Huit mois après Britannica, l'encyclopédie Universalis arrête à son tour la version imprimée pour devenir 100% numérique. Microsoft Encarta jette l'éponge en 2011... Que faut-il penser de l'hégémonie "Wikipédia" ?
L'une après l'autre, les encyclopédies papier jettent l'éponge. Après Britannica en mars dernier, et Larousse qui était déjà passé au tout numérique sur ce créneau, Universalis a annoncé mardi 13 novembre qu'il arrêtait la diffusion de son édition physique. Près de 240 ans après l'achèvement du dernier volume du Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et D'Alembert, la France ne disposera bientôt plus d'aucun ouvrage papier collectif tentant de rassembler le savoir universel. Une révolution au pays des Lumières.
L'éditeur français ne rend pas pour autant complètement les armes dans l'univers de l'imprimé. Une septième et ultime édition en 30 volumes est lancée. Les collectionneurs en particulier apprécieront la démarche puisque les 999 exemplaires produits seront numérotés et accompagnés d'un certificat d'authenticité signé par l'éditeur. Cette dernière version imprimée de l'encyclopédie, 40 ans après la première édition complète, ne devrait pas avoir de mal à se vendre puisqu'elle sera proposée, uniquement en dehors du commerce, au prix de 1.494 euros, au lieu de 3.660 euros. Au moment où nous écrivons ces lignes, il ne restait plus que 743 exemplaires disponibles.
Hervé Rouanet, directeur général d'Universalis, explique les raisons du tournant stratégique pris par son entreprise :
Arrivée des CD-ROMs
La décision prise par Universalis d'arrêter son édition imprimée est en réalité l'aboutissement d'un long processus engagé depuis une vingtaine d'années. Car le déclin des éditions papier avait commencé dans les années 1990 face à la progression, déjà, du numérique. La démocratisation des ordinateurs et l'arrivée des CD-ROMs ont remis en cause le modèle économique traditionnel des éditeurs. Ainsi, alors que l'encyclopédie Universalis s'est écoulée à 700.000 exemplaires depuis sa création, les ventes culminent à 2.000 exemplaires par an en moyenne depuis 10 ans. Le public boude alors ces ouvrages devenus encombrants et trop chers. D'autant que dans l'intervalle, un redoutable concurrent gratuit est arrivé sur le marché.
A peine 11 ans après le lancement officiel de Wikipédia, aucune encyclopédie papier n'aura finalement survécu. Le site collaboratif créé en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger a rencontré en quelques années un succès considérable, malgré les nombreuses erreurs relevées dans certains articles, inexactitudes ayant entamé la crédibilité du site. Il a permis l'accès rapide à un contenu imposant et très diversifié, tout en autorisant chaque internaute à modifier pratiquement toutes les entrées. Aujourd'hui, la version française compte plus de 1,3 million d'articles. Impensable pour des livres. A titre de comparaison, Universalis n'est composée "que" de quelques milliers d'articles. Résultat : Wikipédia est aujourd'hui le sixième site internet le plus visité au monde selon le spécialiste de la mesure du trafic Alexa.com.
Wikipédia dispose effectivement de nombreux avantages par rapport au papier : cette encyclopédie est accessible partout avec une connexion internet (pas besoin de transporter des volumes de plusieurs kilos), le passage d'un article à un autre se fait quasiment instantanément, le contenu est enrichi avec des photos, des fichiers sonores et des vidéos et, enfin, elle est mise à jour quasiment en temps réel. En fait, il s'agit d'un mix entre les atouts numériques du bon vieux CD (puis du DVD), associés aux avantages d'internet en matière de mise à jour et de collaboratif.
La contre-attaque des Anciens face au Moderne
Des DVD qui sont aujourd'hui également en difficulté, puisque les informations qu'ils contiennent ne s'adaptent pas assez rapidement à l'évolution des connaissances. A la fin de l'année dernière, Microsoft a renoncé à son encyclopédie numérique Encarta, pourtant pionnière dans le domaine avec une première version datant de 1993. Là encore, Wikipédia a fait de gros dégâts. Si Larousse et Universalis proposent encore des DVD, le marché risque, lui aussi, de disparaître à terme.
Les spécialistes du papier n'ont toutefois pas abdiqué face au site participatif américain. Car la fin du contenant ne signifie pas la fin du contenu. Les encyclopédies traditionnelles sont désormais entièrement numérisées. Depuis 2008, Larousse propose un site internet semi-collaboratif où se mêlent des articles d'internautes vérifiés par des spécialistes et des articles issus du corpus de l'éditeur. Le tout est proposé gratuitement et financé par la publicité. Larousse n'a donc pas hésité à s'inspirer de Wikipédia, tout en conservant ce qui fait sa force d'éditeur : la sélection et la vérification des données. Un reproche que l'on fait régulièrement à Wikipédia, très souvent sujet à la manipulation ou aux combats idéologiques entre contributeurs sur certaines entrées. Ce qui jette encore le trouble sur sa neutralité !
Universalis, de son côté, développe une stratégie similaire à celle de Britannica, une société sœur appartenant à la même holding que l'éditeur français. Le numérique représente déjà près de la moitié des 6 millions d'euros de chiffre d'affaires de l'entreprise prévu pour 2012. Son site destiné au grand public, Universalis.fr, reçoit près d'un million de visiteurs uniques par mois et totalise près de 10.000 abonnés à 79 euros par an. Car contrairement à Larousse, Universalis continue de faire le pari du payant. La société commercialise également une vingtaine d'ebooks (livres numériques) thématiques, sur Amazon notamment. Mais, conscient de la place prise dans le cœur du grand public par Wikipédia, Universalis a décidé de concentrer ses efforts sur le marché des professionnels de l'éducation, avec des offres adaptées aux bibliothèques, aux lycées et aux collèges.
Trois stratégies s'affrontent donc désormais dans le monde encyclopédique : le gratuit libre et collaboratif financé par les dons, le gratuit semi-collaboratif financé par la publicité, et enfin le payant non collaboratif. Des modèles économiques qui peuvent tout à fait cohabiter sur le long terme.