« Une troisième révolution industrielle doit prendre le relais de notre modèle actuel, à bout de souffle », J. Rifkin. Dans son essai intitulé « The Third Industrial Revolution : how lateral power is transforming Energy, the Economy, and the World », l’économiste et essayiste américain J. Rifkin, conseiller de nombreux chefs d’Etats, dresse les contours d’un nouveau modèle économique et social fondé sur les énergies renouvelables et l’utilisation d’internet.
La crise financière mondiale a, selon lui, démontré que nos modèles de croissance économique fondés sur les énergies fossiles, le travail à temps plein, une organisation pyramidale des entreprises, et une gestion exclusivement marchande du monde ne sont plus viables. Nous vivons la fin d’une ère économique et nous entrons dans ce qu’il nomme la troisième révolution industrielle qui va bouleverser nos manière de vivre, de consommer, de travailler et d’être au monde.
Il indique que la crise économique actuelle n’est pas financière mais énergétique. Nous serions actuellement en train de subir l’agonie d’un modèle économique fondé sur le pétrole abondant et bon marché. Depuis 1979, la quantité de pétrole disponible par habitant diminue tandis que la demande émanant notamment des puissances émergentes telles que la Chine et l’Inde augmente. Cette tendance a entraîné l’envolée des cours du baril conduisant par là même à un ralentissement de l’économie mondiale. L’économiste estime que c’est cette hausse des prix du pétrole qui a déclenché la crise économique en juillet 2008. A cela s’ajoute le fait que cette énergie est polluante et que les catastrophes naturelles liée à la pollution sont de plus en plus violentes et fréquentes (par exemple la marée noire dans le golfe du Mexique suite à l’explosion en avril 2010 d’une plateforme pétrolière louée par BP).
Ainsi, afin de contrer les effets néfastes d’une économie fondée sur les énergies fossiles, J. Rifkin préconise la mise en œuvre d’une troisième révolution industrielle. Selon lui, les grandes révolutions se produisent lorsqu’une technologie de communication rencontre un nouveau système énergétique. La première révolution industrielle a vu l’alliance de la vapeur et de l’imprimerie tandis que la seconde s’est construite à partir de la combinaison du moteur à combustion et de la communication électronique (radio, télévision, etc.). Selon l’essayiste américain, la troisième révolution industrielle s’appuie sur la rencontre des énergies renouvelables et de la communication en réseaux dématérialisés (internet).
Il expose, dans son ouvrage, un plan d’action pour conduire cette révolution à l’échelle mondiale. Celui-ci repose sur cinq grands piliers.
Le premier est celui du passage aux énergies renouvelables : les énergies fossiles, actuellement utilisées dans la quasi-totalité de nos activités doivent être remplacées par des sources d’énergie verte tels que l’éolien, le solaire, l’hydroélectricité, la géothermie, etc.
Pour mener à bien cette étape, le pilier numéro 2 du plan propose de transformer les bâtiments (maison ou usine) de chaque continent en mini-centres énergétiques (source de milliers d’emplois). Mais puisque, comme le souligne J. Rifkin, le soleil ne brille pas toujours et que le vent ne souffle pas en permanence, il faudra procéder au stockage de l’énergie notamment via l’hydrogène, pilier numéro 3 du plan.
Enfin les quatrième et cinquième piliers reposent sur la transformation du réseau électrique en un réseau intelligent, grâce à internet où chacun pourra vendre et acheter son électricité et la création de réseaux électriques continentaux dans lesquels les véhicules électriques pourront vendre leur surplus d’énergie en se branchant à une prise. Les réseaux de voitures électriques en libre service, à l’instar d’Autolib à Paris, seront de ce fait appelés à se développer.
Ces cinq piliers doivent être interconnectés et envisagés dans le cadre d’une réflexion d’ensemble pour pouvoir produire la troisième révolution industrielle.
Au-delà du changement de régime énergétique, la troisième révolution industrielle devrait selon l’auteur entraîner une transformation profonde de nos sociétés en modifiant la façon dont nous travaillons, vivons et sommes gouvernés. Nous entrons désormais dans ce qu’il nomme le « capitalisme distribué » construit sur des énergies vertes accessibles à tous. Cette démocratisation de l’énergie devrait conduire au passage d’un pouvoir hiérarchique et vertical aujourd’hui pratiqué par les entreprises à un pouvoir latéral et collaboratif. Les décideurs se verront de moins en moins comme les chefs de territoires délimités mais de plus en plus comme les membres d’une « biosphère », c’est à dire la Terre. Dans ce nouveau contexte, ils privilégieront la coopération par rapport à la confrontation. Des millions d’entreprises ainsi que des propriétaires privés devraient devenir « coopérativement » des acteurs de l’énergie. Un certain nombre d’entreprises se sont déjà lancées dans cette transition (Bouygues et Phillips).
La troisième révolution industrielle devrait également avoir pour effet de dépasser le clivage gauche/droite. Il deviendra anachronique de raisonner en terme de socialisme ou de capitalisme puisque la nouvelle ligne de partage se jouera entre les partisans de la coopération, de l’ouverture et de la transparence et ceux de l’ancien système fondé sur la hiérarchie.
Les transformations toucheront également le système éducatif. Il s’agira d’ébranler la conception traditionnelle de l’enseignement basée sur l’objectif de formation de futurs travailleurs productifs. Il conviendra désormais d’envisager l’apprentissage comme une expérience collective, partagée et ludique où les élèves pensent et agissent en tant qu’éléments d’une biosphère commune dont ils sont responsables. L’enseignement devient lui aussi latéral et coopératif. Nous pouvons d’ailleurs d’ores et déjà constater cela au travers des nouvelles méthodes d’enseignement au travers d’internet.
La troisième révolution industrielle doit aussi encourager l’échange d’énergie entre les continents. Cela requiert une gouvernance continentale et en réseau. L’auteur indique que l’Union européenne semble être le projet le plus abouti. Il souligne en effet que cette dernière s’est officiellement engagée en faveur de la troisième révolution industrielle et qu’elle a adopté dès 2008 un « paquet climat-énergie » prévoyant à l’horizon 2020 de produire 20% d’énergies renouvelables, d’augmenter de 20% les économies d’énergie et de réduire de 20% les émissions de CO2. L’Union européenne a également établi un plan stratégique pour le déploiement des smart grids (réseaux intelligent) au sein de l’Union. En cela, elle a pris une longueur d’avance sur les Etats-Unis qui n’ont pas compris, selon l’économiste, la logique qui sous-tend la troisième révolution industrielle.
L’Allemagne semble être le pays leader en la matière. Elle produit déjà 20% d’énergies vertes et devrait atteindre les 35% en 2020. Elle a converti, en cinq ans, un million de bâtiments à l’énergie positive, et a créé ainsi 250 000 emplois. Sa force réside dans son modèle décentralisé avec une fédération de régions où le pouvoir est distribué.
La France possède également de nombreux atouts pour réaliser la troisième révolution industrielle (forte compétitivité de l’industrie de la construction, bonne maîtrise des technologies de stockage d’énergie, solide gestion du transport et de la logistique, etc.). Elle laisse cependant entrevoir certaines faiblesses par rapport à son voisin allemand. Parmi celles-ci : son organisation fortement centralisée. L’auteur encourage ainsi la France à s’orienter vers un modèle coopératif.
Cette vision économique qui suscite l’intérêt de plusieurs Etats a toutefois essuyé quelques critiques. Certains auteurs ont en effet émis des doutes quant à la viabilité de la théorie développée par J. Rifkin. Des auteurs à l’instar de Jared Diamond ont critiqué les systèmes économiques et de gouvernance comme celui de la troisième révolution industrielle fustigeant un risque d’inertie. Des observateurs français ont également fait valoir qu’il serait impossible de prévoir l’aménagement de tous les bâtiments en mini-centres énergétiques. La France compte en effet de nombreux immeubles historiques ou classés qu’il est impossible d’aménager ou de détruire. Le chroniqueur Peter Fost, réfute quant à lui les pronostics de l’auteur de la troisième révolution industrielle. Il l’accuse d’aller à l’encontre du développement économique et de vouloir instaurer un modèle anti-capitaliste.
J. Rifkin quant à lui, estime que la mise en place de ce nouveau système prendra sans doute environ une vingtaine d’années mais qu’ensuite, « le développement de la troisième révolution industrielle sera très rapide ». Il ne s’agit pas selon ses dires d’une panacée qui guérira la société de tous ses maux mais d’un plan économique pragmatique réalisable sans que sa réussite ne soit totalement garantie. Il espère cependant son succès car… il ne dispose pas de plan B !
Comme souvent, ce type de théorie globalisante requiert une adaptation au cas par cas et pays par pays. Néanmoins, il apparait clairement que le modèle économique sur lequel repose notre système actuel génère de plus en plus de tensions à la fois financières, énergétiques, économiques, que géopolitiques, ethniques, religieuses et confessionnelles. L’excellent ouvrage d’Amy Chua (professeur de droit à Yale), « Le monde en feu » met clairement en lumière le lien qui existe entre violences sociales et mondialisation. L’un des substrats de ces violences sociales est la distorsion économique toujours plus importante entre des pans entiers de population.
La théorie de J. Rifkin qui tend à appréhender de manière plus large l’élément participatif de l’économie semble ici faire écho à d’autres études qui démontrent la nécessité de plus en plus impérieuse de tenir compte des inégalités économiques et financières trop criantes.
Dans ce contexte, l’accès à l’énergie tient une place majeure. Etant donné les contraintes environnementales et les risques écologiques aujourd’hui clairement identifiés, les énergies renouvelables apparaissent donc comme un complément nécessaire des autres sources d’énergies afin d’assurer un niveau de production suffisant (à des prix abordables) permettant un accès au plus grand nombre tout en ménageant au mieux les contraintes environnementales. La limite de cet exercice, et elle est immense, est qu’une telle évolution de notre société, ne se conçoit que si tous, ou la grande majorité, des états y prennent part de manière active… et convergente ! La partie n’est donc pas encore gagnée.
En France, la transition énergétique revient de nouveau au centre des débats. Pourquoi un tel engouement intellectuel pour ce sujet ? La France, comme ses partenaires européens, doit résoudre la question de son approvisionnement en énergie en tenant compte d’un certain nombre de paramètres essentiels :
- Enjeu géostratégique : Indépendance énergétique afin de dépendre le moins possible d’approvisionnement extérieur ;
- Accompagnement de la croissance économique : la France comme les Etats-Unis ou la Chine, doit assurer un niveau d’accès à l’énergie suffisant (et à des conditions tarifaires raisonnables) pour soutenir sa croissance économique ;
- Maintien du pouvoir d’achat : il s’agit ici d’une contrainte de politique intérieure incontournable puisque le niveau de croissance économique actuel ne permet d’assurer mécaniquement le maintien du pouvoir d’achat. De surcroit, la tendance haussière des prélèvements obligatoires rend d’autant plus cruciale le contrôle des prix.
- Aspects environnementaux : les évènements tels que la catastrophe de Fukushima vient nous rappeler, plus de 30 ans après celle de Tchernobyl, qu’un accident dans une centrale nucléaire n’est pas un évènement anodin sans conséquence sur les années qui suivent.
- Contraintes budgétaires : l’Etat est un gros consommateur d’énergie au travers de ses différents services et ses administrations. Dès lors, le coût de l’énergie impacte sensiblement sur le budget de l’Etat et donc….sur ses dépenses et recettes (impôts).
- Engagement financiers actuels et futurs : nos énergéticiens ont investi des sommes colossales dans la production d’énergie d’origine nucléaire. Il est évident que les modalités de production sont aujourd’hui largement maîtrisées. En revanche, les coûts liés au démantèlement des installations ne sont pas précisément chiffrables car nous ne bénéficions que de peu de retour d’expérience en la matière.
- Aspects psychologiques : à l’instar d’internet, l’accès à l’énergie est perçu comme un droit « acquis »….je dirais même en un quasi droit de l’homme. Nous ne connaissons pas, en France, de contingentement de notre consommation (au sens d’une limitation de MW par exemple) comme c’est le cas dans certains pays où les coupures d’électricité sont fréquentes. Néanmoins, un coût trop élevé de l’énergie pourrait être perçu comme une restriction d’accès.
La question énergétique n’est plus aujourd’hui la chasse gardée des mouvements écologiques et c’est tant mieux. De même, il est intéressant de constater que cette question est à l’ordre du jour de nombreuses grandes économies mondiales (la Chine, les Etats Unis, l’Allemagne, etc). Comparaison n’est pas raison disons-nous habituellement. Néanmoins, les expériences vécues par nos partenaires, leurs décisions liées à leur propre transition énergétique interne sont autant d’éléments que nous pouvons utilement utiliser pour nourrir nos réflexions sur le sujet.