21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 14:29

"Les jeux vidéo seraient des déclencheurs d'agression. Les mécanismes d'identification aux personnages sont favorisés par un réalisme qui ne cesse d'être amélioré." La sonnette d'alarme fut déjà tirée par des sociologues, des scientifiques et des psychanalystes il y a quelques années... n'est-il pas trop tard pour en tirer les leçons ?


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© Rockstar Game Distribution

Grosses voitures, armes à feu, sexe et corruption : les dernières générations de jeux vidéo (ici le « héros » de Grand Theft Auto iv) font du crime et de la violence leur principal argument de vente. Des études scientifiques révèlent que ces supports entraînent une augmentation des violences.

 

L'auteur, pour cerveau et psycho.fr:

 

Laurent Bègue est professeur de psychologie sociale à l’Université de Grenoble, où il dirige le Laboratoire interuniversitaire de psychologie : personnalité, cognition, changement social (EA 4145).

 

- Un premier exemple du réalisme des jeux violents:

 

 

  • À l’occasion de la sortie du jeu vidéo Grand Theft Auto IV (theft signifiant vol), médias, opinion et politiques se sont interrogés : ce type de jeu rend-il violent ?

 

Est-il susceptible d’encourager un passage à l’acte chez certains utilisateurs ? Ou au contraire, comme certains l’ont prétendu, fait-il office d’exutoire en permettant de vivre par procuration des actes illicites ? Les sceptiques vous répondront qu’il ne fait que refléter la violence environnante et que les critiques indignées qu’il engendre ne servent qu’à masquer des problèmes sociaux réels.

 

Rappelons que le jeu Grand Theft Auto IV atteint un degré de réalisme inégalé. Les vices urbains que l’on y rencontre existent bel et bien aujourd’hui : gangs, drogue, prostitution, trafics, violence. D’autres jeux vidéo, commercialisés ou conçus par des amateurs et téléchargeables gratuitement, tirent également leur inspiration de la brutalité de l’actualité mondiale. Dans Kaboom : The suicide bombing game, jeu qui s’ouvre sur la caricature de feu Yasser Arafat, le joueur dirige un kamikaze arabe évoluant dans une ville. Son objectif : tuer le maximum de personnes. Après chaque explosion, le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants tués et blessés par l’explosion est comptabilisé. Dans Virginia-tech massacre game, le joueur incarne Seung-Hui Cho, auteur de la tuerie la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis. Le jeu consiste à abattre le maximum d’étudiants croisés sur le campus. Si ces logiciels sanglants témoignent de l’ubiquité d’une violence humaine certes ancienne, ils posent néanmoins une question : les jeux vidéo violents rendent-ils la société plus violente encore ?

 

  • Évaluer les risques objectivement

 

Cette question reçoit deux sortes de réponses. La plus courante consiste à sélectionner des événements personnels et à s’en servir, dans un sens ou dans l’autre. Sur les forums de jeux vidéo, de nombreux utilisateurs témoignent d’une pratique assidue des jeux violents tout en ironisant sur les effets prétendument délétères que déplorent certains spécialistes, en concluant : « Je n’ai jamais tué personne ! » Une variante de ce type de raisonnement consiste à invoquer des faits d’actualité, par exemple le meurtre d’un homme au volant de sa voiture par deux jeunes aficionados de Grand Theft Auto III en 2003.

 

Inversement, certains opposent que l’auteur du massacre de Virginia Tech en 2007 n’était nullement adepte de jeux vidéo violents. Cette approche des liens entre jeux vidéo et violence est fondamentalement erronée, car elle ignore la signification de ce que l’on nomme les facteurs de risque. Au même titre que la maltraitance familiale, la consommation d’alcool ou les frustrations sociales (voir l’encadré pages 18 et 19), la pratique de jeux vidéo violents peut être considérée comme un facteur de risque. Cela signifie que les jeux vidéo augmentent, de façon indépendante ou éventuellement en interaction avec d’autres facteurs, la probabilité d’un passage à l’acte violent.

Lorsqu’il s’agit d’homicides ou de violences extrêmes, il y a généralement présence de plusieurs facteurs de risque. Ces actes sont rarissimes (en France, il y a en moyenne un millier d’homicides par an), et la probabilité qu’un joueur assidu blesse grièvement ou tue quelqu’un est minime, s’il ne présente pas d’autres facteurs de risque importants. N’en déduisons pas que les jeux vidéo ne stimulent pas son agressivité à court ou à long terme, mais simplement que ces effets porteront sur des pensées, des émotions ou des conduites agressives moins spectaculaires. Dans les faits d’actualité, on constate que de nombreux auteurs de fusillades dans les écoles étaient généralement adeptes de jeux vidéo violents, mais qu’ils présentaient également plusieurs autres facteurs de risque.

 

Une autre façon d’établir un lien éventuel entre les jeux vidéo et le comportement d’agression (défini comme une action réalisée avec l’intention de blesser quelqu’un) consiste à s’appuyer sur l’une des trois méthodes scientifiques à la disposition des psychologues. La première est la méthode expérimentale : des personnes sont placées devant un écran où elles jouent pendant une quinzaine de minutes à un jeu vidéo violent. D’autres jouent, dans des conditions identiques, à des jeux vidéo neutres. Ensuite, on compare leurs comportements d’agression. Les niveaux de difficulté, d’excitation ou de frustration associés à ces jeux devront être équivalents afin que l’on ne puisse attribuer les différences observées qu’au degré de violence véhiculé par le jeu : toute différence de comportement entre les personnes des deux groupes est alors directement imputable au type de jeu pratiqué.

 

La deuxième méthode, dite transversale, consiste à recueillir des informations sur les comportements agressifs d’un certain nombre de sujets étudiés (en les interrogeant ainsi que leur entourage, leurs professeurs, etc.) sur le type de jeux vidéo qu’ils pratiquent, ainsi que sur le temps moyen qu’ils y consacrent. Dans ce type de statistiques, on veille aux biais connus, notamment au fait que les garçons jouent plus aux jeux vidéo violents et sont plus agressifs verbalement et physiquement, en moyenne, que les filles.

 

Avec la troisième méthode, dite longitudinale, on recueille des informations à plusieurs reprises auprès des mêmes personnes. On détermine ainsi, non seulement s’il existe un lien entre les jeux vidéo et l’agression, mais aussi comment on peut l’interpréter. Si l’on constate qu’une personne joue à des jeux vidéo une année donnée et que ses actes violents augmentent l’année suivante, on peut supposer que la pratique de ces jeux vidéo en soit la cause (indépendamment du niveau d’agression mesuré la première année).

 

Les analyses de contenu des jeux vidéo commercialisés montrent que la violence constitue le thème principal de plus de la moitié des titres les plus vendus au monde. Le succès colossal enregistré par Grand Theft Auto IV (le produit culturel le plus vendu au monde en 2008) confirme cette tendance. Dans ce jeu, la plupart des missions requièrent de tuer ou d’agresser violemment des gens (par exemple, trouver quelqu’un dans New York et l’éliminer, protéger quelqu’un en supprimant ses adversaires, braquer un fourgon, punir les commerçants qui s’élèvent contre le racket, etc.). Rien ne vous empêche d’acheter les services d’une prostituée, puis de la cribler de balles avant de récupérer votre argent. Ou de conduire sur les trottoirs et d’écraser les piétons, dont le sang vient alors maculer le pare-chocs et le pare-brise du 4 ¥ 4 que vous venez tout juste d’arracher à son propriétaire.

  

- Un deuxième exemple de jeu violent très réaliste:


  
  • L’impact du sang virtuel

 

Le premier jeu violent commercialisé en 1976, Death Race, consistait déjà à écraser des piétons avec une voiture. Mais en 30 ans, la qualité graphique et sonore de la violence s’est considérablement améliorée ! Selon le journaliste et historien des jeux vidéo Steven Kent, un tournant s’est opéré en 1992 avec le jeu Wolfenstein 3d (w3d), bientôt suivi de Doom, en 1993, où pour la première fois le joueur « était » le personnage dont il contrôlait l’arme à feu.

 

Dans ce type de jeu, le joueur voyait l’action comme s’il portait lui-même l’arme servant à tirer, et évoluait librement dans un univers à trois dimensions. Alors que dans Death Race et beaucoup d’autres jeux qui ont suivi, les personnages abattus disparaissaient (laissant parfois sur l’écran une petite stèle funéraire ornée d’une croix), dans w3d, ils tombaient par terre et perdaient leur sang. En 1999, le jeu Soldier of Fortune améliorait remarquablement le sanglant réalisme : créé en collaboration avec un ancien colonel de l’armée américaine, il permettait au joueur aguerri d’abattre son adversaire en visant l’une des 26 « zones létales » du corps qu’il était possible de blesser. Les victimes réagissaient avec vraisemblance aux différents coups de feu selon la partie du corps touchée, l’arme utilisée et la distance de feu.

 

Le caractère particulièrement sanglant de certains jeux n’est pas sans conséquences. Dans une récente étude, Christophe Barlett et ses collègues, de l’Université de l’Iowa, ont fait jouer des participants à un jeu violent classique, Mortal Kombat. Dans ce jeu, il est possible d’abattre les ennemis sans voir le sang couler. Mesurant la pression sanguine des joueurs avec l’option « sang » activée, ils ont observé une plus grande activation physiologique que lorsque l’option « sang » était désactivée. En outre, l’hostilité des joueurs en condition « jeu sanglant » augmentait, et ils avaient davantage de pensées agressives après le jeu, indépendamment de leur caractère agressif intrinsèque, mesuré au début du jeu.

  

Cet effet du sang observé existe-t-il aussi au cinéma ? Pour le savoir, Stephen Black et Susan Bevans, de l’Université Bishop, se sont postés à l’entrée d’un cinéma et ont demandé aux spectateurs de répondre à un questionnaire de personnalité et d’indiquer le film qu’ils venaient voir. Ils ont constaté que les films comportant des scènes violentes étaient d’autant plus appréciés par les spectateurs qu’ils avaient un niveau élevé sur une échelle d’agressivité. Ce résultat traduit un élément qu’il faut prendre en compte avant d’affirmer que les films ou les jeux vidéo rendent violents : ils sont davantage recherchés par les personnes qui ont des tendances violentes.

 

Dans une recherche réalisée auprès de 300 adolescents scolarisés aux Pays-Bas, Jeroen Lemmens, de l’Université d’Amsterdam, a montré que ceux qui aiment les jeux vidéo violents sont le plus souvent des garçons ayant un niveau d’agressivité élevé et un niveau d’empathie bas. D’autres recherches ont montré que les enfants adeptes des jeux vidéo violents ont davantage de conflits avec leurs enseignants, sont plus agressifs verbalement et physiquement. Dans une étude effectuée auprès de 1 254 adolescents âgés de 12 à 14 ans, Lawrence Kutner et Cheryl Olson, de la Faculté de médecine de Harvard, ont mis en relation divers problèmes de comportement avec la pratique de jeux vidéo violents. Ainsi agression, délinquance et utilisation de jeux vidéo semblent bien liées.

 

  • Créer des pensées agressives

 

Des études ont été également effectuées afin d’estimer les raisons invoquées par les enfants et adolescents qui jouent à des jeux vidéo violents. L’un des élèves interrogés par Elly Konijn et ses collègues, de l’Université d’Amsterdam, disait : « J’aime beaucoup Grand Theft Auto parce qu’on peut tirer sur les gens et rouler à toute vitesse dans des voitures. Quand je serai plus grand, je pourrai faire cela aussi. » Dans leur étude, L. Kutner et C. Olson ont distingué quatre motifs recherchés par les enfants : l’excitation et le plaisir (ils jouent pour gagner, arriver à terminer la partie) ; l’aspect social (ils aiment jouer entre amis) ; les émotions ressenties (ils jouent pour calmer leur colère, oublier leurs problèmes, se sentir moins seul) ; ils jouent pour ne pas s’ennuyer (pour tuer le temps).

 

Tout cela suggère que la pratique des jeux vidéo violents est liée à certaines variables de personnalité et revêt des significations différentes selon les joueurs. En tant que tels, bien qu’ils ne permettent pas de déterminer si les personnes agressives jouent de préférence à des jeux violents ou si ces jeux les rendent violentes, ils contredisent le rôle cathartique fréquemment attribué aux jeux vidéo (voir l’encadré page 16).

Indépendamment des prédispositions initiales à la violence, qui orientent effectivement le choix des jeux, existe-t-il des preuves d’un effet causal des jeux vidéo sur les pensées et les émotions agressives ? Une première étude illustre l’effet des jeux vidéo sur les pensées agressives. Les psychologues américains Craig Anderson, de l’Université de l’Iowa, et Karen Dill, de l’Université Lenoir Rhyne, en Caroline du Nord, ont montré que des personnes venant de jouer à un jeu violent identifient plus rapidement des mots violents projetés sur un écran : leur esprit est donc « préparé » à penser de façon violente. Il s’agit de ce qu’on nomme un amorçage de pensées agressives, qui a de multiples conséquences.

 

Une étude comparable a été réalisée par Steven Kirsh, de l’Université de New York, auprès d’enfants âgés de 10 et 11 ans. Après avoir joué à un jeu neutre ou à un jeu violent, les enfants devaient lire des histoires où un personnage était responsable d’un incident, sans que l’on puisse décider si cela était intentionnel ou non. Les volontaires ayant joué à un jeu violent imputaient davantage d’intentions négatives à ce personnage. Ce type de biais n’est pas sans conséquences, de nombreuses études révélant que l’attribution de pensées hostiles à autrui constitue un facteur décisif dans les conduites agressives.

 

Les effets des jeux vidéo violents s’expriment également au plan émotionnel. C. Anderson a ainsi montré que le degré d’anxiété et d’hostilité de personnes ayant joué à des jeux violents était significativement supérieur à celui de personnes ayant joué à un jeu neutre. Dans une vaste analyse des travaux scientifiques réalisés sur ce sujet (impliquant au total 1 495 participants), C. Anderson et B. Bushman ont établi un lien statistique entre la pratique de jeux vidéo violents et la fréquence des pensées agressives.

 

  • De la pensée agressive au comportement violent

  

Les psychologues américains Roland Irwin et Alan Gross, de l’Université du Mississippi, ont laissé des enfants de huit ans jouer à un jeu vidéo excitant pendant 20 minutes. Certains jouaient à un jeu violent (le jeu de combat intitulé Double Dragon), tandis que d’autres s’amusaient à un jeu non violent (Excitebike, une course de moto). Ensuite, on les conduisait dans une salle de jeu où ils étaient filmés à leur insu pendant 15 minutes en train d’interagir avec d’autres enfants. Des observateurs extérieurs ont ensuite noté divers aspects de leurs comportements (en comptabilisant les gestes tels que taper, secouer, donner un coup de pied, pincer, etc.). Les résultats ont révélé que les enfants ayant joué au jeu de combat commettaient deux fois plus d’actes agressifs que ceux qui avaient joué à la course de moto.

  

Ainsi, certaines recherches ont montré un lien entre la pratique de jeux vidéo violents et les cognitions agressives, d’autres un lien entre la pratique de jeux vidéo violents et le comportement agressif. Dans une étude récente réalisée à l’Université de Grenoble, nous avons fait l’hypothèse que les pensées hostiles suscitées par la pratique des jeux vidéo faisaient le lien entre les jeux violents et le comportement agressif. Dans notre étude, après une phase de familiarisation, 136 hommes et femmes adultes jouaient durant 20 minutes – la phase préparatoire – à un jeu identifié comme violent (Condemned 2, Call of Duty 4 ou The Club) ou à un jeu non violent (une simulation de course de voiture, par exemple, s2k Superbike, Dirt 2, etc.).

 

Ensuite, les participants devaient lire deux scénarios ambigus et imaginer la suite de l’histoire. Par exemple, dans la première histoire, un conducteur heurtait l’arrière de la voiture du personnage principal. Après avoir constaté les dégâts, les deux conducteurs s’approchaient l’un de l’autre. On demandait ensuite aux participants de décrire en 20 points ce que le personnage principal allait dire, penser ou faire dans les minutes qui suivaient. Dans une deuxième étape de l’expérience, chaque participant réalisait une tâche compétitive contre un partenaire : il devait appuyer aussi vite que possible sur une touche dès qu’il percevait un signal sonore. Le perdant recevait un son désagréable dans les oreilles, diffusé par des écouteurs.

 

Les participants croyaient que l’intensité du son avait été choisie par leur adversaire. La mesure d’agression était l’intensité sonore (de 60 à 105 décibels, soit l’équivalent d’une alarme à incendie) et la durée (de 0 à 5 secondes par intervalles de 500 millisecondes) que le sujet choisissait de faire subir à son (faux) adversaire, lorsque celui-ci perdait (des études préalables indiquent que cette mesure est liée à des actes agressifs dans la vie réelle). Les résultats ont montré que les participants ayant joué à un jeu vidéo violent, quel que soit leur sexe, avaient davantage de pensées agressives et agressaient davantage leur adversaire.

 

Dans une autre étude reposant sur la même méthode, réalisée par E. Konijn, les joueurs qui s’identifiaient au personnage du jeu étaient plus violents par la suite. En outre, si le jeu était réaliste et « immersif » (il plongeait complètement le joueur dans l’ambiance), les joueurs s’identifiaient davantage au personnage violent qu’ils commandaient. Si l’on observe les résultats des études publiées depuis 20 ans, on constate que non seulement il existe le plus souvent un lien avec la pratique de jeux vidéo violents, mais aussi que l’intensité de ce lien augmente. Il apparaît ainsi que plus le jeu est réaliste, plus son effet sur l’agression est élevé.

Le neuroscientifique Christopher Kelly et ses collègues de l’Université Colombia ont étudié le fonctionnement du cerveau pendant la pratique de jeux vidéo. Ils ont constaté que les jeux diminuent l’activité d’un réseau cérébral qui inhibe l’agression réactive, c’est-à-dire la tendance à agresser quiconque est agressif à notre égard.

 

  • Des effets à long terme

 

Pour mesurer les effets des jeux vidéo à long terme, le psychologue américain Douglas Gentile et ses collègues, de l’Université de l’Iowa, ont interrogé 430 enfants âgés de 9 à 11 ans ainsi que leurs camarades et leurs professeurs, deux fois à un an d’intervalle. Ils ont montré que ceux qui jouaient davantage à des jeux vidéo violents lors du premier test attribuaient, un an plus tard, plus d’hostilité aux autres personnes qu’ils rencontraient, se montraient plus agressifs verbalement et physiquement, et étaient moins enclins à l’altruisme. Au total, plus de 8,5 pour cent des actes violents mesurés après un an étaient expliqués par la pratique de jeux vidéo violents au cours de l’année écoulée.

 

Comment les jeux vidéo entraînent-ils de tels changements ? Les effets à court terme impliquent essentiellement l’amorçage de concepts agressifs, l’activation physiologique et l’imitation ; les effets à long terme, quant à eux, concernent les croyances et les attitudes agressives ainsi que les schémas de perception et d’attentes agressives. Ainsi, le comportement agressif est jugé davantage justifié, le registre de l’agression apparaît automatiquement en cas de conflit, et des intentions hostiles sont fréquemment attribuées à autrui lorsqu’une situation ambiguë se présente.

  

  • Les jeux vidéo désensibilisent à la violence

 

Un autre mécanisme clé est lié au phénomène de désensibilisation. Dans une étude réalisée par Nick Carnagey, de l’Université de l’Iowa, on demandait à des volontaires de pratiquer des jeux violents pendant 20 minutes, puis d’observer des scènes de violence réelles pendant dix minutes, tandis que l’on enregistrait la conductivité de leur peau (un signe d’émotivité) et leur rythme cardiaque. Les résultats ont montré que les personnes ayant joué à un jeu vidéo violent étaient moins sensibles à la violence que les autres : la conductivité de leur peau restait faible et leur rythme cardiaque lent.

 

Le psychologue américain B. Bartholow a d’ailleurs montré que le cerveau des joueurs réguliers est comme désensibilisé aux images de violence qu’on leur projette, et que ces personnes se montrent plus agressives dans un test d’agressivité proposé juste après. De tels effets sont indépendants du tempérament initial (plus ou moins agressif) de la personne. Les jeux vidéo ont ainsi des effets non négligeables sur le long terme.

 

Si nous sommes aujourd’hui obligés de nous poser la question de l’impact des jeux vidéo violents, ce n’est pas pour nourrir une polémique stérile. Nous y sommes obligés parce que les données scientifiques sont très convergentes, et que la plupart des adolescents et de nombreux adultes pratiquent ces jeux assidûment, parce que le temps qui leur est consacré en une journée augmente, et parce que les restrictions diverses (les limites d’âge imposées) sont inopérantes. Selon une enquête américaine, 68 pour cent des garçons et 29 pour cent des filles d’un échantillon d’enfants âgés de 12 à 14 ans ont joué à des jeux interdits aux moins de 17 ans. Enfin, puisque le réalisme d’un jeu est lié à son impact psychologique, les évolutions futures des jeux vidéo (le joueur sera de plus en plus immergé dans le jeu à cause de l’utilisation d’autres modalités sensorielles telles que le toucher) ne risquent pas d’apaiser une situation déjà peu rassurante…

 

Laurent Bègue pour cerveau et psycho.fr

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