Bilan sociologique sur la parité:
Dans les années 1990, l'accès des femmes aux postes de responsabilité, en politique, dans la recherche scientifique et médicale ou dans les entreprises a fait l'objet de nombreux débats : les mentalités allaient changer et les femmes accéder à ces postes. Or, en 2010, force est de constater que les femmes continuent de se heurter à un « plafond de verre », obstacle invisible qui les empêche d'accéder aux plus hautes responsabilités. Des décisions politiques s'imposent.
Nous développerons ici l'exemple de la recherche scientifique publique, pour laquelle de nombreuses données mentionnant le sexe sont disponibles. Ce faisant, nous passerons sous silence d'autres facteurs – l'attitude des parents et celle des enseignants – qui participent à l'inégalité actuelle.
Selon la Commission européenne, en 2007, la proportion des femmes dans la recherche française était proche de la moyenne de l'Union : les organismes de recherche publique comptaient 37 pour cent de femmes. Les femmes occupaient 39 pour cent des postes de maître de conférences ou de chargé de recherche, et seulement 19 pour cent des postes de professeur ou de directeur de recherche.
La discipline est un facteur déterminant. En mai 2009, 32,8 pour cent des professeurs de lettres et de sciences humaines étaient des femmes, mais 10,7 pour cent en mathématiques et 9,7 pour cent en mécanique. En 2008, le cnrs comptait 31,8 pour cent de femmes parmi les chercheurs, dont 37 pour cent de chargés de recherche et 24 pour cent de directeurs de recherche.
La proportion de femmes parmi les chercheurs du cnrs n'a pas varié depuis sa création en 1939, où elle était déjà de 26 pour cent – mais les femmes occupaient alors surtout des postes précaires. À l'Université, elle a augmenté, mais à une telle allure que la parité parmi les professeurs de sciences demanderait 200 ans à ce rythme !
Comment expliquer une telle situation ? Quel que soit le métier, le travail des femmes reste souvent perçu comme étant moins légitime que celui des hommes. La femme s'occupe davantage des enfants, même si le développement des systèmes de gardes d'enfants a atténué cette contrainte ; quant au partage équilibré des tâches ménagères, il n'est pas encore une réalité. En raison de ces préjugés, les femmes subissent une « double peine » : d'une part, pratiquant une sorte d'autocensure, elles sont moins souvent candidates aux postes à responsabilité ; d'autre part, dès le début de leur carrière, leurs supérieurs encouragent davantage les hommes lorsqu'il s'agit de détecter les potentiels de chacun, comme l'indique la recherche menée en 2005 en sciences de la vie, au cnrs, sous la direction de Catherine Marry.
La recherche publique française dispose cependant d'un atout : les débutants qui ont entre 30 et 35 ans obtiennent des postes stables. Au contraire, en Allemagne, les chercheurs n'ont de postes permanents que vers 40 ans, si bien que les femmes doivent souvent choisir entre leur carrière et fonder une famille. Autre facteur positif en France, le recrutement des maîtres de conférences parmi les docteurs se féminise, et les membres des commissions qui en sont chargées commencent à prendre conscience de la nécessité de rééquilibrer les postes.
Toutefois, les procédures sont plus transparentes pour les maîtres de conférences, quand il s'agit d'en recruter plusieurs, que pour les professeurs, recrutés en petit nombre. En mathématiques en particulier, le recrutement de professeures pâtit de la baisse du recrutement de filles dans les Écoles normales supérieures depuis l'instauration de leur mixité, dans les années 1980.
Pourquoi faudrait-il augmenter la proportion de femmes dans la recherche scientifique ? D'abord pour des raisons morales : dans une société démocratique, il est juste que chacun – ou chacune – puisse accéder à sa guise aux carrières correspondant à ses compétences. Ensuite, la société a tout intérêt à solliciter tous les talents ; en écartant les femmes de postes où elles pourraient exprimer leurs capacités, elle se prive de succès certains.
Afin de faire évoluer cette situation, il nous faut agir à plusieurs niveaux. Les femmes scientifiques auraient intérêt à s'organiser en associations ou en réseaux qui leur feraient prendre conscience des problèmes suffisamment tôt et leur apporteraient les codes indispensables pour entrer et progresser dans le métier. Il en existe encore trop peu.
L'essentiel des efforts devrait être fourni par les institutions scientifiques et les pouvoirs publics. Il existe une convention interministérielle, datant de 2006, « pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » ; mais elle ne s'applique pas aux organismes de recherche, et peu de moyens ont été attribués aux organismes pour qu'elle soit mise en œuvre. Des « missions parité » ont été créées en 2001 au ministère de la Recherche et au cnrs, mais leurs moyens et leurs pouvoirs sont restreints. Elles n'ont pas d'influence directe sur les recrutements et les promotions.
Les directions des organismes de recher-che et des universités devraient définir une politique volontariste, avec des objectifs de féminisation aux différents niveaux hiérarchiques et de responsabilité. Mettant en œuvre la convention de 2006, l'Université Claude Bernard, à Lyon, a ainsi élaboré une charte pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle est appliquée depuis le 15 janvier 2008.
En outre, on pourrait attendre des pouvoirs publics qu'ils imposent, voire qu'ils subissent eux-mêmes, des sanctions financières pour non-application de la loi sur l'égalité professionnelle, comme dans le cas du handicap. À eux de montrer l'exemple en nommant dans les comités une proportion de femmes au moins analogue à celle de la discipline concernée, en refusant des listes de nominations ou de promotions ne respectant pas ces critères, et en faisant en sorte que les missions parité disposent d'un budget leur permettant d'agir efficacement.
L'exemple de la Suisse, qui a une politique volontariste de recrutement de femmes professeurs des universités, assortie d'aides variées, montre qu'un rééquilibrage est possible : la proportion des femmes professeurs y est passée de 7 pour cent en 1998 à 14 pour cent en 2006, et pourrait atteindre 25 pour cent en 2012.
Soulignons enfin que la situation est la même – voire moins bonne – dans d'autres secteurs scientifiques : dans la recherche privée, seuls 20 pour cent des chercheurs sont des femmes. De même, la médecine ne compte que 13 pour cent de femmes professeurs, alors que la parité est observée parmi les maîtres de conférences.
Claudine HERMANN- Pour la Science.
Claudine HERMANN est professeure honoraire de physique à l'École polytechnique, présidente d'honneur de l'association Femmes & Sciences.