Monique Bydlowski : "Le désir d'enfant échappe souvent à notre volonté"
"Non, le désir d’enfant n’est pas universel. Oui, l’inconscient peut bloquer la fertilité, et si certains hommes ont peur de franchir le pas, c’est à cause de leur père... Explications avec Monique Bydlowski, neuropsychiatre et psychanalyste, spécialiste de la maternité."
Pourquoi aspirons-nous à faire un enfant?
Monique Bydlowski : C’est un élan naturel. Toutes les espèces se reproduisent, et la procréation relève de l’ordre du vivant, auquel nous, espèce humaine, appartenons. Nous sommes aussi imprégnés de notre modèle parental. Nous nous positionnons par rapport à cette filiation : soit nous nous inscrivons contre, en décidant de ne pas enfanter ; soit nous décidons de la répéter. Enfin, vouloir un enfant peut répondre à la soif d’immortalité qui nous tenaille tous plus ou moins. Quand nous regardons des petits courir, nous sentons bien cela : nous allons mourir, alors qu’ils portent l’avenir en eux. Il s’en dégage un lumineux sentiment d’éternité. Mais il ne faut pas oublier non plus que le désir d’enfant échappe souvent à notre volonté.
Quelle en est la part inconsciente chez les femmes?
Monique Bydlowski : Si je devais résumer le désir d’enfant, j’utiliserais une charade : mon premier est la volonté d’être identique à ma mère du début de ma vie ; mon deuxième est mon vœu d’obtenir, comme elle, un enfant de mon père ; mon troisième est la rencontre de l’amour sexuel pour un homme du présent ; et mon tout est la conception et la naissance d’un enfant. Ce désir se construit lentement, dès les premiers instants de vie. Le lien chaleureux noué avec sa mère prédispose inconsciemment la petite fille à vouloir, elle-même, être mère un jour. Vers 4 ans, la fillette s’éloigne de sa mère – tout en gardant un lien très fort avec elle – et essaie de la remplacer par son père, dont elle souhaite un bébé. Elle découvre également qu’elle ne possède pas d’organe masculin. Pour compenser ce manque, elle dresse une forme d’équation symbolique : le bébé qu’elle rêve d’avoir de son père sera son « phallus », l’équivalent symbolique du pénis qu’elle n’aura jamais. Pensez à ces femmes radieuses qui portent triomphalement leur grossesse : c’est ce que certains psychanalystes appellent les grossesses phalliques.
Et si la petite fille n’a pas pu nouer un lien charnel avec sa mère?
Les hommes ont-ils ce besoin inscrit en eux?
Prenons le cas d’un homme qui n’a pas été maltraité. Pourquoi veut-il tuer le père?
Certains psychanalystes assurent que le désir d’enfant est universel chez les femmes, qu’il est inscrit en elles. Qu’en pensez-vous?
Quelle est votre conviction de clinicienne? Les verrous de l’inconscient peuvent-ils être forcés par la science?
Monique Bydlowski : Ce qui est prouvé, c’est que la fertilité est placée sous l’influence des zones cérébrales qui enregistrent et traitent les émotions humaines. C’est une fonction biologique très sensible au stress, à l’anxiété et aux verrous inconscients de l’être humain. Si ces derniers sont trop résistants, les procréations médicalement assistées (PMA) ont peu de chances de fonctionner, particulièrement quand l’identification primitive à la mère a été perturbée, comme nous venons de le voir. En revanche, le verrou peut sauter quand un autre processus inconscient se met en œuvre. À son insu, par exemple, le gynécologue qui pratique la PMA peut faire l’objet d’un transfert. La grossesse va se déclencher parce qu’une rencontre aura eu lieu, parce que le praticien va incarner le parent d’autrefois, la mère originelle de la patiente. Une mère idéale. C’est le même principe qu’une psychanalyse, sauf que cela se passe en quelques minutes. Beaucoup de guérisons d’infertilités que l’on pensait irréversibles sont intervenues comme cela. J’en ai connu quelques-unes. Un flux affectif est passé entre la patiente et moi. Et l’inconscient a « laissé passer » le bébé.
Dans le cas inverse de mères qui ont eu des enfants alors qu’elles n’en voulaient pas, peut-on dire que l’inconscient a été « forcé » par le biologique?
Monique Bydlowski : La courbe de fécondité féminine est optimale entre 18 et 30 ans. Un seul rapport sexuel peut suffire, surtout quand on est jeune, pour que le biologique prenne effectivement le pas sur le psychologique. L’inconscient s’efface : il « laisse passer » les bébés, même non désirés. Mais à partir de 30 ans, la fertilité baisse, parce que malgré l’allongement de l’espérance de vie, le stock d’ovules féminin reste limité. Il finit par s’épuiser. Quand survient cet affaiblissement, les désirs inconscients, les souvenirs enfouis, les émotions commencent à mener la danse. Et si la perspective d’enfanter ravive des moments douloureux, génère de l’angoisse et des problématiques psychiques, le désir a beau être là, la fertilité a toutes les chances d’être bloquée. L’inconscient l’emporte sur le physiologique...