Voici l'article polémique du Docteur Thierry Florentin, médecin psychiatre, qui met à jour preuve à l'appui, un immense réseau fondamentaliste et radical, adepte des sciences cognitives (FondaMental, ça ne vous dit rien ?). L'opinion publique, tout d'abord attirée par cette belle vitrine que ces sciences proposent, semble enfin discerner les sombres aspects déshumanisants qu'elles dissimulent avec minutie !
Le patient rentable de demain sera t-il traité comme une simple machine ?
Texte en deux parties: Partie 2
Et puis il y a le problème de la langue...
Une langue attaquée de toutes parts, par ce nouveau naturalisme qu'est le cognitivo-comportementalisme.
D'abord par la pauvreté du langage cognitivo-comportementaliste lui-même, qui appauvrit dans les réunions des services soignants, ou lors des discussions entre collègues, toute discussion clinique, ravalée au traitement du cas, et qui met en péril la transmission de la clinique.
Dans son dernier ouvrage, Des cerveaux et des hommes, Christian Hoffmann pose à ce sujet la question de l'enseignement et de la formation des jeunes psychiatres ou psychologues. Aussi son préfaceur Roland Gori écrit-il très justement : Dès lors que l'on pourrait lire la pensée dans les clichés de l'imagerie cérébrale ou dans l'expertise la plus débilitante qui soit des autotests de comportement, pourquoi s'embarrasser de la nébuleuse complexité du fait psychique ou de la question du pouvoir du langage dans la donation du monde ? (1).
Hoffmann, qui est professeur de psychopathologie clinique à Paris VII, parle de son expérience quotidienne d'enseignant. "Ouvrons par exemple, nous dit-il, Le manuel de psychiatrie de Henri Ey au chapitre V., "Psychoses délirantes aigües" et observons la structuration de sa leçon. Nous y trouvons un bref historique, un premier chapitre intitulé "Etude clinique", un deuxième : "Formes cliniques", un troisième "Diagnostic", puis avant le traitement nous découvrons un chapitre quatre : "Aperçu des problèmes psychopathologiques.". Magnan, de Clérambault, Jaspers, Ey et d'autres y animent le débat. Sommes nous encore aujourd'hui, avec le DSM et les neurosciences, en mesure de rédiger dans cet esprit, celui de Henri Ey, un tel chapitre, qui propose une summa des concepts et par conséquent des problèmes, à nos étudiants ?".
Si l'on interrogeait les jeunes diplômés, la réponse aujourd'hui serait certainement affligeante, car c'est aussi tout un pan historique, culturel, dynamique, de la prise en charge et du soin qui furent le fleuron et la fierté de la psychiatrie institutionnelle et de secteur qui disparait, il faut savoir cela, surtout lorsque nous lisons, sous la plume de Jean Cottraux, cette fois, dans son dernier ouvrage auquel j'ai déjà fait allusion, TCC et neurosciences (2), que "du fait de sa trop grande stigmatisation péjorative dans le public, le terme de schizophrénie pourrait sur la proposition de certains experts être avantageusement remplacé par "dysfonctionnement dopaminergique".
Remplacer le terme de schizophrénie par "dysfonctionnement dopaminergique, voici bien un exemple parmi d'autres de la manière dont on peut façonner la afin de produire des représentations sociales et culturelles au service exclusif d'une idéologie totalitaire, comme nous pouvons l'apprendre à la lecture des travaux de Victor Klemperer (3), ou de Jean-Pierre Faye (4).
Que signifient la promotion exclusive de tous ces termes, "protocoles experts", "psychoéducation", "renforcement positif", "remédiation cognitive", procédures d'habilitation, et autres..., quelle est cette langue de la carotte et du bâton, qui n'a d'autre but que de produire une langue du contrôle et de la bureaucratie, ?
Mais le danger le plus grand réside malgré tout dans cette volonté constante et acharnée du démaillotage du signifiant pour le ravaler au rang de signe. Il s'agit là encore d'étouffer tout ce qui pourrait faire irruption d'un sujet venant de l'Autre.
Voici un extrait d'entretien issu d'un ouvrage portant justement sur la conduite de l'entretien dans les thérapies cognitivo-comportementales (5):
"Le questionnement socratique", est-il écrit, "amène le patient à s'auto-évaluer et à argumenter ses affirmations".
P : Je ne pourrai jamais participer à un groupe sans bafouiller, sans hésiter.
T : Qu'est ce qui vous fait dire cela ?
P : Lors du dernier cours, j'ai posé une question, et je me suis trompé quatre fois, j'ai dit le mot après à la place du mot avant, et comme ça, j'ai parlé avec d'autres mots mal choisis.
T : Est-ce que vous faites des erreurs à chaque fois que vous participez à un groupe ?
P : Non, pas tout le temps.
T : Pouvez vous continuer à affirmer que vous ne pourrez jamais participer à un groupe sans faire des erreurs alors que ceci ne vous arrive pas tout le temps ?
Seule la haine de l'autonomie de la vie psychique peut entretenir une telle méconnaissance systématique, et donner au thérapeute ce pouvoir de rabattre de façon délibérée et de manière aussi opératoire le lapsus et son insistance, sur l'erreur. Délibérément débarrassé de tout savoir sur aucune énigme qui viendrait porter sur le désir du patient, il est prêt à décourager toute adresse, tout questionnement, sur l'émergence même de ce désir.
Pour les auteurs, il s'agit, je cite, de "mettre l'accent sur l'aspect fréquence (jamais et quelquefois) qui conditionne chez le patient des prédictions non argumentées sur l'avenir , de s'abstenir de faire des inférences sur l'étiologie, en se limitant à décrire les comportements gênants et d' identifier les stimuli qui les renforcent, en portant l'accent sur les causes actuelles responsables du maintien du problème.
"Nous faisons un transfert de technologie", m'affirmait sans malice aucune un thérapeute cognitivo-comportemental que j'interrogeais sur sa pratique, sans réaliser comment ses paroles pouvaient résonner, et être aussi vraies. Le transfert est bel et bien nié, ce qui risque d'entrainer un certain nombre de ravages, mais surtout ravalé à sa fonction de service technique, et même technologique.
Et voici un autre exemple, tout aussi violent, et pris dans une discussion avec une thérapeute cognitivo-comportementale, spécialiste de débriefing post-traumatique, et qui montre là aussi à quel point il s'agit d'éradiquer tout savoir sexuel du symptôme, et d'orienter l'identification de la jouissance à l'extérieur de soi, dans l'objet extérieur. Il s'agissait d'un patient devant se marier, et venu en consultation pour je cite, une phobie des poules. C'est amusant, car en dehors du jeune Arpäd, l'enfant-coq, relaté par Ferenczi (6), et commenté par Freud dans Totem et Tabou, la littérature psychanalytique recense peu de cas de phobie volaillère.
Ce patient devait se rendre en voyage de noces au Mexique, et redoutait, en prenant les bus surchargés, de se trouver assis auprès d'une paysanne qui trimballerait une poule.
La thérapie, dont mon interlocutrice était particulièrement fière du résultat, a consisté à l'exposer d'abord à des images de poules, puis à des photos, puis de le confronter à de vraies poules vivantes. Je n'ai pas osé lui demander si elle prit la sollicitude jusqu'à le mener au bordel, mais vous voyez ici jusque dans la caricature qu'il s'agit d'extraire toute référence au pli du refoulement de la sexualité, et de venir à bout de la charge pour tout un chacun que représente l'inconscient , en attaquant les signifiants de la langue; leur jeu, pour les réduire à la valeur de signe.
Où se trouve l'animal ? Et quel est ce monde dans lequel on voudrait nous convaincre que si nous n'y entrions pas, nous serions des attardés?
Si effacement il y a, c'est bien celui de toute origine, sexuée, on l'a dit, de toute référence à l'histoire, et aussi au nom.
Il s'agit d'effacer toute dette.
Jean Marie Sauret, dans son ouvrage, déjà cité, L'effet révolutionnaire du symptôme, fait très justement remarquer que lorsqu'on évoque la psychanalyse, ce sont spontanément des noms qui viennent, que les théories ont une origine, indispensable de la présence du psychanalyste, et de l'élaboration sous transfert.
Tandis que lorsque nous parlons du cognitivo-comportementalisme, c'est d'abord une liste de mesures, de statistiques et de thèses, portant sur un savoir universel, objectif, généralisable, élaboré au moyen de conférences de consensus destinées entre autres à gommer la marque singulière des chercheurs.
C'est que le cognitivo-comportementalisme ne s'adresse pas tant au singulier, qu'à des populations, des masses, peut-être est ce la raison pour laquelle les medias leur donnent autant de résonnance, et s'y engouffrent avec autant d'intérêt.
Que penser de tous ces experts, qui ne disent pas leur nom ?
Dans son ouvrage (7) devenu un classique de la sociologie des sciences, La vie de laboratoire, Bruno Latour montre comment la production des faits scientifiques doit répondre prioritairement à une stratégie carriériste, de reconnaissance, de crédits, et comment l'activité d'un laboratoire est tout entier subordonné à des critères qui ne sont pas ceux de la rationalité qu'exige la science, ni de la recherche, mais d'un marché, et de sa politique, indépendamment de toute autre motivation, ou croyance.
Il n'est pas certain que les savants, ceux des sciences cognitives, croient en leurs théories, nous dit le plus sérieusement du monde, Jean-Paul Dupuy (8).
Il faut savoir comment il est possible de faire mentir les statistiques comment on peut faire courir la collecte des données au devant des hypothèses souhaitées, et comment la multiplication des laboratoires de psychologie cognitive crée les conditions de la rivalité inter laboratoire, poussant à la falsification des résultats.
Puisque de toutes les manières, souligne Emile Jalley dans sa somme d'ouvrages sur la crise de la psychologie en France (9), ce n'est pas la qualité des travaux, mais leur quantité qui est évaluée, et ce sont des critères qui poussent à la falsification, tels que le nombre d'articles publiés par an, en revue spécialisée, en anglais, à comité de lecture, le nombre de doctorants, les fonctions à responsabilité administratives et budgétaire...
Voir la partie 1: http://www.psy-luxeuil.fr/article-la-machine-de-guerre-cognitive-107356368.html
Notes :
(1) Christian Hoffmann Des cerveaux et des hommes. Nouvelles recherches psychanalytiques, Érès, 2007, p.19
(2) Sous la dir. de Jean Cottraux, TCC et neurosciences, Masson 2009, p.21
(3) V.Klemperer, L.T.I. la langue du troisième Reich. Carnets d'un philologue, Albin Michel, 1996
(4) J.-P. Faye, Introduction aux langues totalitaires, Hermann, 2003.
(5) C. Mirabel-Sarron et L. Vera, L'entretien en thérapie comportementale et cognitive, Dunod, 1995, p.17
(6) "Ein kleiner Heinemann", trad. française L'enfant-coq, in S.Ferenczi, oeuvres complètes, tome 2. 1913-1919, Payot 1990
(7) B. Latour, S. Woolgar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, 1996, La Découverte, réed. La découverte/poche 2006.
(8) J.-P. Dupuy, Les savants croient ils en leurs théories ? une lecture philosophique de l'histoire des sciences cognitives, Inra Editions, Déc. 2000
(9) E. Jalley, Critique de la raison en psychologie. La psychologie scientifique est elle une science ?, L'harmattan, 2008.
(10) Ch.Melman, Conférence de Rio, in La nouvelle économie psychique, Eres, p. 40