24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 07:38

Voici l'article polémique du Docteur Thierry Florentin, médecin psychiatre, qui met à jour preuve à l'appui, un immense réseau fondamentaliste et radical, adepte des sciences cognitives (FondaMental, ça ne vous dit rien ?). L'opinion publique, tout d'abord attirée par cette belle vitrine que ces sciences proposent, semble enfin discerner les sombres aspects déshumanisants qu'elles dissimulent avec minutie !

 

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Le patient rentable de demain sera t-il traité comme une simple machine ?

 

Texte en deux parties: Partie 1

 

La troisième vague, tel est le titre d'un des derniers ouvrages francophones destiné à présenter le cognitivo-comportementaliste, à la suite du cognitivisme et du comportementalisme.

S'agit il d'une vague d'assaut ?

 

Avons-nous suffisamment pris conscience, les uns et les autres, que nous n'avons ici pas seulement affaire à des théories, faut-il encore prouver qu'elles existent, à une pratique, ni même à des applications, mais à un programme.

 

Et que ce programme, qui revendique son appui sur les neurosciences, est en train de s'emparer à petit pas du contrôle plein et entier d'un certain nombre de domaines majeurs de la vie, individuelle, publique et collective, et pas seulement la vie psychique.

 

Pas seulement la psychanalyse, même si celle-ci se trouve être dans sa première ligne de mire.

Avez-vous par exemple entendu parler du Law and neurosciences project, fruit de la coopération entre plusieurs universités et administrations américaines, qui se donne pour objectif d'utiliser les données de l'imagerie cérébrale comme preuve à charge afin de démontrer la culpabilité d'un suspect, sa responsabilité pénale, ou ses tendances déviantes, afin de parvenir à changer les lois aux Etats-Unis (1) ? Connaissez vous leur devise ? The time is now, "le moment est venu".

 

Nous assistons à l'extension hégémonique d'un scientisme des temps nouveaux, sous sa forme la plus moderne, le neuroscientisme.

Le cognitivo-comportementalisme en est un de ses fers de lance, sans en être pour autant le seul.

  

Quelle en est sa visée ?  

Parvenir à constituer un homme nouveau, littéralement un changement de la nature humaine.

Ceux qui auront appréciés les grands évènements du XXème siècle que furent le nazisme et le stalinisme sauront reconnaitre la patte inhérente à tout système totalitaire.

Et notre fascination, la fascination collective pour ce type d'entreprise, la servitude volontaire, montre que nous, l'espèce humaine, justement, l'affaire homme disait Romain Gary, n'avons non seulement su tirer aucune leçon du passé, mais que nous sommes prêts à en redemander.

 

Cette fois cependant, il n'y aura besoin d'aucune violence ni contrainte pour nous l'imposer, le neuromarketing, aux techniques déjà bien rodées, ayant quant à lui largement et au-delà de ses espérances, réussi sa percée et son implantation durable dans nos vies et dans nos habitudes de consommation. Il suffit de se promener dans les allées d'un supermarché, pour que vos sens olfactifs, visuels, et auditifs, soient pris en charge de façon subliminale pour amener vos pas là où il a été décidé de vous emmener.

  

Et la neuroéconomie ?

L'ultra libéral Guy Sorman nous donne les linéaments de ce qui nous attend (2) :

"Les acteurs économiques ont tendance à se conduire à la fois rationnellement et irrationnellement. Les travaux en laboratoire ont démontré qu'une partie de notre cerveau endosse la faute pour nombre de nos décisions à court terme économiquement erronées, tandis qu'une autre est responsable des décisions sensées dans ce même domaine de l'économie, prises généralement à plus long terme. Tout comme l'Etat nous protège des asymétries d'information chères à Akerlof en condamnant le délit d'initié, ne devrait il pas aussi nous protéger de nos propres impulsions irrationnelles ?"

  

Tout en nuançant, cependant : "...Il serait absurde de recourir à l'économie comportementale pour justifier la restauration des régulations étatiques excessives. Après tout, l'Etat n'est pas plus rationnel que l'individu, et ses actions peuvent avoir des conséquences énormément destructrices. La neuroéconomie devrait nous encourager à rendre les marchés plus transparents, et non pas plus régulés"

  

A la fin de sa vie, en 1936, le prix Nobel Ivan Pavlevitch Pavlov, qui aimait à se présenter à ses collègues scientifiques en Occident comme un réfractaire au système bolchevique, et qui avait pourtant reçu tous les pouvoirs, et tous les privilèges de la part de Lénine, puis de Staline, déclarait dans un aveu renversant, et ce au moment même où plus de cinq millions de paysans étaient déjà morts, des suites de la famine ou de la déportation, et alors que l'URSS vivait sous terreur, que "ses découvertes étaient la base scientifique de l'expérimentation sociale réalisée en l'URSS en vue de l'édification du surhomme soviétique. (3)".

Il y a tout de même une différence d'avec un régime totalitaire, c'est que nous ne pouvons identifier aucune tête véritable à ce programme, qui viendrait en répondre devant un Nuremberg de l'humanité.

Il n'y a pas de théorie du complot à dénoncer, pas de grand décideur, pas de Big Brother qui superviserait les recherches en neurosciences.

 

Il n'y a pas une tête, mais des têtes, des têtes bien faites pourtant, des chercheurs émérites et doués, aux motivations variées, et qui avancent, en rang dispersé, mais tout à fait déterminé et cohérent, au service d'une cause, celle de la modernité.

  

Quelle est cette modernité ?

S'agit il de la modernité des Lumières, comme certains, ici ou là, ont pu le soutenir ?

Cependant les Lumières n'ont jamais renié la subjectivité telle que ce nous voyons aujourd'hui à l'oeuvre.

Pourrait on parler d'une modernité de la modernité, une "seconde modernité", une modernité d'un type nouveau, comme tendrait à l'avancer Marie-Jean Sauret dans son ouvrage, L'effet révolutionnaire du symptôme.

  

Une modernité composée, dit-il, de "l'alliage d'une technoscience entendant fabriquer l'objet qui manque à chacun, et d'une idéologie scientiste soutenant que rien ne doit plus jamais rester impossible ?"

Il y aurait donc un grand Autre de l'Autre, revendiqué par les neurosciences et ce sont les techniques cognitivo-comportementales, des instruments qui permettraient d'agir directement et immédiatement sur le réel.

Pourrions nous cependant être à ce point naïf pour penser que tout cela s'arrêterait là, et que l'homo cognitivus, enfin débarrassé des tracas de la castration, et qui vient de faire chuter la muraille de l'impossible, ne vienne relancer sans cesse l'offre cognitiviste ?

  

Nous ne le savons pas, mais nous dirigeons vers des techniques encore et toujours plus performantes, d'augmentation cognitive, de "rehaussement" cognitif.

Il s'agit, entre autres, de programmes d'interventions invasives sur le cerveau, on appelle cela la nanorobotique cérébrale, par implantation de microprocesseurs dans telle ou telle zone du cerveau, l'hippocampe par exemple, programmes mal connus du grand public, et pour le moment réservés à l'ingénierie militaire.

Mais oui, l'ingénierie militaire.

  

Vous pensiez sans doute aux services hospitaliers de rééducation neurologique, où cette recherche viendrait contribuer à proposer une suppléance à des grands déficits neurologiques invalidants, et vous n'y êtes absolument pas.

Car comme l'écrit Joelle Proust, qui présente ces travaux dans un récent numéro de la Revue Le débat (4), avant qu'il soit proposé à tout un chacun de faire librement son marché parmi les dispositifs d'augmentation cognitive, de choisir d'améliorer son raisonnement, sa capacité de planifier, ou la capacité de ses affects, ces programmes sont avant tout destinés à faire la guerre, à fabriquer une nouvelle espèce dans l'humanité, hybridée de l'homme et de la machine, où les limitations de la biologie auraient disparu.

"Que deviendrait l'humanité", demande-t-elle, "si ces techniques étaient confisquées par une faction décidée à imposer ses vues industrielles, religieuses, ou sa domination politique ?".

   

Fiction, spéculation hasardeuse ?

On repense à Pavlov, aux hommages appuyés qui lui furent rendus par les gouvernements soviétiques, longtemps après sa disparition, au soutien continu qu'il reçut de Staline pour ses recherches.

On repense aussi à Burrhus Frederic Skinner, ce théoricien du behaviorisme à qui la plus grande association de psychologues des Etats Unis, l'Association Américaine de Psychologie, décerna en 1990 le titre de "the most prominent psychologist of the century", et à son roman Walden Two, récemment traduit en français (5), qui décrivait ce que pourrait être une démocratie idéale qui organiserait sa base sociale sur des concepts behavioristes.

  

On sait qu'à la suite de ce roman, un certain nombre de communautés furent encouragées à se créer, il en persiste toujours une, active depuis plus de trente ans, Los horcones (6), au nord du Mexique, forte d'une cinquantaine de membres, et qu'elle continue à étudier sur ceux-ci l'interaction socio-comportementale.

Le chef de file actuel de la psychologie comportementale sur le continent latino-américain, Ruben Ardila, fit encore mieux, en écrivant un Walden Tres, qui concernait cette fois non plus une communauté d'individus, mais un Etat, une nation, même si pour les besoins du roman, l'expérience tournait mal, et que les protagonistes se retrouvèrent assassinés par la C.IA., ou finirent en prison.

  

Pour les besoins du roman, seulement, car pour les comportementalistes, il ne fait aucun doute que le type de gestion sociale imaginé par Skinner, l'ingénierie comportementale, devrait inspirer les dirigeants politiques actuels, qu'il s'agisse de l'économie, de l'éducation, des médias, des loisirs, etc...

Roman utopique, vraiment ? Dans Walden deux revisité, calqué sur Retour au meilleur des mondes, d'Huxley, qui avait lui parfaitement décrit les dangers de tous ces mécanismes, et s'était démarqué du 1984 d'Orwell, précisément par l'absence de toute coercition violente sur ses membres, Skinner raconte qu'il reçut un jour un coup de fil d'un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, qui lui confiait que les Etats-Unis devaient arrêter d'exporter l'"américan way of life", et se consacrer à exporter des Walden two à la place. Et Skinner conclut : "De grands changements doivent être réalisés... Quelque chose comme Walden Two ne seraient pas un mauvais commencement".

  

L'exploitation du thème écologique à l'oeuvre dans Walden two, ne peut ici qu'entrainer l'adhésion du lecteur, qui en effet ne serait pas contre le gaspillage des ressources de la planète, et contre la pollution ? Cependant, qu'en serait-t-il de ceux qui n'adhèreraient pas, justement, de ceux qui seraient rebelles au programme de renforcement cognitif, de ceux qui loin de présenter le "réflexe de servitude" cher à Pavlov lorsqu'il parlait des koulaks russes exterminés, présenteraient "le réflexe de liberté" ?

  

Quel rapport avec les pacifiques thérapies cognitivo-comportementales ?

Il s'agit tout simplement du même programme politique, et des mêmes conceptions.

Ouvrons les premières pages d'un ouvrage de vulgarisation du cognitivo-comportementalisme, où l'auteur explique au lecteur profane qu'il existe deux types de vulnérabilité, une vulnérabilité génétique individuelle, liée à la personnalité, qui entrerait pour moins de 50% dans la décompensation psychique, et que le reste est expliqué par l'histoire individuelle et les évènements récents, c'est la vulnérabilité historique.

Qu'est ce que cette vulnérabilité génétique signifie ? Où nous mène t elle ?

  

A l'eugénisme ?

Nous ne sommes pas si éloignés des présupposés et des discours sur la dégénérescence.

Dans ce qui fût certainement sa dernière intervention publique, alors qu'il était déjà très malade, Edouard Zarifian, qui fût, rappelons le, l'un des pionniers en France de l'imagerie cérébrale, dénonçait les limites méthodologiques et l'usage biaisé de tous ces merveilleux appareils qui permettent de visualiser les structures cérébrales.

  

"Tout ce que l'on peut voir avec ces techniques", disait-il, "c'est ce qui existe chez tous les êtres vivants, à savoir l'universalité des fonctions cognitives du cerveau. En aucun cas, il ne s'agit de la spécificité du fonctionnement psychique d'un individu particulier et unique".

L'usage biaisé, voilà bien l'"evidence biaised medecine", qu'il dénonçait, c'est celui de prétendre pouvoir évaluer un sujet dans sa singularité avec les critères quantifiés et les statistiques des groupes.

Dans le compte-rendu qu'il donne de cette intervention qui avait été organisée sur le thème "La science jusqu'où ?" en 2005 par nos collègues Olivier Douville et Robert Samacher, et publié in extenso dans le numéro 23 de la Revue Psychologie Clinique (7), le Professeur Zarifian raconte qu' invité à un Colloque de l'INSERM où on lui demandait de faire le bilan de sa carrière de chercheur, il avait publiquement déclaré qu'il n'existait aucun index biologique des maladies mentales, aucun index biologique capable de prédire l'évolution d'un trouble psychique, aucun index biologique pas même en pharmacocinétique, capable de prédire la réponse à un traitement médicamenteux.

 

C'est alors, raconte-t-il, que quelqu'un assis à coté de lui sur la tribune, lui souffle à mi-voix qu'il est en train de scier la branche sur laquelle il est assis.

Le vertueux Édouard Zarifian ne veut pas dire dans son compte-rendu qui est cette sommité qui vient de lui sortir cette énormité. Mais Émile Jalley, autre organisateur de cette manifestation, et qui rend compte par ailleurs de cette intervention, lui, nous vend la mèche (8), il s'agissait de Jean-Pierre Changeux.

Il n'empêche, les thérapies cognitivo-comportementales, nous dit encore Édouard Zarifian, sont devenues, avec la caution de la neuro-psychologie cognitive, la roue de secours des neurosciences, leur plan B, lorsque celles-ci durent admettre leur déception face aux limites des psychotropes, qui soulagent sans guérir.

Aux neuro-sciences les crédits, les bourses de recherche, les chaires d'enseignement, fortes de leur application pratique que sont les TCC, à ces dernières la caution des neurosciences, sur lesquelles elles trouvent leur point d'appui, et d'argument pour éliminer la rivalité que leur cause la psychanalyse.

  

Car c'est bien d'élimination qu'il s'agit, c'est d'ailleurs le nom littéral que porte le courant "éliminationniste" en France et aux États-Unis, pour réclamer la fermeture des départements de psychologie clinique dans les universités, au prétexte que seule existerait la neuropsychologie.

Le scénario de l'éliminationnisme est banal, à force d'être toujours le même, et chacun a pu le rencontrer dans sa vie, personnelle ou professionnelle. Il s'applique facilement à des individus, comme à des groupes.

Il est tout autant recyclable au sein d'une famille à l'encontre d'un des leurs, que d'une entreprise envers des salariés ciblés, ou par un Etat totalitaire envers ses opposants.

D'abord il s'agit de disqualifier l'autre, par déformation grossière de ses propos, ou par divulgation de mensonges.

  

C'était par exemple le sinistre Livre noir de la Psychanalyse, ou encore cette réduction infantile de la psychanalyse, définition prise parmi d'autres, dans le dernier ouvrage, bien nommé, TCC et neurosciences, de Jean Cottraux, chef de file actuel des thérapies cognitivo-comportementales en France : "l'exagération de l'insight est la recherche obsessionnelle de manifestations cachées et de pensées forcément abominables qui pourraient expliquer notre comportement. (9)"

  

Ensuite chercher à l'isoler.

L'étape qui succède immédiatement est de lui faire creuser par lui-même sa propre tombe, en s'assurant de sa collaboration, ce qu'acceptent sans se faire prier un certain nombre de courants analytiques, de les encourager comme étant "la seule psychanalyse acceptable", ce que Pierre Fédida avait résumé d'une formule : La mascarade de la neuropsychanalyse (10).

 

Une autre tactique est de convoquer Freud comme précurseur des neurosciences pour mieux le récuser par la suite, en donnant l'impression, par un tour de passe-passe, de le reformuler.

Car il est toujours possible, c'est un exercice des plus faciles, d'isoler une phrase, voire un paragraphe entier, des textes de Freud, pour les orienter dans la direction que l'on souhaite, et leur faire dire ce qu'on veut.

Ne cherchez pas, je vous en donne un, de toutes les façons, vous n'auriez pu y échapper à la lecture des pèlerins du cognitivo-comportementalisme : "Toutes nos conceptions provisoires, en psychologie, devront être un jour placées sur la base de supports organiques" (11). Freud. "Pour introduire le narcissisme" (1914).

Mais il vous sera cependant difficile de ne pas lire la tautologie conclusive sur la théorie psychanalytique qui n'est jamais qu'une "fiction mentale consciente, dont il faut bien se garder de chercher une réalité tangible, biographique et biologique, dans l'histoire des rouages cérébraux du sujet analysé (12)".

  

Troisièmement, acheter le silence des témoins, et des complicités, c'est par exemple les postes que l'on promet aux jeunes chercheurs.

Enfin, nier qu'elle ait jamais existé, et effacer toute trace de son existence, quitte sans craindre les contradictions et les paradoxes, à ouvrir un musée des civilisations disparues. Encourager par exemple à lire Freud, sans jamais citer Lacan, et en soutenant qu'il était le découvreur non pas de l'inconscient, mais du conscient.

 

Il ne faudra pas oublier de reprendre à son compte les critiques telles que celles que je viens de vous énoncer, pour mieux les qualifier de "neuro-résistances (13)", comme il a pu y avoir en son temps, heureusement défunt, exacte symétrie, des résistances à la psychanalyse.

Il sera ensuite très simple d'entretenir la confusion entre la cause de la souffrance psychique et ses effets.

Tout devient alors possible, et l'autonomie de la vie psychique sur notre vie consciente, sera alors rabattue sur de simples effets des fonctions neurobiologiques.

  

A suivre dans la partie 2... cliquez ici : http://www.psy-luxeuil.fr/article-dossier-la-machine-de-guerre-cognitive-partie-2-107356802.html

 

Autre lien: http://www.psy-luxeuil.fr/article-dsm-v-quand-le-monde-de-la-psychiatrie-devient-burlesque-109652100.html

 

Notes :

(1) Voir le site internet http : www.lawandneuroscienceproject.org

(2) Guy Sorman Economics does not lie. City journal, été 2008, disponible en ligne sur www.city-journal.org. Cité par Slavoj Zizek Après la tragédie, la farce ! ou comment l'histoire se répète. Flammarion. Bibliothèque des savoirs. 2010. pp.40-41

(3) Voir le documentaire de Boris Rabin : La fabrique du surhomme soviétique. 2009 (All.), première diffusion Arte. Novembre 2009

(4) J. Proust, "Le contrôle de soi : vers un homme nouveau", Le débat, N°157. Novembre-décembre 2009, pp. 124-143

(5) B.F. Skinner, Walden Two. Communauté expérimentale, Éd. In Press, 2005.

(6) Voir leur site internet (en anglais et en espagnol) : www.loshorcones.org

(7) E. Zarifian, "Neurosciences et psychismes : les risques et les conséquences d'un quiproquo", In "Les progrès de la science jusqu'où ?", Revue Psychologie clinique, N°23, p.18.

(8) E. Jalley, La guerre des psys continue. La psychanalyse française en lutte, L'Harmattan, 2007, p.369

(9) J. Cottraux, TCC et neurosciences, 2009, Masson, p.VIII

(10) P. Fédida, "La mascarade de la neuropsychanalyse", La recherche Hors Série . n°3.

(11) S. Freud, "Pour introduire le narcissisme" (1914), In La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973. 4ème édition. p.86

(12) L. Naccache, Le Nouvel inconscient. Freud, le Christophe Colomb des neurosciences, Odile Jacob Poches, Février 2009, p.432

(13) L. Naccache, "Neuro-résistances", Le débat, n°152, Nov.-Déc. 2008, pp.154-161

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24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 07:35

Voici l'article polémique du Docteur Thierry Florentin, médecin psychiatre, qui met à jour preuve à l'appui, un immense réseau fondamentaliste et radical, adepte des sciences cognitives (FondaMental, ça ne vous dit rien ?). L'opinion publique, tout d'abord attirée par cette belle vitrine que ces sciences proposent, semble enfin discerner les sombres aspects déshumanisants qu'elles dissimulent avec minutie !

 

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Le patient rentable de demain sera t-il traité comme une simple machine ?

 

Texte en deux parties: Partie 2

 

Et puis il y a le problème de la langue...


Une langue attaquée de toutes parts, par ce nouveau naturalisme qu'est le cognitivo-comportementalisme.

D'abord par la pauvreté du langage cognitivo-comportementaliste lui-même, qui appauvrit dans les réunions des services soignants, ou lors des discussions entre collègues, toute discussion clinique, ravalée au traitement du cas, et qui met en péril la transmission de la clinique.

 

Dans son dernier ouvrage, Des cerveaux et des hommes, Christian Hoffmann pose à ce sujet la question de l'enseignement et de la formation des jeunes psychiatres ou psychologues. Aussi son préfaceur Roland Gori écrit-il très justement : Dès lors que l'on pourrait lire la pensée dans les clichés de l'imagerie cérébrale ou dans l'expertise la plus débilitante qui soit des autotests de comportement, pourquoi s'embarrasser de la nébuleuse complexité du fait psychique ou de la question du pouvoir du langage dans la donation du monde ? (1).

 

Hoffmann, qui est professeur de psychopathologie clinique à Paris VII, parle de son expérience quotidienne d'enseignant. "Ouvrons par exemple, nous dit-il, Le manuel de psychiatrie de Henri Ey au chapitre V., "Psychoses délirantes aigües" et observons la structuration de sa leçon. Nous y trouvons un bref historique, un premier chapitre intitulé "Etude clinique", un deuxième : "Formes cliniques", un troisième "Diagnostic", puis avant le traitement nous découvrons un chapitre quatre : "Aperçu des problèmes psychopathologiques.". Magnan, de Clérambault, Jaspers, Ey et d'autres y animent le débat. Sommes nous encore aujourd'hui, avec le DSM et les neurosciences, en mesure de rédiger dans cet esprit, celui de Henri Ey, un tel chapitre, qui propose une summa des concepts et par conséquent des problèmes, à nos étudiants ?".

  

Si l'on interrogeait les jeunes diplômés, la réponse aujourd'hui serait certainement affligeante, car c'est aussi tout un pan historique, culturel, dynamique, de la prise en charge et du soin qui furent le fleuron et la fierté de la psychiatrie institutionnelle et de secteur qui disparait, il faut savoir cela, surtout lorsque nous lisons, sous la plume de Jean Cottraux, cette fois, dans son dernier ouvrage auquel j'ai déjà fait allusion, TCC et neurosciences (2), que "du fait de sa trop grande stigmatisation péjorative dans le public, le terme de schizophrénie pourrait sur la proposition de certains experts être avantageusement remplacé par "dysfonctionnement dopaminergique".

 

Remplacer le terme de schizophrénie par "dysfonctionnement dopaminergique, voici bien un exemple parmi d'autres de la manière dont on peut façonner la afin de produire des représentations sociales et culturelles au service exclusif d'une idéologie totalitaire, comme nous pouvons l'apprendre à la lecture des travaux de Victor Klemperer (3), ou de Jean-Pierre Faye (4).

 

Que signifient la promotion exclusive de tous ces termes, "protocoles experts", "psychoéducation", "renforcement positif", "remédiation cognitive", procédures d'habilitation, et autres..., quelle est cette langue de la carotte et du bâton, qui n'a d'autre but que de produire une langue du contrôle et de la bureaucratie, ?

Mais le danger le plus grand réside malgré tout dans cette volonté constante et acharnée du démaillotage du signifiant pour le ravaler au rang de signe. Il s'agit là encore d'étouffer tout ce qui pourrait faire irruption d'un sujet venant de l'Autre.

  

Voici un extrait d'entretien issu d'un ouvrage portant justement sur la conduite de l'entretien dans les thérapies cognitivo-comportementales (5):

 

"Le questionnement socratique", est-il écrit, "amène le patient à s'auto-évaluer et à argumenter ses affirmations".

P : Je ne pourrai jamais participer à un groupe sans bafouiller, sans hésiter.

T : Qu'est ce qui vous fait dire cela ?

P : Lors du dernier cours, j'ai posé une question, et je me suis trompé quatre fois, j'ai dit le mot après à la place du mot avant, et comme ça, j'ai parlé avec d'autres mots mal choisis.

T : Est-ce que vous faites des erreurs à chaque fois que vous participez à un groupe ?

P : Non, pas tout le temps.

T : Pouvez vous continuer à affirmer que vous ne pourrez jamais participer à un groupe sans faire des erreurs alors que ceci ne vous arrive pas tout le temps ?

 

Seule la haine de l'autonomie de la vie psychique peut entretenir une telle méconnaissance systématique, et donner au thérapeute ce pouvoir de rabattre de façon délibérée et de manière aussi opératoire le lapsus et son insistance, sur l'erreur. Délibérément débarrassé de tout savoir sur aucune énigme qui viendrait porter sur le désir du patient, il est prêt à décourager toute adresse, tout questionnement, sur l'émergence même de ce désir.

 

Pour les auteurs, il s'agit, je cite, de "mettre l'accent sur l'aspect fréquence (jamais et quelquefois) qui conditionne chez le patient des prédictions non argumentées sur l'avenir , de s'abstenir de faire des inférences sur l'étiologie, en se limitant à décrire les comportements gênants et d' identifier les stimuli qui les renforcent, en portant l'accent sur les causes actuelles responsables du maintien du problème.

"Nous faisons un transfert de technologie", m'affirmait sans malice aucune un thérapeute cognitivo-comportemental que j'interrogeais sur sa pratique, sans réaliser comment ses paroles pouvaient résonner, et être aussi vraies. Le transfert est bel et bien nié, ce qui risque d'entrainer un certain nombre de ravages, mais surtout ravalé à sa fonction de service technique, et même technologique.

 

Et voici un autre exemple, tout aussi violent, et pris dans une discussion avec une thérapeute cognitivo-comportementale, spécialiste de débriefing post-traumatique, et qui montre là aussi à quel point il s'agit d'éradiquer tout savoir sexuel du symptôme, et d'orienter l'identification de la jouissance à l'extérieur de soi, dans l'objet extérieur. Il s'agissait d'un patient devant se marier, et venu en consultation pour je cite, une phobie des poules. C'est amusant, car en dehors du jeune Arpäd, l'enfant-coq, relaté par Ferenczi (6), et commenté par Freud dans Totem et Tabou, la littérature psychanalytique recense peu de cas de phobie volaillère.

  

Ce patient devait se rendre en voyage de noces au Mexique, et redoutait, en prenant les bus surchargés, de se trouver assis auprès d'une paysanne qui trimballerait une poule.

La thérapie, dont mon interlocutrice était particulièrement fière du résultat, a consisté à l'exposer d'abord à des images de poules, puis à des photos, puis de le confronter à de vraies poules vivantes. Je n'ai pas osé lui demander si elle prit la sollicitude jusqu'à le mener au bordel, mais vous voyez ici jusque dans la caricature qu'il s'agit d'extraire toute référence au pli du refoulement de la sexualité, et de venir à bout de la charge pour tout un chacun que représente l'inconscient , en attaquant les signifiants de la langue; leur jeu, pour les réduire à la valeur de signe.

 

Où se trouve l'animal ? Et quel est ce monde dans lequel on voudrait nous convaincre que si nous n'y entrions pas, nous serions des attardés?

Si effacement il y a, c'est bien celui de toute origine, sexuée, on l'a dit, de toute référence à l'histoire, et aussi au nom.

  

Il s'agit d'effacer toute dette.

Jean Marie Sauret, dans son ouvrage, déjà cité, L'effet révolutionnaire du symptôme, fait très justement remarquer que lorsqu'on évoque la psychanalyse, ce sont spontanément des noms qui viennent, que les théories ont une origine, indispensable de la présence du psychanalyste, et de l'élaboration sous transfert.

Tandis que lorsque nous parlons du cognitivo-comportementalisme, c'est d'abord une liste de mesures, de statistiques et de thèses, portant sur un savoir universel, objectif, généralisable, élaboré au moyen de conférences de consensus destinées entre autres à gommer la marque singulière des chercheurs.

C'est que le cognitivo-comportementalisme ne s'adresse pas tant au singulier, qu'à des populations, des masses, peut-être est ce la raison pour laquelle les medias leur donnent autant de résonnance, et s'y engouffrent avec autant d'intérêt.

  

Que penser de tous ces experts, qui ne disent pas leur nom ?

Dans son ouvrage (7) devenu un classique de la sociologie des sciences, La vie de laboratoire, Bruno Latour montre comment la production des faits scientifiques doit répondre prioritairement à une stratégie carriériste, de reconnaissance, de crédits, et comment l'activité d'un laboratoire est tout entier subordonné à des critères qui ne sont pas ceux de la rationalité qu'exige la science, ni de la recherche, mais d'un marché, et de sa politique, indépendamment de toute autre motivation, ou croyance.

  

Il n'est pas certain que les savants, ceux des sciences cognitives, croient en leurs théories, nous dit le plus sérieusement du monde, Jean-Paul Dupuy (8).

 

Il faut savoir comment il est possible de faire mentir les statistiques comment on peut faire courir la collecte des données au devant des hypothèses souhaitées, et comment la multiplication des laboratoires de psychologie cognitive crée les conditions de la rivalité inter laboratoire, poussant à la falsification des résultats.

 

Puisque de toutes les manières, souligne Emile Jalley dans sa somme d'ouvrages sur la crise de la psychologie en France (9), ce n'est pas la qualité des travaux, mais leur quantité qui est évaluée, et ce sont des critères qui poussent à la falsification, tels que le nombre d'articles publiés par an, en revue spécialisée, en anglais, à comité de lecture, le nombre de doctorants, les fonctions à responsabilité administratives et budgétaire...

 

Voir la partie 1: http://www.psy-luxeuil.fr/article-la-machine-de-guerre-cognitive-107356368.html

 

Autre lien: http://www.psy-luxeuil.fr/article-dsm-v-quand-le-monde-de-la-psychiatrie-devient-burlesque-109652100.html

    

Notes :

(1) Christian Hoffmann Des cerveaux et des hommes. Nouvelles recherches psychanalytiques, Érès, 2007, p.19

(2) Sous la dir. de Jean Cottraux, TCC et neurosciences, Masson 2009, p.21

(3) V.Klemperer, L.T.I. la langue du troisième Reich. Carnets d'un philologue, Albin Michel, 1996

(4) J.-P. Faye, Introduction aux langues totalitaires, Hermann, 2003.

(5) C. Mirabel-Sarron et L. Vera, L'entretien en thérapie comportementale et cognitive, Dunod, 1995, p.17

(6) "Ein kleiner Heinemann", trad. française L'enfant-coq, in S.Ferenczi, oeuvres complètes, tome 2. 1913-1919, Payot 1990

(7) B. Latour, S. Woolgar, La vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, 1996, La Découverte, réed. La découverte/poche 2006.

(8) J.-P. Dupuy, Les savants croient ils en leurs théories ? une lecture philosophique de l'histoire des sciences cognitives, Inra Editions, Déc. 2000

(9) E. Jalley, Critique de la raison en psychologie. La psychologie scientifique est elle une science ?, L'harmattan, 2008.

(10) Ch.Melman, Conférence de Rio, in La nouvelle économie psychique, Eres, p. 40

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 17:01

Une tentatives de définition: Le scientisme est d’abord la croyance que la science constitue un mode de connaissance universel et que la méthode scientifique est la seule valable et permet d’appréhender tous les phénomènes du fait de son objectivité.

 

Un excellent article du site: << Et vous n'avez encore rien vu ! >>

 

-Prenons un exemple simple: Euclide fonda ses théorèmes à partir d'Axiomes, qui pour l'époque, n'étaient pas encore vérifiables scientifiquement. Ses postulats étaient valables sur le plan empirique mais pas sur le plan scientifique pur. Euclide apportât néanmoins de nombreuses réponses indispensables aux développement des sociétés actuelles grâce à la géométrie et à l'arithmétique. Cette croyance en un système Euclidien, qui aujourd’hui serait immanquablement contesté par la science, permit à l'espèce humaine de penser et d'objectiver son avenir... Croyance qui pourtant ne répondait, en son temps, à aucune norme ni démonstration claire. Le scientisme, en balisant les savoirs autour des faits, en réfutant tout ce qui ne constitue pas une preuve (Ce que l'on nomme plus communément le biais de confirmation scientifique), détruit le terreau des idées fondé sur un système de croyances indispensable à l'investissement contributif à la mise en place de prospectives fiables. « Le doute ronge alors toutes initiatives en provoquant un arrêt brutal de l'évolution sociétale et une stagnation normative des connaissances ». FT-

 

Autre exemple relatif à Albert Einstein, cliquez sur ce lien: http://bit.ly/1iVjNwJ

 

Le terme de scientisme a été employé pour la première fois par le biologiste Félix Le Dantec dans un article paru en 1911 dans la Grande Revue :

« Je crois à l’avenir de la Science : je crois que la Science et la Science seule résoudra toutes les questions qui ont un sens ; je crois qu’elle pénétrera jusqu’aux arcanes de notre vie sentimentale et qu’elle m’expliquera même l’origine et la structure du mysticisme héréditaire anti-scientifique qui cohabite chez moi avec le scientisme le plus absolu. Mais je suis convaincu aussi que les hommes se posent bien des questions qui ne signifient rien. Ces questions, la Science montrera leur absurdité en n’y répondant pas, ce qui prouvera qu’elles ne comportent pas de réponse. »

Une autre définition plus récente dans l’ouvrage de Marie-Hélène Parizeau, Biotechnologies, nanotechnologies, écologie, entre science et idéologie (éd. Quae, 2010):

« Le scientisme affirme qu’en dehors de la connaissance scientifique, aucune autre forme de connaissance n’est légitime, car seule la connaissance scientifique est positive et vraie. C’est une forme de réductionnisme où seules les connaissances valides sont scientifiquement prouvées, le reste étant irrationalités, croyances ou idéologies. Se trouvent ainsi disqualifiés d’emblée les savoirs traditionnels des populations autochtones ou encore ceux des "non-scientifiques", les savoirs populaires et les savoirs paysans. »

De nos jours, le scientisme peut prendre différentes formes et ne s’en tient pas nécessairement à ce credo de la supériorité de la connaissance scientifique sur les autres formes de connaissance.

Il consiste le plus souvent en une conception abstraite et essentialisée de « la Science », sorte d’entité idéale qui planerait au-dessus de l’humanité et lui dispenserait ses bienfaits par l’intermédiaire des scientifiques :

« Cette confiance préalable [de l’honnête homme] est sous tendue par une vision de la science comme humanisme, comme une valeur liée à la connaissance : il appartient aux scientifiques de faire avancer la connaissance pour l’humanité en son ensemble, comme il appartient à chacun d’entre nous d’approfondir ses connaissances – par libido sciendi, par désir d’apprendre. Sans se leurrer l’un l’autre sur les dangers liés à l’exploitation de la science. »

Alexandre Moatti, Alterscience, postures, dogmes, idéologies, éd. Odile Jacob, 2013, p. 312.

Car lorsque « la Science » est mal utilisée, ce sont au contraire « les hommes » qui sont seuls responsables. En conséquence de quoi, critiquer la science sous prétexte qu’elle engendre des nuisances, contribue à renforcer les puissances de domination et d’aliénation, c’est se tromper de cible, c’est être « antiscience » ou, pour reprendre le concept récemment lancé par A. Moatti, tomber dans l’« alterscience ».

« Est-ce une science simple catégorie platonicienne, une Science par trop idéalisée, sans aucun rapport avec la réalité actuelle ? Peut-être. […] On pourrait parler de scientisme à propos de cette vision [idéalisée de la science]. Ce scientisme de bon aloi est-il un humanisme ? Oui. L’alterscience, non : elle est même un antihumaniste contemporain. » Moatti, op. cit., p. 314.

Le scientisme constitue une religion de substitution : « la Science » devenant une sorte de divinité tutélaire de l’humanité… Pour ces scientistes, il est donc nécessaire de combattre partout les irrationalités, croyances ou idéologies qui font de l’ombre à cette divinité, soit parce qu’elles se substituent à la connaissance scientifique (religion, mysticisme, superstitions, etc.), soit parce qu’elles contestent la science elle-même (darwinisme, etc.) ou ses applications (nucléaire, OGM, nanotechnologies etc.).

 

Dans ce dernier cas, la contestation des applications de la science, on assiste souvent à des manifestation de pure hystérie de la part des scientistes : que l’on se trompe sur le plan des croyances et des idées, passe encore, mais que l’on s’en prenne aux symboles mêmes de la réussite des sciences, cela relève du sacrilège, de la profanation des icônes et des lieux de culte... Richesses volées aux traditions des peuples et ethnies du monde.

 

Toute critique des doctrines scientifiques est identifiée par les scientistes à une « mauvaise compréhension » des théories scientifiques ; sous-entendu, quand on a compris ces théories, on les accepte bien volontiers. C’est une manière de disqualifier a priori la critique en la traitant de haut : « vous n’y comprenez rien, on va vous expliquer… ». Et de fait, le scientiste veut combattre l’erreur en répétant la vérité scientifique sur tous les tons, sans chercher à comprendre les arguments, les motivations et les ressorts psychologiques de ceux qu’il veut ainsi convertir à son culte.

 

Toute attaque contre les applications de la science est assimilée par les scientistes à de l’obscurantisme, à un refus irrationnel et irraisonné du progrès ; sous-entendu, un être raisonnable ne peut et ne doit qu’exprimer poliment ses doutes, ses craintes et ses inquiétudes, la violence ne peut être que le fait d’esprits dérangés. Curieusement, cette indignation contre « la violence » – terme qui ici peut recouvrir énormément de choses anodines, comme prendre la parole en public sans y être invité ou perturber un « débat public » (comme en 2010 sur les nanotechnologies), etc. – est à sens unique : la violence des dirigeants qui imposent leurs décisions à l’aide de la police, de l’armée et des tribunaux (cf. les luttes anti-nucléaires, NoTAV ou Notre-Dame des Landes) non seulement ne rentre pas dans les motifs d’indignation, mais elle est bien souvent totalement occultée.

 

Note: Cet article ne constitue en rien une sentence vis à vis du monde scientifique, mais appelle davantage à une réflexion profonde en vue de faire émerger un système tolérant et "intégratif" des différentes disciplines, tel que le définit Boris Cyrulnik dans la "biologie de l'attachement".

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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 14:07

Lorsqu’à sa naissance, le nouveau né se met à crier, son cerveau n’est pas encore mature. Et pourtant, dès les premiers jours de la vie, le nouveau né est sensible à la mélodie du langage de sa mère et l’on avance même qu’à 4 jours, un bébé est capable de distinguer sa langue maternelle d’une langue étrangère.

 

Cliquez sur le logo pour écouter l'émission:

 

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Comment se développe et se construit ce bébé ?
Quelle est la place de l’environnement ?

C’est ce que nous allons voir avec notre invité le Professeur Bernard Golse. Chef du Service de Pédopsychiatrie à l’hôpital Necker, Bernard Golse est Professeur à l’Université Paris Descartes.

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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 14:35

Un mouvement de chercheurs milite pour stopper la course à la productivité et à l'« excellence » scientifiques. 

     

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Autrefois, les chercheurs n'existaient pas, il n'y avait que des savants. Le savant était en général âgé : il était devenu savant tout doucement. Il travaillait beaucoup, mais prenait aussi son temps. Il faisait d'ailleurs souvent des découvertes en dehors de ses moments de travail : dans son bain, comme Archimède, ou en faisant la sieste dans son jardin, comme Newton. Le savant laissait respirer son cerveau. À l'instar de Darwin, il aimait se retirer à la campagne, restant près du savoir et loin du pouvoir, laissant à d'autres le soin de défendre et vendre ses idées.

 

Le mouvement Slow Science pense que non. Ce collectif informel de chercheurs milite pour le ralentissement et la « désexcellence ». Il ne souhaite pas pour autant que nous renoncions à la vitesse et à l'excellence, mais demande qu'à leurs côtés, la lenteur et la gratuité (par exemple les recherches mues par la curiosité, face aux recherches mues par des objectifs) gardent toute leur place. Apparu il y a une vingtaine d'années, le concept de Slow Science fédère des chercheurs de toutes disciplines, issus au départ de la physique et de la chimie, puis rejoints par ceux des sciences humaines. Ses valeurs sont résumées dans un manifeste, des pétitions circulent en sa faveur (plus de 3 500 signatures francophones à ce jour), une Académie internationale informelle existe, etc.

 

Son nom évoque bien sûr un autre mouvement, le Slow Food, qui milite pour la résistance au fast-food et à la nourriture industrielle, vite préparée, avalée et oubliée, médiocre ou toxique pour la santé. Le mouvement Slow Food va encore au-delà : constatant les dégâts collatéraux de la nourriture industrielle sur l'agriculture, le tissu social, l'économie du monde agricole, il recommande des changements à tous les niveaux de la chaîne de l'industrie alimentaire.

 

De même, Slow Science fait le constat suivant : si nous ne régulons pas la course à la performance et à la productivité (toujours plus de recherches et de publications), non seulement les pseudorecherches stéréotypées prendront de plus en plus de place, mais c'est le processus même de la recherche qui sera affecté en son cœur. Car avant d'aboutir et de publier, il faut prendre le temps de réfléchir, de lire, de comprendre, de s'égarer, d'en tirer les conclusions, etc. : si ce temps est sacrifié, les malheureux chercheurs en batterie pondront à la chaîne des travaux insipides et peu nourrissants. Les progrès de la science ont toujours relevé de ce mécanisme : prendre connaissance de ce qui a été fait pour mieux comprendre ce qui reste à faire ou à refaire. Ces conditions sont aujourd'hui menacées.

 

Le constat de Slow Science rejoint tout à fait celui établi par nombre de chercheurs en psychologie, à propos des effets délétères des sociétés contemporaines qui mettent l'accent sur la productivité et la performance. Ces pressions sur le rendement provoquent des dégâts collatéraux : depuis quelques décennies, on observe une augmentation des maladies liées au stress ainsi que des troubles anxieux et dépressifs. Les chercheurs en souffrent en tant que personnes, comme leurs contemporains. Ils ont aussi leurs maux propres, liés par exemple à la nécessité de publier suffisamment (le fameux publish or perish, publier ou périr).

 

Mais ce n'est pas uniquement la santé des chercheurs qui en pâtit : on peut aussi se poser la question de l'altération de leurs capacités créatives. On sait que les périodes d'apparent repos cérébral (sommeil, rêveries diurnes, mais aussi tous les moments de la journée où on laisse son esprit en roue libre) représentent des états précieux, durant lesquels les contenus mentaux se réorganisent, se relient, se répartissent dans différentes zones de notre mémoire. Or ces capacités cérébrales sont aujourd'hui chahutées : nous dormons de moins en moins (en moyenne deux heures de sommeil perdues en un siècle), nous n'avons quasiment plus de temps de calme et de lenteur, durant lesquels nous ne faisons rien. La vogue actuelle de la méditation est un marqueur de cette carence. Tout comme le sport compense les carences liées à la sédentarité, les pratiques méditatives compensent celles liées aux agressions environnementales contemporaines (afflux d'informations, permanence de bruits de fond, manque de temps, de calme et de continuité). Faut-il inciter tous les chercheurs à méditer, comme un outil d'hygiène de vie ? Nous n'en sommes peut-être pas si loin...

 

En tout cas, les contributeurs du mouvement Slow Science se sont penchés sur la question des solutions et suggèrent que celles-ci devront être individuelles, communautaires et sociétales. Individuelles : préserver par exemple dans une semaine une ou plusieurs demi-journées de temps de recherche en continuité attentionnelle, sans téléphone ni courriel ni tâches administratives ou académiques. Du côté communautaire, pour diminuer la pression sur les rendements, la suggestion, qui avait déjà été faite par plusieurs universités nord-américaines, est de limiter le nombre de publications mentionnées sur les curriculi vitae : plus de listes interminables d'articles interchangeables, mais seulement les cinq publications les plus importantes. Du côté sociétal enfin, il va falloir expliquer aux bailleurs de fonds de la recherche scientifique que cette dernière est une activité qui nécessite du temps et de la lenteur, un peu comme la création artistique.

 

Ce sont d'ailleurs les littéraires qui ont tiré les premiers la sonnette d'alarme sur les dégâts de la culture du rendement, comme l'Américain Henry David Thoreau au xixe siècle : « Si un homme marche dans la forêt par amour pour elle pendant la moitié du jour, il risque fort d'être considéré comme un tire-au-flanc ; mais s'il passe toute sa journée à spéculer, à raser cette forêt et à rendre la terre chauve avant l'heure, on le tiendra pour un citoyen industrieux et entreprenant. » Que dirait-on aujourd'hui du chercheur qui demande du temps pour lire les recherches des autres et réfléchir un peu à ce que seront les siennes dans les prochaines années, au lieu de publier un nouvel article dans une revue renommée, à « facteur d'impact » élevé ?

 

L'auteur:

 

Christophe André est médecin psychiatre à l'Hôpital Sainte-Anne, à Paris.


Pour en savoir plus:

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16 juillet 2011 6 16 /07 /juillet /2011 14:23

Pourquoi les personnes très créatives semblent-elles parfois bizarres ? Les neurosciences et la psychiatrie révèlent de troublantes associations entre le talent de créateur et certains traits de personnalité « atypiques », parfois à la limite de la maladie mentale.

 

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Dean Kamen est un entrepreneur très connu ; c’est aussi l’un de ceux qui ont le mieux réussi, avec des centaines de brevets à son nom – dont le gyropode Segway, ces plates-formes mobiles à une place où le passager se tient debout et qui sont équipées d’un petit moteur électrique et d’un dispositif de stabilisation dynamique. Mais vous ne le verrez jamais en costume cravate : cet inventeur excentrique ne porte pratiquement que des jeans.

 

Il a passé cinq ans à l’université avant d’abandonner ses études, ne prend pas de vacances et ne s’est jamais marié. Propriétaire de l’île de North Dumpling, dans le Connecticut, il fait sécession des États-Unis, se dotant d’une constitution, d’une monnaie, d’un drapeau et d’un hymne. Il s’est autoproclamé Lord Dumpling.

 

Vous avez dit bizarre ? D. Kamen, qui s’investit sans relâche pour persuader les jeunes de faire carrière dans les sciences et l’ingénierie, est l’une des personnes extrêmement créatives dont le comportement frappe par son côté « spécial ». Albert Einstein ramassait les mégots de cigare dans la rue, afin d’en récupérer le tabac pour sa pipe ; le constructeur aéronautique Howard Hughes passait des jours entiers sur une chaise au milieu d’une pièce stérile de sa suite de l’hôtel Beverley Hills ; le compositeur Robert Schumann pensait que ses compositions musicales lui étaient dictées depuis leur tombe par Beethoven et d’autres visionnaires décédés ; on prétend aussi que Charles Dickens pensait écarter des oursins imaginaires avec son parapluie lorsqu’il marchait dans les rues de Londres. Plus récemment, nous avons été témoins de l’obsession de Michael Jackson pour les rhinoplasties, de l’affection de Salvador Dali pour les animaux de compagnie dangereux et nous avons pu voir la chanteuse islandaise Björk habillée en cygne pour la cérémonie des Oscars.

 

L’homme de la rue n’est pas le seul à trouver excentriques les individus très créatifs. Ces derniers se perçoivent eux-mêmes souvent comme différents et incapables de se conformer aux usages en vigueur. Les résultats les plus récents de l’imagerie cérébrale, de la recherche sur la créativité et de la biologie moléculaire suggèrent que l’image d’Épinal du génie atypique n’est pas uniquement inspirée de quelques descriptions anecdotiques. En fait, la créativité et l’excentricité vont souvent de pair, et les chercheurs pensent aujourd’hui que ces deux traits résulteraient de la façon dont le cerveau filtre les informations qu’il reçoit. Même dans le monde des affaires, on constate de plus en plus qu’il existe un lien entre la pensée créative et les comportements non conventionnels, que l’on commence à admettre un peu mieux.

 

Des personnalités à part

 

L’existence de comportements étranges chez des individus très créatifs semble trop fréquente pour être une simple coïncidence. Dans la Grèce antique, Platon et Aristote s’étonnaient déjà du comportement singulier des poètes et des auteurs de théâtre. Il y a plus d’un siècle, dans son livre L’homme de génie, le criminologue italien Cesare Lombroso dressait un inventaire des comportements bizarres des visionnaires créatifs, et attribuait ce comportement à la même « dégénérescence » que celle affectant les criminels violents.

 

Plus récemment, les psychologues ont utilisé des mesures validées de la créativité et de l’excentricité. Pour évaluer la créativité, les chercheurs peuvent examiner les productions artistiques ou novatrices d’une personne, sa capacité à agir ou à penser de façon créative (par exemple, en lui demandant de trouver de nouveaux usages pour des ustensiles domestiques ordinaires). Afin de mesurer le degré d’excentricité d’une même personne, les chercheurs utilisent souvent des échelles d’évaluation de la personnalité dite schizotypique.

 

La personnalité schizotypique se reconnaît à plusieurs comportements ou modes de pensée. Par exemple, la pensée dite magique, qui recourt volontiers à des idées fantasmatiques ou des croyances paranormales (souvenons-nous de Schumann persuadé que Beethoven lui envoyait de la musique depuis sa tombe...). Les personnes schizotypiques sont souvent sujettes à des expériences perceptives inhabituelles, telles que des distorsions de la perception (Dickens se croyait suivi par les personnages de ses romans), mais aussi à l’anhédonie sociale, préférence pour les activités solitaires (Emily Dickinson, Nikola Tesla et Isaac Newton, par exemple, préféraient travailler qu’avoir des activités sociales), voire une légère paranoïa, ou sentiment infondé que des personnes ou des objets de l’environnement peuvent représenter des menaces (on songe à la méfiance légendaire de Howard Hughes vis-à-vis d’autrui).

 

La schizotypie est une forme atténuée du trouble de la personnalité schizotypique, qui fait partie d’un ensemble de pathologies qualifiées de « bizarres ou excentriques » dans le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie. Le diagnostic en a été défini d’après diverses études épidémiologiques à grande échelle, où les chercheurs ont noté que, dans les familles de patients schizophrènes, on trouvait plus souvent des personnes animées de comportements et de croyances bizarres que dans d’autres familles indemnes de schizophrénie.

 

Quels sont ces comportements et croyances ? Une personne schizotypique peut s’habiller de façon très personnelle, en rupture avec son milieu ou les règles de la vie en société (Einstein sortait en pantoufles dans la rue) ; sa façon de parler peut sortir de l’ordinaire ; ses réactions émotionnelles peuvent sembler inappropriées ; elle croit parfois à des phénomènes surnaturels comme la télépathie et les présages ; il peut être difficile d’entrer dans son intimité – aussi bien physiquement qu’émotionnellement. En bref, les schizotypiques sont excentriques.

 

Toutefois, tous les schizotypiques ne sont pas schizophrènes. Ce sont souvent des personnes de très haut niveau intellectuel, talentueuses et intelligentes. Un grand nombre de mes étudiants à l’Université Harvard, par exemple, ont des scores supérieurs à la moyenne sur les échelles schizotypiques et les mesures de l’intelligence.

 

Entre vision et hallucination

 

Les premières données scientifiques suggérant un lien entre personnalité schizotypique et créativité sont apparues avec une étude réalisée en 1966 par le généticien comportementaliste Leonard Heston. Ce dernier expliquait que les enfants adoptés et séparés d’une mère biologique schizophrène dès la naissance avaient une plus grande probabilité de s’adonner à des activités créatives et d’y faire carrière que des enfants adoptés dont la mère n’était pas schizophrène. Ces travaux confirmaient l’idée selon laquelle les comportements bizarres qui accompagnent souvent la créativité sont héréditaires.

 

Le psychiatre de Harvard Dennis Kinney et son équipe ont reproduit l’étude de L. Heston 40 ans plus tard, et suggéré que les personnes schizotypiques pourraient hériter des modes de pensée et de perception non conventionnels qui sont associés à la schizophrénie, sans développer la maladie elle-même. Dans cette étude, D. Kinney et ses collègues avaient examiné 36 enfants de parents schizophrènes et 36 enfants de parents non schizophrènes ; tous avaient été adoptés. Leurs résultats ont confirmé que les enfants de parents schizophrènes qui présentaient eux-mêmes des signes de personnalité schizotypique obtenaient des scores de créativité supérieurs aux sujets contrôles. L’équipe de D. Kinney a également découvert que certains enfants issus de familles saines présentaient un profil de personnalité schizotypique, et qu’ils obtenaient des scores de créativité plus élevés que les autres.

 

De même, les psychologues cliniciens anglais David Rawlings et Ann Locarnini ont montré que les individus créatifs obtiennent des scores plus élevés sur des échelles de personnalité schizotypique que des individus moins créatifs. J’ai moi-même observé, avec ma collègue Cynthia A. Meyesburg, de l’Université Harvard, que des personnes ayant une forte production artistique (ce qui peut être mesuré également par des questionnaires d’évaluation) ont une tendance à la pensée magique – davantage que d’autres, elles croient en la communication télépathique, aux rêves prémonitoires et aux souvenirs de vies passées. Elles se targuent d’expériences perceptives inhabituelles, qu’il s’agisse de fréquentes impressions de déjà-vu ou d’entendre des voix chuchoter dans le vent...

 

Il ressort de divers articles de synthèse sur la schizotypie et la créativité que les personnes très créatives présentent plus de traits associés à la schizotypie que la moyenne, et que l’association entre créativité et schizotypie présente une composante génétique. Ce lien étant établi, comment l’expliquer ? Les caractéristiques de la personnalité schizotypique ne semblent pas favoriser par elles-mêmes la créativité, mais certains mécanismes cognitifs seraient sous-jacents à l’excentricité et à la créativité. La notion clé à cet égard est celle de désinhibition cognitive.

 

L’inspiration : une désinhibition cognitive

 

La désinhibition cognitive est une incapacité à ignorer des informations qui ne sont pas pertinentes pour les buts que l’on s’est fixés ou pour la survie. Chaque individu est équipé de filtres mentaux qui lui masquent la plupart des opérations que réalise le cerveau à partir de ce qui l’entoure. Par exemple, pendant que vous discutez avec un ami à la terrasse d’un café, vous ne faites pas attention au bruit des voitures, à ce que dit le garçon de café à la personne qui vient d’entrer, aux enfants qui descendent de l’autobus. Vos organes sensoriels reçoivent ces informations, et le cerveau les traite implicitement, par exemple en activant de façon subliminale des souvenirs qui leur sont associés, mais ils ne pénètrent pas dans le champ de votre attention. Ce filtre est mis en place par votre capacité d’inhibition cognitive.

 

Toutefois, cette capacité de filtrage diffère d’une personne à l’autre. Ainsi, chez les personnes schizotypiques et schizophrènes, un de ces filtres cognitifs, l’inhibition latente, est moins efficace. Dans ce cas, la quantité de stimulus non filtrés atteignant la conscience augmente, ce qui peut expliquer certaines pensées décalées ou hallucinations. On comprend aisément que si des informations non filtrées atteignent la conscience, des expériences perceptives étranges – entendre des voix ou entrevoir des personnages imaginaires – peuvent survenir.

 

La désinhibition cognitive est probablement aussi au cœur de ce que nous vivons comme une illumination soudaine, lorsque nous cherchons à résoudre un problème. Dans ces moments-là, les filtres cognitifs se relâchent et permettent à des idées situées à l’arrière-plan de surgir à l’avant-scène de la conscience, de la même façon que des pensées bizarres affleurent à l’esprit des personnes psychotiques.

 

Prenons cet exemple tiré du livre que l’économiste et romancière américaine Sylvia Nasar a publié en 1998, A Beautiful Mind, sur l’économiste et mathématicien américain John Forbes Nash, lauréat du prix Nobel d’économie en 1994, et atteint de schizophrénie. Lorsqu’on lui avait demandé pourquoi il pensait que des extraterrestres le contactaient, il avait répondu : « Parce que les idées que j’avais à propos des êtres surnaturels me venaient de la même façon que mes idées mathématiques. En conséquence, je les prenais au sérieux. » Le cas de John Nash illustre en quoi le mécanisme cognitif de l’illumination (Eurêka !) est similaire à celui d’une forme de délire nommé délire d’influence, où les personnes souffrant de psychose pensent que des forces étrangères ont inséré des pensées dans leur cerveau. Toutefois, la plupart des personnes souffrant de psychose ou de schizophrénie ne produisent pas d’idées considérées comme créatives. La capacité à utiliser la désinhibition cognitive pour créer dépend d’autres capacités cognitives élaborées, comme la mémoire de travail ou la flexibilité mentale.

 

Un affaiblissement du filtrage cognitif pourrait expliquer la tendance des personnes très créatives à se centrer sur le contenu de leur monde intérieur aux dépens de leurs besoins sociaux, voire de leurs soins personnels (Beethoven, par exemple, avait tendance à délaisser sa propre hygiène). Lorsque la conscience est submergée de stimulus inhabituels et non filtrés, il devient difficile de ne pas focaliser son attention sur cet univers intérieur.

 

En 2003, avec mon collègue Jordan Peterson, nous avons publié une étude réalisée à Harvard et à l’Université de Toronto. Nous y avions observé que les individus très créatifs ont une probabilité anormalement élevée de présenter une désinhibition cognitive. Nous avions fait passer à plusieurs centaines de volontaires une tâche d’inhibition latente (une mesure de la facilité avec laquelle des sujets ignorent des stimulus auxquels ils ont déjà été exposés) et mesuré la créativité de plusieurs façons : au moyen de tâches dites de pensée divergente (qui exigent un grand nombre de réponses à un problème) et d’ouverture à l’expérience (le trait de personnalité qui prédit le mieux la créativité) ; en leur faisant passer un questionnaire d’évaluation de la personnalité créative et un questionnaire qui permet de quantifier les réalisations créatives tout au long de la vie.

 

Nous avons découvert que les personnes obtenant des scores élevés pour chacune de ces mesures de créativité avaient généralement des scores plus faibles pour la tâche d’inhibition latente. Une telle diminution de l’inhibition cognitive permettrait à une quantité accrue d’informations d’accéder à l’attention consciente, favorisant la production d’idées créatives. Une telle hypothèse est confortée par des études d’imagerie cérébrale et par l’électroencéphalographie. Dès la fin des années 1970, le professeur de psychologie Colin Martindale, de l’Université du Maine, avait entrepris une série d’études d’électroencéphalographie sur le thème de la créativité.

 

Avec ses collègues, il découvrit ainsi que les personnes très créatives se distinguent par une activité cérébrale supérieure dans la gamme des fréquences dites alpha (des fréquences de 8 à 12 cycles par seconde). Il interpréta cette donnée comme le signe d’une diminution de l’éveil cortical et d’une attention dite défocalisée. Il suggéra alors que les individus créatifs laissent un plus grand nombre d’informations surgir à la conscience.

 

Plus récemment, Andreas Fink et son équipe de l’Université de Graz, en Autriche, ont répliqué les résultats de C. Martindale dans une série d’études réalisées depuis cinq ans. Ils proposent une interprétation différente de l’augmentation des ondes alpha associée à la créativité. Selon eux, cette augmentation d’activité indique que le sujet se focalise sur des informations issues de son cerveau, plutôt que de l’environnement. Une telle interprétation explique la tendance des personnes créatives à se focaliser sur leur vie intérieure, un autre signe de personnalité schizotypique.

 

Les mécanismes du Eurêka !

 

D’autres études publiées en 2009 par John Kounios, de l’Université Drexel, et Mark Beeman, de l’Université Northwestern, ont examiné plus en détail l’instant de révélation, le fameux « Eurêka ! » J. Kounios et M. Beeman ont demandé à des participants d’associer des mots, tandis que l’activité de leur cerveau était enregistrée. Le test d’association de mots consistait, par exemple, à trouver trois mots composés en utilisant un même mot avec l’un des trois suivants : fou, barrière, robe (la réponse est « garde »). Les participants à cette expérience signalaient le moment exact où ils trouvaient la réponse, ainsi que la façon dont ils étaient parvenus à la solution, soit en cherchant, soit grâce à une soudaine illumination.

 

Les résultats ont montré qu’une période d’activité alpha précède une bouffée d’activité gamma (caractérisée par des ondes cérébrales de fréquence supérieure à 40 hertz) au moment de l’intuition. J. Kounios et M. Beeman supposent que l’activité alpha focalise l’attention sur soi, la bouffée gamma coïncidant avec la prise de conscience de la solution.

 

Une autre étude d’imagerie cérébrale, réalisée en 2010 par des neuroscientifiques de l’Institut Karolinska, à Stockholm, suggère que la propension aux intuitions et aux expériences schizotypiques résulterait d’une configuration spécifique de récepteurs cérébraux aux neuromédiateurs. Les résultats indiquent que la densité de récepteurs d2 de la dopamine dans le thalamus est plus faible chez les sujets dotés de fortes capacités de pensée divergente, une tendance similaire à celle décrite antérieurement chez des sujets schizophrènes. Les neuroscientifiques pensent qu’une fixation réduite de la dopamine dans le thalamus, constatée à la fois chez les sujets créatifs et chez les sujets schizophrènes, diminuerait le filtrage cognitif et permettrait à un plus grand nombre d’informations d’accéder à la conscience.

 

L’importance de l’intelligence

 

À l’évidence, toutes les personnes excentriques ne sont pas créatives. D’autres facteurs cognitifs, tels qu’un qi élevé et une grande capacité de la mémoire de travail, permettent à certaines personnes de traiter mentalement une grande quantité d’informations sans se laisser submerger. Ainsi, nous avons montré que la combinaison d’une faible inhibition cognitive et d’un qi élevé produit des scores élevés de créativité. Il est probable que certains individus très créatifs pourraient partager certains facteurs de vulnérabilité biologique avec des personnes souffrant de maladies psychotiques, telle la schizophrénie. Cette vulnérabilité leur donnerait accès à des idées et des pensées inconnues des personnes dotées de filtres mentaux plus efficaces.

 

Depuis plusieurs années, la montée des technologies innovantes comme facteur de croissance économique a fait de la créativité une denrée recherchée. De nombreuses entreprises innovantes, telles que Coca-Cola, DuPont, Citigroup et Humana, ont maintenant des chefs de l’innovation dans leurs équipes dirigeantes. Des écoles de business prestigieuses ont ajouté des cours de créativité pour les élèves. Ces entreprises envoient régulièrement leurs employés suivre des programmes d’entraînement à la créativité.

 

À mesure que la valeur commerciale de la pensée créative augmente, le monde professionnel montre certains signes d’adaptation aux individus « originaux ». C’est déjà le cas dans certaines communautés où la concentration en artistes, écrivains, scientifiques et passionnés d’informatique est élevée. Les dirigeants de telles communautés tolèrent les vêtements bizarres et sont souples quant aux horaires de travail, le tout afin de mieux promouvoir l’innovation. La société a une dette vis-à-vis de tous ceux qu’elle a marginalisés en raison de leur excentricité. Le travail créatif des excentriques apporte richesse, beauté et innovation dans la vie de ceux qui suivent confortablement les normes.

 

S.Carson / www.pourlascience.fr.

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 09:16

Les animaux ont-ils une conscience ? Les machines peuvent-elles se montrer intelligentes ?

  

Cliquez sur le logo pour écouter la conférence:

   

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Chaque nouvelle découverte des biologistes, chaque progrès technologique nous invite à reconsidérer ce qui fait le propre de l'homme. Si les animaux et les machines peuvent être comparés aux êtres humains de multiples manières, quelles sont réellement leurs capacités à apprendre, développer une conscience, ressentir douleur ou émotion, construire une culture ou une morale ? Attachement, sexualité, droit, hybridation... Quelles sont les relations complexes qui nous lient à nos alter-egos biologiques ou artificiels ? Les traits qui semblent aujourd'hui spécifiquement humains - l'imaginaire, l'âme ou le sens du temps - le resteront-ils combien de temps encore ?

 

Avec Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe, directeur de recherche au CNRS et Frédéric Kaplan, chercheur à l'École polytechnique fédérale de Lausanne, coauteurs de l'ouvrage "L'homme, l'animal et la machine" (CNRS Éditions).

Une rencontre animée par Daniel Fiévet, journaliste scientifique et reporter pour l'émission « La tête au carré » sur France Inter.

 

Enregistré le 5 mai 2011.

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3 mai 2011 2 03 /05 /mai /2011 09:26

L'alimentation grasse et sucrée favoriserait l'anxiété et la dépression en réduisant la plasticité cérébrale.

   85 186 peur

 

L'obésité est une question de santé publique à l'échelle mondiale et cette « épidémie » se développe en même temps que celle de la dépression :

  

Elle suit l'évolution des mœurs alimentaires et l'augmentation de la consommation de nourriture bon marché à base de sucre et de graisse, qui n'apportent pas certains nutriments essentiels. Mathieu Lafourcade et ses collègues de Bordeaux, Dijon et Marseille, viennent de montrer que le manque d'oméga-3 dans l'alimentation perturbe certains circuits cérébraux de régulation de l'humeur, pouvant conduire à des dépressions.

   

Le cerveau est constitué en grande partie de lipides (des graisses), lesquels produisent des molécules essentielles à son bon fonctionnement, et à l'équilibre des émotions et de l'humeur. Parmi ces molécules, les « endocannabinoïdes », des substances analogues au cannabis produites naturellement par l'organisme à partir de deux types de graisse : les acides gras polyinsaturés de type oméga-3 et oméga-6.

   

Constatant que le régime des populations occidentales n'a fait que s'enrichir en oméga-6 et s'appauvrir en oméga-3 depuis quelque 150 ans (le rapport des deux passant de 1 à 15), M. Lafourcade et ses collègues ont examiné les effets d'un régime appauvri en oméga-3 sur des souris. Ils ont observé que cette carence entraîne un déséquilibre dans la production de différents types d'endocannabinoïdes dans le cerveau, entraînant une diminution de la plasticité cérébrale au niveau des connexions entre neurones, les synapses.   

   

Qui plus est, cette perte de plasticité intervient dans une zone du cerveau, la partie prélimbique du cortex préfrontal, connectée à un centre essentiel de la motivation des comportements, le noyau accumbens. Les dysfonctionnements du noyau accumbens sont associés aux troubles de l'humeur et notamment à la dépression.

  

On constate effectivement que les souris ne consommant pas assez d'oméga-3 deviennent dépressives (elles abandonnent toute volonté de survivre dans l'adversité) et anxieuses (elles n'osent plus s'aventurer en terrain découvert, et longent les parois de leur cage). Peur et dépression sont les deux volets comportementaux d'un régime carencé en oméga-3.

  

Cette carence serait-elle en partie responsable du fait que les sociétés occidentales sont devenues angoissées et déprimées ?

   

Divers facteurs sociétaux entrent en jeu, mais l'alimentation fast-food porte sa part de responsabilité : une insuffisance d'apport d'oméga-3 favorise la dépression et l'anxiété, que l'on tente de combattre en consommant des aliments gras et sucrés...

   

Pour échapper à ce cercle vicieux, consommons du poisson, des coquillages, ou encore de l'huile de colza, aliments riches en oméga-3.

 

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 12:03

Neurologie: Le cerveau peut-il survivre après une exécution ? Des expériences en laboratoire apportent des éléments de réponse.

 

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« Languille ! » criait le docteur Beaurieux au condamné. De fait, il s'adressait à la tête de la victime fraîchement décapitée. Languille était un meurtrier condamné à la guillotine et exécuté le 28 juin 1905. Le médecin rapporte ses observations dans les Archives d'Anthropologie Criminelle. Entendant son nom, la victime décapitée, dont les paupières venaient de se fermer, rouvrit les yeux et fixa le docteur avec intensité, puis les yeux se refermèrent lentement, au bord de l'inconscience...

 

Antoine Lavoisier aurait aussi demandé à son assistant, condamné à la guillotine, de cligner des yeux s'il l'entendait. Ce que, dit-on, le malheureux aurait fait. De nombreuses anecdotes tirées de la Révolution font état de tels signes de conscience, ou d'un défilement d'expressions du visage reflétant la douleur, puis la tristesse et enfin la peur.

 

Évidemment, la question de l'état de conscience d'une tête séparée de son corps ne saurait aujourd'hui être étudiée scientifiquement. Mais la décapitation reste pratiquée à des fins scientifiques dans les laboratoires, sur des souris ou des rats que l'on sacrifie pour réaliser des mesures biologiques post mortem. C'est sur des rats que Clementina van Rijn et ses collègues neuroscientifiques ont examiné les effets de la décapitation.

 

La méthode consistait à enregistrer les ondes électriques produites par le cerveau avec des électrodes posées sur le crâne. Selon cette méthode, des ondes de fréquence comprise entre 13 et 100 oscillations par seconde reflètent l'activité cognitive chez cet animal. Les neuroscientifiques ont observé que ces ondes de « conscience » diminuent rapidement après la décapitation, mais pas immédiatement. Elles restent assez nettement visibles environ quatre secondes, puis disparaissent au bout de 17 secondes.

 

Selon le neurobiologiste Georges Chapouthier, il est très probable que la conscience ne s'étende pas au-delà de ces quatre secondes. Ensuite, le signal électroencéphalographique s'atténue et évoque celui d'un animal endormi, ce qui suggère que la victime entre dans un état second de torpeur se rapprochant progressivement de la mort. Au-delà de 17 secondes, aucune conscience n'est possible, et 50 secondes après la décapitation, une onde de basse fréquence intense est enregistrée, vraisemblablement due à la dépolarisation massive des neurones : c'est la mort cellulaire définitive.

  

Les auteurs en concluent que la conscience disparaît en quelques secondes après une décapitation chez le rat, et que cette méthode de sacrifice rapide en laboratoire peut être qualifiée d'éthique. Quant aux décapités de la Terreur, dont certains continuaient de cligner des yeux pendant une demi-minute à en croire les annales de la guillotine, c'est une autre affaire.

 

Source: Pour la science.

 

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5 février 2011 6 05 /02 /février /2011 13:40

Bilan sociologique sur la parité:

 

Dans les années 1990, l'accès des femmes aux postes de responsabilité, en politique, dans la recherche scientifique et médicale ou dans les entreprises a fait l'objet de nombreux débats : les mentalités allaient changer et les femmes accéder à ces postes. Or, en 2010, force est de constater que les femmes continuent de se heurter à un « plafond de verre », obstacle invisible qui les empêche d'accéder aux plus hautes responsabilités. Des décisions politiques s'imposent.

    

Nous développerons ici l'exemple de la recherche scientifique publique, pour laquelle de nombreuses données mentionnant le sexe sont disponibles. Ce faisant, nous passerons sous silence d'autres facteurs – l'attitude des parents et celle des enseignants – qui participent à l'inégalité actuelle.

  

Selon la Commission européenne, en 2007, la proportion des femmes dans la recherche française était proche de la moyenne de l'Union : les organismes de recherche publique comptaient 37 pour cent de femmes. Les femmes occupaient 39 pour cent des postes de maître de conférences ou de chargé de recherche, et seulement 19 pour cent des postes de professeur ou de directeur de recherche.

 

La discipline est un facteur déterminant. En mai 2009, 32,8 pour cent des professeurs de lettres et de sciences humaines étaient des femmes, mais 10,7 pour cent en mathématiques et 9,7 pour cent en mécanique. En 2008, le cnrs comptait 31,8 pour cent de femmes parmi les chercheurs, dont 37 pour cent de chargés de recherche et 24 pour cent de directeurs de recherche.

 

La proportion de femmes parmi les chercheurs du cnrs n'a pas varié depuis sa création en 1939, où elle était déjà de 26 pour cent – mais les femmes occupaient alors surtout des postes précaires. À l'Université, elle a augmenté, mais à une telle allure que la parité parmi les professeurs de sciences demanderait 200 ans à ce rythme !

  

Comment expliquer une telle situation ? Quel que soit le métier, le travail des femmes reste souvent perçu comme étant moins légitime que celui des hommes. La femme s'occupe davantage des enfants, même si le développement des systèmes de gardes d'enfants a atténué cette contrainte ; quant au partage équilibré des tâches ménagères, il n'est pas encore une réalité. En raison de ces préjugés, les femmes subissent une « double peine » : d'une part, pratiquant une sorte d'autocensure, elles sont moins souvent candidates aux postes à responsabilité ; d'autre part, dès le début de leur carrière, leurs supérieurs encouragent davantage les hommes lorsqu'il s'agit de détecter les potentiels de chacun, comme l'indique la recherche menée en 2005 en sciences de la vie, au cnrs, sous la direction de Catherine Marry.

   

La recherche publique française dispose cependant d'un atout : les débutants qui ont entre 30 et 35 ans obtiennent des postes stables. Au contraire, en Allemagne, les chercheurs n'ont de postes permanents que vers 40 ans, si bien que les femmes doivent souvent choisir entre leur carrière et fonder une famille. Autre facteur positif en France, le recrutement des maîtres de conférences parmi les docteurs se féminise, et les membres des commissions qui en sont chargées commencent à prendre conscience de la nécessité de rééquilibrer les postes.

  

Toutefois, les procédures sont plus transparentes pour les maîtres de conférences, quand il s'agit d'en recruter plusieurs, que pour les professeurs, recrutés en petit nombre. En mathématiques en particulier, le recrutement de professeures pâtit de la baisse du recrutement de filles dans les Écoles normales supérieures depuis l'instauration de leur mixité, dans les années 1980.

  

Pourquoi faudrait-il augmenter la proportion de femmes dans la recherche scientifique ? D'abord pour des raisons morales : dans une société démocratique, il est juste que chacun – ou chacune – puisse accéder à sa guise aux carrières correspondant à ses compétences. Ensuite, la société a tout intérêt à solliciter tous les talents ; en écartant les femmes de postes où elles pourraient exprimer leurs capacités, elle se prive de succès certains.

  

Afin de faire évoluer cette situation, il nous faut agir à plusieurs niveaux. Les femmes scientifiques auraient intérêt à s'organiser en associations ou en réseaux qui leur feraient prendre conscience des problèmes suffisamment tôt et leur apporteraient les codes indispensables pour entrer et progresser dans le métier. Il en existe encore trop peu.

   

L'essentiel des efforts devrait être fourni par les institutions scientifiques et les pouvoirs publics. Il existe une convention interministérielle, datant de 2006, « pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » ; mais elle ne s'applique pas aux organismes de recherche, et peu de moyens ont été attribués aux organismes pour qu'elle soit mise en œuvre. Des « missions parité » ont été créées en 2001 au ministère de la Recherche et au cnrs, mais leurs moyens et leurs pouvoirs sont restreints. Elles n'ont pas d'influence directe sur les recrutements et les promotions.

   

Les directions des organismes de recher-che et des universités devraient définir une politique volontariste, avec des objectifs de féminisation aux différents niveaux hiérarchiques et de responsabilité. Mettant en œuvre la convention de 2006, l'Université Claude Bernard, à Lyon, a ainsi élaboré une charte pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle est appliquée depuis le 15 janvier 2008.

  

En outre, on pourrait attendre des pouvoirs publics qu'ils imposent, voire qu'ils subissent eux-mêmes, des sanctions financières pour non-application de la loi sur l'égalité professionnelle, comme dans le cas du handicap. À eux de montrer l'exemple en nommant dans les comités une proportion de femmes au moins analogue à celle de la discipline concernée, en refusant des listes de nominations ou de promotions ne respectant pas ces critères, et en faisant en sorte que les missions parité disposent d'un budget leur permettant d'agir efficacement.

  

L'exemple de la Suisse, qui a une politique volontariste de recrutement de femmes professeurs des universités, assortie d'aides variées, montre qu'un rééquilibrage est possible : la proportion des femmes professeurs y est passée de 7 pour cent en 1998 à 14 pour cent en 2006, et pourrait atteindre 25 pour cent en 2012.

  

Soulignons enfin que la situation est la même – voire moins bonne – dans d'autres secteurs scientifiques : dans la recherche privée, seuls 20 pour cent des chercheurs sont des femmes. De même, la médecine ne compte que 13 pour cent de femmes professeurs, alors que la parité est observée parmi les maîtres de conférences.

  

Claudine HERMANN- Pour la Science.

   

Claudine HERMANN est professeure honoraire de physique à l'École polytechnique, présidente d'honneur de l'association Femmes & Sciences.

   

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