rupture vient d’annoncer la mise au point de nanoparticules destinées à la détection précoce de maladies. Google pense même pouvoir bloquer le viellissement et ainsi "tuer la mort" avec l'aide de sa filiale Calico, experte en biotechnologie et en génétique ! Voilà des ambitions qui dégagent de forts relents d'eugénisme...

 

 

 

Sur le papier, l’idée ressemble à de la science-fiction : faire circuler dans le sang des particules nanoscopiques (2000 fois plus petites qu’une cellule sanguine), pour mesurer les changements biochimiques annonciateurs d’une tumeur, d’une crise cardiaque ou d’un accident vasculaire cérébral. Ingérées dans un comprimé, ces particules seraient chargées de se fixer sur un type particulier de cellule (tumorale par exemple) et pourraient être détectées et comptées grâce à un objet connecté.

 

« Un stade très précoce »

 

Google ne donne pas plus de détails sur cette technologie. « Nous en sommes encore à un stade très précoce », explique aux « Echos » Andrew Conrad, directeur de Google X Life Sciences et ancien chef scientifique de LabCorp, géant américain des analyses médicales. Seule certitude : le groupe de Mountain View ne compte pas développer cette technologie tout seul. « Nous recherchons des partenaires désireux d’explorer le potentiel de ces nanodiagnostics et d’aboutir à des essais cliniques », poursuit Andrew Conrad, tout en reconnaissant que cela pourrait prendre « une dizaine d’années ».

 

Cette annonce ne constitue pas la première incursion de Google X dans le domaine de la santé ! Connu pour avoir fait naître les Google Glass ou la Google Car, cette entité spécialisée dans les défis technologiques les plus ambitieux – appelés « moon shots » en jargon interne – regroupe environ 150 spécialistes dans les sciences du vivant. Elle est déjà à l’origine du projet de lentille de contact connectée Lens, conçue pour s’attaquer à diverses pathologies oculaires. Bardée de composants électroniques miniaturisés, cette lentille va être développée sous licence par Novartis, à la suite d’un accord rendu public cet été.

 

Réorganisation à la tête du groupe

 

Larry Page va avoir plus de temps à consacrer aux projets de son groupe dans la santé. Le PDG de Google a transféré la responsabilité des principaux produits de l’entreprise (moteur de recherche, Google+, publicité...) à Sundar Pichai. Entré chez Google en 2004, ce natif de Chennai (Inde) conserve également la direction d’Android, Chrome et Google Apps. Quant à Larry Page, il continuera de superviser directement plusieurs activités stratégiques, dont Nest, Google X et Calico, société experte en biotechnologie et en génétique.
 

« Le fameux Diagnostic Proactif »

 

Google X Life Sciences a également lancé une étude scientifique appelée « Baseline Study », visant à déterminer ce qu’un individu « sain » signifie sur le plan moléculaire et cellulaire. Sur le plan éthique, Google se lance dans une réforme mondiale de la pensée visant à faire accepter ses projets ; celle-ci a lieu avec la participation du docteur en génétique cellulaire Mathieu Ricard et de Chade-Meng Tan, ingénieur chez Google et créateur du programme d' intelligence-émotionnelle (dont le slogan est "Connectez-vous à vous-même"). « Dans tous les cas, l’idée est la même : transformer radicalement le diagnostic médical et le faire entrer dans les habitudes de vie, indique Andrew Conrad. Nous voulons passer d’un diagnostic réactif, effectué une fois que la maladie s’est déclenchée, à un diagnostic proactif, qui se ferait tout au long de la vie. » Voilà qui garantira à Google un flux de données personnelles massifs que le géant du net pourra rentabiliser à souhait, selon les demandes des laboratoires pharmaceutiques ou selon le pouvoir d'achat des personnes en convalescence.

 

 

Les 5 inventions "ambitieuses" de google en matière de santé :

 

 

  1. Tuer la mort !

 
Lutter contre le vieillissement et permettre d’améliorer l’espérance de vie font partie des projets titanesques de Google. Pour y parvenir, le géant du net a lancé la société de biotechnologies Calico le 18 septembre 2013. Dirigée par Arthur Levinson, ancien patron de Genentech, elle a déjà bénéficié d’1.5 milliards d’euros de financement. Cellules souches, génétique, action sur les constituants du sang…Calico dispose de nombreuses pistes pour atteindre son but. Il n’y a en fait aucune limite technologique à la modification du corps humain étant donné qu’une cellule est une sorte d’usine sophistiquée. Grâce aux nanotechnologies, il est tout à fait possible d’en modifier les informations. Pour l’instant, aucune information précise sur la nature des recherches ni même une éventuelle date de commercialisation d’une innovation ne sont connues.

 

2. Les analyses génomiques

 
C’est certainement le premier pas vers "la mort de la mort". 23andMe est une filiale minoritaire de Google dont une des fondatrices n’est autre qu’Anne Wojcicki, l’ex-femme de Sergueï Brin. Ce dernier a d’ailleurs découvert qu’il était susceptible de développer la maladie de Parkinson en faisant l’analyse de son profil génétique. Quoique moins ambitieux que Calico, ce projet reste dans la logique transhumaniste des fondateurs de Google. Bien connaître l’implication des gènes est un préalable à l’augmentation de l’espérance de vie. 23andMe possède même depuis septembre 2013 un brevet sur la sélection de donneurs de gamètes, basée sur les calculs génétiques. L’entreprise permet par exemple de choisir la couleur des yeux et des cheveux des bébés. En somme, 23andMe est le reflet de la société profondément eugéniste dans laquelle nous vivons. Sur le long terme, elle devrait améliorer sa technologie et se servir du séquençage, permettant de pousser plus loin le dépistage de maladies génétiques et les modifications de l’ADN.

 

3. Attaquer le cancer par le big data

 
La start-up Flatiron – qui a récemment levé 130 millions de dollars auprès de Google Ventures – a pour objectif de collecter informations oncologiques de patients cancéreux afin de créer une base de données. Sorte de big data de la cancérologie, l’entreprise a été fondée en 2012 par Nat Turner et Zach Weinberg, deux anciens fondateurs d’Invite Media. Les patients donnent préalablement leur accord et tous les renseignements amassés vont permettre d’identifier plus facilement et de mieux soigner les cancers, grâce à un algorithme. La médecine du XXIème siècle est en route.

 

4. Lentilles intelligentes pour diabétiques

 
Il s’agit certainement de l’innovation la plus médiatisée. Google s’est associé au groupe pharmaceutique Novartis en juillet dernier, dans l’optique de développer des lentilles de contact capables de mesurer la glycémie présente en temps réel dans le sang. Le géant américain travaille sur ce projet depuis plusieurs mois déjà et avait fait savoir qu’il cherchait un partenaire pour se lancer dans l’aventure. Il a d’ailleurs présenté un prototype en janvier dernier, nommé "Smart Contact". Le taux de glycémie est donc mesuré par le biais des larmes et des capteurs miniatures sont placé dans la lentille et reliées à un appareil connecté sans fil. Les expérimentations avancent, mais aucune date de commercialisation de ces lentilles "intelligentes" n’est connue à ce jour.

 

5. Les nano-implants intracérébraux

 
Ray Kurzweil est directeur de l’ingénierie chez Google depuis 2012. Également transhumaniste, il est parvenu à convaincre les fondateurs de Google que l’intelligence artificielle peut conduire à l’immortalité. L’idée est d'arriver à faire fusionner nos esprits avec les machines. Lors de son discours à Vancouver en mars dernier, il explique que d’ici 2035 il existera des nanorobots branchés sur nos neurones nous permettant de nous connecter sur internet. Pour 2045 il prédit l’émergence d’une véritable intelligence artificielle, dotée d’une conscience et nettement supérieure à l’intelligence humaine. D’ici là, Ray Kurzweil est également persuadé que l’on pourra transférer notre mémoire et notre conscience dans des microprocesseurs. Il est donc possible d’apporter n’importe quelle amélioration technologique et les propositions du géant américain sont déjà sur la table. Reste à savoir s’il faut se plonger autant dans la technologie. Afin de plancher sur ces questions délicates, Google a créé un comité d'éthique sur l'intelligence artificielle. Mais vu l’avancement des recherches et les prévisions, il y a fort à parier que l’on ne reconnaîtra pas l’humanité à la fin du siècle.

 

 

Une vie sans la mort... Les questions "du sens" qui dérangent :

 

 

Imaginons un instant que, dans un futur proche, les projets de Google se démocratisent pour ces quelques individus ayant les moyens d'acheter un corps "à la carte" et doué d'une santé qui assurerait une longévité d'un bon millénaire (propos tenus par la filiale Calico-Biotechnologie de Google) :

 

  • Quel en serait le sens ? Pourriez-vous imaginer une vie où vos proches meurent bien avant votre fin ?

 

  • Pourriez-vous supporter le poids moral d'une vie multiséculaire, des chocs et expériences que vous devriez endurer ?

 

  • Pourriez-vous vous adapter en permanence à une société en perpétuel changement, où vos valeurs ne correspondent plus à votre environnement social ?

 

  • Comment pourriez-vous imaginer avoir des enfants et leur laisser une "place digne" dans un système social où les anciens ne décèdent plus, où la roue des générations ne remplit plus son office ?

 

  • Que feriez-vous de votre vie si vous savez que la mort ne vous atteind plus ? Aurait-elle encore la même saveur ?

 

  • La mort n'est-elle pas cet agent de transformation qui rend la vie plus intense ? Pour qui allez-vous offrir votre vie, par amour, si celle-ci dure sans fin ?

 

  • La longévité sera t-elle porteuse d'ennui et de dépression chronique, où porteuse d'une immense solitude intérieure pour un grand nombre de citoyens ?

 

  • Pourrons-nous vivre longtemps sans dépendances, ni médicales, ni monétaires ? Serons-nous les esclaves d'une mondialisation sans fin, asservis à des entreprises ou à des machines... où simplement à notre désir de rester en vie ?

 

  • Que deviendrons les grands leaders politiques ou économiques si ceux-ci ne meurent plus ? Auront-ils la sagesse de renoncer à leur puissance et à leur hégémonie ?

 

  • Aurez-vous toujours un but à atteindre au bout de mille ans ? et pourquoi faire ? ... En bref, serons-nous réellement capable de supporter notre humanité éternellement ?

 

  • Au fond... n'est-il pas plus sage de respecter son temps, avoir une existence digne, et finalement enflammer sa vie pour une juste cause, sachant que la mort est souvent libératrice pour chacun de nous ?

Comme le fit le brave Horacius Coclès, en clamant haut et fort son ultime poème face à toute une armée :

" Comment un homme peut-il mieux mourir, qu'en affrontant un destin contraire... pour les cendres de ses aïeux... ou le temple de ses dieux ? "


Et de crier sur le pont Sublicius :  « Père Tibre, je te supplie respectueusement de recevoir ces armes et ce soldat dans un flot bienveillant » Horatius Coclès.

 

 

Les fantomes de l'eugénisme, un rappel de l'histoire :

 

 

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Alors que les opérations de manipulation de la vie, de clonage, de transhumanie, de dépistages prénatals, sont de plus en plus abordées par les scientifiques, les idées eugénistes reviennent, en ce début du XXIème siècle, sur le devant de la scène. L’occasion de faire, pour vous, un rappel de ce phénomène et des questions morales qu’il pose.

 

Qu’est-ce que la vie ? Est-ce l’action insipide d’un cheminement d’années qui se succèdent en un flot de déceptions et de petits bonheurs ou la recherche d’un monde plus juste et plus parfait. C’est ce questionnement qui régit la course de l’intellect humain, et qui le poussa, dans une recherche de perfection, à l’envie destructrice de l’altérité et des différences fondamentales. Recherche d’absolu pour purifier la race et l’ethnie d’une nation, qui le conduit jusqu’aux pires abominations, aux compromis les plus sordides et aux théories les plus déshumanisantes. Le XIXème siècle voit une montée en puissance des phénomènes de réflexion autour de la race et de l’évolution, sur fond de colonisation et d’une période riche en rencontres et en échanges.

 

Dans un salon anglais du milieu du XIXème siècle, une discussion né entre deux savants : Charles Darwin, qui a publié six ans plus tôt son ouvrage « Des origines des espèces », et son cousin, Francis Galton. Avec la théorie de l’évolution, Charles Darwin a introduit la notion de classification des races, auquel Galton va adhérer sans réserve jusqu’à émettre une première hypothèse : « si l’on mariait les hommes de talent à des femmes de talent on pourrait, génération après génération, produire une race humaine supérieure ». C’est le premier échelon de la création de l’idée eugéniste. Darwin lui-même avait conclu que l’évolution était lié à un processus de sélection naturelle fait au cours du temps, et Galton d’aller plus loin en proposant d’aider à cette sélection pour mener à une race plus parfaite. Il veut proposer une « science de l’amélioration des lignées humaines, permettant de conférer aux races et aux souches les plus convenables une plus grande chance de prévaloir rapidement sur celles qui ne le sont pas ». Combinant ces opérations de sélection aux problèmes mathématiques, il va fonder un journal, Biometrika, considéré comme le moteur fondamental de la pensée biométrique et eugéniste. Aux côtés de Galton à la tête de ce journal, Karl Pearson, mathématicien de renom, qui propose de sélectionner les êtres les plus doués et de favoriser leur reproduction, en écartant, de manière statistique et médicale, au fil du temps, les éléments les moins tarés d’une société.

 

Les idées de Darwin, Galton et Pearson, trois scientifiques de renommée mondiale, se répandent et au début du XXème siècle, avec le développement des études scientifiques et des recherches sur les grandes épidémies, le développement de la lutte contre les microbes et les bactéries, ces idées eugénistes et biométriques vont conquérir une partie de la communauté scientifique mondiale. En Europe et aux Etats-Unis, des applications concrètes sont mêmes envisagées et le premier phénomène est le processus de sélection avec éviction des enfants ayant une déficience mentale jusqu’au dépistage des grossesses pouvant aboutir à la naissance d’un de ces enfants.

 

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Francis Galton

 

Du programme Aktion T4 au dépistage prénatal

 

L’Allemagne sous le IIIème Reich va devenir le premier état au monde à appliquer massivement et collectivement les théories eugénismes de Galton et des autres théoriciens ayant conceptualisés le principe d’éviction des éléments tarés, après des premiers essais de lois eugénistes aux Etats-Unis, qui aboutissent la stérilisation de plus de 50 000 personnes entre 1907 et 1949. Après la crise de 1929 et les problèmes liés à la défaite du pays à la fin de la Première Guerre Mondiale, en Allemagne, les incestes, la baisse des conditions d’hygiène, les relations sexuelles non protégées et libérées se multiplient.

 

Un nombre important d’enfants comportant des déficiences mentales ou souffrant de maladies infantiles graves pouvant aboutir sur un handicap se développe. Lorsque le parti national-socialiste arrive au pouvoir en 1933, l’eugénisme apparaît comme une solution aux problèmes sociaux de l’époque, tels que la délinquance et la maladie mentale. La période est propice aux mesures eugénistes, avec le vote en 1930, dans les pays scandinaves, d’une loi sur la stérilisation des criminels et des malades mentaux qui sera scrupuleusement appliquée. Une loi du 14 juillet 1933, donne le droit de stériliser les malades mentaux également en Allemagne. 144 centres de stérilisation seront mis en place sur tout le territoire allemand. A partir de septembre 1939, après la signature par Hitler d’une loi dite de « mort miséricordieuse » commence le plan Aktion T4, l’euthanasie de tous les enfants malades mentaux et atteints de déficiences intellectuelles. Plus de 70 000 malades mentaux seront ainsi exécutés entre 1939 et 1941. L’adhésion massive du corps médical allemand aux idées nazies a contribué au chiffre important de ces euthanasies médicales, qu’ils ont appliqués par choix et avec zèle. Le médecin dans le système nazi a d’ailleurs une place importante et peut participer à l’élaboration des lois touchant à de nombreux domaines. C’est la mise en place d’une certaine biocratie.

 

Mais le développement de la génétique dans les années 1940 est un des freins à l’eugénisme. Chaque individu étant porteur d’un certain nombre de gènes délétères, il devient utopique de vouloir les supprimer par le contrôle de la reproduction humaine. L’élaboration du programme de solution finale de la question juive qui aboutira à la mort de 6 millions d’individus se place aussi dans l’héritage de l’eugénisme et de la sélection des éléments impurs au profit d’une race supérieure, ici, la race aryenne.

 

" La majorité des médecins responsables de ces mesures eugénistes seront condamnés à mort lors du procès des médecins, à Nuremberg. "

 

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Hommes atteints de maladies génétiques dans les camps de la mort, victimes du programme Aktion T4.

 

Et aujourd’hui ?

 

De nos jours, les idées eugénistes, dont la nature abjecte a été mise en évidence par les crimes du IIIème Reich, sont à nouveau en train de se faire une place au sein de la communauté scientifique. En cause, au cours des dernières semaines, le dépistage prénatal des maladies mentales et des déficiences comme la trisomie 21 sur les embryons et les foetus, et l’avortement des mères porteuses de bébés déficients, et donc d’un possible retour aux théories eugénistes. Lors d’un colloque relayé par le journal 20 minutes, une équipe d’experts en bioéthique réunis pour le deuxième forum européen de bioéthique à Strasbourg ont mis en garde contre ce retour possible de l’eugénisme. Ainsi, le Docteur Patrick Leblanc, du Comité pour sauver la médecine prénatale, déclarait : « on n’est plus dans la médecine de soin, mais dans la traque du handicap. L’enfant à venir est présumé coupable, il doit prouver sa normalité »,

 

En ligne de mire de ce comité, la loi de bioéthique de 2013 recourant systématiquement au dépistage, conduisant à presque 100% d’IVG en cas de troubles démontrés. Pour les experts, seuls les fœtus atteints de maladies incurables devraient être touchés par ces mesures d’IVG. De même, les familles recourant aux implantations in vitro sont souvent la cible de mesures visant à éviter la naissance d’enfants atteints de maladies mentales et de déficiences. Le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, dénonce dans l’enquête de 20 minutes : «Le principe de précaution s’est glissé dans le domaine de l’obstétrique et a conduit à une «sélection» des bébés à naître. Aujourd’hui, vu l’ampleur du dispositif mis en place pour détecter les cas de trisomie 21, un enfant trisomique est considéré comme une erreur médicale, car on ne l’a pas dépisté et on l’a laissé naître ! C’est très grave. On refuse l’eugénisme collectif, organisé, mais dans la pratique il y a un eugénisme individuel. Il y aura forcément une sélection des enfants à naître. L’enfant jetable est à nos portes. C’est très préoccupant pour l’avenir ».

 

Cette déclaration prouve bien l’inquiétude de certains médecins sur les dérives eugénistes en cours. Nous ne sommes pas dans des cas isolés mais dans des pratiques qui ont tendances à se développer. Il est donc alarmant de voir ces situations prendre une place de plus en plus importante, et il convient de rester méfiant vis-à-vis de la résurgence de ce phénomène qui a montré les limites de son humanité à plusieurs reprises dans l’Histoire.

 

Les sources : 

 Dr. Laurent Alexandre pour Atlantico.fr

Antoine Carenjot pour bioethiquereflexions.wordpress.com

Benoit Georges pour www.lesechos.fr

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27 septembre 2014 6 27 /09 /septembre /2014 16:30

Pourquoi ne sommes-nous pas cognitivement plus attentifs aux effets du changement climatique qui se déploie sous nos yeux ? La façon dont fonctionne notre cerveau représente t-elle "un obstacle" à notre compréhension et à notre réaction vis-à-vis du désastre à venir ?

 

 

 

Telle est la nature des questions que pose Jon Gertner pour le New York Times (voir la traduction intégrale de l’article chez les Humains associés). Il s’appuie pour cela sur les travaux issus d’un colloque organisé par le Cred, le Centre de recherche sur les décisions environnementales de l’université de Columbia, un laboratoire de recherche comportementale situé à l’intersection de la psychologie, de l’économie et de la science, qui étudie les processus mentaux qui façonnent nos choix, nos comportements et nos attitudes.

 

Le Cred est né sous l’impulsion du professeur de psychologie David Krantz et a pour but d’étudier comment nous prenons des décisions par rapport aux questions environnementales. Si nous considérons que le changement climatique est anthropique, explique Elke Weber, professeure de psychologie et de management à l’université de Columbia et cofondatrice du Cred, “cela signifie que le changement climatique est causé par le comportement humain. Cela ne signifie pas que les solutions techniques ne sont pas importantes… Mais si ce phénomène est causé par le comportement humain, alors la solution réside sans doute aussi dans le changement du comportement humain.”

 

Pour les chercheurs du Cred, le réchauffement de la planète est une “occasion unique” d’étudier la façon dont nous réagissons à des enjeux à long terme. Elke Weber rappelle que notre cerveau est capable de gérer le risque de plusieurs manières. Un système d’analyse, impliquant un examen raisonné des coûts et des avantages. Et un système émotionnel et primitif, qui nous fait réagir au danger, quand on se réveille la nuit lorsqu’on sent une odeur de fumée par exemple… En mode analyse, nous ne sommes pas toujours adeptes de réflexion à long terme.

 

De nombreuses expériences ont montré que nous mesurons mal les bénéfices lointains et que nous sous-évaluons les résultats futurs : ainsi, généralement, on préfère prendre une somme d’argent tout de suite que prendre le double plus tard. Ecologiquement parlant cela signifie qu’il est peu probable que nous changions de mode de vie pour assurer l’avenir de notre planète. D’où le fait que nous sous-estimions le danger de la montée des eaux (qui noie pourtant déjà les îles Tuvalu, vidéo) ou celui de la multiplication des sécheresses et autres évènements que nous n’avons jamais connu et qui semblent bien éloignés dans le temps et dans l’espace.

 

Pire, explique Elke Weber, les chercheurs semblent d’accord pour penser que nous avons un “réservoir d’inquiétude limité”, ce qui signifierait que nous sommes dans l’incapacité cognitive de maintenir notre peur du changement climatique quand un autre problème (chute des marchés boursiers, urgence personnelle…) se présente à nous. Enfin, nous sommes prompts à rassurer nos paniques émotionnelles en accomplissant une action concrète (achat d’un matériel plus écologique, soutien ou vote de bonne conscience), qui a surtout comme effet de diminuer notre facteur de motivation… tout en laissant la planète à peu près là où elle était avant.

 

POUR VOIR PLUS LOIN, CHOISISSONS ENSEMBLE

 

Les débats pour comprendre pourquoi le changement climatique n’est pas une priorité dans les esprits américains, tendent à désigner les mêmes coupables : le doute et le scepticisme sur la réalité du changement climatique, le manque de communication des scientifiques, l’incapacité de nos systèmes politiques à faire face à un défi à long terme, notre façon de nous concentrer sur le futile plutôt que sur l’important (débattre du nombre de mètres dont vont monter les océans)…

 

Pour les chercheurs, il est essentiel de comprendre comment nous prenons des décisions en situation d’incertitude et ce qui les motive. Jon Gertner rapporte ainsi que lors d’une expérience visant à attribuer des labels écologiques à des produits, peu de participants se sentent concernés de prime abord, mais si vous les valorisez en leur expliquant qu’ils font partie du label, la participation grimpe de 35 à 50 %. Elle atteint même 75% quand vous asseyez les participants au test autour d’une table pour qu’ils définissent eux-mêmes le label…

 

“La coopération est un objectif que l’on peut activer”, explique encore Elke Weber. “Nous avons besoin de savoir que nous faisons partie de groupes. Cela nous donne un plaisir inhérent à faire. Et quand on nous rappelle que nous sommes des morceaux de communautés, alors la communauté devient une unité pour prendre des décisions.” Les travaux de Michel Handgraaf, professeur de psychologie à l’université d’Amsterdam, sur les différences de processus de décision entre les groupes et les individus vont dans le même sens. Les groupes sont mieux à même de prendre des décisions apportant des avantages à long terme, explique-t-il après avoir confronté des groupes tests où les cobayes devaient prendre des décisions d’abord individuellement puis en tant que groupes et inversement.

 

Des conclusions qui ne devraient pas être sans incidences directes sur la façon dont les décisions sont prises au sein de collectifs ou dans des entreprises par exemple. Jon Gertner souligne encore que l’essentiel du financement américain pour la recherche sur le climat va à la physique et aux sciences naturelles et très peu aux sciences sociales, donc très peu pour comprendre pourquoi l’on est écolo ou pas, pourquoi l’on change son comportement ou pas…

 

Pour Paul Stern, psychologue qui dirige la Commission sur les dimensions humaines du changement global au Nation Research Council de Washington, qui observe comment les gens consomment l’énergie chez eux, remarque qu’on s’intéresse souvent à une partie du problème alors qu’il se décompose en trois catégories : les activités humaines qui causent un changement environnemental, les impacts de ce changement sur les gens et les sociétés et les réponses à ces conséquences.

 

La plupart des recherches du Cred portent sur les réponses humaines au changement climatique, ce qui semble d’autant plus pertinent, car l’hostilité ou l’indifférence au changement climatique peut générer une boucle de rétroaction qui renforce le processus de réchauffement de la planète.

 

FAUDRA-T-IL ATTENDRE UN PEARL HARBOR CLIMATIQUE ?

 

Anthony Leiserowitz, un membre du Cred, qui dirige le projet de l’université de Yale sur les changements climatiques, a travaillé sur la perception du changement climatique par les Américains. Et les conclusions qu’il en tire sont claires : la plupart des Américains pensent que le changement climatique est un problème lointain, dans le temps et l’espace. “Mais en Alaska, on constate déjà la fonte du Permafrost, la poussée de la mortalité des arbres liée à la prolifération des insectes et la fonte des glaces.”

 

Notre société est-elle capable d’agir de manière décisive sur le réchauffement de la planète tant qu’elle ne connaîtra pas un “Pearl Harbor” climatique, comme le prophétise le blogueur Joe Romm, ancien responsable du département de l’énergie américain ? Parce que nous sommes plus à même de répondre à un stimulus émotionnel qu’à un risque que nous traitons analytiquement et autour duquel les incertitudes sont nombreuses. Mais là encore, il faudrait qu’on puisse attribuer ce Pearl Harbor au changement climatique, ce qui n’est pas aussi évident comme le montre ce qui est arrivé à La Nouvelle Orléans détruite par le cyclone Katrina.

 

Dans quelle mesure l’expérience canadienne pourrait-elle éclairer les mentalités ? Leiserowitz a voyagé à travers toute l’Alaska pour mesurer l’état de perception du changement climatique pour constater que celui-ci était plus limité en zone urbaine qu’en zone rurale, montrant que la population de l’Alaska n’était finalement pas plus inquiète que l’américain moyen quant au changement climatique, quand bien même il pourrait en constater les premiers effets à quelques kilomètres de chez elle. La moitié de la population étudiée considérait que le changement climatique était un problème à long terme qui exigeait une étude plus approfondie avant d’agir… L’expérience du changement climatique est une expérience relative et il n’est pas si simple de faire prendre conscience d’un sentiment d’urgence.

 

Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur livre Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth and Happiness (que l’on pourrait traduire littéralement par Coup de coude pour améliorer la décision sur la richesse, la santé et le bonheur) optent pour une stratégie de l’incitation (comme nous l’expliquait Rémi Sussan). Plutôt qu’imposer des règlements, il vaudrait mieux inciter les citoyens à choisir les meilleures options en leur proposant des solutions qui contournent notre inertie en satisfaisant notre volonté à court terme.

 

En Oregon par exemple, un programme d’aide à l’isolation des maisons et des fenêtres - assez proche de celui qu’Obama voudrait développer au niveau fédéral - a réussi à s’imposer en passant par une mobilisation active des conseils de citoyens, des enfants, des scouts qui ont fait du porte à porte pour que les gens y souscrivent. Résultat : 85 % des maisons du comté ont été rénovées. “Ce qui a marché a été de crééer un sentiment que nous étions tous dans le même bateau et que vous étiez un cas social si vous ne nous rejoigniez pas”, explique l’un des promoteurs de la solution. Les sénateurs américains comme les citoyens sont prêts au changement “s’il est facile, populaire et enrichissant”.

 

Reste à savoir si nous voulons utiliser les outils de la science de la décision pour essayer d’orienter les choix des gens… Pour Elke Weber, la piste à suivre est certainement là : il faut construire de nouvelles méthodes pour faire que nos préférences correspondent aux meilleurs choix à long terme. Comme elle l’expliquait dans la revue Climatic Change lors d’un article expliquant les raisons psychologiques liées au fait que le changement climatique ne nous effrayait pas : ce sont les preuves concrètes du réchauffement de la planète et son potentiel de conséquences dévastatrices qui seront les plus efficaces pour convaincre les gens. “Malheureusement, ces leçons risquent d’arriver trop tard pour prendre des mesures correctives.”

 

Par Hubert Guillaud pour lemonde.fr

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14 septembre 2014 7 14 /09 /septembre /2014 12:40

Dormir moins pour consommer plus : c'est le XXIe siècle qui s'annonce dans "le Capitalisme à l'assaut du sommeil", de Jonathan Crary. Extraits et analyse d'un projet fourbe et contre nature...

    

"Orange Mécanique" de Stanley Kubrick (Sipa) "Orange Mécanique" de Stanley Kubrick (Sipa)

 

 Et si les bras doux et enveloppants de Morphée étaient au XXIème siècle l’ultime refuge face au cauchemar marketing et publicitaire? Dans un essai hardi tout juste traduit en français, «le Capitalisme à l’assaut du sommeil» (Zones-La Découverte), Jonathan Crary, professeur à l’université de Columbia, explique en quoi  passer une partie de notre vie à dormir serait au fond «le dernier affront fait à la voracité du capitalisme contemporain.» 

 

Le rythme des marchés financiers 24h/24 et 7j/7 serait en train de coloniser non seulement l’esprit humain mais surtout son repos. Dans un monde où l’on se lève désormais la nuit pour consulter ses mails, Homo connecticus,  à l’image de sa quincaillerie high tech, demeure en mode veille y compris la nuit, tandis qu’aux Etats-Unis s’invente en laboratoire l’homme sans sommeil, celui qui pourra consommer jour et nuit, dans une planète globale conçue comme un vaste supermarché. La fabrique de l’insomniaque est en marche. Grinçante dystopie ou lucidité ?

 

 

Jonathan Crary, auteur du
"Capitalisme à l'assaut du sommeil"
(DR)


EXTRAITS

Le bruant à gorge blanche

Quiconque a vécu sur la côte ouest, en Amérique du Nord, le sait sans doute: des centaines d’espèces d’oiseaux migrateurs s’envolent tous les ans à la même saison pour parcourir, du nord au sud et du sud au nord, des distances d’amplitude variable le long de ce plateau continental.

 

L’une de ces espèces est le bruant à gorge blanche. L’automne, le trajet de ces oiseaux les mène de l’Alaska jusqu’au Nord du Mexique, d’où ils reviennent chaque printemps. À la différence de la plupart de ses congénères, cette variété de bruant possède la capacité très inhabituelle de pouvoir rester éveillée jusqu’à sept jours d’affilée en période de migration. Ce comportement saisonnier leur permet de voler ou de naviguer de nuit et de se mettre en quête de nourriture la journée sans prendre de repos.

 

Ces cinq dernières années, aux États-Unis, le département de la Défense a alloué d’importantes sommes à l’étude de ces créatures. Des chercheurs de différentes universités, en particulier à Madison, dans le Wisconsin, ont bénéficié de financements publics conséquents afin d’étudier l’activité cérébrale de ces volatiles lors de leurs longues périodes de privation de sommeil, dans l’idée d’obtenir des connaissances transférables aux êtres humains.

 

On voudrait des gens capables de se passer de sommeil et de rester productifs et efficaces. Le but, en bref, est de créer un soldat qui ne dorme pas. L’étude du bruant à gorge blanche n’est qu’une toute petite partie d’un projet plus vaste visant à s’assurer la maîtrise, au moins partielle, du sommeil humain.

 

À l’initiative de l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense du Pentagone (DARPA), des scientifiques mènent aujourd’hui, dans plusieurs laboratoires, des études expérimentales sur les techniques de l’insomnie, dont des essais sur des substances neurochimiques, la thérapie génique et la stimulation magnétique transcrânienne.

 

L’objectif à court terme est d’élaborer des méthodes permettant à un combattant de rester opérationnel sans dormir sur une période de sept jours minimum, avec l’idée, à plus long terme, de pouvoir doubler ce laps de temps tout en conservant des niveaux élevés de performances physiques et mentales.

 

Jusqu’ici, les moyens dont on disposait pour produire des états d’insomnie se sont toujours accompagnés de déficits cognitifs et psychiques indésirables (un niveau de vigilance réduit, par exemple). Ce fut le cas avec l’utilisation généralisée des amphétamines dans la plupart des guerres du XXe siècle, et, plus récemment, avec des médicaments tels que le Provigil. Sauf qu’il ne s’agit plus ici, pour la recherche scientifique, de découvrir des façons de stimuler l’éveil, mais plutôt de réduire le besoin corporel de sommeil. (…)

 

Des soldats britanniques, au Kosovo, en 1999 (AFP/ImageForum)

Le travailleur sans sommeil

C’est dans cette perspective que l’on a cherché à étudier les bruants à gorge blanche, en les coupant des rythmes saisonniers qui sont les leurs dans l’environnement de la côte pacifique: à terme, il s’agit d’imposer au corps humain un mode de fonctionnement machinique, aussi bien en termes de durée que d’efficacité.

 

Comme l’histoire l’a montré, des innovations nées dans la guerre tendent nécessairement ensuite à être transposées à une sphère sociale plus large: le soldat sans sommeil apparaît ainsi comme le précurseur du travailleur ou du consommateur sans sommeil. Les produits «sans sommeil», promus agressivement par les firmes pharmaceutiques, commenceraient par être présentés comme une simple option de mode de vie, avant de devenir, in fine, pour beaucoup, une nécessité.

 

Des marchés actifs 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, des infrastructures globales permettant de travailler et de consommer en continu – cela ne date pas d’hier; mais c’est à présent le sujet humain lui-même qu’il s’agit de faire coïncider de façon beaucoup plus intensive avec de tels impératifs.

 

À la fin des années 1990, un consortium russo-européen annonça son intention de construire et de lancer des satellites capables de capter la lumière du soleil pour la rediriger vers la terre. On prévoyait de mettre en orbite une chaîne de satellites, synchronisés avec le soleil à une altitude de 1700 kilomètres. (…)

 

Étant donné sa profonde inutilité et son caractère essentiellement passif, le sommeil, qui a aussi le tort d’occasionner des pertes incalculables en termes de temps de production, de circulation et de consommation, sera toujours en butte aux exigences d’un univers 24/7.

 

Passer ainsi une immense partie de notre vie endormis, dégagés du bourbier des besoins factices, demeure l’un des plus grands affronts que les êtres humains puissent faire à la voracité du capitalisme contemporain. Le sommeil est une interruption sans concession du vol de temps que le capitalisme commet à nos dépens.

 

La plupart des nécessités apparemment irréductibles de la vie humaine – la faim, la soif, le désir sexuel et, récemment, le besoin d’amitié – ont été converties en formes marchandes ou financiarisées. Le sommeil impose l’idée d’un besoin humain et d’un intervalle de temps qui ne peuvent être ni colonisés ni soumis à une opération de profitabilité massive – raison pour laquelle celui-ci demeure une anomalie et un lieu de crise dans le monde actuel.

 

"Fight Club", chef d'oeuvre insomniaque
de David Fincher (Sipa)

Etat d'urgence

Malgré tous les efforts de la recherche scientifique en ce domaine, le sommeil persiste à frustrer et à déconcerter les stratégies visant à l’exploiter ou à le remodeler. La réalité, aussi surprenante qu’impensable, est que l’on ne peut pas en extraire de la valeur.

 

Au regard de l’immensité des enjeux économiques, il n’est pas étonnant que le sommeil subisse aujourd’hui une érosion généralisée. Les assauts contre le temps de sommeil se sont intensifiés au cours du XXe siècle. L’adulte américain moyen dort aujourd’hui environ six heures et demie par nuit, soit une érosion importante par rapport à la génération précédente. (...)

 

Le régime 24/7 sape toujours davantage les distinctions entre le jour et la nuit, entre la lumière et l’obscurité, de même qu’entre l’action et le repos. Il définit une zone d’insensibilité, d’amnésie, qui défait la possibilité même de l’expérience. Pour paraphraser Maurice Blanchot, cela se produit à la fois après et «d’après» le désastre, c’est-à-dire un état qui se reconnaît à un ciel vide, où ne sont plus visibles aucun astre, aucune étoile ni aucun signe, où l’on a perdu tout repère, et où s’orienter est impossible.

 

Plus concrètement, c’est comme un état d’urgence: les projecteurs s’allument soudain au milieu de la nuit, sans doute en réponse à quelque situation extrême, mais personne ne les éteint jamais, et on finit par s’y habituer comme à une situation permanente.

 

La planète se trouve réimaginée comme un lieu de travail continu ou un centre commercial ouvert en permanence, avec ses choix infinis, ses tâches, ses sélections et ses digressions. L’insomnie est l’état dans lequel les activités de produire, de consommer et de jeter s’enchaînent sans la moindre pause, précipitant l’épuisement de la vie et des ressources.

 

Le sommeil, en tant qu’obstacle majeur – c’est lui qui constitue la dernière de ces «barrières naturelles» dont parlait Marx – à la pleine réalisation du capitalisme 24/7, ne saurait être éliminé. Mais il est toujours possible de le fracturer et de le saccager, sachant que, comme le montrent les exemples ci-des- sus, les méthodes et les mobiles nécessaires à cette vaste entre- prise de destruction sont déjà en place.

 

L’assaut lancé contre le sommeil est inséparable du processus de démantèlement des protections sociales qui fait rage dans d’autres sphères. De même que l’accès universel à l’eau potable a partout dans le monde été ravagé par une pollution et une privatisation programmée débouchant sur la marchandisation de l’eau en bouteille, il existe un phénomène similaire, aisément repérable, de construction de rareté eu égard au sommeil.

 

Tous les empiétements qu’on lui fait subir créent les conditions d’un état d’insomnie généralisé, où il ne nous reste plus à la limite qu’à acheter du sommeil (et ceci même si l’on paie pour un état chimiquement modifié qui n’est plus qu’une approximation du sommeil véritable).

 

Les statistiques sur l’usage exponentiel de somnifères montrent qu’en 2010, des composés médicamenteux tels que Ambien ou Lunesta ont été prescrits à environ 50 millions d’Américains, tandis que quelques millions d’autres achetaient des médicaments en vente libre.

 

Mais il serait faux de croire qu’une amélioration des conditions de vie actuelles pourrait permettre aux gens de mieux dormir et de goûter à un sommeil plus profond et réparateur. Au point où nous en sommes, il n’est même pas sûr qu’un monde organisé sur un mode moins oppressif parviendrait à éliminer l’insomnie.

 

L’insomnie ne prend sa signification historique et sa texture affective spécifique qu’en lien avec des expériences collectives qui lui sont extérieures, et elle s’accompagne aujourd’hui de nombreuses autres formes de dépossession et de ruine sociale qui se déroulent à l’échelle globale. En tant que manque individuel, l’insomnie s’inscrit aujourd’hui dans la continuité d’un état généralisé d’«absence de monde».

 

 

©Zones-La Découverte

24/ 7. Le Capitalisme à l’assaut du sommeil,
par Jonathan Crary
Traduit de l’américain par Grégoire Chamayou.
140 pages, 15 euros, éditions Zones-La Découverte.

 

Anne Crignon pour http://tempsreel.nouvelobs.com/

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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 18:41

À l’époque de l’automatisation généralisée... et intégrale

 

 
Le siècle dernier était celui du "consumer capitalism", produit dérivé du taylorisme : Produire à la chaîne et consommer comme le marketing le dicte. On a parlé du keynésianisme et du welfare state de Roosevelt. Mais aujourd’hui, ce modèle semble s’écrouler sous la pression de ses propres contradictions, cependant que se planétarisait la réticulation numérique. Celle-ci va provoquer dans les années qui viennent un processus d’automatisation généralisée où l’emploi salarié deviendra exceptionnel : les robots se substitueront massivement aux employés humains !

 

Pour écouter la conférence, cliquez sur le logo lecture ci-dessous :

    

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Cette nouvelle époque industrielle ne sera viable que si elle consiste en une renaissance du travail dans une société de contribution où les gains de temps issus de l’automatisation seront massivement réinvestis dans la capacitation et la déprolétarisation du travail : les robots sont des machines qui n’ont pas besoin des esclaves humains pour fonctionner.


A revoir sur l'excellent site http://ventscontraires.net/index.cfm

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16 mars 2014 7 16 /03 /mars /2014 08:17

 Voici un ouvrage qui bousculera bien des certitudes. Celles des spécialistes des disciplines de l’esprit, au premier chef, mais par ricochet, certaines croyances des anthropologues. Lionel Naccache propose avec génie au lecteur de suivre cette odyssée à travers son expérience de jeune clinicien, neurologue à l’hôpital de La Pitié Salpêtrière à Paris et chercheur en neurosciences cognitives à l’inserm.

 

Biographie de Lionel Naccache:

  • Professeur de Médecine (Physiologie) à l'Université Pierre et Marie Curie Paris 6
    • Neurologue et neurophysiologiste à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière
    • Chercheur en neurosciences cognitives à l'Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) à Paris
    • Consacre ses travaux à l'exploration des propriétés psychologiques et cérébrales de la conscience
    • Le 22 septembre 2013, il est nommé membre du Comité national d'éthique

 

Rompu aux méthodes de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, il réfute une « inquiétante » néophrénologie, mais aussi la neuropsychologie clinique standard, en effectuant des allers et retours entre patients neurologiques ou psychiatriques et sujets « sains », pour décrypter la vie mentale et en restituer l’inépuisable richesse. Dans un premier temps, l’auteur pose la question du statut épistémologique de l’inconscient, campant vigoureusement les deux challengers en présence : l’inconscient freudien vs l’inconscient cognitif. Première surprise : que le lecteur ne s’attende pas à une condamnation sans appel des travaux de l’inventeur de la Métapsychologie, car ce discours s’écarte des anathèmes et des invectives bas de gamme qui persistent à opposer psychanalystes et chercheurs en neurosciences. Certes, toute la démonstration de Naccache consistera à souligner l’irréductible incompatibilité de l’hypothèse de l’Unbewusst freudien avec la théorie de l’inconscient cognitif, mais deuxième surprise, de taille : « élaborer un discours contemporain sur l’inconscient, et faire l’économie d’une discussion de la pensée freudienne relèverait, je crois, du mépris ou de l’ignorance, bref d’une forme de barbarie intellectuelle » (p. 13). Or, la psychanalyse, Lionel Naccache ne l’a pas rencontrée sur le divan, mais au fil d’une lecture talmudique de l’œuvre de Freud, exhaussé au rang d’un maître de la conscience, explorateur de notre capacité à imaginer, à placer la fiction au cœur de l’économie psychique. La thèse est, qu’au fond, l’œuvre de Freud reste incontournable, même si sa découverte porte sur une autre terre que celle qu’il croyait avoir découverte. On sait que Freud se dévisageait volontiers, dès son adolescence, dans la pose du conquistador, à la recherche des mystères de la vie psychique. Naccache pousse encore plus loin l’ana-logie en transformant carrément le jeune Sigmund en Christophe Colomb. Bien vu : le premier inventeur d’un territoire confondu avec un autre, parti conquérir les terres de l’inconscient, n’aurait fait qu’explorer celles du conscient.

 

 L’ouvrage se divise en trois parties. La première partie traite de « l’inconscient contemporain ». C’est la plus technique, mais la séduction exercée par l’intrigue exposée est telle, que le lecteur profane avale sans broncher les descriptions du cortex visuel primaire ou les explications sur la voie ventrale. L’inconscient, il faut d’abord aller le chercher, nous dit Naccache, dans les protocoles de recherche concernant la vision aveugle, ou blindsight (Weiskrantz), modèle paradigmatique des dissociations entre la performance et la conscience (p. 19). Les exemples, pour spectaculaires qu’ils soient, sont relativement « élémentaires », mais ils fraient la voie à l’approche des phénomènes perceptifs pouvant véhiculer aussi des contenus émotionnels. D’où une orientation de l’enquête du côté des mécanismes cérébraux qui leur sont sous-jacents. Naccache montre avec conviction comment l’expérimentation permet d’approcher le phénomène de blindsight comme traducteur de l’existence d’une vie mentale perceptive inconsciente, connectée à un circuit cérébral sous-cortical archaïque (p. 51). Abandonnant les activités des régions anciennes et « inférieures » du système nerveux, il se focalise sur les régions les plus « complexes » et les plus « récentes ». C’est là que les neurosciences introduisent une sorte de révolution qui va bouleverser notre conception immédiate, celle d’une commonsense psychology, des rapports entre le cerveau et la pensée. En particulier sur un point précis : « il n’existe pas de sanctuaire anatomique de la conscience visuelle » (p. 95). En conséquence, il convient d’abandonner une approche topique, fondée sur la partition neuro-anatomique entre le substrat de la conscience et celui de l’inconscient, car les processus perceptifs inconscients trouvent leur siège dans la totalité des régions cérébrales visuelles (p. 98). D’où aussi l’idée de rechercher des représentations mentales très abstraites pour montrer la richesse de la vie mentale, et des interactions entre notre cerveau et l’environnement. Quelques démonstrations vont s’y employer, en particulier lorsque l’auteur examine le « destin cérébral d’un mot », permettant de traiter la dimension sémantique d’un stimulus qui ne serait pas perçu consciemment, et la réalité objective de ce traitement sémantique inconscient. L’enjeu, c’est de parvenir à mettre en évidence des images de représentations inconscientes abstraites, et d’expliquer au lecteur comment un mot, cet « objet culturel symbolique » dont la maîtrise n’est possible qu’au terme d’un long apprentissage, peut être pensé inconsciemment.

 

Existerait-il alors une représentation mentale qui serait spécifique des pensées conscientes ? Suivons le guide. Après l’exploration des processus mentaux à très haut niveau d’abstraction, Naccache propose d’étudier la conscience et l’inconscient cognitif comme deux domaines en interrelation – un inconscient cognitif « sous influence », celui d’un agent qui ne serait pas notre activité mentale consciente (p. 208). Pour l’auteur : « la proximité anatomique des substrats cérébraux de nos pensées conscientes et inconscientes recouvre donc effectivement une proximité fonctionnelle ». Ergo : « certains de nos processus inconscients subissent les effets de nos postures psychologiques conscientes ». Et c’est là que Naccache frappe fort : « nos processus mentaux inconscients sont incapables d’induire l’adoption d’une nouvelle stratégie, cette faculté ne semblant reposer que sur des représentations mentales conscientes » (p. 209). Une fois achevé ce travail d’explication par la clinique, surgit la question : « qu’est-ce qui échappe à la sphère inconsciente de notre pensée ? » (p. 218) Freud avait-il raison ? C’est pourquoi Naccache aborde, dans la deuxième partie de l’ouvrage, les relations entre inconscient psychanalytique et inconscient cognitif, imaginant au passage que Freud aurait été passionné par le développement des neurosciences. Et l’auteur de dissiper un doute : « je ne suis pas analyste ni analysant. Mais je suis un lecteur attentif de certaines de ses œuvres depuis des années » (p. 220), ce qui lui concède le droit d’affirmer que Freud est bien un « indiscutable génie des neurosciences »… par le fait même d’avoir rompu avec la neurologie.

 

La troisième partie est consacrée à « Freud, Christophe Colomb du mental ». Première interrogation : qu’est ce que l’inconscient selon Freud ? Tout d’abord un constat : « les “inconscients” des diverses théories du mental ne se définissent qu’à l’aune de notre propre définition de la conscience » (p. 311). Bien sûr, Naccache est tenté d’explorer les convergences possibles entre inconscient cognitif et inconscient freudien. À première vue, elles sont claires : la richesse tout d’abord, ensuite le statut nécessairement inconscient à l’origine de toutes les représentations mentales, et leur passage dans la conscience. Mais la distinction entre système préconscient et système inconscient ruine l’idée d’une adéquation avec la théorie proposée par les neurosciences, du concept de refoulement, inadéquation du discours freudien et de celui des neurosciences du contrôle mental et du rapport exclusif du système inconscient à la prime enfance du sujet. Le résultat est bien là : « l’inconscient freudien est largement incompatible avec l’inconscient cognitif » (p. 360).

 

Au terme de son enquête, l’auteur se demande alors : pourquoi s’intéresser encore à la psychanalyse, non plus du point de vue du contenu conceptuel mais de la forme du discours ? Lionel Naccache se tourne astucieusement vers l’epoché husserlienne, c’est-à-dire finalement en débarrassant le discours freudien sur l’inconscient de son contenu (p. 376). Ce qui reste alors c’est la posture du sujet conscient, le psychanalyste, s’interrogeant sur le mental. Freud est bien « le découvreur d’un immense continent psychique, celui de l’interprétation consciente fictionnelle qu’il nomme à tort l’“inconscient” » (p. 379). Il faut donc s’intéresser à toutes ces manifestations conscientes qui, renchérit l’auteur, « fictionnalisent » systématiquement le réel. La force de l’« interprétation-croyance » est au cœur de notre mode de pensée conscient, d’où la puissance thérapeutique de la découverte de Freud, mais aussi le grand courage qui fut le sien, renchérit Naccache, de tenir compte des interprétations des patients de leur propre souffrance. Au cœur de la démarche freudienne, se tient l’irremplaçable exploration de cette réalité psychique, qui vient prendre le pas sur la réalité objective. Nonobstant, ce que Freud a pris pour l’inconscient n’est autre que la conscience du sujet qui interprète sa propre vie mentale inconsciente à la lumière de ses croyances conscientes. Ce sont des représentations fictives et d’authentiques supports de croyances, qui interviennent y compris dans le libre arbitre. On le sait, Freud est matérialiste : pas de vie psychique sans nos cerveaux socialisés. À la réalité matérielle, biographique, objective et extérieure au sujet s’oppose celle de sa vie psychique fictionnelle. Voilà bien la fondamentale découverte du conquistador et c’est pourquoi il s’écarte tellement du discours des neurosciences de son temps.

 

Après avoir envoyé dans les orties tous les thuriféraires de Freud qui, à travers d’innombrables courants, se disputent son héritage, le jeune clinicien, qui n’a décidément pas froid aux yeux, affirme qu’il reste un « noyau inestimable » : « la mise au jour du rôle vital de l’interprétation consciente dans l’économie psychique de l’humain » (p. 427). Le seul facteur fondamental pour l’efficacité du travail analytique resterait la capacité du psychothérapeute et du patient à accorder une certaine cohérence aux interprétations qu’ils manipulent ensemble. Il devient alors possible de préserver l’in-variance des contenus analytiques en les considérant pour ce qu’ils sont, « c’est-à-dire des principes fictionnels qui font sens ici et maintenant dans l’interaction d’individus soumis à une culture, un mode de vie et une histoire communs » (p. 430). D’où leur efficacité et leur évolution en fonc- tion du contexte sociohistorique. Naccache encore : « Freud a mis au jour un rouage essentiel de notre conscience : précisément ce besoin vital d’interpréter, de donner du sens, d’inventer à travers des constructions imaginaires » (p. 439). Et c’est bien pourquoi, « Freud fut un maître de fictions, un romancier de génie égaré dans l’univers de la neurologie et des neurosciences » (ibid.). En bref, la psychanalyse garde toute sa place dans la prise en charge de la souffrance et du traitement des pathologies mentales.

  • 1  André Green, « Le psychisme entre biologie et anthropologie », in P. Bidou, J. Galinier & B. J
  • 2  Frank Sulloway, Freud, Biologist of the Mind. Beyond the Psychoanalytic Legend, Cambridge, Harvard
  • 3  Mark Solms, Oliver Turnbull & Oliver Sacks, The Brain and the Inner World. An Introduction to

Quel livre ! Fascinant, il l’est au premier rang par le talent pédagogique qui le porte de bout en bout. Lionel Naccache fait passer directement le lecteur des expériences cliniques à un chambardement théorique sans retenue, déboulonnant avec jubila- tion la vulgate psychanalytique, tout en démystifiant les réticences des chercheurs en neurosciences vis-à-vis de la pensée freudienne. Mais aussi en fustigeant avec férocité le nouvel angélisme œcuménique appelant à la convergence des perspectives autour de la notion d’inconscient, cognitif ou psychanalytique. Le style, les interjections, le jeu des questions et des réponses, l’effet de suspense de ce polar neurolo-gique, montrent à quel point le chercheur accompli est à l’aise dans ce rôle. Bien sûr, cette entreprise souffre un peu de la hâte mise à sa réalisation. L’auteur ne s’attarde pas sur certains travaux qui justement s’intéressent à cette nouvelle frontière du savoir, et aux réponses déjà apportées par des psychanalystes aux défis des neurosciences – en particulier le débat de fond engagé par André Green à partir des travaux de Edelman1 – ni sur l’ouvrage classique de Sullivan sur le Freud « biologiste de l’esprit »2 ou plus récemment sur les recherches novatrices de Solmes, Turnbull et Sacks3.

 

Par ailleurs, Naccache n’a sûrement pas eu le temps d’imaginer le malaise qu’il va provoquer dans le petit monde des sciences sociales. Il est clair que la communauté des anthropologues n’est absolument pas préparée pour l’instant à répondre à un tel défi : d’un côté, il y a les très rares chercheurs tentés par la psychanalyse, ouvertement déclarés, plus ceux qui s’y intéressent discrètement, mais n’osent à juste titre s’en réclamer, pour ne pas compromettre le destin d’un dossier de carrière dans des temps difficiles. Tous ceux-là n’y retrouveront pas leur Freud. De l’autre, l’écrasante majorité des anthropologues, qui rejette son œuvre, et se contentera des seuls résultats de la clinique présentés par Naccache qui ruinent l’édifice métapsychologique. Ce serait là un lourd contresens, contre lequel s’élève l’auteur, avec une probité intellectuelle sans défaut, car son « Sigismund », c’est clair, il l’admire au plus au point, il l’a lu et relu en tous sens. Et comme il voudrait bien sauver le soldat Freud ! Au fond, ce que propose Naccache, c’est de ne surtout pas se défaire de cette expérience qu’est la cure analytique, qui, comme aucune autre démarche, permet ce travail sur les fictions. Et c’est peut-être là que se situerait la seule véritable issue possible d’un entrecroisement des méthodes du neurologue avec celle de l’ethnographe. Ce qui rejoint notre angoisse constante de ce que devrait être véritablement notre travail sur le terrain : comment se mettre mieux à l’écoute de cette activité de l’imaginaire chez nos interlocuteurs ? D’aucuns soutiendront qu’il suffit d’apprendre les parlers vernaculaires, d’observer, de noter et de transcrire, et que plus il y aura d’observations, plus le tableau sera complet. Certes, mais c’est tout ce travail de broderie autour de l’ouvrage, que pourtant nous connaissons bien, qui mérite qu’on le prenne au sérieux : lapsus, oubli, secret, silence, etc… Là encore il nous faut faire le deuil de nos propres illusions, en particulier que les récits seraient des aventures phénoménales au-delà de toute expérience subjective, que les sujets seraient interchangeables; catéchisme au fond bien commode, puisqu’il suffirait, comme on nous l’a enseigné depuis un siècle, de coudre ensemble ces pièces pour construire du discours. De fait, l’ouvrage de Naccache produit cet étonnant effet collatéral de renforcer l’hypothèse de l’inconscient, mise à mal ou simplement ignorée par les anthropologues, voire considérée hors sujet, mais sans que l’on parle de la même chose. Le problème est que nous ne disposons pas d’une hypothèse suffisamment solide, et celle de Lévi-Strauss en est bien l’illustration, à laquelle nous adosser. Alors, doit-on continuer à faire du terrain en faisant comme si l’inconscient n’existait pas ? Peut-être est-ce la voie de la sagesse, de ranger au placard nos espoirs démesurés.

 

L’irruption des neurosciences dans les débats internes de la psychanalyse a de toute évidence contribué à ébranler l’autorité de cette dernière, mais l’ouvrage de Naccache est là pour tempérer l’ardeur des partisans du « tout neurologique » qui voudraient déposséder la psychanalyse de ce qu’elle sait faire mieux que personne, traiter des affects et du rôle du corps dans la construction du sujet. C’est pourquoi cet ouvrage nous invite implicitement à ce commerce triangulaire, entre neurosciences, anthropologie et psychanalyse, si l’on considère qu’une des tâches de notre discipline est aussi de comprendre « le dedans », et pas seulement du côté des psychologies indigènes, de type commonsense ou autres, et non plus de nous contenter « du dehors », afin de mieux décrypter ce qu’il est convenu d’appeler des « épistémologies alternatives».

  • 4  Lucien Scubla, « Sciences cognitives, matérialisme et anthropologie », in Daniel Andler, ed., Intr

Il faut lire Le Nouvel Inconscient pour comprendre à quel point le conflit autour des sciences de la cognition comme nouvelle frontière de l’anthropologie nous concerne tous. En particulier lorsque l’auteur met en évidence la place que la culture tient dans le formatage des images mentales, et leur transmission à travers le cours des générations, mais aussi comment les fictions servent de schèmes directeurs de toutes nos actions, nos attitudes, de nos choix individuels ou collectifs. Et c’est là où nous sommes tous conduits, nolens volens, à prendre position. De fait, Naccache nous suggère que l’une et l’autre discipline perdraient leur temps à vouloir courir après l’exigence de scientificité des neurociences. Il le dit clairement : la psychanalyse a mieux à faire que de tenter de s’ériger en modèle de science, ce qu’elle est incapable d’assu-mer. Si l’anthropologie est une science de la culture, elle doit le rester. On ne peut qu’applaudir, en reprenant cette mise en garde, comme le fait Scubla, en montrant que sa capacité à comprendre la dimension symbolique des rapports sociaux demeure intacte, mais aussi leur aspect concret, institutionnel, et non pas simplement des représentations distribuées dans l’espace et le temps sur un mode épidémiologique4. À vrai dire, le vœu de Naccache est bien d’inviter à la table des négociations des religions qui continuent à s’ignorer, empêtrées dans leur fiction impériale de toute-puissance, sans faire croire aux lendemains qui chantent d’une vision œcuménique de la science. En déplaçant simplement les vieilles disputes dans le nouveau champ de la neurologie clinique, en affirmant que «la posture même du discours freudien détient une clé essentielle de notre faculté à construire notre pensée consciente », il donne sa vraie place à la mise en forme des fictions, à l’œuvre dans la construction des institutions et des normes sociales. Bien sûr, Naccache ne dit rien des effets de sens produits par les cadres culturels de la connaissance, les points de vue indigène sur la conscience, le savoir, le jugement, mais c’est à nous de répondre, on the spot, en assumant notre propre refoulement théorique. Le lecteur l’aura compris : après Naccache, c’est toute la question de la « causalité psychique », théorisée par Green, qui s’installe définitivement dans le champ de l’anthropologie. À l’heure où les identifications aux sciences dures se cristallisent plus que jamais, Naccache apparaît comme un très bon candidat pour redistribuer les cartes et engager ce « réchauffement diplomatique possible entre scientifiques et psychanalystes freudiens » (p. 223)… en prenant à contrepied tant les psychanalystes cliniciens dont le fonds de commerce s’effondrerait sans l’hypothèse freudienne de l’inconscient, que les cogniticiens hard et les spécialistes de l’intelligence artificielle, renvoyés à la lecture raisonnée de Freud.

 

Pour les anthropologues, les retombées d’une telle démarche restent encore à intégrer à nos vieux schémas sociologiques. La question n’est pas de savoir si l’inconscient existe. C’est une certitude, et qu’il soit freudien ou cognitif, il nous reste à comprendre de manière plus fine comment s’effectue le pilotage de nos actions et de nos stratégies au sein des collectivités qui nous hébergent, prises dans des systèmes culturels tous différents, mais tous porteurs de la même humanité. Récapitulons : nos interlocuteurs, sur le terrain, ne sont peut-être pas des théoriciens éprouvés des neurosciences émergentes, et de tous ces systèmes de traitement logique de l’intelligence humaine. Pas plus que nous, ni moins. En revanche, sur ces « mondes autres », produits de la conscience, sur ces « fictions » esquissées sous forme de mythologies, d’épopées, de fresques rituelles, ils sont nos maîtres, et c’est grâce à cette ascèse talmudique qui est celle de la psychanalyse, que nous pouvons encore croire à une vision renouvelée du désir d’interpréter, de donner à notre univers un sens.

 

Ouvrage :

Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient. Freud, Christophe Colomb des neurosciences. Paris, Odile Jacob, 2006, 465 p., bibl., ill.

 

Notes:

1  André Green, « Le psychisme entre biologie et anthropologie », in P. Bidou, J. Galinier & B. Juillerat, eds, Anthropologie et psychanalyse. Regards croisés. Paris, Éd. de l’ehess, 2005 : 27-34.

2  Frank Sulloway, Freud, Biologist of the Mind. Beyond the Psychoanalytic Legend, Cambridge, Harvard University Press, 1992.

3  Mark Solms, Oliver Turnbull & Oliver Sacks, The Brain and the Inner World. An Introduction to the Neuroscience of Subjective Experience, New York, Other Press, 2003.

4  Lucien Scubla, « Sciences cognitives, matérialisme et anthropologie », in Daniel Andler, ed., Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard, 2004 : 530-538.

 
Par Jacques Galinier pour http://lhomme.revues.org/

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