A quoi servent les rêves, les fictions, les utopies ? Les sciences humaines ont cherché à repérer les structures qui se dissimulent derrière les bouillonnements de l'imaginaire.
Bachelard et la puissance de l'imagination créatrice
Platon, Spinoza, Hume, Kant ont traité de l'imaginaire et de l'imagination. Mais c'est avec Gaston Bachelard, puis, dans une moindre mesure, avec Jean-Paul Sartre que seront posés les jalons d'une réflexion philosophique sur l'imaginaire.
Selon Gaston Bachelard (1884-1962), il y a deux versants opposés du psychisme humain : d'un côté la conceptualisation, qui culmine dans la science, de l'autre la rêverie, qui trouve son accomplissement dans la poésie. G. Bachelard étudie le développement de la rationalité objective et scientifique. Il entreprend également une analyse du processus d'imagination créatrice, à travers les symboliques des quatre éléments (feu, eau, air et terre).
Bachelard pense que les images constituent l'instance première de la pensée. L'imagination est le processus par lequel les images sont créées, animées, déformées. Ce processus n'est pas incohérent ou gratuit : il obéit à une grammaire de l'imaginaire.
L'imagination et la rêverie apparaissent également comme des principes organisateurs de la conduite humaine. Elles sont même porteuses d'une énergie morale, d'un art de vivre.
Jung et l'inconscient collectif
La psychanalyse et la psychologie des profondeurs constituent un des piliers de la réflexion sur l'imaginaire. Avec la psychologie freudienne, les images (rêves, fantasmes) apparaissent comme les intermédiaires entre l'inconscient et le conscient.
Pour le psychiatre suisse Carl-Gustav Jung (1875-1961), disciple de Freud, les imaginaires personnels s'en-racinent dans un fond commun, appelé inconscient collectif. Celui-ci est structuré par des archétypes : ce sont des thèmes récurrents, de grandes figures symboliques (par exemple le dragon, le paradis perdu...) que l'on rencontre dans les rêves, mais aussi les mythes, les contes, et qui constituent en quelque sorte la matrice de l'imaginaire. Cette grammaire aura une profonde influence sur les autres penseurs de l'imaginaire, notamment Gaston Bachelard, Mircea Eliade, Gilbert Durand.
Parmi les archétypes, C.-G. Jung accorde une importance particulière à l'anima (principe féminin que l'on rencontre aussi dans tout homme) et à l'animus (prin- cipe masculin que l'on rencontre aussi dans toute femme). La thérapie jungienne consiste à accéder au soi, en prenant conscience des exigences des archétypes. Celles-ci sont révélées par les rêves. Jung fait donc de l'image un instrument thérapeutique. Dans le prolongement de cette approche, des chercheurs utiliseront la technique dite du « rêve éveillé ».
L'imaginaire vu comme principe révélateur des traits majeurs de la personnalité donnera d'ailleurs naissance à d'autres outils, comme les « tests projectifs » (taches d'Hermann Rorschach, arché- type-test à neuf éléments d'Yves Durand, test d'aperception thématique de H.A. Murray).
Les imaginaires sociaux
L'imaginaire est une composante essentielle des sociétés modernes. Il est présent dans les représentations sociales. Pour Castoriadis, il représente même le « ciment » de la société.
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Selon Edgar Morin (né en 1921)
Selon Edgar Morin, l'homo sapiens est aussi homo demens. La vie imaginaire enrichit et organise la réalité. E. Morin a mené au début de sa carrière de nombreux travaux sur les imaginaires sociaux et les phénomènes de communication. Dans Les Stars, E. Morin décortique le star system. La star (Marilyn Monroe par exemple) incarne un imaginaire ancré dans les croyances de la société moderne (une fille « ordinaire » devient alors une déesse). Elle fait l'objet d'un culte, d'une légende. E. Morin montre aussi comment la fiction permet de comprendre et d'interpréter le réel (le spectateur se met « à la place » du personnage). Dans La Rumeur d'Orléans, E. Morin met au jour, au prix d'une longue enquête de terrain, les mécanismes et leurs composantes (fantasmes, mythes, obsessions, angoisses) qui concourent à l'émergence et à la diffusion de la rumeur.
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Selon Cornélius Castoriadis (1922-1997)
Dans son ouvrage majeur, L'Institution imaginaire de la société, Cornélius Castoriadis cherche à montrer comment l'imaginaire social « institue » et parvient à faire « tenir ensemble » la société.
A l'origine de sa réflexion, l'interrogation suivante : comment se fait-il qu'il y ait une telle cohérence entre d'un côté l'ordre social (les règles, les représentations sociales, les religions) et de l'autre, les motivations et conduites des individus ?
Pour lui, la clé de cette énigme se trouve dans la force de l'imaginaire. La société s'érige par la création d'imaginaires sociaux, qui relient les hommes et donnent sens à leur action. La religion, les idéologies ou les utopies politiques fournissent des croyances communes qui structurent le lien social.
L'analyse des mythes et des religions
Des anthropologues comme Marcel Griaule, Claude Lévi-Strauss ou Roger Bastide, ont cherché à repérer des structures universelles de l'imaginaire. Mircea Eliade et Roger Caillois comptent parmi ceux qui, avec Gilbert Durand, ont cherché à systématiser cette démarche.
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Selon Mircea Eliade (1907-1986)
Historien des religions et romancier né en Roumanie, Mircea Eliade est profondément marqué par un voyage en Inde, à l'issue duquel il n'aura de cesse de comprendre l'expérience spirituelle et religieuse. Il veut saisir les caractéristiques de l'homo religiosus, en s'appuyant sur les acquis de l'anthropologie et de la psychanalyse. La distinction entre sacré et profane constitue le principe fondateur de la vision du monde de l'homme religieux. M. Eliade va entreprendre une vaste histoire des religions. En les comparant, il montre comment toutes les religions s'inscrivent dans un réseau d'images symboliques, organisé en mythes et en rites. Il met en évidence l'existence de mythes universels : par exemple le mythe de l'éternel retour, ou celui de l'arbre sacré. Il y a donc une structure invariante de l'univers mental religieux.
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Selon Roger Caillois (1913-1978)
« L'irrationnel soit ; mais j'y veux d'abord la cohérence », déclare en 1934 cet écrivain, en quittant le groupe surréaliste. Cette formule résume bien les multiples facettes de la personnalité de Roger Caillois.
A la croisée d'approches très diverses (littérature, sociologie, anthropologie...), son oeuvre est consacrée à l'analyse des mécanismes de l'imagination, particulièrement le rôle du sacré, des mythes et de la création artistique.
Auteur d'ouvrages de réflexion générale, il explore également des sujets plus précis. Ainsi, il cherche à comprendre la symbolique de l'insecte, la fonction des jeux dans la société. Il montre qu'il est possible de distinguer des schémas invariants dans les thèmes et les récits fantastiques.