Floriant et Florete est un roman d’initiation. Au Moyen-Âge, le passage de l’adolescence à l’âge adulte est particulièrement symbolique et douloureux. Il est parsemé d’obstacles très différents. A chaque moment, le héros, chevalier solitaire, est soumis à des épreuves soit physiques soit morales. C’est un thème récurrent dans le roman arthurien. Bien souvent ce passage initiatique est chargé d’une symbolique spirituelle. Il représente la quête qui est celle de la découverte de soi-même, du monde, de l’univers, et de la symbiose avec lui. Tous les héros partagent plus ou moins le même destin : le roi Arthur, Perceval, Lancelot, Yvain. Ils cherchent « le vrai soi » car il existe toujours autour de leur naissance une aura de mystère entretenue par des êtres féeriques ou surnaturels. Dans le cas de Floriant il y a une forclusion du nom du père (pour utiliser le vocabulaire psychanalytique). Il ne connaît pas son identité et la récompense au terme de son initiation sera la délivrance de cette identité. C’est en cela que consiste l’intention didactique du roman arthurien. Présenter symboliquement, voire de manière ludique les combats du héros, ses démons intérieurs et sa victoire sur les circonstances.
A la fin il devient "Maître de lui-même et de sa vie" et est amené à gouverner celle des autres. Dans les romans de ce genre il y a une forte tendance à émerveiller. Le but de l’auteur est de nous faire comprendre que nous nous trouvons dans un monde fantastique et merveilleux et qu’il s’agit d’un héros tout à fait exceptionnel. Comme le nom héros l’indique, nous sommes en présence de quelqu’un qui est mi-homme, mi-divinité. Par conséquent, au final, il devient immortel. L’initiation chevaleresque consiste en maintes péripéties. Elles se concrétisent en aventures. Ces dernières sont là pour aguerrir le héros et inciter son activité physique, mais aussi pour stimuler son mental. Le hasard n’existe pas et chacune d’elle apporte au héros une leçon inoubliable, tout en le menant vers une autre aventure, encore plus merveilleuse et plus fantastique que la précédente. Alors que tout gravite autour du chevalier errant et solitaire, on est amené à suivre son itinéraire qui commence par la découverte de lui-même, avant de faire celle de l’amour et des autres. Cette découverte est jalonnée de passions, de pulsions, de peurs et de rêves qui se fondent en un sublime idéal chevaleresque. Nous allons suivre l’évolution du héros en passant par toutes ces séquences et essayant de comprendre leurs sens le plus profond.
Étant donné que Floriant et Florete est un roman d’initiation, il a avant tout une intention didactique. Le topos est celui du roman initiatique : le héros est jeté dans le monde tout seul, les voyages les plus extraordinaires marquent son progrès. Il part d’un château enchanté pour passer à travers toute l’Europe, c’est-à-dire le monde connu de cette époque, pour revenir enfin à la source. Donc un mouvement circulaire, parfait. Il se cherche, cherche son identité, son origine qui lui est dévoilée une fois qu’il a surmonté les obstacles qui s’étaient dressés sur son chemin.
Ces voyages sont la découverte de nouveaux lieux merveilleux, car c’est un récit fantastique (Floriant et Florete) : existence de châteaux médiévaux connotant un univers mystérieux, nef merveilleuse, atmosphère des fois très étrange et inquiétante, termes lugubres (Chevalier Noir, Chevalier coupeur de tresses…). Mais le roman est plus marqué par des endroits paradisiaques, qu’ils soient réels (terrestres) ou qu’ils soient de l’Autre monde comme le château de Morgane. Ces locus amoenus symbolisent la paix de l’âme du héros et sa récompense au bout du chemin.
Au topos fantastique se joint le topos surréaliste. La réalité mystérieuse est omniprésente. Les lieux de révélations sont toujours bien choisis : château du roi Arthur, celui de Morgane…
Tout cela contribue à la création des conditions nécessaires à l’évolution physique et spirituelle du héros qu’on appelle initiation. Cette dernière passe par plusieurs phases et comporte un réceptacle d’émotions, de sentiments et d’actions qu’éprouve le personnage principal, et le construit. Elle commence par la découverte du "soi-même" qui mène ensuite vers l’amour qui, lui, mène vers la découverte de l’autre, c’est-à-dire le monde réel. Chaque phase de l’initiation est accompagnée de passions, de peurs et de rêves contre lesquels le héros doit lutter pour accomplir sa mission. C’est de là que découle la rencontre de deux opposés : l’amour et les armes. Paradoxalement on doit lutter pour conquérir l’amour, on doit se battre pour le mériter. La victoire issue de la guerre contre les passions et les peurs libère la personne et lui confère l’amour universel et le respect des autres.
Alors pourquoi cette initiation ? Sa valeur, où se trouve-t-elle ? Parce que c’est la nature la plus fondamentale de l’homme, celle de chercher, d’exister et de coïncider avec le monde qui l’entoure. En découvrant lui-même par introspection et action il découvre toutes les lois qui régissent la nature. Tout est lié. "C’est le miracle de l’alchimie – la connaissance".
La vie de Floriant comporte quatre passages initiatiques de deux grandes étapes, chacune de quinze ans approximativement. Il part et quitte Morgane à l’âge de quinze ans pour entamer sa quête et lui revient, après avoir rempli sa tâche, à l’âge de trente ans, environ. Ainsi son destin prend la forme d’un cercle, symbole de la perfection.
Floriant comme nous l’avons déjà dit, part à la découverte de son identité. La notion d’identité dans le roman arthurien est très symbolique, elle connote la découverte non seulement de la vraie origine mais aussi de la nature la plus profonde du héros et son destin car le caractère, on le sait bien, détermine le sort de la personne. Donc, Floriant se lance à la découverte de son nom, ses origines, c’est-à-dire, soi-même. Il s’adresse à sa mère présumée, Morgane : « Madame, écoutez-moi ! Je crois bien que vous êtes ma mère mais je ne sais pas qui est mon père ! » A ces mots, Morgane se met à pleurer et dit à Floriant qu’elle n’est pas sa mère et qu’un grand part de son destin consiste en la découverte de ses vraies origines. Et c’est cela le fil qui le dirigera tout au long de son initiation. Il doit se frayer un chemin tout seul, son aucune aide extérieure. Se prouver à lui-même et aux autres qu’avant d’être quelqu'un grâce à la renommée de sa famille, il est d’abord "quelqu'un" grâce à ses exploits et sa force intérieure. Il se construit lui-même. Et selon le vieux adage qui dit que la valeur d’un homme se mesure par l’importance des difficultés qu’il a rencontrées dans la vie, le héros est soumis à maintes épreuves qui lui permettront, chacune à leur tour, de lui montrer sa puissance physique et mentale. Il les rencontre dans l’ordre croissant de difficulté : il libère les quinze chevalier de la Table Ronde d’Arthur en vainquant Moradas , ensuite il tue le Pellican, bête cruelle qui mangeait des filles habitant à l’île aux belles Pucelles, il tue deux géants et finalement gagne dans le duel avec le chevalier coupeur de tresses.
C’est seulement à ce moment-là qu’il « mérite » de se présenter à la cour d’Arthur, lieu où l’on juge un chevalier d’après l’importance des batailles remportées et son courage. Sa valeur et sa témérité lui valent la découverte de son identité. Il se montre digne du nom qui lui appartient de par sa naissance. La fée Morgane, sa mère adoptive lui reprend la nef enchantée mais lui dévoile son nom : il est prince, fils du roi Elyadus : « Mais maintenant elle [ Morgane ] veut t'apprendre en toute vérité qui fut ton père. C’était un homme de valeur, très réputé qui s’appelait le roi Elyadus. Il était roi d’une contrée prospère, la célèbre Sicile était à lui […] Mais Maragot, son sénéchal, un homme très perfide et déloyal, le tua un jour par traîtrise. Apprends pour quelle raison. […] » La lettre de Morgane contient deux choses : elle loue le mérite du père du héros éponyme et en décidant de lui dévoiler son identité véhicule le message qu’il est le fils digne de son père ; ensuite cette lettre représente l’étape suivante dans l’initiation de notre héros. Il doit venger la mort de son père et le malheur de sa mère qui se trouva dépourvue de tout. Car le héros évolue dans un système féodal et doit réaliser l’idéal chevaleresque qui dissimule un idéal mystique. Grâce à ses exploits guerriers il gagne l’estime du roi (ici du roi Arthur), découvre et accomplit sa mission ici-bas. Après s’être cherché il trouve le "soi-même" ou "être authentique" mais aussi tout un monde qui lui était jusqu’alors inconnu. En face de ce monde il réagit de façons différentes, éprouve des sentiments différents.
Paradoxalement, sa lutte qui frôle la haine par moments, ses armes qui font de lui un tueur inlassable (car l’ouvrage abonde en épisodes violents et sanglants) le mène vers l’amour, le sentiment le plus pur. Les armes et les amours se mélangent et seulement un vrai chevalier, un homme noble mérite d’être aimé par une belle et noble femme. Tout est dans le livre sous le signe du merveilleux : événements, objets, pouvoirs, créatures surnaturelles, lieux enchantés, malédictions, bénédictions… Et l’amour est la plus grande des magies. Grâce à lui le héros arrive à surmonter tous les obstacles dont la plupart (sinon tous) se trouvent en lui-même. Le héros doit d’abord surmonter ses peurs, la peur de l’inconnu, de la mort, de la souffrance (ce qui est illustré par son désir d’aller à leur rencontre en cherchant sa vraie identité et constitue la première phase de l’initiation), cela le mène vers la maîtrise de ses propres passions incarnées dans l’amour, l’amitié, le sexe, le pouvoir et la richesse.
Une fois les obstacles abolis, les peurs dominées, les passions contrôlées, il est à même de réaliser ses rêves, à savoir son idéal chevaleresque, sa mission sur terre : il obtient la liberté et accède à l’immortalité. Sa quête du Saint Graal est terminée. Il a justifié le fait d’appartenir aux élus. L’éternelle s’étend devant lui et partout où il va, l’abondance l’accompagne. Le Graal est le symbole de la vie éternelle, de la réunification des opposés : animus – anima, conscient – inconscient, haut – bas… Son contenu est indicible, il doit être cherché, trouvé, mérité. Il transcende la religion et touche aux sphères de la spiritualité. Le chevalier, qui est un mâle, y arrive en réconciliant les opposés en lui-même, en devenant parfait. Son anima, c’est Morgane, le symbole du féminin, l’antipode de Merlin. Elle est mère < mer < eau (le féminin dans l’alchimie). Nous voyons ces contrastes partout dans le roman, des substances aqueuses omniprésentes, symboles du féminin et des substances solides (château, tour), symboles du masculin.
On ne naît pas héros, on le devient. Et pour cela il faut traverser maintes épreuves, passer par un chemin parsemé d’embûches et de déboires où l’on apprend à se contrôler soi-même et à contrôler les autres et la vie. Surmonter ses peurs, triompher de ses passions permet au héros d’accéder à son idéal, de réaliser ses rêves et d’entrer dans le clan des grands, celui du roi Arthur, des chevalier de la Table ronde… Il devient immortel. Il devient un homme libre qui transcende le monde matériel pour entrer dans le monde des esprits (de la conscience). Mais cela, il doit le faire tout seul, par le biais de ses aventures, en découvrant l’amour. Il change, grandit, mûrit et finit par faire partie de la perfection.