2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 13:53

Le pharmakos (en grec ancien : φαρμακός, celui qu'on immole en expiation des fautes d'un autre) désigne la victime expiatoire dans un rite de purification largement utilisé dans les sociétés primitives et dans la Grèce antique. Le mot a fini par prendre en grec, à l'époque classique, la signification de malfaiteur. Afin de combattre une calamité ou de chasser une force mauvaise potentiellement menaçante, une personne, parfois revêtue de vêtements sacrés, ou un animal était choisi et traîné hors de la cité, où il était parfois mis à mort. Cette victime sacrificielle, innocente en elle-même, était censée, comme le bouc émissaire hébreu, se charger de tous les maux de la cité. Son expulsion devait permettre de purger la cité du mal qui la touchait, d'où l'ambiguïté du terme grec qui, au neutre (φάρμακον, pharmakon), pouvait signifier aussi bien « remède », « drogue », « philtre », que « poison » ou « venin ».

  

 

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14 octobre 2013 1 14 /10 /octobre /2013 15:45

Elles ont la trentaine et ont été élevées sous l’œil attendri de pères présents et aimants, imprégnés des conseils – pas toujours bien compris – de Françoise Dolto. Qu’est-ce que cela a changé dans leur image d’elles-mêmes et dans leur rapport avec les hommes ?

 

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Les parents des années 1970, imprégnés des idées de Dolto, ont tout changé. Fini l’autorité et les punitions. Il faut aider les enfants à s’épanouir en tant que personnes, leur permettre de devenir des êtres libres. Pour les filles et leurs pères, le saut est d’importance. Du côté des hommes, il s’agit d’un renoncement aux vieux schémas masculins de pouvoir et de toute-puissance sur leur progéniture et sur leur compagne. Quant aux filles, elles vont connaître pour la première fois une relation de soutien et d’investissement de la part du père que, jusqu’alors, seuls les garçons connaissaient.

 

Pascal, 65 ans, père de Rose, 36 ans, et d’Adèle, 28 ans, se souvient : « Ma femme et moi étions d’accord sur l’importance du partage de la prise en charge de nos filles. Nous avions lu Françoise Dolto, mais aussi Elena Belotti (auteure de Du côté des petites filles, Éditions des Femmes-Antoinette Fouque, 2009) et Bruno Bettelheim (auteur de Pour être des parents acceptables, Pocket, “Évolution”, 2007). Je voulais que mes filles soient épanouies et indépendantes, pas comme nos mères à nous. » Pascal devient donc l’un de ceux que l’on appelait alors les « nouveaux pères », ceux qui changeaient les couches et donnaient le biberon. Ils intègrent l’idée que leurs filles doivent réussir comme les garçons, être libres comme eux. En deux décennies, ils deviennent des pères nouveaux, de ceux qui ont donné confi ance à la nouvelle génération.

 

Des femmes qui n’ont peur de rien

 

Elles en témoignent toutes : ce père soutenant leur a permis d’avancer sans douter de leurs capacités ni de leur légitimité à le faire. « Jamais je n’ai senti le moindre doute de la part du mien à mon sujet, raconte Fanny, 32 ans, chef de publicité dans une entreprise multimédia. Je crois même qu’il m’a donné plus de force que ma mère. » Pas surprenant pour Alain Braconnier, psychiatre et psychanalyste et auteur de nombreux ouvrages sur les relations parents-enfants : « Le regard du père sur sa fille est d’une importance fondamentale. C’est lui qui lui permet de devenir une femme. Il autorise ou interdit. En se laissant aller à leur montrer leur affection, en les encourageant, ceux des années Dolto leur ont permis d’avoir une identification au père, c’est-à-dire à la vie professionnelle, à la vie sociale, puisque c’est traditionnellement dans cette sphère que s’exprimait la masculinité. » « Élevées dans ce contexte, les filles sont très différentes de leurs grands-mères », confirme Myriam Szejer, psychiatre et psychanalyste, disciple de Françoise Dolto, qui note au passage : « Elles n’ont peur de rien. »

 

Frédéric, 70 ans, lui aussi lecteur de Dolto et du pédiatre américain Benjamin Spock, auteur du best-seller Comment soigner et éduquer son enfant (Belfond, 1989), en témoigne : « Mes filles sont plus épanouies que les femmes des générations précédentes. J’ai toujours cru en elles. Je pense que cela les a vraiment aidées à s’épanouir, même si elles me demandaient mon avis. »

 

Ces jeunes femmes-là n’ont pas besoin de demander d’autorisation, puisqu’elles l’ont reçue toute petite. « Cela leur a apporté un formidable moteur, y compris dans leur sexualité », analyse Alain Braconnier. « Depuis la fin des années 1980, on a vu les inhibitions se lever, l’expression de la féminité et du désir se libérer. Ces filles ne sont pas sous l’emprise de leur père. » Laura, 40 ans, professeure, se remémore son adolescence : « J’ai eu des tonnes de petits copains, je les amenais à la maison et cela ne perturbait pas mes parents. Mon père rigolait. Il n’en parlait pas, mais je sentais bien qu’il était assez fier de moi. »

 

Des femmes plus oedipiennes

 

Bien sûr, il y a une face plus sombre à ce tableau : lorsque l’on a un papa qui vous idéalise et vous soutient, il y a un prix à payer. Avec un père qui devient « maternel », la place de la mère est remise en question et les relations mère-fille en deviennent plus compliquées. Les histoires amoureuses des filles aussi. Si le père devient l’homme idéal, alors les autres garçons vont avoir bien du mal à retenir l’amour et l’attention des belles.

 

Fanny avoue avoir mis du temps à quitter « papa » – « Je suis partie de la maison à 28 ans » – et à accorder à son homme l’attention et l’amour mérités : « C’est un peu caricatural, mais à chaque fois que je rencontrais un garçon, je le comparais à mon père. Pendant longtemps, aucun ne le valait. » C’est une difficulté que beaucoup reconnaissent. Et que Myriam Szejer veut signaler, car sous les pères nouveaux traîne toujours en embuscade ce bon vieil Œdipe… « Ces hommes-là ont vu les garde-fous s’effondrer, observe-t-elle. Ils ont connu le bonheur charnel de s’occuper de leurs enfants, ils ont instauré une proximité avec les filles jusque-là réservée aux mères. Certains, et j’en vois dans mon cabinet, allant jusqu’à se mêler du look de la leur, à recueillir ses confidences. Dolto a été mal comprise de ce point de vue-là. Sa réflexion sur l’enfant individu n’était pas une permission d’envoyer balader l’interdit de l’inceste, au contraire, elle a toujours rappelé ce principe fondamental et insisté sur le respect de la pudeur. »

 

Un rappel d’ autant plus difficile que ces hommes se sentent de bons pères ! Comme Bertrand, 50 ans, très attentif aux besoins d’Elsa, qu’il élève seul une semaine sur deux. Mais qui n’a pas hésité à lui offrir, pour ses 13 ans, une paire de stilettos de dix centimètres. « Elle en avait tellement envie ! » se justifie-t-il, confondant ainsi son désir et celui de sa fille.

 

« En thérapie, j’ai des jeunes femmes en dépression massive, reprend Myriam Szejer. Portées aux nues par ces pères nouveaux, elles se sont heurtées violemment à la société qui, elle, n’a pas encore vraiment changé. Quand les enfants arrivent, la dure réalité de la carrière qui se gèle et du conjoint, qui parfois se défile, les rattrape. C’est très dur. Elles ont l’impression d’avoir été trompées ! »

Les filles seraient-elles condamnées à demeurer soit des femmes élevées pour procréer, soit des carriéristes dépressives ? Non, bien sûr. Elles méritent d’être traitées à égalité avec leurs frères, pas surinvesties tel un objet narcissisant par leur père. À chacun d’inventer un équilibre, qui permette de retrouver une vraie place, en contact avec la réalité.

 

”Il m’a donné une formidable confiance en moi”

 

Juliette, 35 ans, responsable de communication 

 « Mon père est le type le plus génial du monde ! Mes parents sont des militants associatifs, pétris de valeurs de partage, de solidarité. Alors, pour lui, la psychanalyse, les idées de Dolto, c’était évident. Papa nous a appris à vivre avec nos différences et nos caractéristiques, à respecter celles des autres. Pour moi, c’est une arme tellement formidable pour avancer dans la vie ! J’ai toujours eu le sentiment d’être quelqu’un, jamais je n’ai eu d’angoisses ni d’idées noires. Il a eu confiance, m’a encouragée, me disant que je pouvais tout entreprendre. Il était prêt à discuter, à écouter. Il n’y a pas une seule chose importante que je ne lui ai dite. Même si ça peut choquer certains, il m’a laissée essayer le tabac, les joints, l’alcool. Du coup, j’ai trouvé ça nul assez rapidement. J’ai une formidable confiance en moi et dans les autres. Et me sentant aimable, ça m’est facile d’aimer et d’être aimée. Je pars en vacances seule avec lui de temps en temps en Égypte, son pays d’origine. La seule chose un peu compliquée a été d’arrêter la comparaison entre lui et mes copains. Même s’il m’a poussée dehors, encouragée à aimer ailleurs. Mais mon père est à l’origine de ma construction. Il m’a permis d’être heureuse. »

 

”Il est difficile de rencontrer quelqu’un d’aussi fort que lui”

 

Emma, 38 ans, chanteuse et responsable business développement

« Mon père avait 25 ans en 1968, et déjà un enfant, mon frère aîné. Comme tous les parents de cette génération, il a baigné dans les idées de Françoise Dolto : un enfant doit être entendu et respecté. Mais pour lui, comme pour ma mère, l’évidence des études et de la réussite provenait tout autant de leur culture – nous sommes d’origine juive et arménienne – que de la révolution des idées de ces années-là. Depuis qu’il est à la retraite, nous parlons beaucoup. Je n’ai jamais douté de sa confiance en moi, de sa fierté. Il y a quatre ans, j’ai commencé à enregistrer mon premier album. Il était rassuré, il n’y avait plus de problèmes, d’autant moins que je gagnais ma vie, c’était essentiel pour lui. Il me met en avant, parle de moi ; à chacun de mes succès, il est fier, content, enthousiaste. Dans ma vie affective, c’est plus compliqué. Peut-être justement parce que son avis compte beaucoup et a toujours compté, peut-être aussi parce qu’il est difficile de rencontrer quelqu’un doté de la même force – mon père est arrivé seul d’Algérie à 18 ans. “Être libre et ne rien devoir à personne”, voilà ce qui pourrait être son mot d’ordre. Libre, je le suis, probablement grâce à la force que mes deux parents m’ont donnée, mais peut-être un peu trop, justement… Dans ma vie affective, je ne suis pas sûre que ce soit toujours un avantage. Peut-être parce qu’il faut accepter d’être un peu dépendant pour nouer une relation, et ça, ça n’est pas mon fort… »

 

 

Un article de Christilla Pellé Douel pour www.psychologies.com

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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 11:37

C’est dans La technique et le temps (3 tomes, ed. Galilée) que Bernard Stiegler élabore le concept de rétention, notamment celui de rétention tertiaire. Il y a en effet trois types de rétention ; les rétentions primaires, secondaires et tertiaires. Explication :

 

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Ces rétentions sont mieux comprises si l’on prend pour exemple un objet temporel, et Bernard Stiegler reprend l’exemple de Husserl, à savoir la celui de la mélodie. Quand on écoute une mélodie, la rétention primaire est celle qui retient la note entendu pour la lier à celle qui précède. Si il n’y avait pas cette rétention primaire, nous n’entendrions pas de mélodie, mais simplement une succession de note sans rapport entres elles.

 

Maintenant, considérez la situation suivante : vous entendez une musique que vous avez écouté plusieurs fois. C’est toujours le même disque, mais vous appréciez cette musique toujours un peu plus, et en même temps différemment, à chaque écoute. Cette différence dans l’écoute est précisément la rétention secondaire. C’est également elle qui vous fait apprécier une chanson médiocre parce qu’elle vous rappelle d’agréables souvenirs de vacances. Ces rétentions secondaires sont celles qui interprètent et modifient les rétentions primaires, c’est la raison pour laquelle nous n’entendons jamais exactement les mêmes choses (cf la note Entre vous et moi).

 

La rétention tertiaire, dans l’exemple que je viens de prendre, c’est le disque lui-même. Le disque en ce sens qu’il est un support de mémoire, et le fruit d’une technique (aujourd’hui on parle plus facilement de technologie). Tout objet produit par l’homme est une rétention tertiaire. Les rétentions tertiaires sont le milieu dans lequel interagissent les rétentions primaires et secondaires. Ces rétentions tertiaires, Bernard Stiegler les appelle aussi epiphylogénétiques, car elles constituent un système de supports de mémoire externe à notre propre corps, et grâce auquel nous nous transmettons une mémoire de générations en générations.

 

***

 

Sur internet et notamment avec les blogs, voyons comment cette économie entre les différentes rétentions fonctionne :

 
 J’écris une nouvelle note. Pour celui qui la lit, elle va modifier ses rétentions secondaires, il ne verra plus certaines certaines choses de la même manière, et il sera plus facile pour lui de trouver du sens lorsqu’il lira d’autres de mes notes. S’il s’abonne à mon fil RSS, il me connaîtra beaucoup mieux et appréciera mes notes autrement qu’un nouvel arrivant qui découvre mon blog pour la première fois. Ce blog est une rétention tertiaire, il est un support de mémoire. Voilà pourquoi dans son sous-titre il est écrit : « Hypomnemata : supports de mémoire ».

 

De Google à Flickr, tous les grands acteurs du web veulent être LA rétention tertiaire de nos rétentions secondaires. Car les rétentions tertiaires constituent le milieu dans lequel nos rétentions secondaires opèrent une sélection de nos rétentions primaires. L’index de Google nous indique, tel un index, ce qu’il faut retenir en priorité, et où notre attention doit se porter.

 
 Il est donc évident que l’enjeu de la gigantomachie actuelle est le contrôle de nos rétentions secondaires, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Patrick Le-Lay affirmait que son métier c’est de vendre du temps de cerveau disponible, c’est à dire de l’attention, à Coca Cola.

 

Il y aura autant de compréhensions de cette note que de lecteurs. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose d’arriver à communiquer de manière univoque ?

 

Par www.christian-faure.net

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27 août 2013 2 27 /08 /août /2013 07:29

Professeur émérite en psychopathologie et co-­initiateur de l’Appel des appels, mouvement dont l’ambition est de 
« remettre l’humain au cœur de la société », Roland Gori dénonce, dans son dernier esssai, les dispositifs d’évaluation quantitative, qui ­colonisent toutes les dimensions de nos existences, produisent du conformisme et, finalement, de l’imposture. Retour sur un entretien révélateur de sens:

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Dans votre ouvrage, la Fabrique des imposteurs, vous attaquez le capitalisme par le biais de la chosification qu’il produit au niveau des rapports humains. Cette critique était déjà celle de Marx, dénonçant le « fétichisme de la marchandise » qui donne aux rapports sociaux de production l’apparence de rapports entre choses. Quelle est la spécificité de votre apport ?

 

Roland Gori. Le capitalisme, c’est l’économie tout entière tournée vers la quête effrénée 
de plus-values, de profits calculés. Avec cette réalité, il y a effectivement chosification de l’humain, celui-ci est réduit à un instrument permettant d’accroître les taux de profit. 
C’est le point commun à tous les capitalismes qui se sont succédé dans l’histoire. C’est 
le point commun entre le capitalisme 
industriel analysé par Marx, et le capitalisme financier actuel, contexte de ma réflexion. 
Ce capitalisme financier a une forte spécificité qui accroît l’aliénation sociale et subjective en jouant toujours davantage sur la fluidité du temps et de l’espace, la vitesse et la globalisation. Désormais, ce qui s’échange, 
ce sont essentiellement des produits financiers déconnectés de l’économie réelle et favorisant les bulles spéculatives. Cette mutation dans la production s’accompagne d’une dématérialisation des rapports sociaux qui accroît l’aliénation. Marx parlait du prolétaire comme cette aliénation d’un humain auquel 
la machine avait confisqué son savoir et 
son savoir-faire, au contraire de l’artisan. Cette prolétarisation s’est étendue aux classes moyennes et à l’ensemble des professionnels des secteurs dédiés au bien commun et à l’espace public. Les machines se sont dématérialisées, elles prescrivent toujours plus de normes de comportement dans tous les domaines de la vie. Le calibrage des comportements opère de manière plus insidieuse, requérant toujours davantage notre servitude volontaire. Dans le domaine de la recherche, plutôt que de nous dire que tout savoir doit devenir marchandise et qu’en conséquence seules les recherches appliquées sont souhaitables, on va jouer sur la grammaire des discours du savoir. Plutôt que d’interdire les recherches qui ne conviennent pas au pouvoir politique, on va les empêcher. Ce genre de procédé se diffuse dans tous les secteurs de la société et fabrique de l’imposture. De nos jours, l’imposteur n’est pas forcément celui qui falsifie des identités, ou s’invente un héritage bidon, une origine aristocratique pour escroquer les autres. C’est plutôt le genre Bernard Madoff, mais en plus ordinaire, avec une série de traficotages au quotidien pour 
faire face aux exigences des normes imposées. De petites tricheries ont lieu partout. Dans 
un colloque récent, auquel je participais, 
le paléontologue Henri de Lumley racontait qu’un chercheur qui avait découvert dans le Rif marocain une dizaine de dents datées d’environ 5 000 ans se trouvait incité par le mode actuel de l’évaluation des scientifiques à produire 
non un seul article sur sa découverte, 
mais une dizaine, un pour chaque dent…

 

Si l’imposture est répandue dans toute la société, est-ce à dire que nous serions autant imposteurs en bas qu’en haut de l’échelle sociale ? Ou bien votre réflexion anthropologique sur l’imposture s’articule-t-elle à une analyse de classe ?

 

Roland Gori. Ce que je souligne, c’est que 
le capitalisme exige une rationalisation de la production qui aboutit à une fragmentation des actes professionnels. Marx montrait déjà que, pour le capitalisme, le « travailleur idéal » était un travailleur sans subjectivité et sans citoyenneté. Marx comme Weber montrent que, pour parvenir à cet asservissement 
de l’homme aux exigences des machines, le processus de rationalisation doit s’étendre au-delà du temps de travail et s’emparer du temps de l’existence tout entière. Le temps du loisir, par exemple, se verra de plus en plus confisqué par la logique de la marchandise et du spectacle. Cette évolution porte une exigence d’adaptation sociale et subjective toujours plus intense, et qui, en tant que telle, n’est pas le lot de telle ou telle classe mais traverse au contraire toute la société. Alors il arrive que, face à un système qui colonise toutes les dimensions de l’existence en le privant de ses possibilités de création, l’individu cherche à se protéger par la ruse et le semblant. L’imposteur n’est pas seulement l’escroc conscient et responsable de ses actes, jouissant de duper, de feindre et de mentir. L’imposture dont je parle concerne aussi les individus ou même les États qui ont été dépossédés, expropriés de leur souveraineté, et qui dès lors se parent de mensonges, de tricheries, de masques pour contrer un système normatif qui exige trop d’eux. Par analogie, disons qu’il arrive qu’un enfant mente moins parce qu’il est malade ou immoral que parce qu’il ressent son environnement comme trop intrusif. Le mensonge devient le moyen, le fétiche par lequel l’enfant se reconstitue un monde intérieur, une intimité mise à l’abri 
de l’environnement perçu comme traumatique. Cela donne une multitude de personnalités particulières, type as if (comme si), des 
faux soi ne répondant qu’en apparence 
aux exigences de l’environnement qui les fait vivre au-dessus de leurs moyens. C’est une fausse adaptation fabriquée par la violence des normes imposées. Cela ne disculpe pas l’imposteur, cela montre simplement que l’environnement dont il émerge a sa part. 
Et cette part est grande, eu égard à la comédie sociale des mœurs qui est la nôtre. J’en donne plusieurs exemples. Ce sont les mécanismes de telles situations que j’essaie de percer à jour.

 

Vous disiez qu’aujourd’hui la prolétarisation n’est plus limitée au travail et qu’elle se combat au niveau de l’existence dans sa globalité. Mais vous écrivez aussi que « l’émancipation politique des travailleurs suppose leur émancipation préalable dans les activités de travail ». N’est-ce pas, alors, qu’il ne peut y avoir de réelle émancipation sans une action collective pour libérer le travail du joug de la logique capitaliste ?

 

Roland Gori. Oui, mais l’émancipation ne saurait être seulement une émancipation 
des conditions matérielles du travail. Gramsci soulignait déjà que l’action des syndicats 
est nécessairement limitée dans la mesure 
où ils ne réunissent les travailleurs que sur 
la seule base de la force de travail, souci 
qu’ils partagent avec le patronat. Aujourd’hui encore, les syndicats se battent davantage sur les conditions de l’emploi que sur la défense des métiers. L’emploi, c’est évidemment crucial du point de vue de la « citoyenneté sociale », comme l’a bien montré Robert Castel. 
On assiste aujourd’hui à l’évidence à 
une érosion des droits sociaux, et il faut 
y résister. Mais la prolétarisation n’est pas réductible à cette érosion. Elle consiste 
aussi en une confiscation de la pensée même de l’acte professionnel. Prenons l’exemple des médecins. Au travers de dispositifs comme la tarification à l’activité (T2A) ou le contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi), des critères hétérogènes à la logique médicale leur sont imposés. 
Les dispositifs d’évaluation requièrent 
une soumission sociale librement consentie les invitant à incorporer toujours davantage des préoccupations de gestion au détriment de l’acte de soin en lui-même. Tout est fait pour que la dimension du soin s’estompe 
au profit de la valeur marchande de l’acte et soit subordonnée aux autorités administratives. Du coup, par exemple, 
ce sont les spécialités les plus techniques 
qui sont valorisées au détriment des autres.Par petits bouts, c’est l’acte même du 
soin qui se trouve modifié. C’est pour cela qu’il y a urgence à déployer 
une « politique des métiers », comme 
s’y emploie l’Appel des appels (1).

 

Dans vos travaux, vous montrez que l’imposture 
est inhérente à la « folie de l’évaluation », 
qui prétend tout mesurer, tout « quantifier », 
et produit du conformisme et du faux-semblant. 
Mais l’évaluation ne peut-elle pas être 
un recours pour démasquer l’imposteur ? 
Évaluer les compétences des uns et des autres, n’est-ce pas se doter d’un outil pour débusquer 
les beaux parleurs, qui masquent l’absence 
de fond par un jeu subtil sur les formes ?

 

Roland Gori. Je ne critique pas toute forme d’évaluation. J’ai d’ailleurs moi-même passé ma vie à évaluer : des thèses, des mémoires de master, des copies de première année, etc. L’évaluation fait partie de nos vies quotidiennes. On évalue en permanence, 
quand on va au restaurant, au cinéma, etc. 
Ce que je dénonce, ce sont les nouvelles formes sociales de l’évaluation, qui se prétendent objectives alors qu’elles sont simplement formelles et procédurales. Prenez le facteur d’impact (ou, en anglais, l’impact factor). Cette expression renvoie au taux de citation d’une revue et c’est devenu un critère essentiel d’évaluation de la recherche scientifique. Cela signifie que plus une revue a des auteurs cités, plus elle a un indice de popularité élevé. À partir de là, plus on publie dans ce type de revue, plus on est évalué comme un bon auteur. On confond valeur et opinion. C’est une politique de la marque, de l’Audimat 
et du spectacle qui fait de l’article une marchandise comme une autre. Ce type d’évaluation quantitative et spectaculaire prend modèle sur la notation en cours sur les marchés financiers. Les évaluations des chercheurs, celle des enfants de maternelle, celle des équipes hospitalières, du travail social, de l’enseignement, etc. sont établies sur la même base que la notation des agences du même nom. Il s’agit d’émettre une opinion à partir d’un certain nombre d’indicateurs construits à partir des comportements passés. Cette manière d’entrer dans l’avenir à reculons, d’anticiper le futur à partir des logiciels du passé, se généralise à l’ensemble des évaluations sociales. En psychiatrie, cela s’appelle la « méthode actuarielle », qui consiste à évaluer les risques de récidives de comportements déviants de la même manière que les agences de notation définissent les risques encourus lors des placements financiers. C’est la même méthode à tous les étages du social, au risque 
là encore de produire ce que l’on annonce et 
de réaliser une prophétie autoréalisatrice.

 

Le problème n’est donc pas l’évaluation en soi, mais la place et la forme qu’elle prend dans 
ce que vous appelez la « démocratie d’expertise et d’opinion »…

 

Roland Gori. On peut dire les choses de façon plus tranchée : le problème, ce n’est pas 
les chiffres, mais le fait qu’on nous assène des chiffres pour désamorcer par avance la possibilité même du débat. La démocratie d’expertise et d’opinion dont je parle renvoie à cette confiscation systématique de nos possibilités de penser, de débattre. On veut nous faire taire en nous subordonnant aux donneurs de chiffres. De plus en plus, nous nous mettons à croire aux chiffres comme hier en l’animisme, en la bonne parole de l’Évangile ou aux prophéties millénaristes. Nous devons 
à tout prix nous libérer de cette tendance !

 

Vous en appelez au désir et aux fictions… Mais ces catégories ont-elles un potentiel subversif, dans notre société de spectacle et de consommation ?

 

Roland Gori. Le désir n’est pas l’envie ou le caprice. Le désir naît d’un manque qui ne se laisse saturer par aucun objet, personne ou symbole. Il pousse à créer sans cesse, à inventer la vie sans la réduire à la répétition du passé ou aux conformismes des modes d’emploi. Il nous pousse à fictionner, si j’ose dire. Un individu ou une société qui méprise la fiction se condamne au mensonge. C’est la raison pour laquelle il n’y aura pas d’émancipation politique sans émancipation culturelle. Le jeu, la poésie, l’amour sont inutiles en apparence mais essentiels. Notre civilisation technicienne, en confondant le jeu avec le divertissement et le futile, en méprisant les fictions de la culture et de l’imagination, participe à la chosification de l’humain et de la nature. C’est une authentique catastrophe écologique qui finit par détruire l’environnement symbolique autant que celui de la nature.

 

(1) www.appeldesappels.org

 

les normes en question « Respecter les normes, c’est le b.a.-ba de tout imposteur », nous explique Roland Gori dans son essai (1).
Ce qui signifie que l’imposteur dont s’occupe le
professeur émérite en psychopathologie est potentiellement en chacun de nous. Il dérive d’une société qui ne jure que par la norme et évalue frénétiquement les individus pour produire du conformisme, du faux-semblant. Attention, « il ne s’agit pas de supprimer des normes, mission aussi stupide qu’impossible, mais de permettre un jeu suffisant dans leur usage pour qu’elles n’empêchent pas l’invention », précise Roland Gori. De même, la guerre n’est pas déclarée à l’évaluation en général, mais à « l’évaluation quantitative, formelle et normative » dont l’enjeu est de propager la « religion du marché » dans tous les domaines de l’existence, à commencer par tout ce qui relève directement du bien commun (l’éducation, la santé, la recherche, etc.). En démontant les rouages psychiques et sociaux de l’imposture, ce livre nous aide à sortir de 
ce que l’auteur appelle un « état de stupeur culturelle ».

 

(1) La Fabrique des imposteurs, Éditions Les Liens qui Libèrent, 
224 pages, 21,50 euros, 2013.

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21 juillet 2013 7 21 /07 /juillet /2013 11:27

"Les conférences psy" vous proposent un ensemble de cours audio gratuits réalisés par le professeur Jacques André, Psychanalyste, directeur du Centre d’études en psychopathologie et psychanalyse (Paris 7) et éditeur au Presse Universitaire de France.

 

 

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-Cliquez sur ce logo pour accéder aux cours-  

 

<< Transmettre la psychanalyse aujourd'hui devient une priorité majeure, compte tenu de la dangereuse "normalisation des pensées" et de la disparition progressive des chaires universitaires de philosophie et de psychanalyse partout dans le monde. La pensée unique, au service de l'économie, formatera probablement la jeunesse de demain >>.

 

 

La psychanalyse

 

Le mot « psychanalyse » ou « psycho-analyse » est apparu pour la première fois sous la plume de son fondateur, Sigmund Freud, en 1895. Il désigne une nouvelle approche des phénomènes mentaux qui recouvre à la fois :

 

une méthode d’analyse des productions psychologiques (comme les rêves, les troubles mentaux). Elle consiste à dégager un sens caché (des désirs inconscients, conflits latents souvent relatifs à l’enfance) derrière un contenu manifeste.

 

Une technique thérapeutique fondée sur par la parole (talking cure), et la prise de conscience par le patient des conflits intérieurs aux sources de ses troubles.

 

• Une théorie de la personnalité qui intègre plusieurs « instances » : l’inconscient (rebaptisé le ça), le moi et le surmoi, qui sont en relation dynamique.

 

Les idées fortes

 

Le noyau de la théorie freudienne s’articule autour de quelques idées forces :

- Les pulsions d’origine sexuelle (Éros et Thanatos ou, dit autrement : libido et pulsion de mort) sont le ressort principal de la vie psychique. Ces pulsions ne connaissent qu’une loi :

le principe de plaisir.

- La quête de plaisir se heurte aux interdits (représentés par le surmoi) qui refoulent les pulsions.

- Des conflits psychiques intérieurs naissent de l’opposition entre pulsions inconscientes et refoulement.

- Les désirs interdits peuvent se résoudre sous forme sublimatoire, c’est-à-dire détournée : dans l’art, la religion, les actes manqués, l’humour ou toute activité dérivée

- Lorsque ces conflits sont trop forts, alors surgissent des névroses.

 

La cure est destinée à débloquer ces conflits psychiques

 

Autour de ce noyau dur de la psychanalyse, Freud a forgé un immense édifice théorique concernant les pulsions, les instances de la personnalité (inconscient, ça, moi, surmoi, idéal du moi, etc.), la formation de la personnalité (complexe d’Œdipe, stade sexuel), les domaines d’application (rêves, mots d’esprit, art, religion) et bien sûr l’analyse des troubles mentaux (névroses et psychoses).

 

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15 juillet 2013 1 15 /07 /juillet /2013 09:35

"Nous vivons dans un monde où la verbalisation est la règle et le silence l’exception". Nous vivons au milieu d’un torrent de mots ; si bien que la valeur du silence nous échappe le plus souvent ; et pourtant, il est difficile de séparer le silence et la parole, le silence et l'intention de signification. Sans un espace entre les mots, les mots eux-mêmes seraient-ils ompréhensibles ?

 

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    Nous ne savons plus au fond ce que représente la Parole, ni ce que signifie le silence. Pourtant, nous sentons aussi que nous avons besoin du silence. La Parole et le silence sont étroitement liés. N’est-ce pas parce qu’à sa manière le silence signifie à travers les mots autant que les mots signifient eux-mêmes ?

 

    Ou bien, faut-il admettre que le silence est seulement une impuissance ou une impasse dont le langage nous libère. Le silence ne dit-il rien ? Peut-on aller jusqu’à soutenir que le silence est un langage non-verbal sous-jacent au langage verbal ?

 

A. Le mur du silence


    Il existe plusieurs formes de silence. Tous n’évoquent pas nécessairement  l’expérience de la souffrance, mais le plus difficile, c'est assurément celui de l'incapacité de pouvoir communiquer.  Nous sommes si familiers avec le bruissement constant des paroles, qu’il nous est difficile d’imaginer « comment c’était avant », ou encore ce que nous deviendrions s’il n’y avait pas de mots, pas de sons, pas de capacité d’audition. En l’absence de l’ouïe, comment donc pourrions-nous manipuler des signes, comment pourrions-nous former une pensée ? Qu'est-ce que le silence de celui qui n'entend pas? 


    1) C’est le problème que nous posent les sourds-muets, eux qui vivent perpétuellement dans une forme du silence, celui de l’absence de verbalisation auditive des mots. Pourtant ils parviennent à communiquer et à structurer une pensée dans un langage qui leur est propre. Mais quel est donc le silence que connaît au début le sourd-muet, avant même qu’il n’apprenne à signer  dans le langage international des sourds-muets? 

 

    Celui de l’impossibilité de communiquer, ce qui n’est pas l’absence de bruit en général. Il se sent, au début comme privé du pouvoir de communiquer, parce que privé de parole et que l'accès à la parole est, dans notre monde humain, le mode le plus partagé de la communication. Arrêtons-nous sur le témoignage d’Emmanuelle Laborit dans Le Cri de la Mouette.


Au début, elle se compare elle-même à une poupée que l’on range le soir dans son lit. « La nuit, je dors bien rangée au calme comme une poupée. Ça ne parle pas une poupée. J’ai vécu dans le silence parce que je ne communiquais pas… Pour moi, tout le monde était noir silence, sauf mes parents, surtout ma mère". Le silence a un sens qui n’est qu’à moi, celui de l’absence de communication. Autrement, je n’ai jamais vécu dans le silence complet, j’ai mes bruits personnels, inexplicables pour un entendant. J’ai mon imagination et elle a ses bruits en images. J’imagine des sons en couleur». 

 

    Il y a bien de la différence entre le  silence et l’absence de bruit. Ce n'est pas la même chose qu'exiger le silence et ne rien entendre et c’est encore différent de ne pas vouloir entendre. Ce n'est pas du tout la même souffrance. Ici le silence n’est pas absence de bruit mais absence de communication. Le sourd-muet a ses bruits mentaux, incompréhensibles en fait pour un entendant qui aurait bien du mal à imaginer un mental sans le cliquetis permanent des mots. Pour Emmanuelle Laborit  ce silence a duré de la naissance  jusqu'à sept ans, à l’âge enfin où elle apprendra un langage, le langage des sourds-muets. Apprendre un langage, comme elle le remarque elle-même, ce n’est pas apprendre un code, ni un jargon, ce qui supposerait déjà un langage préalable. C’est entrer dans le monde de la communication par des signes. 

 

La première entrée dans le langage est comme une naissance. Auparavant, Emmanuelle en était réduite à faire des mimes devant le visage de sa mère et à ne pas pouvoir aller au-delà de l’expression des besoins et des émotions. D’où l’importance de la lecture du visage face à face, d’où l’importance  de la visualisation de tout, des couleurs et de la  lumière. L'angoisse de la non-communication c'est l'angoisse de se retrouver dans le noir, comme l'entendant se retrouverait sans parole dans un monde pourtant humain. «Avec mes yeux, dans la lumière, je peux tout  contrôler. Noir est synonyme de non-communication, donc de silence. Absence de lumière : panique. Plus tard, j’ai appris à éteindre la lumière avant de dormir  ». 

 

    Emmanuelle Laborit nous envoie au mystère de ce qu'il y avait avant le langage et son extension dans le champ de la culture. Ce qui était avant le langage reste mystère pour celui qui est entré très tôt dans le monde des signes. Qu'y a-t-il avant les signes? Une pensée sans mots? Non. Avant, il ne semble n’y avoir rien de bien structuré, une conscience oui, mais dans un monde inculte, naturel au sens quasi-instinctif ; d’où le sentiment d’avoir vécu comme une sauvageonne au pays de la culture des entendants. « Moi, j’étais nettement en retard, je n’ai appris cette langue qu’à sept ans. Avant, j’étais sûrement comme  une débile, une sauvage. C’est fou. Comment cela se passait avant ? Je n’avais pas de langue. Comment j’ai pu me construire ? Comment j’ai compris ? Comment je faisais pour appeler les gens ? Comment je faisais pour demander quelque chose ? Est-ce que je pensais ? Sûrement. Mais à quoi ? A ma furie de communiquer absolument. A cette sensation d’être  enfermée derrière une énorme porte, que je pouvais pas ouvrir pour me faire comprendre des autres ».

 

    Elle dit je pensais sûrement, mais elle ne s'en souvient pas. La mémoire pouvait-elle être structurée avant le langage? Dans pareil état, pouvait-il y avoir des repères dans la réalité ? Un ordre dans l’espace et le temps ? Une reconnaissance d’idées abstraites? Pouvait-il y avoir identification de quoi que ce soit, si le langage n’était pas là ? Pour identifier, pour repérer quelque chose, pour mettre un ordre, apparemment il faut un signe. Sans le signe, pas d’identification, ni de repère. Un état dans lequel l’esprit est sans repère risque fort d’être très confus. Selon les théoriciens de l’enfance, c’est la situation du nourrisson longtemps englué dans une sorte de constante hallucination, qui ne fait guère de différence entre les apparitions fugitives du rêve et celles de l’état de veille. C’est la situation du sourd-muet que l’on va laisser pendant trop longtemps sans langage. D’où rétrospectivement l’impression de chaos des souvenirs de cette époque, notamment sans repérage dans le temps : « un chaos dans ma tête, une suite d’images sans relation les unes avec les autres, comme des séquences d’un film montées l’une derrière l’autre, avec de longues bandes noires, ...des images dont j’ignore la chronologie ...

 

Avenir, passé, tout était sur la même ligne espace-temps. Maman disait hier... et moi je ne comprenais pas où était hier, ce qu’était hier... Je n’arrive toujours pas à mettre des dates sur cette période de zéro à sept ans. Ni à remettre en ordre ce que j’ai fait  ». Pour mettre de l'ordre dans le temps, il faut avoir une représentation objective du temps, il faut s’appuyer sur le temps chronologique de l'attitude naturelle. Le sentiment d’une Durée sans repères se comprend au sens où, le repère suppose des signes pour le nommer. Curieusement, une variation du temps fluide et sans repères peut tout aussi bien donner l’impression que le temps ne s’écoule pas vraiment : « Le temps faisait du surplace » dit-elle. Ce qui donne donc aussi à penser qu’en l’absence de langage, dans le silence de la non-communication, le vécu temporel ne prendrait pas de forme définie. Le vécu n’est pas vraiment réfléchi, parce qu’il n’y a pas de mot pour le nommer.

 

    "En essayant de rassembler le puzzle de ma petite enfance pour écrire, je n’ai retrouvé que des bouts d’images. Les autres souvenirs sont dans un chaos inaccessible au souvenir. Enfouis dans cette période où, avec l'absence de langage, l'inconnu des mots, la solitude et le mur du silence, je me suis débrouillée, j'ignore comment".

 

    2) Identifier par un nom, c'est donner une identité d’objet et même se donner une identité d’objet. Comment donner une identité sans des mots? Dans un silence de la non-communication, sans langage, on voit mal comment pourrait s’accomplir l'émergence de l'identité, y compris celle du moi. Ce n’est qu’au début de son apprentissage du langage des sourds-muets qu'Emmanuelle comprend la valeur du nom propre pour repérer une identité individuelle. "J'étais surprise de découvrir que lui s'appelait Alfredo, l'autre Bill... Et moi surtout, moi, Emmanuelle. Je comprenais enfin que j'avais une identité. JE :"Emmanuelle". « Jusque-là je parlais de moi comme de quelqu'un d'autre, une personne qui n'était pas  "je". On disait; toujours : Emmanuelle est sourde... Il n'y avait pas de "je". J'étais elle". "Emmanuelle sourde ne savait pas qu'elle était "je", qu'elle était "moi". Elle l'a découvert avec le langage des signes, et maintenant elle le sait". Nous avons vu que tout enfant commence à s'exprimer en parlant de lui-même à la troisième personne, il se passe une transformation importante quand l’enfant passe de « il » à « je ». Ce passage est la manifestation du sens de l’ego. Or il semble que le sens du moi, pour s'affirmer, ait besoin du langage ; et c’est grâce au langage que le moi peut être identifié et posé à part. Le langage permet au mental de poser des objets, parce qu’il permet de nommer. Le langage permet au mental de se réfléchir lui-même, donc de se poser en tant que sujet distinct, face à des objets. Le langage permet de passer de l’impersonnel au personnel, et tout d’abord au personnel sous la forme d’une conscience de l’individu en tant que « moi ». Et à partir de ce moment-là, comme Je est éveillé, tout le reste peut suivre :

 

       "Petit à petit, j'ai rangé les choses dans ma tète, et j'ai commencé à me construire une pensée, une réflexion organisée. A communiquer avec mon père surtout". Donc, "le premier, l'immense progrès en sept ans d'existence, venait d'être accompli je m'appelle "je"… Quand la conscience de soi s’est levée, quand la porte de la communication est ouverte grâce à un langage, le silence oppressant de la non communication tombe peu à peu. C'est l'explosion vers les autres et la communication. Et on comprend très bien qu’Emmanuelle Laborit puisse écrire : « à partir de sept ans, je suis devenue bavarde et lumineuse. La langue des signes était ma lumière, mon soleil, je n'arrêtais pas de m'exprimer, ça sortait, sortait, comme par une  grande ouverture vers la lumière. Je ne pouvais plus m'arrêter de parler aux gens. Je suis devenue "soleil qui part du cœur".

 

B. Se payer de mots, meubler le silence


  "Pour la plupart d’entre nous, le silence fait peur. C’est une sorte de néant, de vide oppressant."

Inconsciemment, nous avons donc tendance à rabattre le silence sur mutisme. Comme si nécessairement le silence devait être terrifiant. Ce qui nous permet de justifier le rejet du silence, au profit de la valeur de l’expression tous azimuts. Donc du bruit. Mais attention, ne ramenons pas le silence à cette seule valeur. Il y a différentes valeurs du silence et de toute manière, le langage, à lui seul ne remplit pas nécessairement la pensée. Pas plus qu’il ne produit la conscience. Il y a aussi une confusion engendrée par le verbalisme. Le langage, sans l'espace d'une certaine forme de silence, perd son sens et peut noyer la pensée dans le bruit des mots. 

 

    1) Le bruit des mots a un aspect mécanique. En anglais, on dit mental noise. Le mental, à son stade le moins élevé est mécanique. Nous savons qu’une pensée paresseuse peut se laisser mécaniquement conduire par le langage : on dit que la lettre finit par tuer l’esprit. Il est toujours facile de répéter des formules apprises, au lieu de réinvestir leur sens. A suivre seulement des mots, on finit par ne plus entendre clairement ce qu'ils disent. Tous les grands textes peuvent succomber sous le poids de la surcharge des commentaires. Et devenir illisibles. Entre le texte et le lecteur se construit le mur des commentaires. Une pensée faible s’en laisse facilement imposer. Ainsi la lettre peut se transmettre sans l’esprit qui l’animait. Une intelligence mécanisée devient incapable de donner un sens à des formules anciennes. On peut parler sans penser comme le perroquet : c’est tout le danger  du psittacisme. Le langage, quand il n’est pas maîtrisé et qu'il étouffe la pensée sous une prolifération anarchique et bruyante, met la pensée en péril. Bien sûr, chez l’enfant le psittacisme est légitime, car ce  n‘est que peu à peu que sa pensée s’affirme et se remplit de formes précises. Mais chez un être humain doué de culture, les mots ne devraient pas être investis de façon mécanique. Le bruit des mots ne doit jamais étourdir la petite voix de la pensée de celui qui les écoute et les formule. La puissance du langage peut se retourner contre la clarté et la vivacité de la pensée, et même la jeter dans la confusion. La parole peut prêter au quiproquo, se révéler inadaptée ou mensongère, ce qui laisse la pensée démunie. C’est aussi par le moyen du discours que l’on fabrique de l’illusion. En un sens, il est indispensable que l'esprit conserve toujours le témoignage silencieux devant ce qui est dit, sans être jamais étourdi par des mots. 

 

    La pensée semble essentiellement s'accomplir dans le langage, dans la Parole. C'est là qu'elle manifeste le sens, en le moulant dans des concepts adéquats. Mais que serait la pensée sans la valeur du silence ? Peut-on dire que le silence est porteur d’une signification?

 

    Le silence ne porte-t-il pas l’implicite ? Nous laissons très souvent dans le sous-entendu ce que nous ne voulons pas franchement dire, ne serait-ce que pour éviter d’encourir des reproches ! « Je ne l’ai pas dit ! ». Oui, mais le sous-entendu est si lourd que c’est tout comme ! Nous avons parfois tendance à « à la fois à dire certaines choses et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de façon telle qu’on puisse en refuser la responsabilité… » De même, collectivement cette fois-ci, « il y a des mots… qui ne doivent pas être prononcés, ou qui ne peuvent l’être que dans des circonstances strictement définies… des thèmes entiers qui sont frappés d’interdit et protégés par une sorte de loi du silence (il y a des formes d’activité, des sentiments, des événement dont on ne parle pas) ».

 

   Pour ne regarder qu’un exemple scolaire, à y regarder de près, une grande partie  des fautes de raisonnement vient de ce que nous sous-entendons l’idée qui ferait le lien entre deux affirmations éloignées. Du coup, à la lecture, la cohérence n’emporte aucune adhésion. Il ne faut pas demander à un interlocuteur éventuel d’entrer dans notre esprit pour comprendre ce que nous avons voulu dire. Le lien est peut être dans l’intelligence, mais il n’est pas sur le papier. Ce qui est dit est dit, ce qui n’est pas dit, n’est pas dit ! Quand nous ne sommes pas compris, nous avons le devoir de restituer l’implicite de la relation des idées entre elles. Quand il se produit un quiproquo, c’est que l’expression était floue et qu’elle autorisait des interprétations différentes. L’explicite n’est-ce pas tout ce que le langage peut manifester ?

 

    2) Pour les linguistes, la signification ne parvient à se dire que dans les mots. Cependant, d’où vient la compréhension ? Tient-elle seulement aux mots ? La question est bien plus complexe. Nous devrions être attentif à ce que représente le bruissement continu des mots. Le mental qui bavarde constamment et tricote des pensées n’est pas plus conscient qu’un esprit qui se tait et observe. Il ne réalise rien ; le bruit de la mémoire ne pense pas, il répète et il se répète lui-même. C'est tout. La répétition ne rend pas l’esprit plus intelligent. Le Je témoin est obscurci et la conscience est ballottée dans le tourbillon des pensées. Seul la fermeté du silence éveillé, le silence lucide et serein, donnent à l'intelligence sa vraie clarté ; alors seulement la pensée ne va pas s'égarer dans ses propres méandres. La Parole, n'est pas le bavardage et ce n’est que lorsque le bavardage prend fin que l’intelligence s’éveille. Il n’y a pas d’intelligence sans l’ouverture de l’observation lucide et silencieuse. Ce que notre éducation a malheureusement complètement oublié.  

 

     Allons plus loin. S'il y a plusieurs valeurs du silence, c'est que le silence est  un révélateur du non-verbal. Il signifie l’être, l'existence telle qu’elle est, dans la joie ou le malaise, la jouissance ou le tourment d'exister. Non ce qu’elle voudrait seulement paraître. Le silence de l'expression de l'existence est d'ailleurs si éloquent en lui-même, qu'il faut beaucoup de bruit pour dissimuler son sens, le contourner, pour s'en évader. Pour bâtir une vie dans le déni, il faut beaucoup parler et se mentir. Nous faisons beaucoup d’efforts afin de ne pas nous retrouver seul à seul avec nous-même, confronté à notre propre présence. Et comment contourne-t-on la souffrance de l'exister, sinon en cherchant à s'étourdir ? Quoi de plus utile pour s’étourdir qu'un bavardage continuel ? Pourquoi cette étrange pratique consistant à laisser la télévision allumée en permanence? Pourquoi cette manie de se noyer continuellement dans de la musique, sous un casque ?

 

La télévision et la musique entretiennent un bruit d'existence qui nous arrache à nous-même, vous jette au dehors et nous permet d’oublier. Quoi de plus effrayant que de retrouver le silence? Ce serait se retrouver seul avec soi-même, sans un bruit pour vous distraire, sans une ek-stase d'images et de musiques qui vous jette là-bas dans un rêve coloré, vous arrache à vous-même dans une ambiance stimulante et fait tout oublier. Nous avons peur de nous retrouver en silence, peur d’être seul, face à nous-mêmes. Alors nous faisons tout pour meubler, assourdir, fuir dans le bruit. C’est ce qui rend souvent compte de ce besoin d’une orgie d'images et de bruits, qui nous éloigne un temps de ce nœud crispé et oppressant qu’est devenue notre propre existence. Comment ne pas chercher une échappatoire devant cet effet de la crispation de l'ego ? Et quoi de plus efficace que le bruit ?

 

    Le silence est à lui-même son propre sens et notre propre question. Il est facile de condamner le silence, sous prétexte que le mutisme est un mal qu’il faut guérir, mais ce n’est qu’un aspect du silence. D’un autre côté, quoi que l’on en dise, le bruit de la mémoire lui non plus ne pense pas, il répète et il se répète lui-même. Allons jusqu’au bout : le bruit de la mémoire, cela finit par rendre sourde l’intelligence ! L'intelligence tire la puissance de son inspiration de la valeur du silence qui réside entre les mots et entre les pensées, ce qui n'a rien à voir avec l'auto-stimulation de l'ego qui se paye de mots et se gargarise de ses propres pensées. L’éveil de l’intelligence n’existe que dans un état de constante observation où le silence est présent.


C. Le silence et les états d’être


    Le témoignage d’Emmanuelle Laborit est important, car il souligne à quel point la communication appelle le langage. C’est une naïveté de croire que chez un être humain, la communication pourrait s’accomplir de manière complète avant tout langage. Il faut cependant marquer une différence. A partir du moment où nous disposons du langage, si la communication prend une nouvelle valeur, en même temps, le silence prend aussi une nouvelle valeur. Le silence d’avant le langage et le silence d’après l’acquisition du langage n’ont pas du tout la même portée. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’exprimer ce que nous sommes et nous le faisons de toute manière dans nos attitudes, dans nos comportements, dans l’expression silencieuse de notre corps.

 

    1) Par définition, le silence est absence de bruit ou de discours. Le silence se comprend comme silence extérieur, par rapport à un environnement bruyant. Dans un hôpital on demande le silence par rapport au bruit des objets que l'on transporte,  de la musique, mais aussi des paroles à trop haute voix qui dérangent la tranquillité des malades. Le bruit est compris alors comme nuisance.

 

    Mais on peut aussi parler de silence intérieur, par opposition à un bruit contenu dans l'esprit. On peut avoir un vacarme constant de musique et pensées inutiles dans l'esprit, un verbiage ininterrompu qui est un gaspillage d'énergie qui rend la pensée confuse, tandis que notre être est aussi exprimé dans ce que nous sommes. On peut distinguer :

 

     a) Le  silence intérieur, sous son aspect sain et libérateur, dans la vie courante et dans la vie de l'esprit.

 

    b) Le  mutisme, qui est une forme de silence qui est un refus de l’expression, une incapacité ou une impossibilité d'expression. Le mutisme de l’enfermement progressif suppose que le langage ait été acquis, mais qu’il y a blocage. Une personne qui n'a pas suffisamment de culture peut, dans une conversation où elle se sent dépassée, choisit de se retrancher dans le mutisme. Cela ne veut pas dire qu’elle ne sache pas parler, qu’elle n’ait pas de langage, ni qu’elle n’ait rien à dire. De même, dans des situations très crispées du domaine de la relation, on peut aussi se retrancher dans le mutisme, ce qui produit des non-dits pourtant très évocateurs. On étouffe, et si en apparence on ne dit rien, ce n'est pas parce que l'on à rien à dire. Ce  mutisme là est surchargé de sens, surchargé des reproches inavoués, des haines retenues, des tensions exacerbées. Il se contient jusqu’au moment où dramatiquement, il explose dans une crise émotionnelle. C’est ce que nous voyons parfois dans nos réunions de famille. Ce qui a été réprimé veut s’exprimer. Le mutisme appelle pour sa libération la nécessité de la communication dans le langage. La communication entre les hommes ne peut pas se contenter de sous-entendus. Elle nécessite la parole.

 

    Il existe différentes valeurs du silence, depuis le refus du dialogue, de l'engagement dans la parole, à la suspension qui ne dit rien mais suggère beaucoup. Si, en-deçà des mots, il existe bien une réalité implicite, alors nous pouvons reconnaître au silence un sens, et le pouvoir de manifester cette réalité qui n'entre pas dans le langage, mais que le langage vise. Mais de quel ordre est donc ce sens du silence ? Nous avons vu qu’il existe plusieurs formes de l’indicible.

 

    a) Le silence peut manifester la réalité affective, et  se rattacher au vécu le plus intime, aux sentiments. Le sentiment est le langage de l’âme. C’est une observation que nous pouvons tous faire : entre des personnes qui sont affectivement proche, il n’est plus nécessaire de beaucoup parler. L’entente véritable et profonde repose dans le silence. A l’inverse, quand on ne s’entend pas, on discute beaucoup.

 

Il est vrai aussi qu'un rougeur au visage est parfois éloquente que des discours pompeux de remerciements. La présence silencieuse d’une personne n’est pas du tout celle d’un pot de confiture sur l’étagère. La présence s’exprime à chaque instant. Elle a une influence subtile. L’art d’observer demande de lui accorder une pleine attention.

 

"Nous pouvons apprendre beaucoup de l’observation sans parole".

 

    La dimension affective du silence, c'est aussi la difficulté que rencontre l'expression poétique quand elle veut mouler la délicatesse des sentiments dans des mots aux contours rugueux, usés par la banalité quotidienne. 

 

     b) Le silence peut manifester la réalité inconsciente. Les actes manqués, les lapsus ne sont pas des formulations intentionnelles, et pourtant ils signifient à leur manière le contenu de l’inconscient, des intentions cachées. Le non-dit a, d'un point de vue psychologique, beaucoup d'importance. Ce que l’on n’ose pas dire, on le trahit aisément, car ce qui est refoulé cherche toujours à s'exprimer d'une manière ou d'une autre. Cela implique que le refoulé reviendra dans les moments d'inattention; au moment où l'on pensait ne rien dire, il viendra s'immiscer dans le discours pour dire, ou incliner une posture du corps, une attitude pour s'exprimer. Il y a ce que le sujet dit et ce qu'il ne dit pas, qu'il se cache à lui-même, mais qui pourtant affleure dans ses attitudes. Le non-dit est un silence épais et étouffant qui doit tôt ou tard être brisé.

 

    c) Le silence peut aussi faire signe vers la réalité spirituelle, l'Absolu en deçà de tous les mots. L'expérience mystique est un tel recueillement intérieur qu'elle rassemble dans une intériorité qui précède toute expression. Toutes les traditions spirituelles insistent sur la valeur de purification du Silence. L'absence de bruit autour de soi, dans le spectacle  et l'extériorité n'est pas le silence. C'est déjà un faux silence, car le silence vrai est d'abord « se taire au fond de soi". Il n'est en rien incompatible avec un bruit extérieur. Le véritable bruit commence dans la pensée et sa prolifération inutile, ce blabla continuel que l'on dénomme parfois "l'intimité", et qui n'est souvent que l'effet d'une pensée parasite. Le premier pas vers le Silence, comme dit Jean Klein c'est d'arrêter les vagues du mental, et non de se boucher les oreilles.

 

"A partir du moment où le mental s'apaise, la pensée se fait plus intuitive et la présence à soi plus dense".

 

    2) Non devons reconnaître plusieurs valeurs du silence, depuis l’incommunicabilité où se trouve celui qui n’a pas accès aux mots, jusque dans les blancs de silence de la parole. Les valeurs du silence sont les valeurs de notre rapport à l’être, ils sont autant de degrés d'intériorité, de densité ou de vacuité, de condensation ou de dispersion, de présence ou d'absence. Le silence de l'inquiétude traduit le manque d'être de l'attente, du moi saisi de sa pro-tension temporelle. Le  silence de l'ennui est ce vide d'existence du désir qui reste encore hanté par le désir et en manque d'occupation, l'ego qui tourne en rond, sans parvenir à accrocher une motivation à quoi que ce soit. Le silence du désespoir est ce naufrage intérieur où le sens d'exister du monde s'effondre, quand l'ego, identifié avec la projection de ses désirs, voit se défaire le sens même de ses attentes. De même, la paix a son propre silence, le silence de la paix intérieure qui s’oppose à la confusion et aux tourments. 

 

    Dire signifie exprimer, signifier, faire connaître, ce qui renvoie nécessairement à un contenu. Dire, c'est toujours dire quelque chose, émettre une intention de signification. La question posée est d'emblée paradoxale : dire  quelque chose suppose que l'on parle, et non pas que l'on se taise. Faire silence, c'est le contraire de dire.  C'est comme si on demandait "tu dors ?" C’est absurde, car pour répondre, il faut se réveiller. Pourtant, la question a néanmoins un sens, et n'est pas une simple formule contradictoire,  elle nous reconduit à des difficultés :

 

    a) D'un côté certes le silence ne dit rien, sinon il ne serait pas le silence. Position en conformité avec la linguistique et l’intellectualisme. 

 

    b) D'un autre côté, l’Être n’est pas muet par nature, l’être se donne dans une perpétuelle éloquence. La Manifestation est une explosion continuelle du Sens. Le silence a tout de même un pouvoir d'exprimer du sens, sans bruit et sans paroles, auquel cas il devrait être possible de montrer qu’il existe un langage non-verbal pouvant s’exprimer dans le silence. Position qui n’est pas compatible avec les thèses de la linguistique. La question du silence est donc assez paradoxale.

 

"Le silence exprime sans détour ce que nous sommes, le bruit permet de dissimuler et de se dissimuler".

 

Le silence exprime notre propre complexité, il est auto-révélation de notre stase dans l'Être, et il exprime aussi notre rapport étroit avec la parole. Dans l’Être, il ne peut mentir et c’est à peine pouvons-nous dissimuler son sens. Il signifie la joie ou le malaise, la jouissance ou le tourment d'exister, c'est-à-dire la forme que revêt la conscience. Mais, arrimé à la seule expression, il semble seulement un poids mort, ou la négativité d’un contraire. Pour la pensée duelle, il n’y a que l’opposition du tout au rien : parole/silence. La pensée duelle ordinaire a bien du mal à comprendre l’importance du silence. Mais dès que l’on dépasse la dualité, les contraires deviennent des complémentaires, et le silence la parole se révèlent inséparables.

 

Par l'excellent Serge Carfantan - Philosophie et spiritualité, Leçon 26 Le bruit, le silence et le langage - Blog à consulter : http://sergecar.perso.neuf.fr/

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25 juin 2013 2 25 /06 /juin /2013 11:19

Saverio Tomasella

Haine, envie et jalousie : psychanalyse du désastre !

Par Saverio Tomasella, Psychanalyste et docteur en sciences humaines.

Résumé :
Les psychanalyses font venir à la surface un matériel psychique douloureux, pénible et parfois explosif. Les questions de la haine, de l’envie et de la jalousie font partie de ses mouvements pulsionnels et affectifs ardus à reconnaître, à accepter et à démêler. A partir de l’histoire de François Vatel, retracée par un film de Roland Joffé, et de la clinique de Harold Searles, cet article essaye de comprendre les processus à l’œuvre et comment le psychanalyste peut essayer de les dénouer.

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Haine, envie et jalousie...


Nous vivons une période d’accélération culturelle, où l’utilisation des notions de psychologie fait passer dans le langage courant des termes souvent vidés de leur sens qui deviennent, d’un côté, des justifications à tout, ou presque, et de l’autre, parfois, des injures. Cette « psychologisation » des foules et des médias ne constitue pas forcément un progrès humain. Elle est un masque dont se revêtent bien des discours, pour parer au plus pressé : accentuer ou maintenir les forces de refoulement, notamment aux travers des consensus, du bon ton et du socialement correct.

Freud en était conscient : « je leur apporte la peste » disait-il en 1909 à Jung et Ferenczi, en parlant des Américains, sur le paquebot qui traversait l’Atlantique. Aujourd’hui encore, dans nos sociétés gavées et surinformées, la psychanalyse garde sa force subversive des premiers jours et « apporte la peste ».

Ainsi, contrairement à ce qu’on entend ou lit ça et là, lors d’amalgames réducteurs et déresponsabilisants, il n’est pas possible d’emblée de considérer la jalousie comme un phénomène « normal », même au sein d’une fratrie. La normalité n’existe pas, sauf comme force politique dans un cercle restreint : ce ne sont que des habitudes totémisées que l’on édicte en règles de comportement ou de langage, pour assurer le fonctionnement du groupe et sa « cohérence », face à d’improbables risques, dangers ou « ennemis ». Comme telle, toute normalité est censure qui se masque et ne veut pas dire son nom. Son action délétère est également présente dans nombre d’associations de psychanalystes ; malgré les beaux discours…

Très au-delà des multiples phénomènes de rivalités, notamment fraternelles et « oedipiennes », les longues cures aboutissent à l’exploration ardue et souvent douloureuse d’une zone de turbulences et d’instabilités proche de la psychose. Klein, Winnicott, Searles, entre autres, ont insisté sur cette réalité parfois difficile à entendre par les orthodoxes de quelque chapelle qu’ils soient. Tout simplement parce que cette phase d’analyse déboute le clinicien de ces certitudes théoriques et l’exhorte à accepter l’inconnu, à se mettre en recherche et à créer, pour entendre au plus vif ce qui se trame. Au creux de ce « noyau psychotique » ou de ce chaos, parfois champ brûlé et désertique suite à un trauma, il est très fréquent que l’analysant(e) reprenne contact avec des mouvements pulsionnels âcres : notamment, la jalousie, l’envie et la haine…

Aussi, parler de jalousie, ou plutôt, parler la jalousie, l’envie et la haine, entraîne sur des chemins escarpés et difficiles (1) . Appuyons-nous, pour illustration, sur le film Vatel de Roland Joffé (2000). 

L’action se déroule en avril 1671 à Chantilly. Le prince de Condé, vieillissant et ruiné, cherche à gagner les faveurs du roi Louis XIV pour se voir confier le commandement d'une probable campagne militaire contre les Hollandais. Il a convié la cour de Versailles à trois jours de festivités dans son château de Chantilly. Il confie à son intendant François Vatel (Gérard Depardieu) la lourde tâche d'éblouir le roi. Vatel, dix ans plus tôt, « maître des plaisirs » de Fouquet à Vaux-le-vicomte, avait déjà été témoin de l’implacable jalousie du roi soleil. Assisté d’une ribambelle de domestiques, Vatel trouve l'occasion d'exprimer son fantastique génie créatif. De nouveau, à son corps défendant, il est témoin des turpitudes de la cour et, au milieu de cette frénésie, il tombe en amour pour Anne de Montausier (Uma Thurman) suivante de la reine, convoitée par le roi et par l'un de ses conseillers, le rusé marquis de Lauzun... 

Ce film de la splendeur est le récit d’un désastre. C’est une fable sur la férocité humaine et la fascination qu’elle provoque. Elle dévoile comment la cruauté a partie liée avec l’ennui et l’artifice. Le déchaînement des pulsions, plus que des passions, y montre des individus délicieux et policés à l’extrême, aux prises avec la haine, l’envie et une rage destructrice qui semble être une réaction inévitable à la négation de toute subjectivité. Seul Vatel se braque, se révolte, refuse et résiste, pour finir par se donner la mort dans un dernier moment d’une formidable vitalité et d’une grande force charnelle. Un moment désespéré de subjectivité qui tente de le défaire de la négation et de l’abjection invisibles.

A bien y regarder, le scénario déroule plus l’aridité désespérée et tourmentée de l’envie que les brûlures de la jalousie, à part celle fugace de Lauzun pour la relation de cœur et de sensibilité qui s’ébauche entre Vatel et Mlle de Montausier.

Ce que parler veut dire…

Avant d’aller plus loin, pour y voir clair, il semble nécessaire de préciser les termes de tous ces transports pulsionnels.

La haine est exterminatrice. Elle est fondée sur un déni de l’autre et de sa subjectivité (2). La haine dessèche l’être qu’elle veut détruire « comme un sirocco torride », affirme Ortega y Gasset. Elle « sécrète un suc virulent et corrosif ». Elle maintient à une distance radicale et « ouvre un abîme ». La haine est destructrice et meurtrière. « Haïr quelqu’un, c’est ressentir de l’irritation du seul fait de sa simple existence », c’est exiger sa disparition. « Haïr, c’est assassiner sans relâche »(3) .

Au contraire, note avec justesse Lucien Mélèse (4) , détester vient de « testis », le témoin, de ce qu’un témoignage est nécessaire pour dénoncer « ce qui va de soi ». La détestation produit la colère motivée. Elle effectue « une réévaluation qui rétablit une différenciation, une non-équivalence ». Détester permet de séparer, de disjoindre, de distancier. De prendre du champ.

Tout comme la haine, l’envie est destructrice. Mélanie Klein le précise : l’envie concerne la possession d’objets ou d’attributs, convoités avec hargne. Elle correspond à une configuration binaire. Harold Searles confirme cette affirmation, il constate en outre que « le patient en proie à l’envie est moins avancé dans sa différenciation que le patient jaloux »(5) .

Enfin, la jalousie caractérise les affects d’une personne face à une relation entre deux (ou plusieurs) autres personnes. Elle désigne une configuration ternaire, au moins. Elle manifeste le souhait, le vœu d’être inclus au sein de la relation convoitée, d’en bénéficier, parfois d’en avoir l’exclusive, quitte à prendre la place d’un protagoniste, même en l’excluant, en le mettant hors jeu.

Si l’on confond très souvent envie et jalousie, la complexité des prises de conscience est accrue par les masques que peut porter la haine pour se camoufler, grâce à l’ambivalence des sentiments et au « renversement en son contraire », l’un des quatre « destins » de la pulsion (Freud, 1915). La violence et l’agressivité sont surtout l’expression de la révolte, de la colère, de la rage, etc. La haine, elle, se pare fréquemment de froideur, d’insensibilité, de politesse, de bonnes manières, voire d’enjouement, de bonne humeur (de façade) et de joliesse (6)! Le film Vatel en est une illustration « somptueuse »…

La jalousie envers soi-même

La difficulté vient alors d’une voie inattendue : l’être humain a quelques fois tendance à faire son propre malheur (7). Ainsi, une forte jalousie ressentie dans l’enfance envers la relation privilégiée et intense qu’entretenait un parent avec une personne, un animal ou une chose, peut avoir été incorporée (8) au point de créer un sentiment de jalousie retourné sur soi. Il s’agit là d’un autre « destin » de la pulsion : le « retournement contre soi-même ».

Par exemple, affirme Searles, une femme traite ses seins, son ventre ou ses jambes comme une personne distincte dont elle est intensément jalouse. Idem pour un homme vis à vis de ses fesses, ses testicules ou son pénis. Autre exemple : un enfant malade s’est senti exclu de la relation d’un parent avec une partie de son propre corps (l’estomac, le foie, les poumons). L’enfant jalouse cette relation dont le parent semble retirer un si grand bénéfice. L’enfant se sent nié en tant qu’être et sujet au profit d’un organe. Une symbiose artificielle est maintenue entre l’enfant et son parent. Il s’agit d’une utopie protectrice de la part de l’enfant qui souffre trop pour accepter la réalité telle qu’il la voit : l’enfant idéalise son parent afin de le considérer tel qu’il voudrait qu’il soit avec lui. Défense encore plus forte du côté du parent, qui magnifie (idéalise) sa relation factice avec son enfant dans le but de nier ses affects destructeurs et son mépris envers lui. En fait, le parent n’est occupé alors que de lui-même (ou de la reviviscence d’une relation « manquée » avec l’un de ses propres parents). Une division (coupure ou cassure) – entre, d’une part, l’enfant idéalisé, faussement couvé, et d’autre part, l’enfant haï, surprotégé par peur de le détruire - assure à la « bonne entente » fusionnelle de faire barrage à la haine (9).

Plus tard, souvent à son insu, l’enfant devenu adulte n’aura de cesse de s’autodétruire pour mettre en œuvre et à jour les vœux inconscients meurtriers de son parent haineux et envieux (parent incorporé). Tabac, alcool, médicaments, autres drogues, pratiques sexuelles violentes non protégées avec des partenaires multiples, conduites à risques ou échecs à répétition, ruptures, dépression, etc. sont la mise en scène de ce conflit très tôt noué, autour d’un enfant ouvertement cajolé et secrètement honni, tout à la fois.

Le même cas de figure existe également lorsqu’un parent investit une chose et accorde une importance fondamentale à l’environnement non-humain, au détriment de l’enfant. La haine est glaciale (10) : elle désubjective peu à peu l’enfant. 

« Un enfant qui voit son père ou sa mère témoigner plus de tendresse à des plantes, des animaux domestiques ou à un objet matériel qu’aux humains de la famille se sent mis en rivalité avec ces éléments non humains. (11) » 

Lorsque se rajoute à cette organisation familiale l’interdit de remettre en cause le(s) parent(s), de les critiquer, de leur faire des demandes personnelles ou d’exprimer ses sentiments, la pédagogie noire mise en lumière par Alice Miller (12) ferme l’horizon de l’enfant et obère ses potentialités vitales et créatrices. Les mouvements destructeurs contre soi-même, suicidaires, sont alors fréquents et long à désinscrire de l’économie pulsionnelle du sujet, qui vit son mal-être ou sa mélancolie comme une fatalité (13) .

Le suicide de François Vatel n’est-il pas autant lié à la brisure de son rêve d’amour pour Mlle de Montausier, qu’à sa négation par son « maître », le prince de Condé, qui l’a joué - et perdu – aux cartes contre le roi, comme il aurait « parié sur un chien de sa meute » ou misé sur un collier de diamants ? Que Condé puisse représenter un père d’adoption ou un père « symbolique » pour Vatel ne change rien – au contraire - à la déflagration haineuse qui secoue le château. Violence instituée dans le fonctionnement même du corps social, exigeant les fastes pour masquer ses culpabilités et ses abjections. La mort d’un domestique « n’est rien » : Mme de Sévigné note ce jour-là dans on journal « le parfum envoûtant des jonquilles » qui embaume les pelouses de Chantilly…

Tout champ de savoir risque de tourner au désastre en devenant champ de pouvoir et de renouveler la catastrophe vécue autrefois : la négation de l’être ou déni du sujet. Certains suicides, ou tentatives pour le mettre en scène, expriment sans autre recours l’immense révolte contre une disparition tenue en non-lieu : la néantisation de l’enfant, la profanation de sa sensibilité, le meurtre de son âme.

La métaphore pour échapper au traumatisme

Serge Tisseron affirme que « là où la compréhension intellectuelle dessèche et confronte à la solitude, la métaphore nourrit et socialise » (14) .

Lorsqu’une personne souffre de jalousie envers elle-même ou une partie d’elle-même, Searles encourage le psychanalyste à repérer d’abord les mouvements de jalousie qu’il peut sentir en lui-même : envers les objets internes ou la réalité extra-analytique du patient (15). Il précise notamment :

« Il n’est pas rare que la psychanalyse devienne pour le patient l’incarnation de l’objet interne jalousement combattu.(16) » 

C’est un premier déplacement, porteur d’une dynamique résolutive. Même si le travail analytique s’enlise parfois, lorsque persiste la jalousie inconsciente, de l’analysant et du psychanalyste, vis à vis du « soi potentiellement sain » du patient. Le transfert, à travers les multiples facettes et accroches de la relation thérapeutique, peut ainsi devenir – pour un temps - la cible de la haine du patient. Cible entendue comme support d’élaboration et vecteur de transformation.

Cela rejoint ce que Winnicott affirme dès 1947 (17) : le psychanalyste ne peut aider le patient à repérer la haine en soi que s’il a – au préalable – élaboré ses propres mouvements de haine, pour reconnaître ceux qui viennent de l’analysant(e), les exprimer avec des mots simples et l’aider à les symboliser…

[Winnicott parle d’un enfant de 9 ans, vagabond, souffrant d’accès de « manie ».] « Chaque fois, au moment où je le mettais à la porte, je lui disais quelque chose ; je disais que ce qui était arrivé avait suscité en moi de la haine à son égard. C’était facile parce que c’était tellement vrai. »
Je crois que ces paroles étaient importantes du point de vue de ses progrès, mais elles étaient surtout importantes parce que cela me permettait de tolérer la situation sans éclater, sans me mettre en colère et sans le tuer à tout moment. »
« […] J’émets hypothèse que la mère hait le petit enfant avant que le petit enfant ne puisse haïr la mère et avant qu’il puisse savoir que sa mère le hait.
(18) » 

Lors d’une psychanalyse, dans les mouvements de l’inter-transfert, il semble donc vital que le psychanalyste repère quand il hait le patient et puisse le lui faire savoir. Allant dans le même sens, Philippe Réfabert racontait récemment dans une rencontre au Quatrième groupe que c’est en disant un jour à une patiente : « vous me faites éprouver de la haine », que celle-ci a pu se mettre à parler de sa haine !

Alors - pour finir de filer la métaphore de Vatel -, la froideur et l’absence d’émotion de la majorité des courtisans viennent de cette fracture qu’on appelle clivage (19). D’un côté, sur-développée, la raison qui dissèque, classe, méprise et justifie (que de « mots d’esprits » fusent à chaque conversation !), de l’autre, bien enterrées, les émotions de l’enfant meurtri, humilié, blessé, « mâté » par la pédagogie noire de Versailles. Le chemin du cœur est fermé et perdu. L’âme est sacrifiée, pour ne plus souffrir et pouvoir endurer sans broncher les piques et les vrilles de la sur-vie à la Cour. 

Heureusement, depuis Freud, le long parcours d’une psychanalyse permet de retrouver cet enfant assoiffé de reconnaissance et d’amour, en quête d’un témoin qui aura du cœur, sera capable – enfin - de l’accueillir, l’entendre et lui donner la main pour l’aider à se relever, puis à traverser. A survivre au désastre… et pouvoir se lancer – par lui-même - dans la vie.

« Une fois commencées, les retrouvailles avec notre passé enfoui ne s’arrêtent jamais. Qu’y gagnons-nous ? De fonder notre identité sur nos expériences les plus personnelles ; de nous sentir à la fois plus proches de nous-mêmes et moins sensibles aux jugements des autres… (20) » 

La liberté de la parole, la grâce des images et de la poésie, la force du rêve et des métaphores permettront à « l’enfant dans le patient (21) » d’aller sur l’autre rive : entier cette fois-ci et disponible à ses sensations, ses ressentis, ses émotions et ses sentiments. Pour vivre, pleinement !

Saverio Tomasella (décembre 2004)

Voir ma page Psycho-Ressources


Notes :   

1. On pourra lire les éclaircissements proposés à ce sujet par Joan Riviere : La haine, le désir de possession et l’agressivité, Paris, Payot & Rivages, 2001.

2. Voir E. Lévinas, repris par A. Finkielkraut, notamment dans Sagesse de l’amour, Paris, Gallimard, 1984.

3. J. Ortega y Gasset, Etudes sur l’amour, Paris, Payot & Rivages, 2004, pages 38 à 41.

4. L. Mélèse, La psychanalyse au risque de l’épilepsie, Toulouse, Erès, 2000, pages 115 et 116.

5. H. Searles, « La jalousie où intervient un objet interne » (1979), Mon expérience des états-limites, Paris, Gallimard, 1994, p. 107. Voir également J. Riviere, op. cit, pp. 46-48 et 61.

6. Cf. la sentimentalité qui nie la haine : D. W. Winnicott, « La haine dans le contre-transfert » (1947).

7. Cf. S. Tomasella, Faire la paix avec soi-même, Paris, Eyrolles, 2004.

8. Voir N. Abraham et M. Torok, « Deuil ou mélancolie », L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987, pp. 259-275. L’incorporation est une « antimétaphore » ; au sens strict, elle concerne « tout ou partie d’une personne, seule dépositaire de ce qui n’a pas de nom » (p. 264) : ici l’enfant incorpore son parent jaloux, à défaut d’avoir pu introjecter les diverses facettes de leur relation, grâce aux échanges de paroles avec lui…

9. Voir H. Searles, idem, pp. 84-88.

10. Cf. Didier Anzieu, Le moi-peau, Paris, Dunod, 1995, l’exemple d’Erronée, pp. 201-202.

11. H. Searles, id. p. 108.

12. A. Miller, C’est pour ton bien, Paris, Aubier, 1984.

13. Plus que Freud, Ferenczi s’est particulièrement penché sur la question des traumatismes, leur méconnaissance violente et leur nécessaire reconnaissance, les mécanismes internes qu’ils mettent en place et leur résolution. Balint et Winnicott en Grande-Bretagne, Torok, Mélèse et Tisseron, en France, ont poursuivi ces élaborations.

14. S. Tisseron, Comment Hitchcock m’a guéri, Paris, Albin Michel, 2003, p. 81.

15. H. Searles, id., pp ; 111-115.

16. Idem, p. 101.

17. D. W. Winnicott, La haine dans le contre-transfert, article cité.

18. H. Searles, idem (je souligne).

19. Très souvent, cette fracture naît d’un désastre. Dit en termes techniques : le clivage est la réponse de survie au traumatisme (cf. Ferenczi).

20. H. Searles, idem, p. 88.

21. Cf. la clinique de Winnicott ; par exemple, La crainte de l’effondrement, Paris, Gallimard, 2000.

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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 14:06

« La Féminité Réelle n’est pas faiblesse ! Elle n’est pas impuissance ! Elle n’est pas infantilisme ! Elle n’est pas … tout ce qui fut raconté à son sujet. Elle n’est pas non plus ce que la société moderne a bien voulu en faire. »

  
Il ne faut pas rechercher l’utopie : 9 féminités sur 10 sont aussi éloignées de la Féminité qu’une pile électrique peut l’être d’une centrale nucléaire. Il n’empêche que, en soit, la Féminité est une puissance ; elle représente l’accumulateur de la personnalité. Si cette force devient fréquemment lourdeur inerte ou vapeur sans consistance, cela est dû à de nombreuses causes qu’il nous faudra essayer de détailler...

  
portrait  
« La Féminité Réelle, parce qu’elle est puissamment passive (en dehors de toute connotation péjorative, mais plutôt en terme de polarité), est automatiquement calme… Elle est directement branchée sur le réel. Elle est à l’écoute des choses et des êtres. Elle est liée au Temps. »

  • Et ceci est capital : Une femme ne saurait posséder une masculinité de bon aloi si sa féminité est abîmée. De même qu’il serait impossible à un artiste d’extérioriser une œuvre importante, si son inspiration est pauvre.


On pourrait même dire que la Masculinité (en tant que principe) n’est jamais créative. Car toute créativité a lieu à l’intérieur de la personnalité : et donc dans la sphère du féminin. On n’imagine pas une Marie Curie ou un Beethoven extériorisant leur travail sans d’abord avoir laissé s’accumuler l’inspiration nécessaire. Ou encore : peut-on poser le toit d’une maison (le masculin) sur du vide, sans fondements (le féminin) ?

L’activité créatrice qui est extériorisée dépend de la réceptivité qui la prépare. La qualité de l’activité qui est extériorisée dépend de la puissance de la réceptivité. Telle est la loi fondamentale. Et quant une femme ou un homme créent extérieurement, ils ne font que « mettre en œuvre » leur créativité intérieure.

Il est essentiel d’ajouter que la Féminité est une puissance indifférenciée. Le marquis de La Palice dirait qu’avant de prendre forme, il faut avoir été sans forme. Il dirait aussi qu’il est impossible d’être une belle statue, une œuvre, avant d’avoir été matière informelle : glaise ou marbre...

Cela signifie qu’une femme ne peut-être réellement masculine (forme) que si elle est d’abord réellement féminine (informelle). Comme l’eau qui pourvoie à la vie et nourrit l’arbre (masculin et formel) qui s’élève et célèbre celle-ci !

La vie intérieure est indifférenciée : elle capte !  Elle est semblable à un radar qui accumule les informations et renvoie tous les échos, qu’il s’agisse de flocons de neige ou d’avions en vol. C’est l’opérateur qui doit faire le tri et différencier les échos. La féminité est aussi indifférenciée et informelle que la vie intérieure, parce qu’elle se confond avec elle…

Mais quelle forme sortira de la matière informelle ? De cette terre argileuse ? Une statue, un vase, une assiette, une vasque jaillissante ou une maison fleurie ?
De même, que sortira t-il de la matière informelle qui gît dans le ventre d’une femme ? Un garçon ? Une fille ? De façon normale ou anormale ?

Le silence, lui aussi, est informel ! Quelle forme en sortira ? Un cri, un raisonnement, une colère ? De cette passivité (que nous comprenons indispensable) qui accumule les sensations, quelle forme éclatera ? Une œuvre d’art, une musique, une idée ? Une action constructrice ou destructrice ?

« A la lumière de ces questions, il est aisé de comprendre que la femme dispose d’un grand pouvoir de créativité. C’est pourquoi une femme qui ne serait que féminine est impossible ! Elle demeurerait informelle comme un liquide et ne tournerait jamais le puissant commutateur masculin de l’extériorisation. » Elle passerait alors sa vie à accumuler les signaux du monde, sans que jamais ait lieu une mise en œuvre. Elle serait semblable à un peintre perpétuellement assis et méditant un tableau qui ne verrait jamais le jour.

Ce qui est toujours le cas de certaines femmes contraintes à la vie au foyer, à qui l’on retire le passeport  de la créativité, par peur de les voir se libérer, sans jamais pouvoir les retenir.
 
Enfin, la Féminité est une puissance stable !  C’est pourquoi la véritable Féminité demeure égale à elle-même tout en s’adaptant au fluctuations de l’existence ; elle est d’un inattaquable bon sens et d’une grande résistance à la souffrance. C’est pourquoi également une vraie femme est une sorte de « témoin calme » des frasques et des agitations masculines. 
  

  • Sans jamais exiger l’absolu, qui nous est humainement impossible, qu’est-ce que la féminité réalisée ?

  
Les femmes ayant atteint (par le biais de leurs valeurs propres et par l’évolution perpétuelle que permet la vie) la réalisation de leur potentiel intérieur demeurent :
Stable, constante, maternelle, digne, fidèle, ordonnée, perspicace… Ces qualités sont le fondement de cette grâce psychique qui permet le rayonnement du véritable Féminin.

Devant cet état de fait, il faudrait être un homme sérieusement malade ou diablement égocentrique pour ne pas pouvoir former un couple joyeusement harmonieux !! Ces femmes représentent la noblesse de leur sexe, et plus encore, la noblesse de l’espèce humaine…

Ceci n’est aucunement physique en soit : il existe de belles femmes dénuées de grâce psychique, avec qui la vie est un enfer ! Il existe des femmes communes disposant de ce degré de réalisation, et vice-versa, toutes les combinaisons sont possibles… il en va exactement de même pour les hommes, qui n’échappent pas non plus aux lois de la nature.

  • Qu’offrent les femmes réalisées, en couple avec des hommes dignes de les recevoir ?

La réponse est … « Absolument TOUT ! ».

 
Et la réponse de l’homme sera positive et confiante, car il ne sera pas privé de ses vitamines de sécurité, de bonheur et de chaleur bienveillante. Il pourra alors bénéficier de ce carburant pour sécuriser sa famille, comme un toit sur la maison, et être le symbole, comme l’arbre, des qualités de vie que lui apporte sa femme au quotidien.
 
En règle générale, ce sont des hommes qui réussissent brillamment, tant l’affectivité abonde dans leurs cellules familiales. C’est ce même moteur affectif qui rend ses individus philanthropes et sensibles à leurs semblables, évitant ainsi le piège du narcissisme.

Si, par malheur, il devait en être autrement : ils mourraient lentement d’inanition affective et créative. Ce qui constituerait une victoire pour les femmes chasseresses si bien décrites dans « le complexe de Diane »… 

 

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18 juin 2013 2 18 /06 /juin /2013 11:08

Dominique Souchier reçoit Jacques André, psychanalyste et directeur du Centre d’études en psychopathologie et psychanalyse (Paris 7), pour parler de la psychanalyse appliquée à la vie courante !

   

France-Culture-Cliquez sur le logo pour écouter le podcast-

 

 

Actualité de l'émission

 

La folie est la chose du monde la mieux partagée et l'inconscient le dépit du bon sens. La situation psychanalytique est une chambre d'écho privilégiée de cette folie ordinaire, folie de tous les jours. Point de vue irremplaçable sur l'homme et sa singularité depuis maintenant plus d'un siècle, la psychanalyse n'en reste pas moins profondément hermétique, y compris pour le psychanalyste lui-même. Comment comprendre son impact, mais aussi ses impasses, ses limites, ses échecs?

 

Qui est Jacques André

 

Agrégé de philosophie.
A soutenu sa thèse en psychopathologie et psychanalyse à partir d'une étude des conflits meurtriers dans l'espace familail antillais.
Auteur d'un ouvrage de psychanalyse du lien social à partir d'une étude de la Révolution française : La révolution fratricide.
A développé de nombreux travaux sur une psychanalyse de la féminité. Son ouvrage principal : "Aux origines féminines de la sexualité" (1995) a été réédité en Quadrige, PUF, 2004. Il est traduit en cinq langues (chinois, espagnol, grec, italien, portugais).
Travaille plus particulièrement sur les limites de la psychanalyse et la problématique associée des états borderline.

 

Parcours

 

A dirigé pendant plusieurs années le centre pour l'enfance inadaptée, en Guadeloupe.
Aujourd'hui professeur de psychopathologie clinique à l'Université Denis-Diderot Paris 7
Directeur du Centre d'Etudes en Psychopathologie et psychanalyse (Paris 7)
Directeur de la Petite Bibliothèque de Psychanalyse, aux PUF.
Membre de l'Association Psychanalytique de France (APF) et de l'Association Psychanalytique Internationale (IPA).

 

Thèmes de recherche

  • Psychanalyse de la féminité
  • La problématique borderline
  • La folie quotidienne
  • Psychogenèse de la temporalité
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27 mai 2013 1 27 /05 /mai /2013 11:09

Messagers de notre inconscient, nos "cauchemars" mettent en scène nos craintes et notre mal-être intérieur. Ils nous perturbent, nous terrifient, mais peuvent aussi nous permettre de mieux nous connaître. À condition de prendre le temps de les écouter.

 

cauchemars.jpg

  

Perturbation nocturne

 

En principe, grâce à leur faculté de produire des situations aussi absurdes qu’incompréhensibles, les rêves savent écarter les images qui risquent de perturber notre sommeil. Mais ils ne réussissent pas toujours leur coup. Une idée angoissante ou une vision terrifiante parvient à s’imposer, et c’est le cauchemar. Mais c’est aussi parce que nous sommes angoissés au moment de nous coucher que, certaines nuits, nous cauchemardons. Nos mauvais rêves sont les révélateurs d’un mal-être intérieur, d’un désir inassouvi qui insiste…

 

C’est justement un rêve perturbant de Freud, intitulé « L’injection faite à Irma », qui lui a révélé cette fonction des songes : ce sont des messagers. Dans la nuit du 23 au 24 juillet 1895, le professeur organise, en rêve, une réception. Parmi les convives, des collègues médecins et une jeune femme, Irma, une amie et patiente. Elle ose exprimer des doutes à l’égard de la psychanalyse, or Freud déteste que quelqu’un lui résiste. La voilà qui ouvre la bouche pour lui montrer une horrible tache blanche en se plaignant de n’être pas guérie. Angoissé et culpabilisé (Irma représente en fait une partie de son moi qui doute de ses capacités), Freud essaie de se dédouaner en accusant sa patiente d’être responsable de son état.

 

Puis incrimine un collègue médecin qui l’aurait mal soigné. Non, ce ne peut pas être de sa faute à lui ! Ce rêve lui rappelle la mission qu’il s’est donnée : devenir le découvreur des mystères de l’âme humaine, ce qui, plus profondément, le renvoie à ses ambitions de petit garçon, surpasser son père et être le préféré de sa mère.

  

La conscience fait le cauchemar

  

En analysant son rêve, Freud n’utilise pas le terme de « cauchemar ». En effet, mieux nous savons affronter les émotions véhiculées par nos songes pénibles, moins ils nous paraissent terrifiants. « C’est la conscience, pas l’inconscient, qui les qualifie de cauchemardesques », assure le psychanalyste Norbert Chatillon. Exemple : peu de temps après le 11 septembre 2001, un de ses patients « rêve d’un supersonique Concorde en plein vol, en position de décollage, à quarante-cinq degrés, ses réacteurs à pleine puissance crachant des flammes. Il survole des buildings mais, au lieu de s’élever, le Concorde recule, semble tiré vers l’arrière et se diriger vers les immeubles ».

 

Si, dans la réalité, un crash s’est produit, rien de tel dans le rêve : « Il n’est pas trop tard, le Concorde peut récupérer sa puissance », précise le psychanalyste. Pourtant, le rêveur reste angoissé : cet avion, une représentation de lui-même, le renvoie à ses difficultés à s’extraire d’un milieu familial qui le tire vers l’arrière et vers le bas (ici, les immeubles), et à ses amours, loin d’être stimulantes, alors que cet homme est actif, créatif, puissant. Norbert Chatillon : « Son inconscient le prévient : “Tu utilises ton énergie contre toi, et il t’appartient de changer de cap ou non, le responsable de ton destin, c’est toi.” C’est ce surcroît de conscience qui crée de l’angoisse et le réveille brutalement. »

 

À chacun son code

 

Chaque rêveur possède sa propre clé des songes : chaque rêveur est le seul à pouvoir déchiffrer ses productions nocturnes. Pourtant, Freud et Jung ont repéré des symboles et des rêves « typiques », communs à l’humanité. Les longs couloirs, les labyrinthes signalent que nous sommes dans une situation inextricable, incapables de décider. Les objets longs ou tranchants – avions, parapluies, couteaux… – seraient des représentations sexuelles masculines. Mais là encore, attention : à chacun son rêve. Solen et Emmanuelle, 29 et 36 ans, rêvent de façon répétitive qu’elles sont poursuivies par des hommes inconnus armés de poignards ou de scies. La première, élevée par une mère célibataire et féministe militante, exprime sa peur panique des hommes ; la seconde, issue d’un milieu très puritain, se sent coupable de les désirer autant.

 

Perdre ses dents, le grand classique

 

Au hit-parade des cauchemars les plus connus, ceux de perte de dents et de cheveux figurent en bonne place. Vicky lance un SOS sur un de ces forums où les internautes se racontent. Depuis trois mois, elle rêve que ses dents tombent, elle les sent se casser dans sa bouche ; elle se regarde dans le miroir et se voit édentée. Elle se réveille alors, très agitée. Un autre internaute, Aldebaran, lui répond : « Chute des dents, perte de la vitalité, ça peut aussi vouloir dire que tu es découragée, que tu en as assez de te battre. » Vicky acquiesce : « C ’est vrai, en ce moment, je suis au chômage et je n’ai même plus envie de retrouver du travail, je suis lasse de tout. »

 

Faire appel à Internet permet de ne pas rester seul avec ses cauchemars, mais attention aux interprétations caricaturales. « Dans ce type de rêves, je repère souvent un retournement de l’agressivité contre soi, un sentiment d’abandon », commente la psychanalyste Virginie Megglé, auteure de La Projection, à chacun son film… (Eyrolles, 2009).

  

Des bribes d’enfance qui resurgissent

 

Très fréquents également, les rêves de nudité : « Je me retrouve dans la rue sans culotte, raconte Anne, 32 ans. Je me sens en danger, prisonnière des regards, je ne peux ni me rhabiller ni me cacher. » Ces rêves mettraient en scène des fantasmes exhibitionnistes, des vestiges de l’époque d’avant l’apprentissage de la pudeur, où les enfants s’amusent à se promener nus. Ce qui est aujourd’hui un cauchemar fut autrefois un plaisir…

 

Nous sommes aussi nombreux à rêver de la mort de personnes chères. Sauf exception, il ne s’agit pas de souhaits actuels, mais de désirs enfantins qui remontent à l’époque où nous aurions adoré être débarrassé d’un parent rival ou d’un petit frère encombrant. « Le rêve est un morceau de la vie d’âme infantile », écrit Freud. Quant aux rêves où nous avons la sensation de voler puis de tomber, ils sont, dans l’inconscient collectif, des commémorations du mythe d’Icare. Alors qu’Icare et son père Dédale s’enfuient par la voie des airs pour échapper à Minos, roi de Crète, le fils n’écoute pas les conseils paternels (« Ne vole ni trop haut ni trop bas »). Il s’approche trop du soleil, la cire qui maintient ses ailes fond et il s’écrase. « Il se conduit en “petit con” », affirme Norbert Chatillon, qui souligne qu’Icare fut incapable de prendre son envol car Dédale ne cessait de penser à sa place. « Nous parlons de la chute d’Icare, or la difficulté qui se pose à tout individu, c’est l’envol : apprendre à voler de ses propres ailes », poursuit le psychanalyste. Autrement dit, s’autonomiser.

 

Selon Virginie Megglé, les cauchemars seraient d’ailleurs « la mise en scène de ces épreuves initiatiques que nous devons affronter de la naissance à notre dernier jour ». Ils ressuscitent nos craintes les plus originelles et nous parlent de la nécessité d’apprendre à exister par nous-même. Ils traduisent nos réticences à nous lancer dans l’univers du désir et de l’action. Et quand, terrorisé, nous sortons d’un cauchemar, c’est toujours l’enfant que nous étions qui se réveille dans le corps de l’adulte que nous sommes devenu.

 

Des occasions de grandir

 

Le tout-petit peut éprouver des terreurs nocturnes si un épisode de la journée l’a fortement impressionné, mais les premiers vrais cauchemars n’apparaissent que vers 5 ou 6 ans : à l’âge du complexe d’OEdipe. Les désirs incestueux de l’enfant le travaillent la nuit, tandis que, dans la journée, diverses phobies apparaissent. Les mauvais rêves signalent que le moi conscient a saisi que certains désirs doivent impérativement être éliminés, car contraires à la morale. Or ils ne manquent pas de resurgir à la faveur du sommeil, quand la conscience est affaiblie. Transgressifs, et donc effrayants, ils ont pourtant leur utilité. Car pour se construire psychiquement et grandir, nous devons nous confronter à eux !

 

Isabelle taubes www.psychologies.com

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