Après sa programmation spéciale sur l’économie à l’automne dernier, la chaîne franco-allemande poursuit dans "sa volonté de sonder les réalités sociales actuelles en s’inscrivant résolument du côté de l’humain'", explique Vincent Meslet, directeur éditorial d’Arte France. La chaîne franco-allemande entame la diffusion de "Classe moyennes, des vies sur le fil". Un documentaire en trois volets sur ces dix millions de Français qui vivent avec 1 200 euros par mois pour une personne seule, 2 600 pour une famille de deux enfants. Véritable réflexion sur la crise, loin des discours froids des économistes du CAC 40 et plutôt vu par le prisme de l’émotion, le film met en lumière cette petite classe moyenne oubliée des statistiques, ces "déclassés" en proie à la précarisation.
Synopsis et documentaires en trois parties :
Classe moyenne, des vies sur le fil 1/3
Classe moyenne, des vies sur le fil 2/3
Classe moyenne, des vies sur le fil 3/3
Entretien avec le réalisateur Frédéric Brunnquell :
Arte a récemment diffusé une série documentaire d'exception : "Classe moyenne, des vies sur le fil", un film en trois volets humain, sans pathos et sans fard, sur ces oubliés de la petite classe moyenne. Frédéric Brunnquell, le réalisateur, raconte le terrible cercle vicieux du sentiment de déclassement et de l'isolement, brisant les citoyens dans leurs désirs d'un avenir plus juste.
Vous vous intéressez à une catégorie sociale, inconnue des statistiques, que vous nommez "la petite classe moyenne". Que recouvre-t-elle ?
Frédéric Brunnquell.– La classe moyenne inférieure, juste au-dessus de celle des Français les plus modestes. Soit 10 millions de personnes désormais exposées à des difficultés les rendant de plus en plus vulnérables. Ces gens ont une existence très différente de celle qu’ils prévoyaient il y a peu. Leur angoisse du lendemain irradie l’ensemble de la société.
Vous avez choisi de suivre six hommes et femmes. Comment les avez-vous rencontrés ?
- Même s’ils vivent autour de nous, il n’était pas évident de les convaincre de témoigner sur une période compliquée de leur vie. Une journaliste m’a aidé en contactant des associations. J’ai ainsi rencontré Régis, qui multiplie les heures dans une brasserie de Lille, et son épouse Jacqueline, vendeuse en CDD à temps partiel. J’ai aussi connu, à Lyon, Gaëlle, intermittente du spectacle et célibataire avec 3 enfants. J’avais travaillé sur le phénomène du hard-discount et c’est ainsi que j’ai pensé à Jean-Philippe, directeur d’un de ces supermarchés dans la région de Nancy, et à sa femme Isabelle, visiteuse médicale à mi-temps. Quant à Catherine, j’étais entré un jour par hasard dans sa maison de la presse, à Paris. Nous avions discuté. Je me suis souvenu de cette petite dame qui a du caractère et des choses à dire.
Ces Français se sentent oubliés. Comment l’expriment-ils ?
- De manière assez détournée. Ils ne s’intéressent plus à la politique ni à l’actualité. La plupart d’entre eux fuient les JT, ne lisent pas les journaux. Depuis que son salaire a été diminué de 25 %, Jean-Philippe laisse la télévision fermée afin de ne pas inquiéter ses enfants. Isabelle et lui se protègent du climat anxiogène, comme beaucoup de Français.
Gaëlle, metteuse en scène de théâtre, ignorait même le nom du Premier ministre. Ils rejettent tout ce qui, pour eux, s’apparente à l’élite, tournent le dos au débat public. Autant de répercussions de leur impression de délaissement.
Quel est le sentiment qui domine chez ces familles précarisées ?
- La colère. Cette indignation qui naît lorsqu’on se rend soudain compte que ses aspirations ne peuvent être satisfaites.
" On évite les amis qui ont réussi. On sort moins, parce qu’on n’en a pas les moyens. On reçoit peu : offrir un repas coûte cher. "
On rompt avec certaines activités, sportives ou autres, par crainte de ne plus être à la hauteur dans certains cercles. La vie sociale se réduit. On s’enferme. On s’isole.
Comment les enfants vivent-ils ces bouleversements ?
- Tout dépend de leur âge et du contexte parental. Les plus jeunes, comme les enfants de Jean-Philippe et d’Isabelle, très couvés, ne réalisent pas la paupérisation. Dans leur cas, la famille élargie compense financièrement les besoins. Les deux pré-ados de Gaëlle composent très bien avec la situation. Ils parviennent à s’offrir des marques en courant les promos et ils en sont très fiers.
Pour les plus grands, c’est un peu compliqué. Durant toute leur adolescence, ils ont vu leurs parents trimer comme des dingues pour s’en sortir avec un résultat proche de zéro. "La valeur travail" est très dépréciée auprès de ces jeunes. Pourquoi se tuer au boulot si c’est pour se retrouver au chômage à 45 ans ?
La précarisation atteint forcément l’intimité des couples...
- Rentrer le soir chez soi épuisé déstructure forcément la vie familiale. Catherine, qui travaille 12 heures par jour, reconnaît qu’elle n’a pas pu s’occuper de ses filles comme elle l’aurait souhaité. Régis, qui fait de 80 à 90 heures par semaine sans connaître ses horaires à l’avance, tombe de fatigue en permanence. De retour à la maison, il ne pense qu’à dormir. Il n’a même plus l’énergie d’emmener ses enfants se balader.
Les couples n’ont plus de vrais moments à deux. Et si ça va mal, ils sont bien obligés de rester ensemble. Impossible d’abandonner l’autre alors qu’il ne gagne que 600 euros par mois. La précarité interdit de choisir sa vie.
Vous avez filmé vos personnages entre juillet 2013 et mars 2014. Qu’en retenez-vous ?
- On s’en tire mieux quand la famille est présente, quand son enfance a été choyée, quand ses repères restent forts, quand le système ne vous broie pas depuis trop longtemps, via des CDD à répétition. A la longue, certains s’accusent même de ce qui leur arrive et finissent par mettre en doute leurs propres capacités. Le problème qui touche souvent cette population fragile est la perte de confiance en soi.
Sources: http://teleobs.nouvelobs.com/ et http://www.arte.tv/fr