31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 11:05

John Bowlby (1907-1990) est un psychiatre et psychanalyste anglais, célèbre pour ses travaux sur l'attachement, la relation mère-enfant. Pour lui, les besoins fondamentaux du nouveau-né se situent au niveau des contacts physiques. Le bébé a un besoin inné du sein, du contact somatique et psychique avec l'être humain.

 

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La famille Bowlby appartenait à la classe aisée à Londres. Quatrième de six enfants, John a été élevé par une bonne d'enfants à la mode britannique de sa classe sociale. Il voyait sa mère seulement une heure chaque jour après le « teatime » (collation de 16 heures), sauf pendant l'été où elle était plus disponible. Comme beaucoup d'autres mères, elle considérait que l’attention et l'affection parentales étaient néfastes pour les enfants. Bowlby a eu la chance d’avoir la même bonne d'enfants dans toute son enfance et il avait presque quatre ans quand elle quitta la famille. Plus tard, il devait décrire cette séparation comme aussi tragique que la perte d'une mère. À l'âge de sept ans, Il fut envoyé dans un internat. Il a considéré cette période comme une terrible épreuve.

Ces expériences dans l’enfance l’ont conduit à avoir une sensibilité particulière pour la douleur des enfants durant toute sa vie.

 

Il intègre la Tavistock Clinic en 1946 et, grâce à son expérience pendant la guerre, l’organisation mondiale de la santé le nomme responsable d’une étude sur les besoins des enfants orphelins ; de cette étude va naître un rapport qui va provoquer l’intérêt et la critique des psychiatres et des psychanalystes (1949).

 

À partir des travaux des éthologues Konrad Lorenz et du couple Harlow, Bowlby va dégager cinq compétences qu'il considère comme innées et qui permettent à l'enfant de s'attacher à sa mère :

  • la capacité de succion (téter)
  • la capacité à s'accrocher
  • la capacité à pleurer
  • la capacité à sourire
  • la capacité à suivre du regard.

 

La théorie de John Bowlby 

 

À la fin des années 1940, les nurseries londoniennes accueillent de nombreux bébés séparés de leurs parents en raison du conflit mondial. L’intérêt porté au développement émotionnel de l’enfant se développe. À la Tavistock Clinic de Londres, le pédiatre et psychanalyste John Bowlby (1907-1990) dirige un séminaire sur « l’observation du développement émotionnel du nourrisson ».

J. Bowlby élabore alors sa théorie. Pour lui, « l’attachement » fait partie des besoins primaires : de même qu’il doit s’alimenter pour grandir, le bébé doit aussi, pour se développer et explorer le monde, pouvoir trouver sécurité et réconfort par un lien privilégié avec l’adulte.

J. Bowlby s’appuie aussi sur ses observations de jeunes enfants et de familles, tout en utilisant les apports de l’éthologie et de la psychologie cognitive. Il avance que les bébés développent des stratégies adaptatives différentes selon la manière dont on en prend soin. Un attachement sécure (le mot vient de l’anglais) engendre une meilleure régulation émotionnelle, et minimise par la suite les troubles de comportement chez l’enfant et l’adolescent.

La théorie de l’attachement est devenue centrale dans le développement de la pédopsychiatrie et a connu de nombreux prolongements. Pourtant, elle a rencontré bien des critiques. Dans les années 1970 notamment, on lui a reproché de donner un rôle central à la mère, et de cantonner ainsi la femme dans un schéma très conformiste. En fait, J. Bowlby ne pointait pas le rôle spécifique de la mère, mais dans la société de l’après-guerre, c’était elle qui s’occupait principalement de l’enfant. Les travaux ultérieurs ont montré que le père ou toute autre personne pouvait prendre soin du bébé et le sécuriser.

 

http://fr.wikipedia.org/

Martine Fournier - www.scienceshumaines.com

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22 avril 2013 1 22 /04 /avril /2013 11:10

Les Confessions (400) de saint Augustin, si elles sont incontestablement l'ouvrage le plus célèbre de cet auteur, ne sont dans l'oeuvre du théologien-philosophe que secondes par rapport à La Cité de Dieu, écrite plus tardivement (412-427) et qui contient la philosophie de l'histoire de saint Augustin.

 

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Le succès des Confessions vient probablement de l'implication personnelle de l'auteur dans cet ouvrage, qui permet au lecteur de suivre un itinéraire de vie. Le livre a toujours été très lu. Il aurait sa place dans une histoire des « romans d'apprentissage » (Bildungsroman). Mais l'apprentissage dont rend compte l'auteur est celui de Dieu. Il pourrait être sous-titré « Comment je suis devenu chrétien ».

 

C'est un ouvrage qui prend la forme d'une « confession ». Le lecteur qui découvre aujourd'hui saint Augustin a souvent lu avant lui Jean-Jacques Rousseau et ses Confessions, qui nous ont fait oublier le vrai sens du mot « confession ». Chez Rousseau, le mot a été détourné de son sens premier. Même si son objectif est de se justifier de l'accusation d'avoir abandonné ses cinq enfants, Jean-Jacques se complaît, en effet, à raconter toutes ses aventures : il exalte son moi et se vante même de ses erreurs. Chez Augustin, le mot « confession » est pris dans son sens premier. Nous découvrons un pécheur qui se tient devant son Dieu et devant les hommes pour s'accuser de tous ses péchés et remercier Dieu de lui avoir fait le don de la grâce.

 

Voici un extrait des Confessions de Saint Augustin, traitant du temps, ce concept étrange et qui nous semble pourtant inné:

 

Méditations d’Augustin sur le temps


XIV. Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?


XX. Or, ce qui devient évident et clair, c’est que le futur et le passé ne sont point ; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps : passé, présent et futur ; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit ; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. Si l’on m’accorde de l’entendre ainsi, je vois et je confesse trois temps ; et que l’on dise encore, par un abus de l’usage : Il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir ; qu’on le dise, peu m’importe ; je ne m’y oppose pas : j’y consens, pourvu qu’on entende ce qu’on dit, et que l’on ne pense point que l’avenir soit déjà, que le passé soit encore. Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup d’inexactes ; mais on ne laisse pas d’en comprendre l’intention.

 

Saint Augustin, Les Confessions, Livre 11, chapitres 14 & 20.

 

Explication du texte par Nicolas Bogler:

 

Saint Augustin, philosophe chrétien du IV ème siècle, réfléchit dans ce texte au concept du temps : qu’est-ce ? Il ira toucher du doigt le paradoxe du temps en tentant de l’expliquer, à savoir que, nous savons ce qu’il est, mais il nous est difficile de l’expliquer car il reste malgré notre conscience du temps, abstrait. Il tente alors de définir passé, présent et futur, et de les raccrocher avec ce qui nous est propre ; il conclut en critiquant nos « abus de langage », à l’origine selon lui, de bien des méprises.

 

Augustin part de l’étrange paradoxe de notre perception du temps : nous savons ce qu’il est, néanmoins nous sommes incapable de l’expliquer à autrui, car nous le « sentons », c’est-à-dire que de manière naturelle nous avons le « sentiment » de temps ; mais il nous est difficile de l’expliquer rationnellement.

 

« Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je  veux répondre à cette demande, je l’ignore. »

Il tente alors de montrer de manière rationnelle ce qu’est le temps, en le définissant autour de trois axes classiques de la perception du temps : le passé, le présent, le futur. Ainsi, le passé existe car les choses ne sont pas éternellement ; Augustin souligne que par la durée limitée des choses, on ne peut qu’affirmer l’existence du passé : « si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ».

 

Le futur, il le justifie, car les choses sont parfois en « attente d’être », elles n’ont pas été, ne sont pas, mais seront ; donc le futur est un temps : « si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir » ; enfin il définit le présent par les choses qui « sont » au moment de l’élocution ; vivant les choses en direct, nous pouvons affirmer l’existence du présent : « si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. ». Après avoir dit que ces trois temps « sont » puisqu’ils existent, il s’interroge, se demandant si il est possible de dire que le passé et le futur « sont » ; en effet « le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore », par conséquent ces temps ne sont pas, mais existent sous une autre forme (puisque l’on a démontré dans la première étape qu’ils existent).

 

Il en est de même pour le présent qui « n’est » pas ; car le présent n’est que l’instant volage qui devient passé ; si le présent était présent constamment, sans devenir passé, il ne serait pas un temps (qui par définition s’écoule) mais une éternité : donc le présent lui-même n’ « est » pas.

C’est là que pour Augustin, il y a une difficulté dans la démonstration rationnelle : « Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ? » : le présent est donc uniquement destiné à ne plus être, sinon il serait éternité ; il y a donc un paradoxe du présent de dire qu’il est alors que pour être considéré comme tel, il doit ne plus être, ou du moins y aspirer. Le temps pose un problème dans la démonstration rationnelle car il n’est que lorsqu’il tend à ne plus être.

 

Après avoir dégrossit les notions de temps, de passé de présent et de futur, Augustin, qui a perçu les contradictions de la démonstration rationnelle, tente de redéfinir ces trois notions, de manière à ce qu’elles soient explicables et sans paradoxe. Il énonce donc : « Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. ». Cette dénomination, qui peut sembler étrange est celle qui « existe dans l’esprit » : en effet le présent du passé c’est quand ce qui à été nous semble être ; il s’agit donc le la mémoire. Le présent du présent est facilement compréhensible, c’est le moment « actuel », celui de l’élocution, de l’action … Et le présent du futur c’est ce qui sera ; nous le concevons car nous sommes capables d’imaginer ce qui sera ; n’étant pas encore on ne peut le définir que en fonction de ce qui est déjà ; c’est pourquoi Augustin énonce : « Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. »

 

De cette manière on peut dire, sans craindre le paradoxe qu’il y a trois temps qui sont car il sont indépendants et ne sont pas dans la nécessité de ne pas être pour exister. Il admet donc que par abus de langage on puis dire qui y a trois temps : le passé le présent et le futur ; néanmoins il nous est important de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un raccourci, mais qu’en réalité les seuls temps qui sont, s’appellent le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur.

 

Sa conclusion est un remarque concernant les mots, ou nous expression en général : « Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup d’inexactes ; mais on ne laisse pas d’en comprendre l’intention. ». C’est-à-dire, de manière moins philosophique que notre langue à beau comporter peu d’expressions propres, on comprend néanmoins bien ce que l’on souhaite exprimer.

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16 mars 2013 6 16 /03 /mars /2013 12:41

Edmund Husserl (1859-1938) est assis à son bureau de travail dans sa maison de Göttingen. Nous sommes en 1910. Le philosophe est en train de rédiger ses Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, manuscrit sur lequel il travaille depuis des années et qu’il a maintes fois repris et remanié.

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C’est le printemps et le philosophe austro-allemand aperçoit par la fenêtre un arbre en fleur. Cet arbre, pense-t-il, est peut-être un bon moyen pour expliquer quelques-unes des idées clés de la nouvelle philosophie qu’il est en train de concevoir : la phénoménologie.


 

La science des essences


 

Prenons cet arbre en fleur, écrit Husserl, « c’est la chose, l’objet de la nature que je perçois ; là-bas dans le jardin ». Ceci est un arbre réel, mais fermons les yeux et oublions cet arbre pour penser à la notion d’arbre.


 

Alors que la nature nous présente des objets réels sous différents états – platane, sapin ou cerisier en fleur –, la pensée peut en extraire un schéma abstrait, une idée pure, une « essence » qui transcende toutes les figures contingentes. L’idée d’arbre est bien formée d’un tronc et de branches. C’est la forme générale, le « noyau commun » qui s’impose lorsqu’on pense à un arbre. Ces idées pures, ou « essences », qui organisent notre pensée et donnent du sens à l’objet, voilà l’objet de la phénoménologie. Elle doit, selon Husserl, proposer une nouvelle voie pour la philosophie
.

 

Husserl fut d’abord mathématicien, passionné par la théorie des nombres. Scientifique, soucieux de ­rigueur, il conçoit la pensée comme une démarche devant aboutir à des conclusions universelles et irréfutables. Il a emprunté à son professeur Franz Brentano (1838-1917) la notion d’« intentionnalité ». Pour Brentano, cette dernière désigne cette capacité particulière de l’être humain à forger des « représentations » – qu’il s’agisse d’une orange, d’une souris ou d’un enfant –, qui ne sont pas des images objectives. Elles portent la marque du sujet qui les produit : de ses désirs, de sa volonté, de son « rapport au monde ». La représentation est dite « intentionnelle » lorsqu’elle exprime le sens que l’individu attribue aux choses. « La conscience est toujours conscience de quelque chose », proclame Brentano.


 

La théorie de l’intentionnalité de Brentano avait vivement impressionné Husserl. Mais son « psychologisme » (qui supposait une totale subjectivité des états mentaux) heurtait l’esprit du mathématicien. Comment donc conjuguer la logique (et ses vérités universelles) et le psychologique (et sa subjectivité) ? Husserl entrevoit alors une façon de résoudre le dilemme en « fusionnant » la théorie de l’intentionnalité de Brentano et les conceptions universalistes des mathématiciens.


 

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Des recherches logiques
 à l’eidétique


 

Il commence alors à rédiger ses Recherches logiques (publiées en deux parties en 1900-1901), dans lesquelles il expose sa découverte. En géométrie, un rectangle est une figure aux caractéristiques universelles : c’est une figure à quatre côtés, dont les angles sont droits. On peut faire varier la taille du rectangle, changer sa largeur ou sa longueur, son essence de rectangle reste la même. Husserl appellera par la suite « variation eidétique » cette démarche qui consiste à modifier par la pensée les caractères d’un objet mental afin d’en dégager l’essence (renommée eidos). Il voudrait alors transposer cette méthode à la perception en général.


Ainsi, lorsque je perçois un objet rectangulaire – une table, un livre, une fenêtre –, je vois en lui à la fois un objet physique et une forme géométrique (le rectangle). Le rectangle est un être mathématique universel, une essence, même si on l’appréhende toujours sous des formes empiriques.


 

Dans ses Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique (qu’on cite généralement « Ideen » en raccourci) Husserl synthétise sa pensée et expose donc son projet : la phénoménologie est la « science des phénomènes » (au sens de phénomènes mentaux) car « elle s’occupe de la conscience ». Alors que la psychologie étudie les comportements et les faits psychiques en laboratoire, la phénoménologie veut en extraire les « essences ». À ce titre, elle est une « science des essences » ou « science eidétique ». Sa démarche repose sur l’« époché » ou « mise en parenthèse » du monde. Car pour s’occuper des essences, il faut « mettre le monde hors circuit » pour axer son esprit sur les idées pures. L’essence de la fleur n’est pas la rose, la marguerite ou la violette : c’est une plante à pétales colorée : voilà ce que toutes les fleurs on en commun. Cette essence de la fleur n’est pas une définition scientifique, c’est ainsi que la conscience la perçoit et l’appréhende spontanément. L’idée de fleur, d’arbre ou d’humain tel est l’objet de la phénoménologie.


 

Husserl pense enfin avoir jeté les fondements d’une philosophie nouvelle dont le champ d’investigation s’ouvre à tous les phénomènes mentaux : souvenir, rêve, expérience esthétique, croyance religieuse.

 

www.scienceshumaines.com

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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 13:02

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1 – VIE DE PIERRE JANET

  

Pierre Janet naît rue Madame à Paris, le 30 mai 1859, de Jules Janet et Fanny Hummel. La famille Janet compte alors plusieurs personnalités : Louis, libraire et auteur, Gustave et Ange-Louis (dit Janet-Lange), graveurs célèbres du 19ème siècle. Son oncle Paul, philosophe reconnu du spiritualisme éclectique fondé par Victor Cousin, marque sa jeunesse. Paul Janet, cousin de Pierre, dirige la prestigieuse École Supérieure d’Électricité de Paris, qui deviendra SUPÉLEC, encore dotée aujourd’hui d’un amphithéâtre « Janet ».

 

Pierre Janet passe son enfance à Bourg-la-Reine « dans une petite maison au grand toit d’ardoise », au fond de l’Allée Gabrielle d’Estrées au n°5. Elle sera détruite en 1958 et remplacée par une résidence. Dans le jardin, il se livre à une de ses grandes passions : la botanique. Il fréquente le Collège Sainte Barbe des Champs à Fontenay-aux-Roses, puis le lycée Sainte Barbe de Paris.

 

A l’adolescence, il traverse une crise douloureuse et perd ses convictions religieuses. Il se passionne alors pour les questions relatives à la volonté, aux sentiments et à la croyance. A l’époque, la psychologie n’est pas encore enseignée, ces thèmes relèvent du domaine de la philosophie, aussi choisit il cette voie pour ses études. En 1879, il entre à l’École Normale Supérieure, où il devient l’ami d’Henri Bergson arrivé l’année précédente. Il obtient son agrégation de philosophie en 1882 puis son doctorat en 1889 (la famille Janet détient le record ex-aequo, du nombre de diplômés de l’École Normale Supérieure). Il enseigne au Lycée du Havre pendant près de 7 ans et gardera tout sa vie un intérêt marqué pour cette discipline : il rédige en 1894 un « Manuel du baccalauréat » de philosophie, qu’il ne cesse de remanier jusqu’en 1923.
 
En cette fin du 19ème siècle, la médecine commence à s’intéresser aux questions psychologiques. T. Ribot en a dessiné le cadre, et à la Salpêtrière, Charcot soutient l’hypothèse de l’origine psychologique des troubles hystériques, la reliant au somnambulisme. Pierre Janet convaincu de l’importance de ces recherches, prend l’habitude de s’occuper bénévolement des aliénés (l’hôpital psychiatrique du Havre est aujourd’hui l’un des deux au monde à porter le nom de Pierre Janet, avec celui de Hull au Canada).
 
Combinant les avancées de Ribot et de Charcot, Pierre Janet considère la pathologie mentale comme une expérimentation naturelle sur le psychisme humain, dont l’interprétation est la voie royale vers les lois de la psychologie normale. Il insiste sur le fait que les phénomènes psychologiques les plus étranges chez ses patients comportent toujours une logique, une sorte d’intelligence. Pour en rendre compte, il se réfère à une tradition philosophique allemande qu’il connaît bien, illustrée par Hartmann et sa théorie d’un « inconscient ». Afin d’éviter l’amalgame avec ces travaux philosophiques qui n’avaient pas été étayés par l’expérimentation psychologique, il le remplace par le terme de « subconscient », qu’il crée pour l’occasion. Pour la première fois, les névroses hystériques reçoivent à la fois une explication théorique et son application, un traitement « moral » adapté. Cette démarche lui permet, dès 1885, de publier des résultats fondamentaux sur les caractéristiques de l’hypnose et de l’hystérie, grâce au concept de dissociation auquel il donne sa forme moderne. Il établit également, le premier, le rôle des souvenirs traumatiques dans la maladie de ses patients. Ces deux avancées majeures font de lui le fondateur de la psychopathologie moderne.

 

Ces premiers travaux sont détaillés dans sa thèse de philosophie "L'Automatisme psychologique" (1889), qui reçoit immédiatement un grand retentissement (à l’heure actuelle, son livre le plus réédité). Réfutant Condillac et la tradition associationniste, critiquant Maine de Biran, s’appuyant en autres sur Ribot et Charcot, sur la tradition du « magnétisme animal » depuis Mesmer, ainsi que sur les témoignages séculaires d’états mystiques et spirites, Pierre Janet montre que l’élément premier de la psychologie n’est ni la perception, ni la raison, ni l’effort, mais l’action. La psychologie doit être une psychologie des conduites, c’est-à-dire des actions avec conscience. La synthèse de ces recherches bibliographiques historiques et de ses propres expérimentations de psychopathologie lui permet d’établir une hiérarchie des phénomènes psychologiques normaux, des plus automatiques (réflexes, agitations) aux plus élaborés (conduites sociales et expérimentales). Ce faisant, il fonde la psychologie comme discipline autonome, en l’émancipant de la philosophie, de la physiologie et de la médecine. Sa thèse impressionne Charcot, qui lui confie alors la direction de son laboratoire de psychologie à la Salpêtrière.

 
Pierre Janet s’installe à Paris, où il habitera pendant quarante ans au n° 54 de la rue de Varenne. Il enseigne la philosophie au lycée Louis-Le-Grand puis au collège Rollin et au lycée Condorcet et la psychologie à la Sorbonne. Dans le même temps, il s’engage dans une thèse de médecine, qui lui vaut son deuxième doctorat en 1893. Il se marie en 1894 avec Marguerite Duchesne, dont il aura trois enfants, Hélène, Fanny et Michel. L'ironie de l'Histoire voulut que la fille de P. Janet, Hélène, épousa E. Pichon, Médecin des Hôpitaux, Pédopsychiatre, linguiste et l'un des Pères fondateurs de la Société Psychanalytique de Paris, futur Maître de Françoise Dolto (inhumée aussi à Bourg la Reine) et de Lacan,.

  

En 1901 il fonde la Société de Psychologie, deuxième au monde après celle des Etats-Unis, qui deviendra plus tard, et jusqu’à aujourd’hui, la Société Française de Psychologie. En 1902, il est nommé Professeur au Collège de France, à la chaire de « Psychologie expérimentale et comparée », laissée vacante par T. Ribot. En matière d’enseignement, il se consacre alors entièrement à cette charge. Il conserve par ailleurs sa pratique de psychothérapeute privé ainsi que ses activités de psychologie expérimentale à la Salpêtrière, qu’il arrêtera en 1910 après la fermeture de son laboratoire. Il fonde en 1903 le Journal de Psychologie Normale et Pathologique.

  

Jusque dans les années vingt, Pierre Janet déploie deux activités principales : d’une part il développe sa psychologie appliquée, l’étude expérimentale des pathologies, publiant une impressionnante somme de résultats et leurs interprétations sous forme de livres et d’articles de recherche, souvent traduits en plusieurs langues, et qui constituent aujourd’hui la base la plus active de sa redécouverte contemporaine et d’autre part, dans ses leçons au Collège de France, il construit une psychologie fondamentale de la conduite normale dont les croyances, les sentiments et la volonté sont les principaux thèmes. Il est invité dans le monde entier pour donner des cours et des conférences, parfois plusieurs mois d’affilée, où son succès international est considérable.

 

À partir de ce moment là,  Pierre Janet développe sa psychologie fondamentale, celle des croyances et des sentiments. En ayant exposé les principes dès les années dix au Collège de France, il élabore désormais une psychologie des « tendances » qui englobe et fonde la psychologie des conduites commencée dès les années quatre-vingt. Sa hiérarchie des conduites, en devenant une hiérarchie des tendances, s’ancre dans la biologie évolutionniste de son temps, en même temps qu’elle soutient et suscite une ouverture de plus en plus nette à divers courants de la psychologie qui donneront plus tard son visage à la recherche contemporaine : psychologie animale, psychologie de l’enfant, psychologie des populations traditionnelles. Ces travaux inspirent directement Jean Piaget, par exemple, dont les premières recherches peuvent être considérées comme la suite de celles de Pierre Janet.

  

Pierre Janet cesse son enseignement au collège de France en 1934, mais reste actif en publiant encore de nombreux articles de recherche dans diverses revues internationales, en recevant toujours des patients, et en participant à divers colloques en France et à l’étranger, où il est invité. Peu de temps avant sa disparition, il travaillait à une vaste synthèse, restée inachevée et inédite, sur la hiérarchie des types de croyances, immédiates, réfléchies, expérimentale, et leur développement dans l’histoire sous les formes de la religion, de la philosophie et de la science. Il meurt le 27 février 1947 d’une congestion pulmonaire. Il est inhumé à Bourg-la-Reine aux côtés des siens, et depuis 2003, sa tombe est entretenue et fleurie par la municipalité.

 

2 – LA PSYCHOLOGIE DE PIERRE JANET

 

La psychologie de Pierre Janet présente des caractéristiques qui la rendent particulièrement intéressante de nos jours : elle est une psychologie intuitive, répondant à nos questions spontanées sur la nature de nos sentiments, les oscillations de notre volonté et les propriétés de nos idées ou croyances. Elle s’est aussi déployée dans le cadre de la recherche internationale, s’assurant ainsi la caution de la seule institution, à l’époque comme aujourd’hui, qui ait jamais été dotée d’une procédure de critique, propre à différentier les « savoirs » d’idées lancées à la volée directement au grand public. Il est à noter qu’aucun système de production des connaissances psychologique ne présente plus, aujourd’hui, ces deux caractéristiques à la fois : les théories « psychologiques » sont légion, mais privées, libres de toute vérification des connaissances, et les résultats de la recherche en psychologie sont – hélas – très éloignés de nos préoccupations intuitives quotidiennes. Enfin, elle constitue le système le plus puissant de ceux, pourtant nombreux, qui ont été proposés à l’époque, avant que la recherche ne perde de vue ces questions, et, malheureusement, tout le domaine avec.

 

La psychologie des conduites de Pierre Janet donne à l’action un rôle causal sur tous les autres phénomènes psychologiques.

 

Pour effectuer une conduite donnée (un groupe d’actions), l’individu puise à trois ressources : son capital propre de Force psychologique, sa capacité à exploiter cette Force (la Tension), et ses tendances particulières (les commandes de ses conduites). Une tendance est munie d’une charge de Force intrinsèque propre à l’individu : la tendance au travail ou à l’alimentation, par exemple, est plus ou moins chargée selon les personnes. À un moment donné, la quantité globale de Force et de Tension détermine le « degré de facilité d’action » auquel l’individu parvient. Jointe à la nature de ses tendances, elle définit le caractère de l’individu, c’est à dire le type et le nombre d’actions ou de conduites qu’il peut effectuer.

 

Le capital de Force et de Tension est variable d’un individu à l’autre, et varie aussi, dans le temps, pour un individu donné (ce sont ses « oscillations »). Ces variations entre individus ou en lui-même, en définissant différents « degrés de facilité d’action », construisent une hiérarchie des actions (ou des conduites) qui ordonnent tous ces degrés. Par ordre de facilité décroissante viennent les actions réflexes, les mouvements volontaires, les actions sociales, les actions expérimentales.

 

L’action est le filtre psychologique entre le monde extérieur et les perceptions. Les perceptions, qui construisent la « réalité », sont des esquisses d’action : un objet semble réel en proportion des actions qu’il inspire. Comme les variations de Force et de Tension construisent une hiérarchie de facilité des actions, elles produisent ipso facto une hiérarchie de la réalité : tous les objets ne sont pas réels au même titre pour tous les individus, et leur réalité varie aussi, pour le même individu, selon ses oscillations.

 

Une action primaire est une réaction, par exemple manger suite à la perception de nourriture. Les actions secondaires sont les régulations de l’action primaire. Elles en sont la prise de conscience et consistent à y ajouter de nouvelles actions. La conscience n’est pas autre chose que cette prise de conscience de l’action. Les principales régulations de l’action sont les croyances et les sentiments, reposant sur le langage. Les formes du langage, comme la perception, sont des esquisses d’action, elles possèdent donc les mêmes degrés que ceux de la hiérarchie des conduites : les formules verbales vides de sens n’ont prise ni sur la réalité, ni sur l’action, les idées n’ont pas prise sur la réalité, mais évoquent une action sans la susciter, les croyances n’ont pas prise sur la réalité, mais suscitent l’action évoquée, et les savoirs prennent en compte la réalité tout en suscitant l’action.

 

La croyance consiste en langage à haute voix revendiquant l’action, ce qui explique qu’elle soit bien visible d’autrui. Son lien à l’action est de l’ordre de la promesse, du pacte, elle est une action différée : la croyance que l’Arc de triomphe est à Paris comporte la promesse d’aller effectivement à l’Arc de triomphe sans sortir de Paris. Leur lien à l’action étant fixe, les variétés de la croyance dépendent de la nature de leurs opérations de langage, qui les distribuent elles aussi, quoi qu’indirectement, sur la hiérarchie des conduites (le langage étant l’évocation d’une action). La croyance asséritive est un langage d’affirmation brute (un mystique n’a aucun doute sur ses apparitions). La croyance réfléchie est le produit d’une discussion avec soi-même ou avec autrui. La croyance rationnelle est une discussion avec respect de règles (le principe logique de non-contradiction par exemple).

 

Les sentiments sont des idées : ils négligent la réalité, et consistent en langage intérieur (la plus petite action possible), ce qui explique qu’ils soient pratiquement invisibles d’autrui. Quand des individus effectuent la même action primaire, seules ces actions secondaires (les sentiments) différencient les expériences vécues : le même dîner est agréable pour certains, ennuyeux pour d’autres. Il existe quatre sentiments fondamentaux, l’effort (augmentation de l’action), la fatigue (diminution de l’action), le triomphe (achèvement de l’action) et l’échec (inachèvement de l’action), dont les combinaisons rendent compte des autres. La peur, par exemple, est une fuite impossible, c’est à dire une combinaison d’effort (augmentation de l’action de fuite) et d’échec (inachèvement de l’action de fuite).

 

3 – ACTUALITE DE PIERRE JANET

 

Les historiens de la psychologie accordent depuis quelques années une place grandissante aux travaux de Pierre Janet. La somme de H. Ellenberger (« Histoire de la découverte de l’inconscient », 1974), longtemps restée seule à démontrer l’importance historique de Pierre Janet, est maintenant rejointe par plusieurs essais et manuels universitaires récents.

 

La Société Pierre Janet de Paris (1970-1998) a réédité les principaux ouvrages psychopathologiques de Pierre Janet. Depuis, de nouvelles rééditions ont eu lieu ou sont en cours, qui incluent ses recherches de psychologie fondamentale. 

 

En psychologie clinique et psychiatrie, les idées de Pierre Janet sont en plein essor, principalement dans le domaine des souvenirs traumatiques et de leur mécanisme, la dissociation. Ces recherches livrent de plus en plus d’études janétiennes, sous forme d’articles spécialisés ou de manuels. La société internationale pour l'étude de la dissociation (ISSD) organise annuellement un Prix Pierre Janet (Pierre Janet Writing Award) depuis 1991. Au Canada, à l’hôpital Pierre Janet s’est adjointe en 1991 une Fondation Pierre-Janet. Au Brésil, l'Académie de Psychologie anime un Centre Pierre Janet. En Allemagne, une Société Pierre Janet a été créée en 2001.

 

Enfin, un Institut Pierre Janet vient d’être fondé à Paris, en 2004. Il a pour but de développer et coordonner les études janétiennes dans le cadre de la recherche internationale, et accueille les articles de chercheurs dans son journal électronique, Janetian Studies. Sa première réalisation est l’édition inédite de la bibliographie intégrale de Pierre Janet. Le site Internet de l’Institut Pierre Janet offre par ailleurs de nombreux autres services, aux chercheurs comme aux curieux.

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8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 12:38

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Une part de l’œuvre de Foucault s’exprime dans le projet de réaliser une anthropologie de la subjectivation. Foucault cherche à faire la généalogie du sujet par les institutions, il ajoute aux techniques de production, de signification (communication), de domination d’Habermas, les techniques de soi.

 

Ce projet s’appuie sur la genèse de textes d’auteurs anciens tant grecs que romains, puis avec une analyse du pastoralisme des premiers chrétiens. Le fil conducteur est la genèse du souci de soi. Trois grandes techniques de soi ou art de se conduire sont relevées : la diététique, l’économique et l’érotique. Ce qui caractérise l’être humain c’est la possibilité de la maîtrise de soi. Pour Foucault l’ascèse est un exercice de soi dans la pensée. « Il y aurait sans doute à faire ou à reprendre la longue histoire de ces esthétiques de l’existence et de ces technologies de soi ».

 

Il se fait le prolongateur d’auteurs tels qu’Epictète « l’être humain est défini comme l’être qui a été confié au souci de soi » ou Sénéque qui affirme le souci de soi tant comme un privilège et un devoir, un don et une obligation qui nous assure la liberté en nous astreignant à nous prendre nous-mêmes comme objet de toute notre application. Dés lors,  se faire soi-même, se transformer, revenir à soi, apprendre à vivre toute sa vie et prendre possession de soi-même sont des finalités auxquelles de nombreuses techniques peuvent être appliquées. Les techniques de soi relevées par Foucault sont variées :

 

  1. -          l’examen vespéral ou matinal,
  2. -          la réalisation d’une retraite,
  3. -          le recueillement,
  4. -          le tête à tête avec soi même,
  5. -          les exercices de la pensée,
  6. -          la réalisation de tâches pratiques,
  7. -          le régime de santé,
  8. -          les exercices physiques,
  9. -          les méditations,
  10. -          les lectures,
  11. -          les remémorations de vérités,
  12. -          les entretiens avec un confident, un guide ou un ami,
  13. -          les correspondances de ses états d’âmes,
  14. -          les activités de parole et d’écriture ou les liens avec autrui.


Rien n’est laissé au hasard d’une vie, tout ici concourt à une direction de la conscience. « l’habileté du lutteur s’entretient par l’exercice de la lutte, un accompagnateur stimule le jeu des musiciens. Le sage a besoin pareillement de tenir ses vertus en haleine ; ainsi stimulant lui-même il reçoit encore d’un autre sage du stimulant » Sénéque lettre 34.


L’enjeu de cette emprise sur soi est d’établir une éthique de la maîtrise. Celle-ci passe par l’examen de conscience. Si l’exercice apparaît pythagoricien, ou platonicien avec la conversation à soi, les pratiques des épicuriens ou des stoïciens sont aussi relevées et prennent la forme de conseils avisés.

 

La finalité étant de faire de soi un havre. Poursuivant l’héritage gréco-romain les chrétiens auraient fait de la réflexivité un trait chrétien. « chaque chrétien se doit de sonder qui il est ce qui se passe à l’intérieur de lui-même, les fautes qu’il a pu commettre, les tentations auxquelles il est exposé. Qui plus est, chacun doit dire ces choses à d’autres, et ainsi porter témoignage contre lui-même »

 

Si les échanges avec des guides, conseillers ou confidents sont expressément relevés les écrits jouent aussi un rôle. Le rapport aux écrits constitue un moyen d’accès à soi Foucault rappelle le rôle des hupomnêmata comme relais dans la subjectivation des discours. Les hupomnêmata pouvaient être des livres de comptes, des registres publics des carnets individuels servant d’aide mémoire. En somme un ensemble de textes placés en réserve pour se constituer et méditer sur des faits, paroles, pensées déjà abordés. Trois raisons expliquent le rôle formateur de ces textes :

 

1.      Les effets de limitations du au couplage de l’écriture avec la lecture

2.      La pratique du disparate qui détermine les choix

3.      L’appropriation

 

« l’écriture est un art de la vérité disparate » ou une manière réfléchie de combiner l’autorité naturelle de la chose déjà dite avec la singularité de la vérité qui s’y affirme et la particularité des circonstances qui en déterminent l’usage. L’écrit prend aussi la forme de correspondance. Le récit épistolaire de soi même comme dans les lettres de Fronton à Marc Aurèle permet la remémoration de tous les faits de la journée et de l’inflexion de son âme. Ici le mécanisme de la confession dispose d’un herméneutique de soi. « on sait bien que la maîtrise sur les choses passe par le rapport aux autres ; et celui-ci implique toujours des relations à soi et inversement »

 

Ce que nous renvoient les analyses des textes classiques le plus souvent à destination des philosophes, dirigeants ou personnage public par Foucault c’est que le gouvernement des autres passe par le gouvernement de soi. Et le gouvernement de soi passe par une ascèse, un examen de soi de ses choix, de ses ressentis, de ses orientations.

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5 novembre 2012 1 05 /11 /novembre /2012 12:03
Né à Paris en 1859, Henri Bergson a 30 ans quand il publie son monumental “Essai sur les données immédiates de la conscience”. Penseur libre (et populaire), prix Nobel de littérature en 1927, il est aussi un homme d’action. Au sortir de la Première Guerre mondiale, il participe à la création de la Société des nations, dans l’idée de prévenir les conflits armés. Puis il sera le premier président de la CICI, ancêtre de l’Unesco. Tenté par le catholicisme, Bergson ne s’est pas converti : il a voulu “rester parmi ceux qui, demain, seront persécutés”, tandis que déferlait sur l’Europe la vague antisémite. Il est mort en 1941.

   

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“Une grande familiarité avec le bergsonisme multiplie les raisons que l’on a de l’admirer”, disait Jankélévitch en 1931. Frédéric Worms, lui, découvre Henri Bergson au programme de l’agrégation et, avec lui, “la réalité du temps, le sérieux de la liberté, les deux sens de la vie, le clos et l’ouvert, quelque chose de vital, donc”. Ce grand philosophe n’était plus enseigné, il l’a réveillé. Aujourd’hui, il est lu comme un classique, discuté, critiqué, replacé dans le siècle qu’il a tant influencé. Décryptage en cinq citations.

 

« Mais alors, à quoi bon le déroulement ? Pourquoi la réalité se déploie-t-elle ? A quoi sert le temps ? »

 

Cette série de questions fut pour moi un choc, une entrée réelle dans la durée réelle, grâce à l’étonnement, à l’indignation qui s’y expriment. Car elle dit ceci : la réalité, notre vie, ne sont pas des choses toutes faites qui n’auraient plus qu’à prendre place « dans » le temps, comme un film déjà tourné dont on serait le spectateur. Le fait que la réalité prenne du temps ou qu’il faille « attendre que le sucre fonde » n’est pas un hasard. Ce n’est pas rien ! C’est un signe : le temps est une réalité, il change quelque chose, notre vie n’est pas un spectacle mais une expérience, la nôtre, unique. Or, par peur, pour prévoir, pour savoir, pour agir, nous devons faire comme si le temps n’existait pas et avec lui, surprise, responsabilité, irréversibilité, nouveauté. Mais une fois qu’on l’a compris, on ne l’oublie plus. C’est cela, avant tout, Bergson.

 

 

« Tout le sérieux de la vie lui vient de notre liberté. »

 

On trouvera cette phrase dans ce livre étonnant et célèbre : « Le Rire ». Avant même de l’expliquer, on en sent la force. Et pour l’expliquer, on fera comme Bergson, par son contraire, qui nous fait rire : l’idée que notre action pourrait n’être pas libre, que quelqu’un en tirerait les fils, que nous serions des pantins, des « marionnettes ». Alors, oui, nous serions ridicules, nous ririons, ce serait, selon la définition bergsonienne du comique, « du mécanique plaqué sur du vivant ». Mais ce que cache le comique, ce n’est pas seulement le vivant, mais le tragique, l’acte libre qui est toujours « grave ». La vie n’est pas une comédie, mais le lieu de notre liberté. Bergson, moraliste discret mais radical, essentiel ou plutôt existentiel.

 

 

 « Ce qui est troublant, angoissant, passionnant pour la plupart des hommes n’est pas toujours ce qui tient la première place dans les spéculations des métaphysiciens. D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Voilà des questions vitales devant lesquelles nous nous placerions tout de suite si nous philosophions sans passer par les systèmes. »

 

Audace de Bergson ! Quoi, serait-il possible de répondre à ces trois questions métaphysiques ou de les poser ? On acceptera, ou pas, la réponse de Bergson : nous sommes des vivants, issus d’une vie qui n’est pas une création divine, qui est une réalité temporelle dans l’univers. Nous la continuons et devons la défendre contre ce qui la menace, la mort, la guerre, les limites de notre espèce. Aujourd’hui, on peut critiquer, déplacer, cette thèse. Mais la philosophie ne pourra pas se dérober.

 

 "Le contraste est frappant dans bien des cas, par exemple quand des nations en guerre affirment l’une et l’autre avoir pour elles un dieu qui se trouve ainsi être le dieu national du paganisme, alors que le Dieu dont elles s’imaginent parler est un dieu commun à tous les hommes, dont la seule vision par tous serait l’abolition immédiate de la guerre. »

 

Ce livre, « Les Deux Sources de la morale et de la religion », devrait être au cœur de notre présent. Bergson y définit la morale par une opposition radicale entre le clos qui ne vaut que pour certains (contre d’autres) et l’ouvert qui vaut pour tous sans exception. Jusque dans la religion – dans chaque religion – le critère du clos et de l’ouvert vaut absolument. Et la guerre le prouve : elle révèle la clôture réelle des morales ou des religions qui se disent ouvertes ; comme son refus sera le critère des morales et des religions réellement ouvertes.

 

 

« Il faut agir en homme de pensée, et penser en homme d’action. »

 

Cette phrase n’est pas seulement une célèbre devise, proposée par Bergson en 1937, quatre ans avant sa mort, dans un hommage à Descartes. Elle ne résume pas seulement sa philosophie. Elle nous frappe en profondeur par son évidence, son équilibre classique, mais aussi par sa tension et son déchirement. Car ce n’est pas si facile d’être ces deux hommes, c’est-à-dire d’être un homme tout court. L’homme, chez Bergson – et peut-être est-ce bien le cas – n’est pas partagé entre une âme et un corps, mais entre deux exigences vitales : vivre au sens d’agir, dans le besoin, l’urgence, le secours ; mais aussi au sens de penser, créer, inventer. Il faut les deux. Ce n’est pas seulement la devise ultime d’une grande sagesse ; c’est la tension concrète de chaque vie.

 

Par Frédéric Worms pour http://www.cles.com/

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4 novembre 2012 7 04 /11 /novembre /2012 14:17

Dans ses derniers textes, le philosophe Gilles Deleuze évoque l’« installation progressive et dispersée d’un régime de domination » des individus et des populations, qu’il nomme « société de contrôle ». Deleuze emprunte le terme de « contrôle » à l’écrivain William Burroughs mais s’appuie pour formuler son idée sur les travaux de Michel Foucault consacrés aux «  sociétés disciplinaires ».

 

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1. Historique

Foucault a situé les sociétés disciplinaires aux XVIIIème et XIXème siècles; elles atteignent leur apogée au début du XXème. Elles procèdent à l'organisation des grands milieux d'enfermement. L'individu ne cesse de passer d'un milieu clos à un autre, chacun ayant ses lois: d'abord la famille, puis l'école (« tu n'es plus dans ta famille»), puis la caserne (« tu n'es plus à l'école»), puis l'usine, de temps en temps l'hôpital, éventuellement la prison qui est le milieu d'enfermement par excellence. C'est la prison qui sert de modèle analogique: l'héroïne d'Europe 51 peut s'écrier quand elle voit des ouvriers « j'ai cru voir des condamnés... ».

Foucault a très bien analysé le projet idéal des milieux d'enfermement, particulièrement visible dans l'usine: concentrer; répartir dans l'espace; ordonner dans le temps; composer dans l'espace-temps une force productive dont l'effet doit être supérieur à la somme des forces élémentaires. Mais ce que Foucault savait aussi, c'était la brièveté de ce modèle: il succédait à des sociétés de souveraineté, dont le but et les fonctions étaient tout autres (prélever plutôt qu'organiser la production, décider de la mort plutôt que gérer la vie); la transition s'était faite progressivement, et Napoléon semblait opérer la grande conversion d'une société à l'autre. Mais les disciplines à leur tour connaîtraient une crise, au profit de nouvelles forces qui se mettraient lentement en place, et qui se précipiteraient après la Deuxième Guerre mondiale: les sociétés disciplinaires, c'était déjà ce que nous n'étions plus, ce que nous cessions d'être.

Nous sommes dans une crise généralisée de tous les milieux d'enfermement, prison, hôpital, usine, école, famille. La famille est un « intérieur », en crise comme tout autre intérieur, scolaire, professionnel, etc. Les ministres compétents n'ont cessé d'annoncer des réformes supposées nécessaires. Réformer l'école, réformer l'industrie, l'hôpital, l'armée, la prison; mais chacun sait que ces institutions sont finies, à plus ou moins longue échéance. Il s'agit seulement de gérer leur agonie et d'occuper les gens, jusqu'à l'installation de nouvelles forces qui frappent à la porte. Ce sont les sociétés de contrôle qui sont en train de remplacer les sociétés disciplinaires. « Contrôle », c'est le nom que Burroughs propose pour désigner le nouveau monstre, et que Foucault reconnaît comme notre proche avenir. Paul Virilio aussi ne cesse d'analyser les formes ultra-rapides de contrôle à l'air libre, qui remplacent les vieilles disciplines opérant dans la durée d'un système clos. Il n'y a pas lieu d'invoquer des productions pharmaceutiques extraordinaires, des formations nucléaires, des manipulations génétiques, bien qu'elles soient destinées à intervenir dans le nouveau processus. Il n'y a pas lieu de demander quel est le régime le plus dur, ou le plus tolérable, car c'est en chacun d'eux que s'affrontent les libérations et les asservissements. Par exemple dans la crise de l'hôpital comme milieu d'enfermement, la sectorisation, , les hôpitaux de jour, les soins à domicile ont pu marquer d'abord de nouvelles libertés, mais participer aussi à des mécanismes de contrôle qui rivalisent avec les plus durs enfermements. Il n'y a pas lieu de craindre ou d'espérer, mais de chercher de nouvelles armes.

II. Logique

Les différents internats ou milieux d'enfermement par lesquels l'individu passe sont des variables indépendantes: on est censé chaque fois recommencer à zéro, et le langage commun de tous ces milieux existe, mais est analogique. Tandis que les différents contrôlats sont des variations inséparables, formant un système à géométrie variable dont le langage est numérique (ce qui ne veut pas dire nécessairement binaire).

Les enfermements sont des moules, des moulages distincts, mais les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto-déformant qui changerait continûment, d'un instant à l'autre, ou comme un tamis dont les mailles changeraient d'un point à un autre. On le voit bien dans la question des salaires : l'usine était un corps qui portait ses forces intérieures à un point d'équilibre, le plus haut possible pour la production, le plus bas possible pour les salaires ; mais, dans une société de contrôle, l'entreprise a remplacé l'usine, et l'entreprise est une âme, un gaz. Sans doute l'usine connaissait déjà le système des primes, mais l'entreprise s'efforce plus profondément d'imposer une modulation de chaque salaire, dans des états de perpétuelle métastabilité qui passent par des challenges, concours et colloques extrêmement comiques. Si les jeux télévisés les plus idiots ont tant de succès, c'est parce qu'ils expriment adéquatement la situation d'entreprise. L'usine constituait les individus en corps, pour le double avantage du patronat qui surveillait chaque élément dans la masse, et des syndicats~qui mobilisaient une masse de résistance; mais l'entreprise ne cesse d'introduire une rivalité inexpiable comme saine émulation, excellente motivation qui oppose les individus entre eux et traverse chacun, le divisant en lui-même. Le principe modulateur du « salaire au mérité » n'est pas sans tenter l'Education nationale elle-même: en effet, de même que l'entreprise remplace l'usine,la formation permanente tend à remplacer l'école, et le contrôle continu remplacer l'examen. Ce qui est le plus sûr moyen de livrer l'école à l'entreprise.

Dans les sociétés de discipline, on n'arrêtait pas de recommencer (de l'école à la caserne, de la caserne à l'usine), tandis que dans les sociétés de contrôle on n'en finit jamais avec rien, l'entreprise, la formation, le service étant les états métastables et coexistants d'une même modulation, comme d'un déformateur universel. Kafka qui s'installait déjà à la charnière de deux types de société a décrit dans Le procès les formes juridiques les plus redoutables: l'acquittement apparent des sociétés disciplinaires (entre deux enfermements), l'atermoiement illimité des sociétés de contrôle (en variation continue) sont deux modes de vie juridiques très différents, et si notre droit est hésitant, lui-même en crise, c'est parce que nous quittons l'un pour entrer dans l'autre. Les sociétés disciplinaires ont deux pôles: la signature qui indique l'individu, et le nombre ou numéro matricule qui indique sa position dans une masse. C'est que les discipline n'ont jamais vu d'incompatibilité entre les deux, et c'est en même temps que le pouvoir est massifiant et individuant, c'est-à-dire constitue en corps ceux sur lesquels il s'exerce et moule l'individualité de chaque membre du corps (Foucault voyait l'origine de ce double souci dans le pouvoir pastoral du prêtre - le troupeau et chacune des bêtes - mais le pouvoir civil allait se faire« pasteur» laïc à son tour avec d'autres moyens). Dans les sociétés de contrôle, au contraire, l'essentiel n'est plus une signature ni un nombre, mais un chiffre: le chiffre est un mot de passe, tandis que les sociétés disciplinaires sont réglées par des mots d'ordre (aussi bien du point de vue de l'intégration que de la résistance). Le langage numérique du contrôle est fait de chiffres, qui marquent l'accès à l'information, ou le rejet. On ne se trouve plus devant le couple masse- individu. Les individus sont devenus des «dividuels », et les masses,des échantillons, des données, des marchés ou des «banques ». C'est peut-être l'argent qui exprime le mieux la distinction des deux sociétés, puisque la discipline s'est toujours rapportée à des monnaies moulées qui renfermaient de l'or comme nombre étalon, tandis que le contrôle renvoie à des échanges flottants, modulations qui font intervenir comme chiffre un pourcentage de différentes monnaies échantillons. La vieille taupe monétaire est l'animal des milieux d'enfermement, mais le serpent est celui des sociétés de contrôle. Nous' sommes passés d'un animal à l'autre, de la taupe au serpent, dans le régime où nous vivons, mais aussi dans notre manière de vivre et nos rapports avec autrui. L'homme des disciplines était un producteur discontinu d'énergie, mais l'homme du contrôle est plutôt ondulatoire, mis en orbite, sur faisceau continu. Partout le surf a déjà remplacé les vieux sports.

Il est facile de faire correspondre à chaque société des types de machines, non pas que les machines soient déterminantes, mais parce qu'elles expriment les formes sociales capables de leur donner naissance et de s'en servir. Les vieilles sociétés de souveraineté maniaient des machines simples, leviers, poulies, horloges; mais les sociétés disciplinaires récentes avaient pour équipement des machines énergétiques, avec

le danger passif de l'entropie, et le danger actif du sabotage; les sociétés de contrôle opèrent par machines de troisième espèce, machines informatiques et ordinateurs dont le danger passif est le brouillage, et l'actif, le piratage et l'introduction de virus. Ce n'est pas une évolution technologique sans être plus profondément une mutation du capitalisme. C'est une mutation déjà bien connue qui peut se résumer ainsi: le capitalisme du XIX"siècle est à concentration, pour la production, et de propriété. Il érige donc l'usine en milieu d'enfermement, le capitaliste étant propriétaire des moyens de production, mais aussi éventuellement propriétaire d'autres milieux conçus par analogie (la maison familiale de l'ouvrier, l'école). Quant au marché, il est conquis tantôt par spécialisation, tantôt par colonisation, tantôt par abaissement des coûts de production. Mais, dans la situation actuelle, le capitalisme n'est plus pour la production, qu'il relègue souvent dans la périphérie du tiers monde, même sous les formes complexes du textile, de la métallurgie ou du pétrole. C'est un capitalisme de surproduction. Il n'achète plus des matières premières et ne vend plus des produits tout faits: il achète les produits tout faits, ou monte des pièces détachées. Ce qu'il veut vendre, c'est des services, et ce qu'il veut acheter, ce sont des actions. Ce n'est plus un capitalisme pour la production, mais pour le produit, c'est-à-dire pour la vente ou pour le marché. Aussi est-il essentiellement dispersif, et l'usine a cédé la place à l'entreprise. La famille, l'école, l'armée, l'usine ne sont plus des milieux analogiques distincts qui convergent vers un propriétaire, Etat ou puissance privée, mais les figures chiffrées, déformables et transformables, d'une même entreprise qui n'a plus que des gestionnaires. Même l'art a quitté les milieux clos pour entrer dans les circuits ouverts de la banque. Les conquêtes de marché se font par prise de contrôle et non plus par formation de discipline, par fixation des cours plus encore que par abaissement des coûts, par transformation de produit plus que par spécialisation de production. La corruption y gagne une nouvelle puissance. Le service de vente est devenu le centre ou 1'«âme» de l'entreprise. On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde. Le marketing est maintenant l'instrument du contrôle social, et forme la race impudente de nos maîtres. Le contrôle est à court terme et à rotation rapide, mais aussi continu et illimité, tandis que la discipline était de longue durée, infinie et discontinue. L'homme n'est plus l'homme enfermé, mais l'homme endetté. Il est vrai que le capitalisme a gardé pour constante l'extrême misère des trois quarts de l'humanité, trop pauvres pour la dette, trop nombreux pour l'enfermement : le contrôle n'aura pas seulement à affronter les dissipations de frontières, mais les explosions de bidonvilles ou de ghettos.

III.Programme

Il n' y a pas besoin de science-fiction pour concevoir un mécanisme de contrôle qui donne à chaque instant la position d'un élément en milieu ouvert, animal dans une réserve, homme dans une entreprise (collier électronique). Félix Guattari imaginait une ville où chacun pouvait quitter son appartement, sa rue, son quartier, grâce à sa carte électronique (dividuelle) qui faisait lever telle ou telle barrière; mais aussi bien la carte pouvait être recrachée tel jour, ou entre telles heures; ce qui compte n'est pas la barrière, mais l'ordinateur qui repère la position de chacun, licite ou illicite, et opère une modulation universelle.

L'étude socio-technique des mécanismes de contrôle, saisis à leur aurore, devrait être catégorielle et décrire ce qui est déjà en train de s'installer à la place des milieux d'enfermement disciplinaires, dont tout le monde annonce la crise. Il se peut que de vieux moyens, empruntés aux anciennes sociétés de souveraineté, reviennent sur scène, mais avec les adaptations nécessaires. Ce qui compte, c'est que nous sommes au début de quelque chose. Dans le régime des prisons: la recherche de peines de « substitution» au moins pour la petite délinquance, et l'utilisation de colliers électroniques qui imposent au condamné de rester chez lui à telles heures. Dans le régime des écoles: les formes de contrôle continu, et l'action de la formation permanente sur l'école, l'abandon correspondant de toute recherche à l'Université, l'introduction de 1'« entreprise» à tous les niveaux de scolarité. Dans le régime des hôpitaux: la nouvelle médecine « sans médecin ni malade» qui dégage des malades potentiels et des sujets à risque, qui ne témoigne nullement d'un progrès vers l'individuation, comme on le dit, mais substitue au corps individuel ou numérique le chiffre d'une matière « dividuelle » à contrôler. Dans le régime d'entreprise: les nouveaux traitements de l'argent, des produits et des hommes qui ne passent plus par la vieille forme-usine. Ce sont des exemples assez minces, mais qui permettraient de mieux comprendre ce qu'on entend par crise des institutions, c'est- à-dire l'installation progressive et dispersée d'un nouveau régime de domination. Une des questions les plus importantes concernerait l'inaptitude des syndicats: liés dans toute leur histoire à la lutte contre les disciplines ou dans les milieux d'enfermement, pourront-ils s'adapter ou laisseront-ils place à de nouvelles formes de résistance contre les sociétés de contrôle? Peut-on déjà saisir des ébauches de ces formes à venir, capables de s'attaquer aux joies du marketing ?

Beaucoup de jeunes gens réclament étrangement d'être « motivés », ils redemandent des stages et de la formation permanente; c'est à eux de découvrir ce à quoi on les fait servir, comme leurs aînés ont découvert non sans peine la finalité des disciplines. Les anneaux d'un serpent sont encore plus compliqués que les trous d'une taupinière.
 
-in L'autre journal, n° l, mai 1990-

 

Biographie:

 

Gilles Deleuze est un philosophe français né à Paris le 18 janvier 1925 et mort à Paris le 4 novembre 1995. Des années 1960 jusqu'à sa mort, Deleuze a écrit de nombreuses œuvres philosophiques très influentes, sur la philosophie, la littérature, le cinéma et la peinture notamment.

 

D'abord perçu comme un historien de la philosophie, Deleuze se révèle vite un créateur en philosophie : il s'intéresse tout particulièrement aux rapports entre sens, non-sens et événement (à partir de l'œuvre de Carroll et du stoïcisme grec). Il développe une métaphysique et une philosophie de l'art originales. Avec Félix Guattari, il crée le concept de déterritorialisation, menant une critique conjointe de la psychanalyse et du capitalisme.

 

Ses œuvres principales, Différence et répétition (1968), Logique du sens (1969), L'Anti-Oedipe (1972) et Mille Plateaux (1980) (ces deux dernières écrites avec Félix Guattari), eurent un retentissement certain dans les milieux universitaires occidentaux et furent très à la mode des années 1970 aux années 1980. La pensée deleuzienne est parfois associée au post-structuralisme. Bien qu'il ait déclaré s'être toujours vu comme un métaphysicien.

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25 octobre 2012 4 25 /10 /octobre /2012 11:19

"Freud n'était pas le pervers incestueux décrit par le philosophe Michel Onfray pour démonter ses théories !"  Inédite, la parution de sa correspondance privée avec ses enfants révèle l'intimité d'une famille pas si différente des autres...

 

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Freud et sa fille Anna en 1913.

 

C'était un patriarche à l'ancienne qui parlait contraception avec ses filles. Longtemps inédite, la correspondance de Freud avec ses enfants montre un père à la fois traditionnel et libéral.

 

Quel père était donc Freud ? Les critiques allemands n'ont pas manqué de se poser la question lors de la parution de cette correspondance largement inédite, entretenue avec ses enfants entre 1898 et 1939, tant la figure paternelle joue un rôle central dans sa théorie. Il s'agit là « d'une lecture du plus haut intérêt, précisément parce que c'est moins Freud le psychanalyste que Freud le chef de famille qui écrit », souligne Lothar Müller dans le « Süddeutsche Zeitung ». Rien à voir, donc, avec les lettres à sa fille Anna - la seule à être devenue psychanalyste -, publiées il y a quelques années, et d'ordre plus « professionnel ». Ce nouveau recueil rassemble les lettres de Freud à ses cinq autres enfants (et à leurs conjoints), ainsi que certaines de leurs réponses. « Freud leur écrit avec simplicité, clarté, de façon posée, son style est précis mais ni froid, ni dénué d'humour », note Christine Pries dans le«Frankfurter Rundschau ».

 

On y découvre son goût pour les jeux de hasard et la cueillette des champignons. Et, surtout, un curieux mélange de père moderne et traditionnel. Car s'il délègue à sa femme Martha l'éducation des enfants, suivant en cela la plus pure tradition bourgeoise, Freud ne leur inflige pas de châtiments corporels et se soucie sincèrement de leur bonheur. Ils pourront toujours compter sur son soutien, notamment financier, et sur son ouverture d'esprit : on le voit ainsi, dans une lettre, donner des conseils de contraception à sa fille Sophie, qui attend un bébé qu'elle ne désire pas.

 

« Freud était indubitablement un chef de famille patriarcal, mais il remplissait ce rôle d'une façon libérale. Il se mêle des projets de mariage, donne son avis sur les prétendants, se renseigne sur eux mais, que ce soit pour ses fils ou ses filles, il ne met jamais de veto, il encourage plutôt ses enfants à prendre eux-mêmes leur décision », remarque Lothar Müller. Son sens de la famille s'étend même aux pièces rapportées :

« En mai 1932, Freud écrit à son gendre Max Halberstadt, qui, après la mort de Sophie et malgré son remariage, continue à faire partie de la famille : ''En attendant, restons soudés''. Cette phrase donne son titre au livre. Elle montre comment, pendant des décennies, Freud a veillé à la cohésion des siens.»

Selon Elisabeth von Thadden du« Zeit », l'immense influence du patriarche sur ses enfants remonte à leur prime jeunesse. Tous sont nés entre 1887 et 1895, une époque où il manquait de temps pour s'en occuper : « Ce sont les années les plus denses de son existence, des années fondatrices où il élabore sa méthode. » Son travail l'absorbe alors presque totalement. « Le père passe douze à quinze heures par jour dans son cabinet, parfois même dix-huit. Mais ce père est là malgré tout, à côté. Il apparaît pour les repas, souvent absent, silencieux et toujours enveloppé par la fumée de ses cigares. Cette dialectique de l'absence et de la présence a dû énormément contribuer à l'ascendant de Freud sur ses enfants », analyse la critique.

 

Tous semblent en tout cas, à lire les comptes-rendus de la presse allemande, avoir vécu par la suite dans l'ombre écrasante du grand homme, cherchant à s'en affranchir sans jamais vraiment y parvenir. Les fils choisissent des professions très éloignées de la psychanalyse. Martin devient juriste, Oliver ingénieur et Ernst architecte. Mais, hormis Oliver, tous profiteront à un moment donné de la renommée de leur père. Après avoir enchaîné les petits boulots, Martin finit par obtenir une allocation de la part des Archives Freud à New York. Quant à Ernst, il a largement bénéficié pour sa belle carrière d'architecte du réseau des psychanalystes...

 

Pour Lothar Müller, l'une des caractéristiques marquantes de ces lettres serait en dernier ressort leur « fatalisme ». Il « imprègne la façon dont Freud, depuis sa première opération en 1923, accepte le cancer qui le ronge, prend des mesures dans la perspective sa mort, revoit son testament et finalement emprunte en 1938 le chemin de l'exil vers Londres.»

 

Books:

« "Unterdeß halten wir zusammen" Briefe an die Kinder »
(« ''En attendant, restons soudés''. Lettres à ses enfants »)
par Sigmund Freud.

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1 septembre 2012 6 01 /09 /septembre /2012 11:37

On a longtemps cru que l’enfant n’avait pas une réelle et forte activité cérébrale avant l’âge de deux ans. Jean Piaget, dans la première partie du XXème siècle apportera une nouvelle vision de la pensée et des réflexions chez le jeune enfant, qui aujourd’hui encore, continue d’inspirer les professionnels.

 
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Jean Piaget en quelques dates


1896 : Naissance le 9 août à Neuchâtel (Suisse).
1907 : À l’âge de 11 ans, Jean Piaget écrit un commentaire sur un moineau albinos. Ce premier article est considéré par certains spécialistes comme le début de ses nombreux travaux de recherche.
1920 : Piaget obtient un doctorat de malacologiste (étude des mollusques).
1921 : Il devient chef de travaux à l’institut Jean-Jacques Rousseau (Suisse).
De 1925 à 1971 : Il sera professeur successivement de psychologie, sociologie et philosophie des sciences, dans diverses universités (Neuchâtel, Genève, Lausanne, Sorbonne à Paris).
1955 : Jean Piaget fonde le Centre International d’Epistémologie Génétique qui regroupe de nombreux psychologues et neuro-psychologues. Leurs travaux en psychologie génétique et épistémologie portent sur la construction progressive des connaissances au fil de l’âge, dès la plus tendre enfance.
1980 : Jean William Fritz Piaget meurt à Genève.

 

Le constructivisme


Rien n’est inné, tout se construit !
Jean Piaget estime que le psychique se développe dès l’enfance, petit à petit, avec l’acquisition de structures de complexité croissante. Cette construction progressive va à l’encontre des théories qui se basent sur le caractère « inné » de certaines compétences.
Pour Piaget, l’intelligence est donc liée à l’adaptation biologique et évolue dès les premiers jours de vie. De là, il établit 4 grandes phases successives du développement cognitif chez l’enfant.

Les stades de l’évolution psychique de l’enfant


La plus grande partie des recherches de Piaget a porté sur l’analyse des comportements des jeunes enfants. Piaget fut l’un des premiers à analyser les méthodes de pensée chez les tout petits.
D’après ses observations (qui ont essentiellement porté sur ses propres enfants), la pensée de l’enfant peut se découper en plusieurs stades :

  • Stade « sensori-moteur » : de 0 à 2 ans.

L’enfant appréhende le monde à travers sa perception et ses actions. Durant cette première période, il intègre petit à petit certaines règles du fonctionnement du monde physique qui l’entoure, et commence à prendre conscience de la possibilité d’agir dessus.
Pour Piaget, c’est durant ce stade que l’intelligence se développe.

  • Stade préopératoire : de 2 à 7 ans.

À partir de 2 ans, l’enfant devient capable de se représenter un objet (ou une personne), même si il n’est pas en face de lui. C’est également durant cette phase que naît la capacité d’imiter les autres.
À partir de 3 ans, l’enfant entre dans une phase d’exploration où sa curiosité l’amène à toucher à tout.
C’est aussi le moment ou la parole se développe, ainsi qu’une dimension égocentrique : l’enfant ne perçoit le monde que par rapport à lui.
À partir de 4 ans, Piaget voit se développer la notion de « syncrétisme » : l’imagination de l’enfant est débordante, et il tient à donner une explication à tout.
Avant 7 ans, l’enfant perçoit tout ce qui l’entoure (objets, animaux…), comme doté d'une âme : c’est une période d’animisme.

  • Stade des opérations concrètes : de 7 à 11 ans.

L’enfant commence à avoir une approche et un mode opératoire plus concrets sur les objets. En effet, il commence à posséder une certaine expérience par rapport au monde qui l’entoure, et qu’il parvient petit à petit à comprendre, à conceptualiser. C’est par exemple au cours de cette phase que l’enfant abordera des problèmes de mathématiques abstraits.

  • Stade des opérations formelles : de 11 à 14 ans.

L’esprit de l’adolescent va petit à petit accéder à la notion d’abstraction, et à des capacités intellectuelles dites « supérieures », dans le sens où elles s’assimilent aux capacités des adultes.
Vers 14-15 ans, il parviendra à utiliser une logique abstraite et pourra réfléchir sur des questions d’ordre moral ou des notions philosophiques.

 

Bibliographie de Piaget


Voici quelques-uns des ouvrages de Jean Piaget :
- La naissance de l'intelligence chez l'Enfant, Delachaux et Niestlé, 1936.
- La construction du réel chez l'enfant, Delachaux et Niestlé, 1937.
- Six études de psychologie, Folio essais, 1964.
- Études sociologiques, Librairie Droz, 1965.
- Logique et connaissance scientifique, Encyclopédie de la Pléiade, 1967.
- Biologie et connaissance, Éditions de la Pléïade, 1967.
- L'épistémologie génétique, Que sais-je ?, PUF.
- La psychologie de l'enfant, Jean Piaget et Bärbel Inhelder, 1966, PUF.
- Le comportement, moteur de l'évolution, Éditions du seuil, 1976.
- Le structuralisme, Que sais-je ?, PUF.
- De la pédagogie, Éditions Odile Jacob, 1988.

 

www.santé-a-z.com

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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 12:22

Grand acclimateur de la théorie linguistique, Claude Lévi-Strauss a atteint par son œuvre scientifique un rayonnement international. Mais c’est autant le penseur sensible à la nature et l’écrivain talentueux que les Français ont découvert en lisant Tristes tropiques.

 

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<< Depuis qu'il commencé à respirer, et à se nourrir, jusqu'à l'invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu - et sauf lorsqu'il se reproduit lui-même -, l'homme n'a rien fait d'autre qu'allégrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d'intégration.>>  

 

« J’étais à l’époque une sorte de structuraliste naïf. Jakobson m’a révélé l’existence d’un corps de doctrine déjà constitué dans une discipline, la linguistique, que je n’avais jamais pratiquée. Pour moi ce fut une illumination. » C’est ainsi qu’avec le recul Claude Lévi-Strauss décrit sa rencontre, à New York en 1942, avec le linguiste praguois Roman Jakobson. De cette « illumination », il a tiré depuis une œuvre, une méthode, une vision des cultures humaines, en même temps qu’il introduisait le structuralisme en sciences sociales.

 

À l’avant-garde du structuralisme français

 

Né en 1908 dans une famille cultivée, Lévi-Strauss est, en 1934, un jeune agrégé de philosophie assez déçu par son métier et par ses engagements politiques à gauche. L’occasion lui est offerte d’aller enseigner la sociologie à São Paulo, Brésil  : il la saisit. Il y restera presque cinq ans, profitant des vacances pour visiter les villages indiens du Matto Grosso. L’ethnographie est sa nouvelle vocation. En 1940, il est en France libre et, pour fuir les persécutions antisémites, traverse l’Atlantique où, en compagnie d’autres exilés européens, il enseigne à la New School for Social Research, écrit sur les Nambikwaras du Brésil et se spécialise en ethnologie américaine. C’est là, entendant Jakobson, qu’il entreprend d’acclimater la notion de structure à son propre champ d’étude : les mœurs, la culture. Il publie plusieurs textes sur le sujet qui le font connaître aux États-Unis, puis, de 1945 à 1948, il est à New York comme attaché culturel. Son premier ouvrage, Les Structures élémentaires de la parenté, qui paraît en 1949 à Paris est un événement salué.

 

Dans ce gros livre, Lévi-Strauss développe une thèse : tous les systèmes de parenté remplissent une fonction primordiale qui consiste à codifier les règles du mariage entre familles. Certaines sociétés les organisent de façon systématique et contraignante : on parle alors de « systèmes élémentaires ». Lévi-Strauss montre que les formes d’échange qui en résultent suivent un petit nombre de modèles, restreints ou généralisés. En quoi cela fonde-t-il le « structuralisme » ? La notion existait en anthropologie : on parlait de « structure sociale » pour désigner ce que dans les sociétés lettrées on appelle les « institutions » (organisations familiales et politiques).

 

Mais dans l’usage de Lévi-Strauss, une structure est autre chose : une représentation inconsciente (déjà présente dans les théories Freudiennes), comme peuvent l’être dans le cas de la langue les règles de formation des mots et des phrases. D’autre part (il prend cela à Jakobson), la parenté forme un système : pour le comprendre, on doit en considérer l’état présent et non l’histoire. Telles sont les idées qui transforment le structuralisme en réponse d’avant-garde pour toute question qu’on voudra lui soumettre : histoire, culture, psychologie, psychanalyse, littérature, sociologie. « Avant-garde » veut dire « inévitable », mais pas partout apprécié : Lévi-Strauss, deux fois retoqué, attendra neuf ans pour entrer au Collège de France, alors qu’il est l’anthropologue le plus brillant et le plus lu de sa génération, grâce à un récit philosophique, Tristes tropiques (1955), qui dénonce l’extinction des cultures amérindiennes.

 

 

Perplexité et admiration

 

En 1953, Harvard lui envoie un émissaire chargé de l’embaucher : il refuse. Lévi-Strauss tient à faire carrière en France. Quand enfin il entre au Collège de France, il y installe en 1961 un grand laboratoire d’anthropologie sociale, et lance une revue, L’Homme, rapidement la plus en vue dans la spécialité. Elle l’est encore aujourd’hui. Pour Lévi-Strauss vient le temps de consolider son œuvre. Après Anthropologie structurale (1958), La Pensée sauvage (1962) programme l’extension de l’analyse structurale aux savoirs naturalistes, aux rites et aux mythes. Puis Lévi-Strauss se plonge dans la réalisation : mettre en forme et publier les travaux qu’il mène depuis 1950 sur les mythes amérindiens.

 

Ce sera son chef-d’œuvre : plus de 4 000 pages serrées montrant comment, du Nord au Sud du Nouveau Monde, les mythes, ramenés à une série d’oppositions catégorielles, se répondent les uns aux autres, et sont porteurs de sens non explicites. Encensés, rarement lus, ces Mythologiques (1964-1971), sont un aboutissement du projet de Lévi-Strauss : montrer qu’indépendamment de toute fonction, les structures existent et sont des réalités plus abstraites que concrètes, des constructions de l’esprit humain. Dans un texte resté célèbre, le « finale » de L’Homme nu (Mythologiques, t. IV), il conclut crânement que, peut-être, les mythes ne signifient « rien ». De là, sans doute, la perplexité mêlée d’admiration avec laquelle son œuvre est parfois accueillie. Mais son exemple suffit : Jean-Pierre Vernant, Marcel Détienne travailleront la mythologie grecque à sa manière.

   
En 1973, Lévi-Strauss accepte volontiers un siège d’académicien. Son œuvre est à cette date loin d’être achevée : bien d’autres travaux sur les arts, la parenté, les mythes encore viendront s’ajouter et, parfois, répondre à des objections qui lui sont faites. Depuis les années 1960, en effet, les idées de Lévi-Strauss suscitent commentaires et critiques, comme celles d’Edmund Leach en Angleterre, de Marvin Harris aux États-Unis.

 
Au tournant des années 1980, alors que Lévi-Strauss se retire de l’enseignement avec les honneurs, la tendance est, en France, à la critique de son œuvre : taxé d’antihumanisme, le structuralisme est fustigé par les nouveaux philosophes. Il est aussi attaqué pour son manque de rigueur par des critiques cyniques plus scientistes (Dan Sperber, Le Savoir des anthropologues, 1983). Il n’empêche : la marque laissée par Lévi-Strauss sur l’anthropologie et quelques autres régions du savoir universitaire est indélébile. La preuve : on discute encore aujourd’hui des Structures élémentaires de la parenté et de sa « formule canonique » appliquée aux mythes.

   

 

- Une critique des utopies fusionnelles -

  
Constatant la mondialisation de la civilisation occidentale, Claude Lévi-Strauss souligne qu’elle s’est faite sous la contrainte. À ses yeux, la valorisation de l’autre n’est pas un mouvement spontané, c’est plutôt l’ethnocentrisme qui est normal.

 
«Cette adhésion au genre de vie occidental, ou à certains de ses aspects, est loin d’être aussi spontanée que les Occidentaux aimeraient à le croire. (...). La civilisation occidentale a établi ses soldats, ses comptoirs, ses plantations et ses missionnaires dans le monde entier ; elle est intervenue directement ou indirectement dans la vie des populations de couleur ; elle a bouleversé de fond en comble leur mode traditionnel d’existence soit en imposant le sien, soit en instaurant des conditions qui provoquaient l’effondrement des cadres existants sans les remplacer par autre chose. Les peuples subjugués ou désorganisés ne pouvaient qu’accepter les solutions de remplacement qu’on leur offrait ou, s’ils n’y étaient pas disposés, espérer s’en rapprocher suffisamment pour être en mesure de les combattre sur le même terrain. En l’absence de cette inégalité dans le rapport de force, les sociétés ne se livrent pas avec une telle facilité ; leur Weltanschauung se rapproche de celle de ces tribus du Brésil oriental où l’ethnographe Curt Nimuendaju avait su se faire adopter, et dont les indigènes, chaque fois qu’il revenait parmi eux après un séjour dans les centres civilisés, sanglotaient de pitié à la pensée des souffrances qu’il devait avoir subies loin du seul endroit (leur village) où ils jugeaient que la vie valût la peine d’être vécue. » (Anthropologie structurale).

 

 www.scienceshumaines.com

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