Des neurobiologistes français ont trouvé une protéine naturelle, FKBP52, qui, dans les neurones, interagit avec la protéine tau. Avec cette nouvelle arme, ils espèrent combattre les protéines tau anormales dans la maladie d'Alzheimer.
-Bénédicte Salthun-Lassalle est journaliste à Pour la Science et Cerveau & Psycho-
La protéine tau est présente dans de nombreuses cellules de l'organisme – notamment les neurones. Quand elle s'accumule de façon anormale, elle provoque un dysfonctionnement des neurones et de leurs connexions, ce qui engendre des démences nommées tauopathies. La maladie d'Alzheimer est la plus fréquente de ces tauopathies. Pourra-t-on détruire la protéine tau anormale, pour protéger les neurones ? En 2010, Étienne-Émile Baulieu et ses collègues, de l'Institut Baulieu à Paris, ont découvert une protéine, FKBP52, qui se lie à la protéine tau. Ils montrent aujourd'hui que cette protéine est absente du cerveau de patients décédés d'une tauopathie. Pourrait-on en faire une arme contre les protéines tau anormales ?
La protéine tau (tubulin associated unit) participe à la stabilité des neurones, à leur fonctionnement et à leur entretien en interagissant avec des filaments cellulaires nommés microtubules (constitués de tubuline). Quand la protéine tau est anormale, elle s'agrège et forme, dans les neurones, des lésions particulières nommées dégénérescences neurofibrillaires ou DNF. Ces agrégats sont-ils toxiques pour les neurones ? Est-ce plutôt l'absence de protéine tau normale ? On l'ignore, mais toujours est-il que la protéine tau ne remplirait plus ses fonctions et provoquerait, par un mécanisme à élucider, un dysfonctionnement, voire la mort, des neurones.
Les tauopathies, pathologies caractérisées par une accumulation de protéines tau anormales, sont souvent des démences qui se développent avec l'âge, la progression de la démence étant accélérée par l'accumulation de la protéine tau anormale dans les neurones. La maladie d'Alzheimer est la tauopathie la plus fréquente. Les neurones des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer présentent de nombreuses dégénérescences neurofibrillaires (les protéines tau anormales portent alors des groupes phosphorylés, mais ne sont pas mutées), et des plaques dites amyloïdes se forment à l'extérieur des neurones. Or on ignore si l'une de ces deux anomalies provoque l'apparition de l'autre et engendre la dégénérescence des neurones et la maladie. La plupart des équipes de recherche étudient les plaques amyloïdes dans l'espoir de les détruire et de préserver les neurones. Quoi qu'il en soit, les plaques amyloïdes seules ne suffisent pas à provoquer une démence, et tous les traitements visant à éliminer ces plaques se sont révélés inefficaces pour l'instant. Alors pourquoi ne pas s'intéresser à la protéine tau anormale ?
C'est la stratégie originale qu'ont développé É.-É. Baulieu et son équipe, d'autant que les autres tauopathies présentent seulement des anomalies de la protéine tau (sans plaques amyloïdes). Ainsi, en 2010, ils ont découvert un partenaire de la protéine tau normale dans les neurones : la protéine FKBP52. Cette protéine, abondante dans le cerveau, s'oppose à l'accumulation des protéines tau anormales dans des cellules en culture, et elle en diminue l'effet toxique vis-à-vis des neurones. En outre, elle est toujours liée à la protéine tau normale dans des neurones sains et elle interagirait aussi (d'une façon qui reste à déterminer) avec la protéine tau anormale.
É.-É. Baulieu et ses collègues ont montré désormais que la quantité de protéine FKBP52 est diminuée de 75 pour cent environ dans le cerveau de patients décédés d'une tauopathie, y compris d'une maladie d'Alzheimer, comparé au cerveau de personnes décédées d'une autre maladie. Et moins cette protéine est exprimée, plus les neurones contiennent de protéines tau anormales. Le précurseur de la protéine FKBP52 dans les neurones – l'ARN messager – existe toujours dans le cerveau des patients Alzheimer; par conséquent, il reste à comprendre pourquoi la protéine disparaît.
Dès lors, la protéine FKBP52 participerait au fonctionnement normal de la protéine tau. Les neuroscientifiques prévoient désormais plusieurs stratégies. Ils voudraient développer un test pour prédire l'apparition d'une tauopathie : une diminution de la présence de FKBP52 dans le liquide céphalo-rachidien de patients, voire dans leur sang, permettrait-elle d'anticiper le développement d'une tauopathie ? En outre, chez les poissons zèbres, ils étudient comment l'absence de FKPB52 perturbe le système nerveux : la mort des neurones serait provoquée non seulement par la protéine tau anormale, mais aussi par une absence de FKBP52. Enfin, ils examinent par résonance magnétique nucléaire les interactions de cette protéine avec les protéines tau normales et anormales, et cherchent ainsi des molécules susceptibles de « réguler » l'expression de FKBP52, une arme qui pourrait détruire les protéines tau anormales.
Bien sûr, des années de recherche scientifique seront nécessaires pour comprendre comment FKBP52 régule les protéines tau, d'autant que d'autres protéines interagissent peut-être avec tau et qu'on ignore les conséquences d'une modification de l'expression de FKBP52 sur le fonctionnement normal des autres cellules de l'organisme et du cerveau.