Suite aux crimes visant le journal satirique charlie hebdo et les attaques récentes de Saint-quentin-Fallavier, le « terrorisme » nécessite d’être redéfini et analysé sous l'angle de la psychologie sociale, pour contenir l’angoisse qu’il provoque et limiter sa capacité toxique d’emprise sur les populations.
L'essence du terrorisme est précisément là, comme l'expliquait Raymond Aron :
" rechercher un impact psychologique hors de proportion avec les effets physiques produits et les moyens utilisés "
Le terrorisme utilise la stratégie de la peur comme levier de masse, pour insuffler une inquiétude diffuse qui vise à déstabiliser les états et à frapper l'opinion par le bruit médiatique.
Dès lors que le monde a connu un formidable accroissement des échanges et un développement inimaginable des nouvelles techniques de l’information et de la communication, du tout image, d’une culture du visuel, ce qui va primer c’est l’esthétique de la mise en scène et la diffusion sans fin des images des événements. On pense bien sûr aux récents événements, au 11 septembre ou encore aux diffusions des exécutions....
Le terrorisme est l'une de ces "nouvelles peurs" décryptées par l'anthropologue Marc Augé. Un phénomène inquiétant en ce qu'il porte et qui défie notre compréhension.
En situation de stress social, il y a augmentation combinée de l’anxiété et de la méfiance. Le phénomène de Rumeur a donc toute place pour apparaître et se diffuser.
Les jugements portés sur le terrorisme expriment un rejet, une condamnation, notamment, au nom de valeurs morales fondamentales pour vivre en paix (liberté, démocratie …), de Normes sociales de comportement indispensables dans une société civilisée (pas de crimes ni de mise en danger des personnes …), de préceptes religieux en faveur de la maîtrise de soi (aimer son prochain …). Ce qui conduit à considérer les auteurs comme d’autant plus étrangers qu’ils sont violents et dangereux !
Il y a toujours, au bout du compte, le camp du bien (assimilé pour nous aux nations occidentales dites « évoluées ») et celui du mal (réseau terroriste, « axe du mal »).
D’une certaine manière, les représentations sociales permettent à la population de faire face au phénomène. L’équilibre, même précaire, peut ainsi être maintenu à travers une vision positive de soi en tant qu’individu, groupe, culture ou société qui s’oppose à un ennemi plus ou moins déshumanisé ou diabolisé.
De l’autre côté, les représentations sociales du terrorisme contribuent à leur donner une visibilité, une reconnaissance et une crédibilité. En d’autres termes, ils sont devenus, à travers nos représentations, ce qu’ils ont voulu être, à savoir des sources crédibles de menace.
On peut donc dire que les représentations sociales participent de et à cette logique de la terreur, devenant alors aussi des outils au service de la cause terroriste. William Thomas disait:
" si nous décrivons une chose comme réelle, elle est devient réelle dans ses conséquences "
Ainsi, notre appréhension du terrorisme est fondée sur notre façon de le construire en tant qu’objet et non sur sa connaissance directe. Le terrorisme est un objet dont nous ne connaissons pratiquement rien. Le terrorisme d'Etat a été remplacé par un terrorisme pluriel, nébuleux, avec un ennemi aux contours flous. En fait, c’est justement l’inconnu qui prend le plus d’importance dans cette construction de l’objet.
Néanmoins, en réponse, nous adoptons une foule de comportements, individuels, de groupes, et en tant qu’État, qui ont des effets importants sur l’ensemble de la population.
Le sondage Ifop pour L’Humanité révèle que deux tiers des Français (66%) estiment aujourd’hui que la France pourrait connaître une explosion sociale au cours des prochains mois. Ce résultat demeure à un niveau élevé, bien qu’inférieur à la dernière mesure (76% en novembre 2013, soit au plus fort du « mouvement des Bonnets rouges »). On remarque que ce risque est jugé certain par un Français sur cinq (20%) alors que ceux qui le réfutent le plus (en répondant que l’explosion sociale n’arrivera « certainement pas ») ne représentent que 6% de la population. >> Télécharger les résultats de l'étude (pdf, 622 ko) .
1. Eléments d’analyse :
Mondialisation culturelle et terrorisme sont associés: le combat entre universalisme et particularismes. Dès lors que la mondialisation culturelle apparaît dans les faits, même de façon caricaturale, comme une homogénéisation des cultures.
Celle-ci correspond en fait à la domination des comportements culturels par le pays qui produit cette culture (journaux, cinéma, musique, modes de vie, etc.). Des groupes hostiles à ce processus développent alors une stratégie de rupture visant à détruire les signes extérieurs et ostentatoires de cette culture.
La culture, dès lors qu’elle fonctionne comme une idéologie constitue le socle à partir duquel vont être légitimées certaines actions terroristes. Bien évidemment, toutes les sociétés sont susceptibles de produire des terrorismes, y compris sur des bases religieuses.
C’est lorsque le risque de stigmatisation de telle ou telle culture prend corps qu’il devient urgent de briser les Stéréotypes, d’expliquer qu’il n’existe bien évidemment pas de culture terroriste en soit.
Robert Merton explique que le consensus social peut mener aux crimes : il suffit que le consensus sur la valeur des objectifs de réussite personnelle soit plus puissant que le consensus sur les moyens acceptables de les réaliser. Par exemple, si une société donnée valorise la richesse de façon disproportionnée tout en « garantissant » que seule une minorité puisse y accéder, les autres vivent une tension qu’ils tentent de contourner d’une manière ou d’une autre.
La disparité et la tension sont souvent évoquées pour expliquer certaines formes de terrorisme. Toutefois, bien des terroristes sont issus de classes sociales moyennes-hautes. Cependant, si l’on se situe au niveau macroscopique, il s’agit d’exceptions. On peut également rappeler que le discours terroriste réajuste constamment le niveau d’analyse des membres en plaçant les disparités au niveau géopolitique et non pas personnel.
Néanmoins, on peut avancer que l'une des grandes tendances du terrorisme moderne est l'élargissement de sa base sociale, la participation d'un grand nombre de représentants de différentes catégories sociales et la formation de cercles relativement stables de "sympathisants »
2. Points de vigilance :
Pour Jeffrey Reiman la guerre contre le crime sert à détourner l’attention du public des conduites dommageables des élites économiques et politiques. Il ne s’agit pas de conspiration, mais d’un état de faits qui a évolué étant particulièrement adapté aux sociétés capitalistes.
L’identification de groupes ou d’individus comme terroristes peut en effet permettre de justifier des actions gouvernementales radicalisées. Cela peut par exemple permettre de dédouaner les gouvernements de leurs propres actions violentes à l’étranger.
Jonathan Simon a remarqué à quel point le concept de crime sert à contrôler une multitude d’aspects de la vie sociale.
3. Le crime permet :
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la mobilisation maximale de l’État (force létale contre ses citoyens)
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la maximisation de la surveillance
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le contrôle d’une foule d’activités à travers le concept de responsabilisation du citoyen
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le renforcement des contrôles déjà existants (sur l’immigration, l’usage de l’internet...)
4. Préconisations :
Il existe une forte tendance à sous-estimer les possibilités qu'offre l'utilisation des facteurs culturels pour la compréhension et la lutte contre le terrorisme. Il s’agit pourtant d’une piste d’efficacité à long terme.
Cet état de fait ne permet pas de comprendre véritablement comment le terrorisme tend à se développer, et ne permet pas non plus d'élaborer des mesures pour prévenir les activités terroristes.
La culture sous toutes ses formes (art, patrimoine culturel, Religion, médias, recherche, enseignement, jeunesse et sport) devrait davantage être considérée comme un moyen de prévention à court terme et d'endiguement à long terme.
Cependant, après des actes terroristes, ces mesures paraissent inappropriées, voir choquantes comme si il fallait à tout prix répondre à la violence par la violence.
5. En guise de conclusion, il serait important :
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d’encourager la réflexion intellectuelle et la recherche sur le terrorisme et la culture afin de mieux comprendre les causes et l’évolution du terrorisme
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de garantir un cadre juridique et politique approprié pour la libre expression et la véritable représentation de toutes les minorités culturelles et de toutes les opinions, politiques, croyances religieuses…
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d’encourager la diffusion de travaux culturels et audiovisuels d’autres régions du monde et de soutenir la mobilité et les échanges d’artistes, d’universitaires et de scientifiques
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de concevoir des projets culturels ciblés sur certaines régions critiques d’Europe où il existe des tensions et un danger de terrorisme.
L'inquiétante propagation tumorale de la barbarie
Alexander George « The Discipline of Terrorology », A. George, Western State Terrorism, New York, Routledge, 1991
Governing Through Crime : Criminal Law and the Reshaping of American Government, 1965-2000
G.T. Marx, la « La société à sécurité maximale » (1987, Déviance et société, 12 (2), 147-166)