Utiliser les punitions corporelles pour faire obéir un enfant, c’est imaginer qu’il “ comprendra ” et que la perspective d’une nouvelle punition l’amènera à ne pas répéter le comportement qu’on a voulu réprimer. On pense que n’entrent en jeu que le désagrément de la punition, l’intelligence de l’enfant et sa volonté, ce qui va lui faire éviter de subir de nouveau ce désagrément... Mais l’enfant n’est pas seulement un corps sensible aux punitions, une intelligence et une volonté. Quand on frappe un enfant, on interfère avec les comportements innés que nous avons en commun avec les primates.
Le comportement d’imitation
Ce comportement apparaît chez l’enfant dès les premières heures de sa vie et il est évidemment un des premiers concernés. Grâce aux recherches effectuées en 1992 par le professeur Giacomo Rizzolati, de l’Université de Parme, on sait que notre cerveau comporte des neurones nommés, en raison du rôle qu’ils jouent, “ neurones-miroirs ”. Lorsque nous observons un comportement quelconque, ils s’activent comme si nous adoptions, en agissant, le même comportement. L’observation d’une attitude, d’un geste, prépare la voie, dans le cerveau, à son imitation. Autrement dit, le cerveau de l’enfant qui voit son père ou sa mère le frapper, s’active exactement comme si, lui-même, frappait. Frapper un enfant, c’est d’abord lui apprendre à frapper. C’est ouvrir dans son cerveau les chemins de la violence. Et il faut noter que la violence éducative est une violence de haut en bas, du fort sur le faible. Autrement dit, elle n’apprend même pas à l’enfant à se défendre, elle lui apprend à agresser les êtres les plus faibles. On sait aussi, d’après une série d’expériences rapportées dans le livre du psychologue Albert Bandura, " Agression, analyse d’un apprentissage social ", que pour qu’un comportement violent soit effectivement transmis, trois conditions sont nécessaires. D’abord, que les enfants admirent et aiment leurs modèles. Que les modèles réussissent à modifier le comportement de l’enfant. Et enfin, qu’ils les aient amenés à croire que les punitions violentes étaient méritées. Ces trois conditions sont le plus souvent remplies dans la relation parents-enfants. En frappant un enfant, on ne lui communique pas la civilisation mais son contraire : la violence.
Les comportements de sauvegarde
Ce sont ceux qui poussent un animal à s’immobiliser, à fuir ou à se défendre quand un danger se manifeste. Une expérience présentée par Henri Laborit, dans le film " Mon oncle d’Amérique ", est très éclairante sur ce sujet. Un rat, placé dans une cage double et soumis à des chocs électriques légers à travers le plancher de la cage, se porte parfaitement s’il a la possibilité, à chaque choc, de fuir dans l’autre partie de la cage d’où, quand il reçoit un nouveau choc, il peut repasser dans la première. Sa tension reste égale et, si on le dissèque, on ne découvre aucune lésion dans ses organes. Même chose si l’on met deux rats dans la cage et que, attribuant les chocs électriques à la présence de l’autre rat, ils peuvent se battre. L’expérience peut durer longtemps sans conséquences néfastes pour les rats. Mais si on place un seul rat dans une cage d’où il ne peut pas fuir, le rat se recroqueville sur lui-même, sa tension monte et, quand on le dissèque, on découvre des lésions dans son système digestif. Les hormones du stress, normalement destinées à provoquer chez l’animal la fuite ou la défense, ont attaqué son organisme parce qu’elles ne pouvaient pas jouer leur rôle normal. On sait aujourd’hui que les hormones du stress attaquent même les neurones. Or, quelle est la situation de l’enfant frappé par ses parents ? C’est celle du troisième rat qui ne peut ni fuir ni se défendre. Le stress déclenché par les coups et la peur des coups attaque son organisme et peut provoquer dans son cerveau les micro-lésions dont parlait Damasio.
Les comportements d’attachement
Identifiés et analysés par le psychanalyste anglais Bowlby dans les années 50, les comportements d’attachement sont aussi affectés par la violence parentale. Il peut s’agir là d’une véritable perversion qui lie, dans le psychisme de l’enfant, l’amour et la violence. De nombreux visiteurs de sites sadomasochistes sur Internet témoignent qu’ils doivent aux fessées de leur enfance leur difficulté à accéder à l’orgasme sans être frappés. La violence conjugale aussi a bien souvent pour source la violence parentale. Et il y a fort à parier qu’une bonne part des violences exercées par les garçons sur les filles prend sa source dans la violence éducative.
Les comportements de soumission
Ils sont en fait un prolongement des comportements d’attachement. Leur besoin de lien social est si fort que les jeunes singes se soumettent au mâle dominant malgré les frustrations qu’ils en subissent. En contraignant l’enfant à l’obéissance, la violence éducative peut le porter à la provocation mais, le plus souvent, elle renforce cette tendance innée à la soumission. Les expériences de Stanley Milgram ont montré que les deux tiers des hommes sont capables de torturer à mort un de leurs semblables par simple soumission à une autorité qu’ils reconnaissent. Et contrairement à ce que l’on croit, la violence éducative apprend moins l’obéissance à la loi qu’à dire qu’elle pousse aussi bien ceux qui y ont été soumis à obéir à un petit caïd de quartier qu’à un Hitler, un Saddam Hussein ou Kim-Jong-II, avec tous les degrés de violence collective que cela peut entraîner. Ainsi, loin d’avoir un effet périphérique et superficiel, les coups donnés à l’enfant par ses parents l’atteignent jusque dans les zones les plus centrales et archaïques de son cerveau. Nous croyons le frapper sur les fesses, la figure, les mains ou le dos, alors qu’en fait c’est un peu comme si nous déclenchions le mécanisme d’une arme à tête chercheuse qui, à notre insu et contre notre volonté, va frapper l’enfant droit au cerveau.
Olivier Maurel* pour http://www.psychanalysemagazine.com/
*Pour en savoir plus, lire :
" La Fessée, questions sur la violence éducative ",
La Plage Éditeur.