3 février 2014 1 03 /02 /février /2014 11:55

La délinquance est-elle une maladie dépistable dès le plus jeune âge ? Comment, avec le renfort des neurosciences et de la psychiatrie, nos sociétés mettent l'enfance sous surveillance. Danger sur la dérive sécuritaire... et la mise sous contrôle des conduites humaines.

 

 

En France, en 2005, un rapport de l'INSERM intitulé "Les troubles de conduite chez l'enfant et l'adolescent" suscite un tollé chez une partie des professionnels de la santé mentale et de l'enfance. Ceux-ci accusent l'organisme de prôner la mise sous surveillance généralisée des tout-petits (dès l'âge de 3 ans), sous l'influence de la psychiatrie comportementaliste anglo-saxonne, légitimant ainsi une idéologie sécuritaire en pleine expansion. Car il s'agit aussi de repérer les futurs délinquants potentiels afin de prévenir ce qu'un député appelle leurs "comportements déviants". Une vision qui détermine déjà les politiques sanitaires et sociales dans des pays aussi variés que le Canada (Québec compris), l'Allemagne ou la Grande-Bretagne.

 

À chaque trouble sa molécule

 

Des sciences en pleine expansion comme l’éthologie et la neurobiologie, et avant elles la génétique, recherchent des causes physiologiques aux comportements "antisociaux". Une batterie de tests, de plus en plus répandus, vise à les diagnostiquer de plus en plus tôt, censés déceler l’"anormalité" des colères, des angoisses ou de la difficulté à se concentrer. Et partant, de les soigner par diverses molécules administrées de façon croissante aux jeunes enfants, du Prozac à la Ritaline. Le vol, le mensonge, la violence, sont ainsi identifiés comme symptômes de ces "troubles de conduite" classés par la bible de la psychiatrie américaine, le DSM (Diagnostic and statistic manual), parmi plus de quatre cents pathologies - contre soixante il y a 40 ans. Avec clarté et concision, en allant à la rencontre des chercheurs et des cliniciens dans les différents pays concernés (ainsi qu’en Suisse et en Belgique), à l’écoute des arguments de part et d’autre, ce film fait le point sur les racines scientifiques et sociales de cette volonté de contrôle, comme sur ses possibles conséquences.

 

Rapport 2005 de l'INSERM

 

Pour consulter le rapport Inserm, cliquez ici: http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCwQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.inserm.fr%2Fcontent%2Fdownload%2F7154%2F55249%2Ffile%2Ftroubles%2Bdes%2Bconduites.pdf&ei=CIfvUsufHqev0QXS5YDwCg&usg=AFQjCNE4DP5lJSFv_-tr_E-xcJ1LYLREEg&bvm=bv.60444564,d.d2k

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30 janvier 2014 4 30 /01 /janvier /2014 15:54

Crise sociale, crise environnementale et politique... perte de l'espoir et économie en dérive... Faut-il avoir peur d'une fin tragique de notre système ? D'un iceberg dans la trajectoire d'un " Titanic mondial "   ? Réponse du chroniqueur Brice Couturier, suivi d'un révision de la mondialisation "en trois minutes chrono".

 

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Ainsi, Ambrogio Lorenzetti avait peur que le moment « républicain » que connaissait la bonne ville de Sienne, ne dure pas. Il savait le bon gouvernement – celui du « Régime des Neufs », menacé de subversion, guetté par quelque conjuration nobiliaire, fragilisé par les révoltes populaires. Mais nous-même, en cette veille de nouvelle année, quelles sont nos peurs et sont-elles bien toutes rationnelles ? En surfant sur le net, j’ai relevé pour vous, chers auditeurs, quelques uns de ces thèmes d’angoisse et je vous laisse déterminer ceux qui sont dignes d’intérêt, et ceux qui ne méritent que votre incrédulité.

 

Je lis ici ou là qu’il est bien imprudent de laisser son argent en banque, alors que Standard’s & Poors estime que les 50 premières banques européennes, aux bilans insuffisamment épurés, auraient besoin d’une recapitalisation d’au moins 110 milliards d’euros. Qui nous dit qu’elles n’auront pas l’idée, en cas de risque systémique, de mettre leurs déposants à contribution ? Le Fmi n’a-t-il pas, de son côté, suggéré une taxe de 10 % sur tous les dépôts, afin de consolider les dettes des Etats ? Faut-il alors renoncer à économiser, comme le préconisent certains qui persistent à prédire une reprise soudaine autant qu’inattendue de l’inflation, pour cause d’injection massives de monnaie par les Banques centrales ? Ou convertir notre épargne, aussi modeste soit-elle, en or ?  C’était pour la presse économique.

 

Du côté politique, on le sait, la morosité confine au désespoir. La parole présidentielle est décrédibilisée par la litanie des engagements non tenus : pas de retour des déficits à 3%, pas de pause fiscale, pas de décrue du chômage. La crise de la démocratie représentative, je n’en parle même pas. Le divorce entre les peuples et leurs élites, c’est un thème tellement rebattu, y compris dans mes propres chroniques, qu’il finira, je le sens, par lasser...

  

Du côté des philosophes, certains redoutent un effondrement du système socio-politique tout entier. La crise, dit-on, n’est pas conjoncturelle, mais structurelle. Ce système, disent-ils, est d’autant plus fragile et vulnérable qu’il est complexe et totalement interdépendant. Un simple bug informatique au cœur d’un de ces réseaux pourrait provoquer un effondrement en chaîne. Nos sociétés, gouvernées par le « principe général d’incertitude » qu’avait bien décrit Baudrillard, ne s’en remettraient pas. Tout l’édifice de la civilisation serait à terre. De là à imaginer des hordes de survivants se livrant, dans un décor de fin du monde, à des combats sans pitié, c’est un thème qui n’est plus cantonné à la science-fiction – ce qui n’est pas bon signe pour notre état mental !

 

 

Question anthropocène: l'’état de la planète, on le sait, est inquiétant ! Des continents de déchets non biodégradables dérivent, tandis que les poissons sont victimes, non seulement de la pollution, mais aussi d’une pêche excessive, qui ne leur permet plus de se reproduire à un rythme compatible avec notre consommation. Quant au climat, les prévisions du GIEC sont toujours aussi alarmistes et si elles se vérifient, des centaines de millions de personnes auraient intérêt à quitter d’ores et déjà les régions où elles vivent, promises à l’immersion pour cause de hausse du niveau des océans, ou encore à la désertification.

 

Reste la seule question qui vaille : avons-nous de bonnes raisons d’avoir si peur ? Pourquoi vivons-nous dans cet état de panique aigüe, alors que le monde vit globalement en paix ? Alors qu’il n’a jamais été aussi prospère, quoique jamais aussi peuplé ?  Que des centaines de millions d’êtres humains sortent, chaque année, de la pauvreté ? Alors que les progrès de la médecine et de l’alimentation font que notre espérance de vie, ici en France, augmente de deux ans tous les dix ans – tandis que vos frères Lorenzetti sont mort tous deux jeunes, de la peste, en 1348 ? Pourquoi avons-nous davantage peur aujourd’hui qu’en 1962, lorsque la crise de Cuba a bien failli déclencher le feu nucléaire entre le bloc occidental et le bloc soviétique ?

 

Je suggère une hypothèse : cette peur ne concerne en réalité que nos sociétés européennes : elles sont terrifiées parce qu’elles sont vieillissantes ; elles se sentent larguées par un mouvement de  l’histoire mondiale dont elles ont perdu un leadership exercé pendant cinq siècles. Parce que, pour cause de « fatigue » européenne, le relais est passé à d’autres et que nous avons peur d’être laissés au bord du chemin. L’Europe n’est plus le continent de l’innovation scientifique et technique, le lieu privilégié de l’audace intellectuelle. Elle n’attend plus du futur le progrès, mais l’apocalypse ; elle a abandonné les Lumières pour le malthusianisme. Parce qu’elle a peur de son propre avenir, elle voudrait que les autres ralentissent. Elle a tort : la seule chose dont il faut avoir peur, c’est de la peur elle-même...

 

Alors comment refaire L'Histoire ?

 

Le constat est fait depuis longtemps : l'individu a triomphé dans la modernité. Mais ce triomphe s'achève sur un échec : celui du collectif qui peine désormais à se projeter dans l'avenir. Le morcellement des intérêts a fait éclater notre horizon d'attente. Nous avons des droits mais pas de perspective de progrès. La crise nous paraît sans fin car le temps lui-même s'est absenté du monde commun. Comment donc refaire Histoire sans écorner les acquis individuels ?

 

Raphaël Bourgois et Antoine Mercier posent cette semaine la question dans la deuxième partie de l'émission "LaGrandeTable" à cinq intellectuels : Cliquez sur le logo France Culture.

 

France-Culture

 

Chronique de Brice Couturier - France Culture.

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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 16:03

En cas d’agression, il est important de conserver tous ses moyens physiques et mentaux pour réagir rapidement et efficacement. Surtout dans un environnement sociétal "toxique et de plus en plus pulsionnel". Voici donc quelques conseils simples de spécialistes en la matière :

 

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Travailler sur la gestion de son stress est une étape importante dans l’apprentissage de la défense personnelle, que celle-ci soit mentale ou, au pire, physique.

 

Une agression est un évènement stressant puisqu'il s'agit souvent d'une situation "rare", inconnue, imprévisible et dans laquelle notre intégrité physique est en jeu.

Face à ce genre de désagrément, notre cerveau peut évaluer très rapidement la dangerosité de la situation, cette évaluation déterminera la réponse émotionnelle et comportementale que nous adopterons.

 

Les réactions émotionnelles face à une agression

 

Le plus souvent, nous ressentons de la peur puisque notre cerveau perçoit l’agresseur comme une menace. Nous pouvons également ressentir de la colère lorsque les agressions ont tendances à se répéter. Dans ce cas-là, nous percevons plutôt l’agresseur comme un obstacle qui nous dérange. Un mélange des deux émotions peut nous envahir sur le moment, mais le plus souvent la colère survient après l’agression, une fois que la peur n’est plus présente. Ces deux émotions sont normales et elles vont déterminer notre façon de réagir.

 

Réaction comportementale face à une agression

  

Notre réaction face à l’agression va dépendre à la fois de notre évaluation de la situation et de notre réaction émotionnelle. En situation de peur, les animaux réagissent de 3 manières différentes :

 

1.      L’attaque

2.      La fuite

3.      L’immobilité

 

Cependant, en tant qu’humain, nous avons une gamme de comportements plus étendus :

 

·         L’attaque

·         La fuite

·         L’immobilité : sous la peur, on peut rester immobile et ne rien faire.

·         Coopérer : s’il s’agit d’un vol ou d’un racket avec ou sans armes, se laisser faire reste une bonne option pour rester en vie.

·         La négociation verbale : souvent la personne agressée va tenter de calmer le jeu pour éviter la violence physique.

 

Toutes ces façons de réagir sont une issue potentielle à un conflit, selon la configuration de l'agression ; à l’exception peut-être de l’immobilité qui est souvent inappropriée, puisqu’on subit la situation de manière passive souvent en raison d’un stress trop fort.

 

Les deux types de stress

 
Face à une situation délicate : on distingue globalement 2 types de stress différents.

·         Le stress positif(Eustress) : c’est un stress qui nous motive et qui nous donne de l’énergie, il nous aide à atteindre notre but.

·         Le stress négatif(Distress) : c’est un stress qui est paralysant et qui nous empêche d’atteindre notre but.

 

Dans le cas d’une agression, un stress positif vous donnera de l’énergie pour réagir très rapidement : il vous aidera à attaquer avec force ou à fuir avec vitesse, et diminuera la douleur ressenti si vous recevez des coups. Alors que le stress négatif aura tendance à vous paralyser et vous empêcher de réagir correctement.

 

Le type de stress ressenti dépend de notre évaluation inconsciente de la situation : si nous pensons que nos ressources sont suffisantes pour faire face à la situation, alors le stress deviendra positif et nous permettra de dominer mentalement ou physiquement le conflit. Si par contre nous percevons la situation comme trop importante et incontrôlable, alors le "Distress" nous envahira et il deviendra très difficile de réagir correctement.

 

Gérer son stress

 

Gérer son stress ne signifie pas ne pas ressentir "la peur", il s’agit plutôt de ne pas être débordé par nos émotions et de favoriser le stress positif facteur de maîtrise de soi.

Nous ressentons du stress positif si plusieurs critères sont rassemblés, exemple :

 

·         Nous connaissons déjà la situation(une situation inconnue et imprévisible augmente le stress)

·         Nous nous sentons capable de faire face à la situation (nous avons un contrôle sur elle)

 

"L’entraînement" reste la meilleure option pour générer du stress positif et faire face avec calme à un éventuel conflit. Un entraînement régulier et le plus réaliste possible permet de se confronter à une situation d’agression, ce ne sera donc plus une situation totalement inconnue, imprévisible et immanquablement effrayante.

 
Et de plus, le fait de se sentir compétent durant l’entraînement et de savoir que vous connaissez des techniques efficaces pour répondre à une agression vous donnera la confiance suffisante pour faire face à ce genre de situation stressante.

 
Il faut une évaluation équilibrée de la situation, car avoir un excès de confiance peut avoir des conséquences indésirables :

 

- Par exemple, se sentir trop compétent peut nous faire choisir "l’attaque" contre un adversaire armé, alors que c’est une décision très lourde de conséquences, et que la fuite ou la coopération sont parfois meilleures.

- Un excès de confiance peut aussi aboutir à un excès de violence de la part de l'agressé... ce qui aurait pour conséquence de blessé l'agresseur au delà de l'acte de légitime défense autorisé par la loi ! Des suites judiciaires s'en suivraient immédiatement.

 

La meilleure façon d’induire un stress positif se fait donc grâce à une bonne préparation et à un entraînement de qualité, cependant au moment de l’agression, vous pouvez éviter que le stress ne vous déborde et vous paralyse en agissant sur deux facteurs :

 

·         Vos pensées : tentez de vous calmer et de vous concentrer sur la situation afin d’anticiper ce qu’il va se passer plutôt que sur vos pensées intérieures. Essayez d’avoir une évaluation rationnelle au plus proche de la réalité, plutôt que d’imaginer le pire des scénarios possibles. Chassez toutes les pensées irrationnelles qui augmentent votre stress !

·         Votre respiration : le stress accélère notre respiration, éviter cela en respirant de plus en plus doucement et par le ventre. Cela vous apaisera et vous aidera à réfléchir et à agir.

 

Lorsqu’on est confronté à une agression, le stress inhibe notre capacité néocorticale à réfléchir de manière (à la fois) complexe et rapide, il est donc plus difficile de penser à un plan de secours ou à une suite logique de gestes d’attaque ou de défense.


Par conséquent, la réponse comportementale que vous risquez d'avoir est la réponse la plus instinctive... et la plus facile est celle que nous aurons le plus répété durant un entraînement. Il est donc important de répéter les bonnes techniques pour qu’elles deviennent un automatisme ancré dans votre mémoire comportementale.

 
Il faut également que les techniques répétées soient les plus simples possibles, sinon notre cerveau aura du mal à les mettre en place et privilégiera une réponse plus simple, c’est pourquoi même après quelques mois d’entraînement de self-défense, si vous êtes confronté à une agression réelle, ce ne sont pas ses techniques qui ressortirons mais simplement des automatismes plus anciens.

 

http://www.se-defendre.com/

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26 janvier 2014 7 26 /01 /janvier /2014 10:51

"De la misère symbolique - pour ne pas reproduire les mêmes erreurs": Un essai de Bernard Stiegler,  philosophe émérite, accompagné d'un entretien exclusif pour le CLAV de Belgique, où il fait la recension de ses plus grands travaux. 

 

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La question politique est une question esthétique, et réciproquement : la question esthétique est une question politique. J'emploie ici le terme "esthétique" dans son sens le plus vaste. Initialement, aisthésis signifie sensation, et la question esthétique est celle du sentir et de la sensibilité en général.

Je soutiens qu'il faut poser la question esthétique à nouveaux frais, et dans sa relation à la question politique, pour inviter le monde artistique à reprendre une compréhension politique de son rôle. L'abandon de la pensée politique par le monde de l'art est une catastrophe.

Je ne veux évidemment pas dire que les artistes doivent "s'engager". Je veux dire que leur travail est originairement engagé dans la question de la sensibilité de l'autre. Or la question politique est essentiellement la question de la relation à l'autre dans un sentir ensemble, une sympathie en ce sens.

Le problème du politique, c'est de savoir comment être ensemble, vivre ensemble, se supporter comme ensemble à travers et depuis nos singularités (bien plus profondément encore que nos "différences") et par-delà nos conflits d'intérêts.

La politique est l'art de garantir une unité de la cité dans son désir d'avenir commun, son individuation, sa singularité comme devenir-un. Or un tel désir suppose un fonds esthétique commun. L'être-ensemble est celui d'un ensemble sensible. Une communauté politique est donc la communauté d'un sentir. Si l'on n'est pas capable d'aimer ensemble les choses (paysages, villes, objets, ¦uvres, langue, etc.), on ne peut pas s'aimer. Tel est le sens de la "philia" chez Aristote. Et s'aimer, c'est aimer ensemble des choses autres que soi.

Pour autant, l'esthétique humaine a une histoire et est donc une incessante transformation du sensible. Manet rompant avec la tradition est la pointe d'un sentir qui n'est pas partagé par tous - d'où les conflits esthétiques qui se multiplient à partir du XIXe siècle. Mais ces conflits sont un processus de construction de la sympathie qui caractérise l'esthétique humaine, une créativité qui transforme le monde en vue de bâtir une nouvelle sensibilité commune, formant le nous interrogatif d'une communauté esthétique à venir. C'est ce que l'on peut nommer l'expérience esthétique, telle que l'art la fait - comme on parle d'expérience scientifique : pour découvrir l'altérité du sentir, son devenir porteur d'avenir.

Or je crois que, de nos jours, l'ambition esthétique à cet égard s'est largement effondrée. Parce qu'une large part de la population est aujourd'hui privée de toute expérience esthétique, entièrement soumise qu'elle est au conditionnement esthétique en quoi consiste le marketing, qui est devenu hégémonique pour l'immense majorité de la population mondiale - tandis que l'autre partie de la population, celle qui expérimente encore, a fait son deuil de la perte de ceux qui ont sombré dans ce conditionnement.

C'est au lendemain du 21avril 2002 que cette question m'a en quelque sorte sauté à la figure. Il m'est apparu ce jour-là, dans une effrayante clarté, que les gens qui ont voté pour Jean-Marie Le Pen sont des personnes avec lesquelles je ne sens pas, comme si nous ne partagions aucune expérience esthétique commune. Il m'est apparu que ces hommes, ces femmes, ces jeunes gens ne sentent pas ce qui se passe, et en cela ne se sentent plus appartenir à la société. Ils sont enfermés dans une zone (commerciale, industrielle, d'"aménagements" divers, voire rurale, etc.) qui n'est plus un monde, parce qu'elle a décroché esthétiquement.

Le 21 avril a été une catastrophe politico-esthétique. Ces personnes qui sont en situation de grande misère symbolique exècrent le devenir de la société moderne et avant tout son esthétique - lorsqu'elle n'est pas industrielle. Car le conditionnement esthétique, qui constitue l'essentiel de l'enfermement dans les zones, vient se substituer à l'expérience esthétique pour la rendre impossible.

Il faut savoir que l'art contemporain, la musique contemporaine, les intermittents du spectacle, la littérature contemporaine, la philosophie contemporaine et la science contemporaine font souffrir le ghetto que forment ces zones.

 

 

Cette misère n'affecte pas simplement les classes sociales pauvres : le réseau télévisuel, en particulier, trame comme une lèpre de telles zones partout, concrétisant ce mot de Nietzsche : "Le désert croît." Pour autant, tous ne sont pas exposés également à la maladie : d'immenses pans de la population vivent dans des espaces urbains dénués de toute urbanité, tandis qu'une minuscule minorité peut jouir d'un milieu de vie digne de ce nom.

 
Il ne faut pas croire que les nouveaux misérables sont d'abominables barbares. Ils sont le c¦ur même de la société des consommateurs. Ils sont la "civilisation". Mais telle que, paradoxalement, son c¦ur est devenu un ghetto. Or ce ghetto est humilié, offensé par ce devenir. Nous, les gens réputés cultivés, savants, artistes, philosophes, clairvoyants et informés, il faut que nous nous rendions compte que l'immense majorité de la société vit dans cette misère symbolique faite d'humiliation et d'offense. Tels sont les ravages que produit la guerre esthétique qu'est devenu le règne hégémonique du marché. L'immense majorité de la société vit dans des zones esthétiquement sinistrées où l'on ne peut pas vivre et s'aimer parce qu'on y est esthétiquement aliéné.

Je connais bien ce monde : j'en viens. Et je sais qu'il est porteur d'insoupçonnables énergies. Mais si elles sont laissées à l'abandon, ces énergies se feront essentiellement destructrices.

Au XXe siècle, une esthétique nouvelle s'est mise en place, fonctionnalisant la dimension affective et esthétique de l'individu pour en faire un consommateur. Il y eut d'autres fonctionnalisations : certaines eurent pour but d'en faire un croyant, d'autres un admirateur du pouvoir, d'autres encore un libre-penseur explorant l'illimité qui résonne dans son corps à la rencontre sensible du monde et du devenir.
Il ne s'agit pas de condamner, bien loin de là, le destin industriel et technologique de l'humanité. Il s'agit en revanche de réinventer ce destin et, pour cela, d'acquérir une compréhension de la situation qui a conduit au conditionnement esthétique et qui, si elle n'est pas surmontée, conduira à la ruine de la consommation elle-même et au dégoût généralisé. On distingue au moins deux esthétiques, celle des psycho-physiologues, qui étudie les organes des sens, et celle de l'histoire de l'art, des formes artéfactuelles, symboles et ¦uvres. Alors que l'esthétique psycho-physiologique apparaît stable, l'esthétique des artefacts ne cesse d'évoluer à travers le temps. Or la stabilité des organes des sens est une illusion en ce qu'ils sont soumis à un processus incessant de défonctionnalisations et refonctionnalisations, précisément lié à l'évolution des artefacts.

L'histoire esthétique de l'humanité consiste en une série de désajustements successifs entre trois grandes organisations qui forment la puissance esthétique de l'homme : son corps avec son organisation physiologique, ses organes artificiels (techniques, objets, outils, instruments, ¦uvres d'art), et ses organisations sociales résultant de l'articulation des artefacts et des corps.

Il faut imaginer une organologie générale qui étudierait l'histoire conjointe de ces trois dimensions de l'esthétique humaine et des tensions, inventions et potentiels qui en résultent.

Seule une telle approche génétique permet de comprendre l'évolution esthétique qui conduit à la misère symbolique contemporaine - où, il faut bien sûr l'espérer et l'affirmer, une force nouvelle doit se cacher, aussi bien dans l'immense ouverture de possibles que portent la science et la technologie que dans l'affect de la souffrance elle-même.

Que s'est-il passé au XXe siècle quant à l'affect Au cours des années 1940, pour absorber une surproduction de biens dont personne n'a besoin, l'industrie américaine met en ¦uvre des techniques de marketing (imaginées dès les années 1930 par Edward Barnay, un neveu de Freud) qui ne cesseront de s'intensifier durant le XXe siècle, la plus-value de l'investissement se faisant sur les économies d'échelle nécessitant des marchés de masse toujours plus vastes. Pour gagner ces marchés de masse, l'industrie développe une esthétique où elle utilise en particulier les médias audiovisuels qui vont, en fonctionnalisant la dimension esthétique de l'individu, lui faire adopter des comportements de consommation.

Il en résulte une misère symbolique qui est aussi une misère libidinale et affective, et qui conduit à la perte de ce que j'appelle le narcissisme primordial : les individus sont privés de leur capacité d'attachement esthétique à des singularités, à des objets singuliers.

Locke comprit au XVIIe siècle que je suis singulier à travers la singularité des objets avec lesquels je suis en relation. Je suis le rapport à mes objets en tant qu'il est singulier. Or le rapport aux objets industriels, qui par ailleurs se standardisent, est désormais standardisé et catégorisé en particularismes qui constituent pour le marketing des segments de marché tout en transformant le singulier en particulier. Car les techniques audiovisuelles du marketing conduisent à faire que progressivement, mon passé vécu, à travers toutes ces images et ces sons que je vois et que j'entends, tend à devenir le même que celui de mes voisins. Et la diversification des chaînes est elle aussi une particularisation des cibles - raison pour laquelle elles tendent toutes à faire la même chose.

Mon passé étant de moins en moins différent de celui des autres parce que mon passé se constitue de plus en plus dans les images et les sons que les médias déversent dans ma conscience, mais aussi dans les objets et les rapports aux objets que ces images me conduisent à consommer, il perd sa singularité, c'est-à-dire que je me perds comme singularité.

Dès lors que je n'ai plus de singularité, je ne m'aime plus : on ne peut s'aimer soi-même qu'à partir du savoir intime que l'on a de sa propre singularité. Si notre singularité est détruite, notre amour de nous-même est détruit.
Quant à l'art, il est l'expérience et le soutien de cette singularité sensible comme invitation à l'activité symbolique, à la production et à la rencontre de traces dans le temps collectif.

L'amour propre que rend possible la singularité de l'individu, et que, dans la psychanalyse, on appelle le narcissisme, est la condition de l'amour des autres. Si je ne m'aime pas moi-même, je ne peux aimer les autres. C'est pourquoi le tueur de Nanterre, Richard Durn, est un exemple de ce vers quoi nous allons : un exemple du genre de passages à l'acte à quoi conduit la misère symbolique, anticipant cet autre passage à l'acte que fut le 21 avril 2002.

Voilà en quoi la question esthétique et la question politique n'en font qu'une.

Bernard Stiegler est philosophe, directeur de l'institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam).

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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 10:08

Suite aux funestes événements qui ce sont récemment déroulés à Belfort, je dédie cet article au Docteur Jean-Luc Raichon, assassiné pour avoir simplement ouvert sa porte au mauvais endroit et au mauvais moment. Aux vues de la pénibilité des tâches effectuées et du danger inhérent aux métiers de la psychiatrie, j'ajoute le témoignage du docteur Patrick Chaltier, qui éclaire les risques de cette pratique de plus en plus exposée aux frustrations d’une société en souffrance.

 

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-Dr. Jean-Luc Raichon, décédé au soir du jeudi 23 janvier 2014-

 

Beaucoup de zones d’ombre persistent encore autour du triple meurtre de Belfort, qui s’est produit jeudi soir aux alentours de 19 h. Le procureur de la République, Alexandre Chevrier, a donné, hier en fin d’après-midi, les premiers éléments permettant de reconstituer l’emploi du temps de l’auteur présumé, Hervé Meraihia, un Belfortain de 43 ans, à défaut de connaître précisément le mobile. « Néanmoins », indique le procureur, « le drame a eu lieu dans un contexte de séparation mal acceptée et une jalousie très aiguë par rapport à son ancienne compagne ». Les premiers éléments de l’enquête diligentée conjointement par les services de police de Belfort dirigés par Eric Eckel, et la police judiciaire de Besançon, sous les ordres du commandant Régis Millet, donnent le film des faits.

 

Jeudi aux alentours de 19 h, l’homme, qui s’est séparé il y a quelques semaines de Rachel Martin, 37 ans, se rend devant le nouveau domicile de cette dernière, au 16 rue Aristide-Briand, près de la gare à Belfort, une arme de calibre 9 mm dans la poche. Il l’attend. Lorsqu’elle pénètre dans l’entrée, il la suit jusqu’à son palier, au premier étage de l’immeuble. Une brève altercation s’ensuit. Il lui porte un coup-de-poing au visage. La porte d’en face s’ouvre, le psychiatre, Jean-Luc Raichon, 55 ans, sans doute alerté par le bruit, sort. « Un malheureux hasard », remarque le procureur : les deux hommes échangent quelques mots et le suspect sort son arme. Il tire sur les deux personnes, « des coups de feu multiples » et s’enfuit.

 

« Une irrépressible pulsion de mort »

 

Hervé Meraihia reprend sa voiture et se rend près du stade Mattler, au 23 rue des Rubans. Il frappe à la porte de son ami d’enfance, Laurent Domingues, 44 ans. C’est sa compagne qui ouvre. Elle appelle son concubin. Sur le seuil de la maison, « l’échange est très bref », explique le procureur. Le suspect tire à bout portant plusieurs fois. Depuis l’avenue Jean-Jaurès, le bruit de l’arme fait l’effet d’une fusillade. Aux enquêteurs, le meurtrier présumé a expliqué avoir « obéi à une irrépressible pulsion de mort ».

 

Les autopsies, pratiquées hier dans la journée à l’Institut médico-légal de Besançon, permettront d’établir le nombre de balles qu’a reçues chaque victime. Après les faits, l’homme aurait appelé sa mère pour raconter son geste. Cette dernière lui aurait conseillé de se livrer. Peu après 19 h, il se rend directement au commissariat de Belfort et indique aux policiers que son arme, détenue illégalement, se trouve dans la voiture.

 

Les psychiatres face à la violence de leurs patients

 
Ce n’est pas la première fois qu’un tel acte se produit en France. Comment l’expliquer ? Peut-on prévenir le passage à l’acte de patients ou de leurs proches ? Les psys sont-ils suffisamment formés pour faire face aux risques de leur métier ? Explications avec le psychiatre Patrick Chaltiel.

 

On pense souvent qu’un acte aussi violent ne peut être que le geste d’un fou. Est-ce vraiment le cas ?

 

Patrick Chaltiel. Non, pas vraiment. Les malades mentaux sont plus souvent des victimes que des agresseurs. Ils sont 11 fois plus victimes de violence que le reste de la population. Alors que leur violence à eux n'est supérieure que de 1,5 fois à celle de la population générale. Mais les crimes de patients sont spectaculaires. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’ils touchent généralement un proche, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou du médecin traitant. Il y a une proximité immédiate avec la victime. Ensuite, parce que le crime est rarement motivé de façon cohérente. Enfin, les scénarios marquent les esprits. Je pense notamment aux infirmières tuées à Pau en 2004. Elles ont été sauvagement tuées à l'arme blanche durant leur nuit de garde, l'une des deux victimes ayant été décapitée, sa tête placée au-dessus d'un téléviseur… Ce sont donc des crimes très médiatisés. La vulnérabilité des malades mentaux, elle, en revanche, n’intéresse pas beaucoup les médias.

 

Comment expliquer que des patients s’en prennent aux personnes qui les soignent ?

 

Il y a des crimes utilitaires qui ne rentrent pas dans le registre de la maladie mentale. Certains toxicomanes agressent ainsi leur médecin pour voler des ordonnances. Dans d’autres cas, il y a une absence de repérage de la maladie mentale ou un suivi insuffisant. Les malades mentaux représentent 3 à 4 % de notre population, il faut s’en occuper, mais les moyens humains pour les prendre en charge ont tendance à se réduire. Résultat, livrés à eux-mêmes, ils délirent, ce qui peut les mener au suicide ou, plus rarement, au crime. C’est ce que l’on appelle la violence de rétorsion. Face à leur exclusion et à leur isolement dans la société, ils veulent montrer qu’ils existent, et cela passe parfois par des actes violents. Il y a souvent une conjonction de facteurs qu’il faut prendre le temps de décortiquer. J’ai par exemple eu le cas d’un malade en fin d’état maniaque, c’est-à-dire en situation d’excitation délirante, qui semblait aller mieux. Il a donné un coup de poing à une autre patiente de l’hôpital. Il s’est avéré que son traitement avait été réduit trop rapidement. Le risque de résurgence avait été minimisé. La patiente en question était très fragile et angoissée, elle l’avait traité de voyou. Cet incident témoigne de négligences de l’équipe et d’une interaction de facteurs. La violence n’est généralement pas une caractéristique inhérente de la maladie. Les pathologies violentes sont rares. Par exemple, seulement 2 à 3 % des schizophrènes sont froids et violents.

 

Y a-t-il des signes avant-coureurs qui peuvent alerter sur un possible passage à l’acte ?

 

Oui. Une pratique d’équipe permet de repérer certains comportements et de détecter les prémices : stress croissant, problèmes financiers, petite délinquance, délires… Seul, il est possible de passer à côté. C’est plus compliqué pour un psychiatre en cabinet, par exemple, qui ne connaît pas encore bien le patient. Parfois aussi, les familles sont réticentes à amener un de leurs proches consulter, cela retarde la prise en charge et peut entraîner un passage à l’acte qui aurait sûrement pu être évité.

 

Les psys sont-ils formés pour réagir à l’agressivité ou la violence de leurs patients ?

 

Non, il y a un vrai déficit en la matière. L’enseignement est trop théorique et manque de stages pratiques qui permettraient une meilleure transmission des praticiens expérimentés aux étudiants. Je conseille aux jeunes qui débutent leur carrière de ne pas s’installer seuls, mais d’opter pour le partage d’un cabinet ou pour l’hôpital. Il ne faut pas être trop isolé. Le travail en équipe est par ailleurs bénéfique aux patients. Cela atténue le risque que, chez les malades psychotiques, le transfert se transforme en haine envers le psychiatre. Dans les hôpitaux, je constate que les patients sont de plus en plus maintenus attachés, notamment dans les services d’urgence. Je trouve que c’est une solution de facilité, cela fait reculer la parole.

 

Vous est-il déjà arrivé d’avoir peur du comportement d’un de vos patients ?

 

Oui, bien sûr. Je dirais même que la peur est nécessaire et salvatrice. Je ne pense pas qu’il faille avoir peur, mais il faut savoir que notre métier est source de stress intense. Il faut apprendre à contrôler cette peur. Il y a souvent des malades qui sont inquiétants, mais pas dangereux. La violence ne vient d’ailleurs pas forcément du patient, mais parfois de sa famille. L’expérience compte énormément pour savoir comment réagir. A mes débuts, j’avais toujours avec moi des outils de réassurance comme une bombe lacrymogène. Je n’en ai plus besoin maintenant, j’ai appris à désamorcer cette violence. J’ai déjà pris des coups, mais je n’ai jamais été en grand danger. En milieu hospitalier, ce sont surtout les infirmiers qui sont en première ligne. Notre métier présente des risques, il faut en être conscient. Chaque année, un psychiatre est tué en France par un patient sur les 12 000 qui exercent. Mais, la plupart du temps, les patients ont une grande estime pour leur médecin car peu de personnes s’occupent d’eux. En cas d’agression, ce sont souvent les autres patients qui viennent défendre le praticien.

 

Pascal CHEVILLOT et Karine FRELIN - Vosges matin

Propos et témoignage recueillis par Fabienne Broucarey -psychologies.com

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11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 11:38

Maîtriser l’évolution de la place des sciences dans notre société : l’importance accordée à la science peut paraître évidente. Il nous semble pourtant que ces dernières décennies ont apporté des évolutions marquantes méritant un autre regard sur les enjeux de l’éducation scientifique de chaque citoyen.

   

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« Une nomenklatura d’experts et spécialistes non seulement monopolise les problèmes mais les fragmente et les émiette. » Edgard Morin - sociologue (1)

 

La science a tellement apporté à notre société moderne qu’on lui attribue des vertus qu’elle n’a pas et qu’elle n’a jamais eues.

 

De façon dominante, notre culture est devenue laïque. Pour cela, la rationalité de la science s’est opposée à l’obscurantisme de la religion. Mais à l’excès, le chaînage « Raison-Science-Technique-Progrès » pourrait vite devenir une nouvelle religion totalitaire, un outil de normalisation. La science n’est pas bonne en soi, tout dépend de l’usage qu’on en fait. Démystifier la science est alors le meilleur des services à lui rendre. On a de plus en plus souvent recours au scientifique dans la « chose politique » pour justifier des choix fondamentaux et provoquer insidieusement l’exclusion du citoyen dans les débats et décisions. Il y aurait ainsi aggravation de la distance entre décideurs et citoyens. Un autre phénomène amplifie cette tendance : la science est morcelée, parcellisée. Il convient alors d’utiliser le pluriel et de parler des sciences.

 

Le spécialiste normopathe remplace l’érudit dans l’échelle des valorisations collectives !

 

Chacun peut aisément se sentir dépassé par la marche du monde. Et cela n’épargne personne, pas même les plus grands scientifiques n’ayant forcément qu’une maîtrise segmentée d’un champ de compétences. En conséquence, le rapport au savoir évolue. La masse du savoir de l’humanité double tous les dix ans, cela la rend plus inaccessible encore. La recherche de compilation de connaissances a de moins en moins de sens. Et penser autrement conduit à « fabriquer » des générations entières de complexés, qui ont à gérer leur ignorance relative. Cette accélération de la connaissance produit davantage de ruptures générationnelles (comme l’affirme Philippe Meirieu). Autrefois, nos parents nous apprenaient l’essentiel de la vie que l’école se chargeait de compléter. Aujourd’hui la quasi-totalité des parents ne sont plus dans le coup dès que leurs enfants franchissent la classe de Cinquième. Ce sont les jeunes générations qui initient les parents aux nouvelles données. C’est une révolution culturelle somme toute assez intéressante qu’il faut appréhender. Cependant, chance ou danger, l’intrusion du virtuel dans les modes d’apprentissage n’est pas assez réfléchie. Nos jeunes l’expérimentent grandeur nature, sans filet et sans distance, se fabriquant leurs propres repères. Le recours au scientifique est galvaudé et se revendique partout, jusqu’à atteindre des aberrations : la faculté de Droit devient « science du tertiaire » et on parle même de « sciences occultes » !

 

Cette sacralisation conduit le monde scientifique à devoir assumer une image dégradée. D’autant que les sciences représentent encore un outil de sélection, outil d’exclusion. Une fausse image de la recherche domine ? Il faudrait plus souvent rappeler que la plupart des recherches ne débouchent sur rien. À 99%, les conclusions d’une expérimentation sont : « on ne peut pas conclure ». Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche. Une véritable entreprise de démystification est à opérer. Un autre aspect vient déformer notre regard sur la science, il s’agit de l’accès immédiat et sans distance aux grandes découvertes. Ainsi, c’est trop souvent le Journal de 20 heures qui guide les débats de société (l’expérience du « greffé des deux mains » avec ses multiples rebondissements révélait une impasse totale sur la dimension psychologique, le sensationnel avait fait rêver les foules mais en provoquant plus d’exclusion que d’émancipation collective). La science est présentée comme toute puissante. Et nous en sommes spectateurs. Nous devons inviter à une approche pragmatique de la science. Chacun doit se sentir concerné, volontaire, lucide mais sûrement pas résigné. L’éducation scientifique et technique a donc partie liée avec « l’éducation citoyenne ». Ce néologisme venant souvent remplacer la notion « d’éducation politique » trop connotée. Ce que nous ne pouvons que déplorer.

 

Le devoir d’éducation globale au cœur des missions de l’école

 

L’enseignement des sciences et de la technologie étant en déficit dès l’école primaire, une réhabilitation raisonnée est à mener. Les sciences ne sont pas enseignées dans toutes les classes sous de multiples prétextes. Après avoir été champ disciplinaire sélectif, et peut-être à cause de cela, les jeunes ont une image restrictive des sciences et de la technologie. L’enseignement supérieur ne prépare plus suffisamment de jeunes aux carrières scientifiques. Mais cela ne saurait constituer la seule justification d’un regain d’intérêt pour les sciences. L’enjeu dépasse très largement les seuls contingents de jeunes des filières scientifiques. Il porte bien sur l’éducation globale de chacun. À cet égard, Gérard Fourez, universitaire belge, insiste sur la notion d’alphabétisation technico-scientifique pour tous dans un ouvrage paru récemment. Chaque fois qu’un ministre prône le retour au « lire-écrire-compter », cela est aussi entendu comme une légitimation à « l’abstinence scientifique » pour un trop grand nombre d’enseignants.

 

Dans sa définition des cinq finalités éducatives, Edgar Morin (2) induit de fait une position centrale à la culture scientifique et technique. Ces finalités étant :

  • L’aptitude à organiser la connaissance ;
  • l’enseignement de la condition humaine ;
  • l’apprentissage du vivre ensemble ;
  • l’apprentissage de l’incertitude ;
  • l’éducation citoyenne.
Il conviendrait alors davantage de : Forger des esprits critiques... fondés sur le doute constructif. Il s’agit de faire du doute et de l’erreur un matériau noble et non pas une technique didactique. Je n’ai pas de souvenir dans mes cours de sciences au collège et au lycée que l’on m’ait enseigné des dérives de la science. « L’initiation à la lucidité est elle-même inséparable d’une initiation à l’omniprésence du problème de l’erreur. Connaître et penser n’est pas arriver à une vérité absolument certaine, c’est dialoguer avec l’incertitude ». (3) « Il faut que le corps enseignant se porte aux postes les plus avancés du danger que constitue l’incertitude permanente du monde. Le doute est encore trop souvent vécu comme une défaillance par les enseignants. » Martin Heidegger. Mettre en lien les connaissances fondamentales. « Littérature, poésie, cinéma, psychologie, philosophie devraient converger pour devenir écoles de la compréhension humaine. L’éthique de la compréhension humaine constitue sans doute une exigence clé de nos temps d’incompréhension » (4).
 
Donner du sens à nos apprentissages est une des quêtes éducatives permanentes les plus difficiles. Revaloriser le technique. Le manuel et le technique restent un secteur dévalorisé. Je reste beaucoup plus impressionné par les compétences de mon garagiste que par l’apport de certains théoriciens douteux. Non pas parce que ce professionnel est plus utile au quotidien mais parce que ses connaissances apparaissent plus opérantes. Je serais tenté d’oser l’expression d’une « nouvelle lutte des classes ». Comment voulez-vous que les milieux populaires interprètent le fait qu’à l’école les « travaux manuels » soient devenus « éducation manuelle et technique » puis « éducation technologique » ? Voilà un glissement non compris qui génère une évidente disqualification. Anecdote hélas généralisable : un des rares moments où un élève de lycée a eu le sentiment de faire de la technologie, c’est quand il a proposé, et réussi, à réparer les fers à souder en panne, sauvant de la détresse son professeur avec une certaine fierté. Cultiver un autre rapport au savoir ? Edgar Morin (5) actualise la citation de Montaigne « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine ». « Cela signifie que plutôt que d’accumuler le savoir, il est beaucoup plus important de disposer à la fois d’une aptitude générale à poser et traiter des problèmes, de principes organisateurs qui permettent de relier des savoirs et de leur donner du sens. »
 
Le développement de l’aptitude à contextualiser et à globaliser les savoirs devient un impératif d’éducation ». Cela exige-t-il un autre regard sur ce qui fonde l’intelligence ? Nous préférons de beaucoup la définition de Detienne et Vernant (6) : « Ensemble d’attitudes mentales [...] qui combinent le flair, la sagacité, la souplesse d’esprit, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité ». Cela demande de la distance et surtout ne peut se forger que par l’expérience vécue et intégrée. Se fabriquer une vision du monde. Marcel Proust disait à ce propos qu’« un vrai voyage de découverte n’est pas de chercher de nouvelles terres, mais d’avoir un œil nouveau ». Soulignons l’apport remarquable des pédagogues de « l’éducation à l’environnement » qui par leur approche systémique nous proposent des démarches pertinentes. Apprendre à agir. Il n’est de vrais savoirs que de savoirs réinvestissables, mobilisables. Notre enseignement doit inviter à l’action, doit favoriser la participation aux enjeux de société.
 

Des propositions pédagogiques pour l’enseignement des sciences

 

Notre société semble douter sur les missions fondamentales de l’école. Dans les années soixante-dix - quatre-vingts, l’influence de l’éducation nouvelle avait contribué à la grande mutation de l’enseignement des sciences, par la pédagogie de l’éveil (voir les travaux de Francine Best) (7). Cette orientation pédagogique fut combattue par certains. J’ai en mémoire l’ouvrage de Despin et Bartholy intitulé Le poisson rouge dans le Perrier qui caricaturait la pédagogie de l’éveil comme l’école du laisser faire et du mépris de la connaissance. Leurs attaques allaient jusqu’à tenir pour responsables les méthodes actives du déclin de notre enseignement. Il s’agissait là d’une double erreur d’appréciation à notre sens. D’une part, les différentes études montraient et montrent toujours une élévation continue du niveau général des élèves, et d’autre part, il faut bien reconnaître que cette pédagogie était restée trop marginale pour modifier les statistiques nationales. Depuis cette période, les directives et instructions ministérielles se succèdent en impulsant des évolutions le plus souvent pertinentes mais chaotiques. Un ministre veut ouvrir l’école, le suivant la sanctuarise. Une instruction valorise l’éducation sensible, elle est suivie d’une autre qui recentre sur les apprentissages fondamentaux. Plus récemment, la querelle entre les « républicains » (centrant le rôle de l’école sur les savoirs) et les « pédagogues » (ayant une approche plus globale de l’enfant) est étalée sur la place publique : la modernité de ce débat étant totalement illusoire.

 

Dans ce contexte tourmenté, notre mouvement fait preuve d’une assez grande constance, cultivant sereinement la remise en question de ses pratiques pédagogiques autour de valeurs solidement ancrées. Citons en quelques-unes : Il convient de définir la mission de l’école dans une perspective à la fois éducative, sociale et culturelle. Ce qui vise autant au développement d’attitudes (rigueur, curiosité, esprit critique, solidarité) qu’à la construction de savoirs. C’est une condition essentielle pour clarifier le rôle de l’enseignant. Celui-ci ne pouvant se limiter à la transmission de connaissances, le pédagogue devient par définition un innovateur, voire un chercheur. Nous concevons l’éducation dans une approche globale de l’enfant. Ses modes de fonctionnement, ses acquis, ses savoir-faire, son affectivité, doivent être pris en compte. Le cheminement de pensée, le rythme des apprentissages ne peuvent en aucun cas être pré-établis. La prise en compte des représentations (cf. Giordan 8). Si l’acquisition de nouveaux savoirs est essentielle, elle se fait trop souvent au mépris des compétences existantes pourtant de nature à instaurer la confiance dans ses propres capacités. C’est un autre regard sur le potentiel de chacun qu’il convient des rendre plus systématique. L’éducation doit être active. Toutefois nous constatons régulièrement une grande méprise sur la notion d’activité de l’enfant. Celle-ci ne peut se limiter à la mise en place de manipulations guidées par l’enseignant dans une progression figée. L’enfant doit conduire ses recherches. Il doit aussi non seulement choisir mais décider de sa démarche d’apprentissage (le tâtonnement pouvant alors y tenir toute sa place).

 

« Celui qui suit quelqu’un, ne cherche rien. » Montaigne.

 « L’école échoue non parce qu’elle explique mal mais parce qu’elle explique. » Henri Bassis (GFEN)

 

Les apprentissages doivent être porteurs de sens pour chacun (y compris pour l’enseignant). « Mais s’appuyer sur du sens ne suffit pas, il est aussi nécessaire de construire du sens » comme le dit Gérard de Vecchi (9)... Il convient de distinguer trois registres d’apprentissages d’égale importance :

  • Les connaissances (les savoirs théoriques) ;
  • Les savoir-faire opératoires (les savoirs d’action 10) : pour cela l’école doit bien être un lieu d’expérimentation ;
  • Les démarches et stratégies d’acquisitions.

Cette approche de l’enseignement des sciences touche bien évidemment à l’organisation globale de la classe. Par une pédagogie qui favorise l’émergence des questions des enfants - même celles qui ne sont pas au programme ! Par l’existence d’espaces de paroles, l’exercice régulier de la critique, l’encouragement à la prise d’initiative. En s’affranchissant du cloisonnement disciplinaire des activités scolaires. En s’appuyant sur un travail d’équipe qui fait de l’hétérogénéité des adultes et des enfants une richesse. Par un aménagement de l’école, de la classe qui facilite le travail de recherche, qui stimule les questionnements (ateliers, lieux d’expositions, régie matériels, centre documentaire). Notons le rôle intéressant des aides éducateurs qui aurait dû favoriser la mise en place « d’ateliers sciences » facilitant les situations d’expérimentation. Par des pratiques ouvertes sur l’environnement de l’école. Les pratiques scolaires doivent s’appuyer fortement sur les lieux et les personnes-ressources. Sans s’enfermer dans une vision techniciste de la pédagogie, il n’est pas possible de faire l’impasse sur les recherches, les méthodes et les outils pédagogiques. Toutes les méthodes, tous les supports pédagogiques ne se valent pas. Certaines laissent davantage de place à la recherche, à l’entreprise (nous pensons entre autre à la pédagogie du projet). C’est une dynamique qui caractérise fondamentalement l’acte d’apprendre. « Pour apprendre, il faut chercher et entreprendre. » Bernadette Aumont (11)

 

D’autre part, une recherche sur les « savoirs organisateurs » est indispensable. Une nouvelle hiérarchisation est à proposer en dehors de la seule approche par les programmes disciplinaires. Redéfinissons « ce qu’il est interdit d’ignorer ! » L’entrée dans l’activité est essentielle. Les pédagogies non directives sont sans doute allées trop loin parfois. L’enseignant doit proposer des situations-problèmes qui invitent à se mettre en action et qui provoquent les fameuses « ruptures épistémologiques ». Affirmer qu’« on ne cherche pas si on ne se pose pas de question » est une chose, croire que « les questions viendront spontanément » en est une autre. Résister à l’un des mythes des sciences de l’éducation : la nécessité de tout évaluer (particulièrement quand il s’agit de savoir-être). Enfermer les activités dans des référentiels de compétences devient réducteur. Le plaisir et l’intérêt sont des moteurs de l’activité et de l’apprentissage. Les pratiques d’éducation nouvelle s’appuient sur le plaisir, voire sur l’enthousiasme suscité par les découvertes. L’enseignement en devient beaucoup plus efficace et n’est absolument pas antinomique avec un certain apprentissage de l’effort et la persévérance. Le groupe est un élément important de l’apprentissage actif, qui invite à négocier les démarches d’apprentissage, valoriser ses savoirs, ses savoir-faire. Il se conçoit en articulation aux travaux individuels. De plus, la communication au sein d’un groupe offre une situation structurante pour les acquisitions. Mettre la science en débat sous de multiples formes et en toutes occasions. Instaurer un bain culturel scientifique et technique dès le plus jeune âge. S’il est commun de l’affirmer pour l’éducation artistique, pourquoi en serait-il autrement pour la formation de l’esprit scientifique ? Pour s’en convaincre, nous conseillons la lecture de l’excellent ouvrage de Mireille Hartmann "L’astronomie est un jeu d’enfant destiné aux enseignants de l’école maternelle."

 

L’éducation scientifique et technique... surtout pas une affaire de spécialistes

 

La famille, les médias, les centres culturels, les structures de loisirs, de tourisme...Tous ces lieux doivent concourir, aux côtés de l’école, à cette vaste ambition de culture scientifique et technique pour tous. Dans la quotidienneté, un médecin, un garagiste (encore lui), un chercheur, un jardinier, peuvent faire œuvre d’éducation scientifique pour leurs proches. Un peu comme si la vie s’inspirait davantage des dynamiques instituées par les réseaux d’échanges réciproques de savoirs. Les associations d’éducation populaire ( type universités populaires et ouvertes ) mènent cette entreprise depuis de nombreuses années. Il nous faut faire reconnaître que « l’éducation non formelle (voire substancielle) » joue un rôle complémentaire et indispensable à l’école (ce qui est complémentaire étant par définition ce qui est indispensable pour être complet). Et pour l’école, partager cette mission est une condition pour la rendre tout simplement possible.

 

Bruno Chichignoud pour http://www.cemea.asso.fr/

 

Notes 1, 2, 3, 4, 5 - Morin Edgar, La Tête bien faite, Le Seuil 1999. 6 - Detienne et Vernant, Les Ruses de l’intelligence, La metis des Grecs, Flammarion, 1974. 7 - Best Francine, Pour une pédagogie de l’éveil, A. Colin, 1977. 8 - Giordan, de Vecchi, Les Sciences comment faire pour que ça marche, Z éditions. 9 - In Magnaldi Carmona et Gérard de Vecchi, Faire construire des savoirs, Hachette, 1996. 10 - Barbier, Jean-Marie, Savoirs théoriques et savoirs d’action, Puf, 1996. 11 - Aumont Bernadette, Les Chemins de l’apprentissage, Retz, 1997.

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11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 08:12

L’amitié est une des belles réalités de la vie. Que serait la vie humaine s’il n’était pas possible de se lier d’amitié ? Autant l’amitié est belle, autant elle peut être source de souffrances. Qui n’a pas été déçu des comportements d’un ami ou de celui qu’il croyait être tel ?

 

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-Un appéritif entre bons amis-

 

Il arrive souvent de se tromper sur la nature du lien. L’un le considère comme son meilleur ami, alors que lui aime sa compagnie, sans plus. Il est possible d’identifier clairement le type de lien qui unit deux personnes et de se servir de critères fiables pour mieux savoir à quoi s’attendre.

 

Les penseurs des différentes époques parviennent à identifier trois types d’amitié possibles. Pour arriver à comprendre comment ils en arrivent à ce nombre, il faut faire le ménage dans la manière usuelle de classifier les amitiés. Il y a dit-on les amitiés qui naissent des liens du sang : les parents et les enfants, les frères et sœurs, les cousins et cousines, les oncles et tantes etc. Il y a les amis d’enfance, les amitiés qui se sont formées à l’école, les voisins, les membres d’une équipe, d’une organisation quelconque, les camarades de travail. Viennent enfin, ceux que l’on qualifierait de façon spéciale du nom d’amis, qui peuvent être parmi la liste précédente, ou encore provenir de toutes nouvelles rencontres.

 

Classifier les amis de cette façon ne présente aucun inconvénient pour autant qu’il soit entendu que cela ne renseigne pas clairement sur la nature du lien. Pour identifier clairement le type d’amitié vécu, il faut connaître l’intention principale de ceux qui se lient. Or il n’y a que trois motivations possibles : soit se lier pour l’aide, les services que l’un et l’autre peuvent s’apporter ; soit se fréquenter  pour les plaisirs vécus en commun;  soit enfin, parce qu’on a rencontré l’âme sœur. S’aimer pour l’aide apportée, pour le plaisir partagé, s’aimer pour ce que nous sommes indépendamment des services et des plaisirs qui peuvent en découler. Comment  mettre le doigt sur la nature du lien vécu?  C’est la personne qui s’engage envers l’autre  qui le sait ou du moins peut le savoir. Par contre, comment être sûr des intentions de l’autre?

 

L’amitié pour mériter ce nom doit être réciproque. C’est ici que la confusion peut intervenir. L’un aime l’autre pour lui-même, le considère comme un autre soi-même alors que lui cherche notre présence principalement pour l’aide apportée. Comment une telle confusion est-elle possible? Il arrive que  la nature de l’aide apportée prête à confusion. Quelqu’un cherche votre présence parce que vous écoutez bien, il se sent en confiance et vous raconte ses problèmes, dévoile des secrets, vous donne accès à son intimité. De vrais amis font cela, mais dans un but différent. Ils s’ouvrent l’un à l’autre dans le but d’instaurer un lien fondé sur la vérité et non sur le mensonge, pour mieux se connaître afin de parvenir à vouloir ce qu’il y de mieux pour l’un et l’autre. Dans l’amitié véritable l’échange va dans les deux sens. Dans le cas cité plus haut vous n’êtes qu’une oreille, elle coûte moins cher que celle du psychologue. L’autre  utilise à ses propres fins vos qualités d’écoute.  Lorsqu’il n’en a plus  besoin, il vous laisse tomber.  A ce moment vous découvrez sa véritable motivation, qu’Il était difficile de percevoir autrement. Une meilleure connaissance des différences entre les trois amitiés aide à devenir plus vigilant.

 

Chacune des trois sortes d’amitié a raison d’exister. L’homme a tellement de besoins à satisfaire qu’il est normal de faire appel aux autres.  Le plaisir occupe une grande place dans la vie, il est décuplé en le partageant avec d’autres. Enfin, qui ne souhaite aimer et être aimé pour lui-même?

 

Chacune de ces amitiés peut conduire aux autres formes d’amitié. Souvent des personnes se connaissent d’abord dans un contexte qui se prête à l’échange de services (au travail, à l’école, dans un organisme). Ce premier lien est clairement utile (s’entraider dans les matières scolaires ou pour le travail). Par la suite, tant qu’à  collaborer pourquoi ne pas le faire en s’amusant? Enfin, à force de se connaître, les qualités de chacun deviennent plus évidentes ce qui ouvre la porte à la possibilité de s’aimer pour ce qu’on est.

 

Une amitié motivée par le plaisir (par exemple, pratiquer un sport ensemble) peut conduire à l’occasion à rendre des services au coéquipier, tout comme ouvrir la porte à l’amitié véritable dans la mesure où le sport permet  à chacun de dévoiler ses qualités. Dans l’amitié utile et de plaisir, il arrive de passer beaucoup de temps ensemble et donc de croire à un lien plus profond. La longueur du temps en commun ne garantit pas pour autant le passage automatique à l’amitié véritable.

 

Bien que de vrais amis passent bien du temps ensemble, se rendent des services et savent savourer des moments de plaisir, ce n’est pas d’abord pour ces raisons qu’ils sont liés. Ils s’aiment avant tout pour ce qu’ils sont. L’amitié véritable n’est possible qu’entre des êtres matures, responsables, équilibrés et généreux  puisqu’elle implique une totale confiance en l’autre, un désir de vivre dans la vérité et de vouloir fermement le bien de l’autre. Il est évident qu’une amitié tire son nom de la motivation dominante qui unit les deux parties. Voyons quelques différences supplémentaires entre les trois amitiés qui aideront à les départager.

L’amitié utile n’exige pas nécessairement d’avoir des affinités au plan personnel.  

 

Ce qui compte, c’est de satisfaire le besoin. Elle prend fin lorsque le besoin cesse. Il n’est pas non plus nécessaire de bien se connaître. Il y a une sorte d’inégalité dans cette relation puisque l’un donne et l’autre reçoit. L’amitié fondée sur le plaisir exige des affinités et même des habiletés voisines : il n’est pas possible d’avoir du plaisir au tennis avec un partenaire trop faible ou trop fort. Elle implique plus de connaissance de l’autre que l’amitié utile. La recherche du plaisir dénote un certain sens de la gratuité, puisque tout plaisir est recherché pour lui-même indépendamment de ce qu’il rapporte.  En même temps, le plaisir étant personnel, a pour effet de centrer celui qui le recherche sur soi. Les plaisirs étant  par nature changeants, cette amitié risque de cesser lorsque l’attrait pour ce plaisir cesse.

 

Aimer l’autre pour lui-même suppose de bien se connaître, exige les qualités dont il été question plus haut, elle prend  donc forcément du temps à s’établir. Lorsque le lien est formé, il ne se rompt pas facilement et perdure dans le temps. Si  l’un des deux doit déménager, la force du lien montre que ni l’espace, ni le temps ne saurait avoir raison de lui. Si vous croyez qu’il est possible d’avoir plusieurs vrais amis, une dizaine par exemple, vous comprenez mal ce qu’est la véritable amitié. Si deux amis jugent qu’ils doivent prendre leurs distances,  ils en discutent ouvertement et, après entente, agissent de façon à faire le moins de mal possible à l’autre.

 

S’il arrive souvent de se tromper sur la nature du lien, il faut d’abord s’en prendre à soi-même. L’amitié véritable requiert une qualité fondamentale : l’humilité. L’humilité consiste à avoir suffisamment confiance en soi pour porter un regard réaliste sur sa personne : sans amoindrir ses qualités, ni gonfler ses défauts. L’orgueil utilise ce stratagème pour se donner le droit de s’apitoyer sur son sort. Même le simple fait de considérer son état actuel  comme étant le résultat du sort, relève d’une autre de ses stratégies. Elle vise à déresponsabiliser le sujet de ce qu’il est devenu, pour l’attribuer à la malchance. Il devient possible alors de se voir comme une victime. L’orgueil provient d’un manque de confiance en soi et, pour cette raison, ne vise pas l’amélioration. On cherche à s’améliorer que si l’on croit pouvoir y parvenir.

 

La  difficulté de bien se connaître devient un obstacle pour bien connaître les autres. Chacun analyse les comportements des autres à partir de ce qu’il comprend de ses propres agissements. Si on ajoute que toute marque d’amitié quel quelle soit vient flatter le désir d’être aimé. Il est bien compréhensible dans ce contexte qu’une marque d’amitié utile ou de plaisir soit interprétée faussement par le bénéficiaire comme une preuve d’amour authentique à son endroit.

 

La véritable amitié existe, elle est le cadeau résultant des qualités personnelles dont nous avons parlé (humilité, sens des responsabilités, équilibre personnel, maturité et générosité). Il suffit de s’appliquer à développer ces qualités et cette amitié viendra d’elle-même.

 

John White pour http://philo-pratique.net/

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8 janvier 2014 3 08 /01 /janvier /2014 12:07

Claude Escande, est docteur en psychologie et en psychopathologie. Psychanalyste et psychologue clinicien, son expérience professionnelle l'a amené à suivre en psychothérapie des adolescents et des adultes usagers et dépendants de drogues.Il constate les attentes déçues, les désirs et les manques... que les substances noyent dans un autre univers sensible, aux émotions anesthésiées.

 

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Avec la voie douce et délicate de Marie Richeux, nous explorons à distance ce qui est drôlement appelé « paradis artificiel ». Nous explorons le rapport  à la drogue, et la pratique clinique autour des différents comportements d’addiction.

 
Où se situe l’artifice, la tromperie, dans la prise de drogue ? Peut-être dans l’idée que le toxicomane serait un malade du produit. L’artifice mis en place par l’inconscient consiste à reporter sur le produit une souffrance non dicible et un manque fondé autre part. Peut-être cet artifice, cette croyance, affecte jusqu’à ceux qui voudraient vouloir soigner cette addiction sans aller jusqu’à cet autre part, qui reste destination perdue. Dans Passions des drogues. Les figures du ravage (Erès, 2002), notre invité Claude Escande relève l’impasse que représente l’idéologie visant à l’éradication des drogues. Il y rend compte de son expérience de psychologue et psychanalyste clinicien.

 

Emission : Aux paradis artificiels - En 18ème minute

 

 

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 14:55

La maltraitance à enfant désigne les violences et la négligence envers toute personne de moins de 18 ans. Elle s’entend de toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité, dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir. Parfois, on considère aussi comme une forme de maltraitance le fait d’exposer l’enfant au spectacle de violences entre partenaires intimes.

   

    

Principaux points à observer, en sus de la vidéo:

  • Environ 20% des femmes et 5 à 10% des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance, et 25 à 50% des enfants déclarent être physiquement maltraités.
  • La maltraitance dans l’enfance altère parfois à vie la santé physique et mentale de ceux qui en sont victimes et, de par ses conséquences socioprofessionnelles, elle peut au bout du compte ralentir le développement économique et social d’un pays.
  • Il est possible de prévenir la maltraitance des enfants. Pour cela, une approche multisectorielle s’impose.
  • Les programmes de prévention efficaces sont ceux qui soutiennent les parents et leur apprennent à être de bons parents.
  • L’accompagnement des enfants et des familles dans la durée peut réduire le risque de répétition des mauvais traitements et minimiser leurs conséquences.

 

Ampleur du problème

 

La maltraitance des enfants est un problème universel qui a de graves conséquences, à vie, pour ceux qui en sont victimes. On ne dispose pas d’estimations mondiales fiables concernant la prévalence de la maltraitance des enfants. Les données font défaut pour de nombreux pays, en particulier les pays à revenu faible ou intermédiaire.

La maltraitance des enfants est un phénomène complexe et difficile à étudier. Les estimations actuelles varient considérablement selon les pays et selon la méthode de recherche utilisée. Elles sont fonction :

  • des définitions de la maltraitance qui sont retenues;
  • du type de maltraitance étudié;
  • de la couverture et de la qualité des statistiques officielles;
  • de la couverture et de la qualité des études fondées sur des informations fournies par les victimes elles-mêmes ou par les parents ou les personnes qui ont la charge de l’enfant.

Néanmoins, des études internationales révèlent qu’environ 20% des femmes et 5 à 10% des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance et que 25 à 50% des enfants déclarent être physiquement maltraités. Par ailleurs, beaucoup d’enfants sont victimes de violence affective (parfois appelée violence psychologique) et de négligence.

 

On estime que, chaque année, 31 000 enfants de moins de 15 ans sont victimes d’homicides. Ce chiffre ne rend pas compte de l’ampleur réelle du problème car une proportion importante des décès dus à des mauvais traitements sont attribués erronément à une chute, des brûlures, la noyade ou d’autres causes.

 

Dans les situations de conflit armé et dans les contextes où il y a des réfugiés, les fillettes et les jeunes filles sont particulièrement exposées aux violences sexuelles, à l’exploitation et aux sévices de la part des soldats, des forces de sécurité, des membres de leurs communautés, du personnel humanitaire et d’autres catégories de personnes.

 

Conséquences de la maltraitance

 

La maltraitance entraîne des souffrances pour les enfants et leurs familles et peut avoir des conséquences à long terme. Elle provoque un stress auquel on associe une perturbation du développement précoce du cerveau. Un stress extrême peut affecter le développement du système nerveux et immunitaire. Dès lors, les enfants maltraités, devenus adultes, sont davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques, tels que les suivants:

  • propension à commettre des violences ou à en subir;
  • dépression;
  • tabagisme;
  • obésité;
  • comportements sexuels à risque;
  • grossesse non désirée;
  • alcoolisme et toxicomanie.

Au travers de ces conséquences comportementales et psychiques, la maltraitance peut favoriser les pathologies cardiaques, le cancer, les suicides et les infections sexuellement transmissibles.

Au-delà de ses répercussions sur la santé et la société, la maltraitance des enfants a un coût économique, lié notamment aux hospitalisations, au traitement des troubles psychiques, à la protection de l’enfance et aux dépenses de santé à plus long terme.

 

Facteurs de risque:

 

Plusieurs facteurs de risque en matière de maltraitance des enfants ont été recensés. Ils ne sont pas présents dans tous les contextes sociaux et culturels mais ils peuvent donner un éclairage général lorsque l’on tente de comprendre les causes du phénomène.

 

Facteurs tenant à l’enfant

 

Il importe de souligner que les enfants sont les victimes de la maltraitance et qu’ils ne sont jamais à blâmer pour les mauvais traitements qu’on leur inflige. Plusieurs facteurs peuvent prédisposer l’enfant à être maltraité:

  • il est âgé de moins de 4 ans ou est adolescent ;
  • c’est un enfant non désiré ou qui ne répond pas aux attentes de ses parents ;
  • Il a des besoins spéciaux ou pleure de façon persistante, ou il présente une anomalie physique.

Facteurs tenant au parent ou à la personne qui s’occupe de l’enfant

 

Plusieurs facteurs chez le parent de l’enfant ou la personne qui s’occupe de lui peuvent augmenter le risque de maltraitance. On citera les suivants:

  • la difficulté à établir un lien avec un nouveau-né ;
  • le manque d’attention pour l’enfant ;
  • le fait d’avoir soi-même subi des maltraitances dans l’enfance ;
  • un manque de connaissances sur le développement de l’enfant ou des attentes irréalistes ;
  • l’abus d’alcool ou de drogues, y compris durant la grossesse ;
  • l’implication dans des activités criminelles ;
  • le fait de connaître des difficultés financières.

Facteurs relationnels

 

Plusieurs facteurs relevant des relations au sein des familles ou entre partenaires intimes, amis et pairs peuvent accroître le risque de maltraitance de l’enfant. En voici quelques-uns:

  • des troubles physiques ou psychiques ou des problèmes liés au développement chez un membre de la famille ;
  • l’éclatement de la cellule familiale ou des violences entre d’autres membres de la famille ;
  • l’isolement par rapport à la communauté ou l’absence d’un réseau de soutien ;
  • une perte de soutien de la part de la famille élargie pour l’éducation de l’enfant.

Facteurs communautaires et sociétaux

 

Parmi les caractéristiques de l’environnement communautaire ou social associées à l’augmentation du risque de maltraitance des enfants figurent, entre autres:

  • les inégalités sexuelles ou sociales;
  • le manque de logements appropriés ou de services de soutien aux familles et aux institutions;
  • les taux de chômage élevés ou la pauvreté;
  • la facilité d’accès à l’alcool et aux drogues;
  • des politiques et programmes inappropriés pour prévenir la maltraitance des enfants, la pornographie enfantine, la prostitution et le travail des enfants;
  • des normes sociales et culturelles qui encouragent ou glorifient la violence envers autrui, y compris l’usage des châtiments corporels, exigent un respect absolu des rôles sociaux dévolus à chaque sexe ou amoindrissent le statut de l’enfant dans les relations parents-enfants;
  • des politiques sociales, économiques, de santé et d’éducation menant à des niveaux de vie peu élevés, ou à des inégalités ou une précarité socio-économiques.

Prévention

 

La prévention de la maltraitance des enfants exige une approche multisectorielle. Les programmes efficaces sont ceux qui apportent un soutien aux parents et leur apprennent à être de bons parents. On citera, notamment:

  • les visites d’infirmières à domicile pour fournir aux parents un soutien, des conseils et des informations;
  • les programmes de formation parentale, généralement proposés en groupe, pour améliorer les compétences des parents en matière d’éducation, leur inculquer de meilleures connaissances du développement de l’enfant et promouvoir des stratégies positives de gestion du comportement de l’enfant;
  • les interventions à volets multiples, avec généralement des composantes soutien et éducation des parents, enseignement préscolaire, et soins à l’enfant.

D’autres programmes de prévention se sont révélés assez prometteurs.

  • Les programmes de prévention du traumatisme crânien imputable à de mauvais traitements (aussi appelé syndrome du bébé secoué, syndrome du nourrisson secoué et traumatisme cérébral infligé). Ce sont habituellement des programmes organisés en milieu hospitalier à l’intention des nouveaux parents qui vont quitter l’hôpital ou la clinique pour les informer des dangers du syndrome du bébé secoué et leur indiquer la conduite à adopter face à un bébé qui pleure sans qu’on sache le calmer.
  • Les programmes de prévention des violences sexuelles à enfant. Habituellement organisés dans les écoles, ces programmes sont destinés à enseigner aux enfants:
    • qu’ils sont maîtres de leur corps;
    • quelle est la différence entre des contacts physiques appropriés et des gestes déplacés;
    • comment reconnaître les situations de violence;
    • comment dire «non»;
    • comment parler à un adulte de confiance des sévices subis.

De tels programmes renforcent effectivement les facteurs de protection contre les violences sexuelles (ainsi, grâce à eux, l’enfant est informé de l’existence des sévices sexuels et sait comment s’en protéger), mais on ne dispose pas d’éléments indiquant si ces programmes sont également efficaces contre d’autres types de violence.

 

Plus ces interventions auront lieu tôt dans la vie de l’enfant, plus elles seront bénéfiques pour l’enfant lui-même (développement cognitif, compétences comportementales et sociales, réussite scolaire, par exemple) et pour la société (diminution de la délinquance et de la criminalité, par exemple).

 

Par ailleurs, la détection précoce des cas associée à la prise en charge des enfants victimes et de leurs familles dans la durée peut aider à réduire la répétition des mauvais traitements et à en atténuer les conséquences.

Sources infos: OMS International

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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 12:26

« Me voici donc seul sur Terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. » C'est ainsi que Jean-Jacques Rousseau se présente dans les premières lignes des Rêveries du promeneur solitaire.

 

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Nous sommes à la fin de l'année 1776. L'auteur du Contrat social et de l'Émile vit à nouveau à Paris. La Révolution n'a pas encore eu lieu, le royaume est dirigé par une monarchie de droit divin, les idées des Lumières foisonnent dans quelques salons desquels il se sent exclu après s'en être lui-même mis à l'écart quelques années plus tôt.

 

 Vieil homme de 64 ans, en mauvaise santé, Rousseau souffre d'une véritable persécution depuis que la publication de deux œuvres maîtresses, en 1762, l'ont contraint à la fuite. Dans son isolement toutefois, le philosophe exagère et amplifie la haine dont il est victime, en ressassant notamment la façon dont il a été rejeté de Paris à Genève, sa ville natale, où ses livres sont brûlés, abandonné par d'anciens amis comme le philosophe Denis Diderot, moqué sans relâche par Voltaire, attaqué par les habitants de Môtiers-Travers qui un soir de fête viennent lancer des pierres contre son refuge de la principauté prussienne de Neuchâtel...

 

Une nature solitaire, vraiment  ?

 

 Ces faits, bien réels, constituent peut-être l'essentiel des images, chargées d'a priori, qui circulent encore sur cet écrivain et philosophe du XVIIIe siècle, alors que fut célébré en 2012 le tricentenaire de sa naissance. Lui-même, on le voit, entretient cette représentation d'homme seul, rejeté de tous. Pourtant, le philosophe génial, aux idées neuves et profondes, est souvent réduit à son goût pour la solitude, son amour pour la nature et un certain « mythe du bon sauvage » dont on lui attribue la paternité. Trois siècles plus tard, pris entre de multiples contradictions, coincé entre le portrait qu'il offre à travers Les Confessions (1765-1770) et les fausses croyances qu'alimentent depuis toujours ses ennemis, le personnage reste difficile à cerner.

 

 Être complexe et très sensible, sa timidité semble être à l'origine de sa maladresse. Son malaise en société semble l'avoir conduit à la solitude. Plusieurs livres, sortis en ces temps d'anniversaire, interrogent sa nature solitaire. Le philosophe canadien David Gauthier met par exemple en rapport le Discours sur l'inégalité (1755), dans lequel « Rousseau nous lisait l'histoire de notre espèce  : nés dans la solitude, nous sommes progressivement entrés en société  ; l'homme est une créature solitaire devenue sociale », et l'ouverture des Rêveries, dans laquelle « Rousseau nous lit sa propre histoire  : l'histoire d'une créature sociale redevenue solitaire ».


 Car si l'écrivain et philosophe a choisi de mener une vie solitaire, il choisit l'isolement après de nombreuses années parmi les hommes, rappelle volontiers Denis Faïck, qui enseigne la philosophie à Toulouse.


Interroger la nature solitaire de Rousseau paraît donc selon lui légitime puisque s'il affirme - à la fin de sa vie et dans les conditions que l'on connaît - avoir une tendance à la solitude, « Jean-Jacques ne conçoit pas d'autre réel bonheur que parmi les hommes, dans une société de cœur ».

 

Le premier livre des Confessions révèle que « le premier sentiment qui s'installe dans le cœur de Rousseau est un sentiment profond de citoyenneté ». De fait, le 28 juin 1712 à Genève, Jean-Jacques Rousseau naît citoyen d'une République dans un milieu modeste. « Il est fils d'horloger », se plaira à rappeler Voltaire. Sa mère décède quelques jours plus tard le 7 juillet. « Ma naissance fut le premier de mes malheurs », écrit-il avec cinquante ans de recul.


Malgré ce regard rétrospectif, ses premières années semblent pétries d'amour et de bonheur. « Mon père, ma tante, ma mie, mes parents, nos amis, nos voisins, tout ce qui m'environnait (...) m'aimait  ; et moi je les aimais de même. » Avec son père, dont il dit que l'amour de la patrie était la plus forte passion, le jeune Jean-Jacques partage d'intenses moments de lecture, découvre l'Antiquité... Tout cela marque son esprit, comme l'amitié qui le lie à son cousin avec lequel il passe deux ans en pension à la campagne.

 

Accusé à tort d'un méfait dont il n'est pas coupable, il découvre l'injustice au sortir de l'enfance, à 12 ans. Placé ensuite chez un maître graveur tyrannique, il se retrouve dans une solitude morale qui le confine au malheur. Pour y échapper, et éviter les coups, il découvre les vertus de la solitude physique en se réfugiant dans les livres. « Le repli sur soi est ici une retraite vers un ersatz de bonheur, vers un succédané qui toute sa vie comblera le manque de véritables relations », analyse D. Faïck, selon lequel Rousseau passe sa vie à rechercher vainement ce bonheur initial et cette amitié authentique dont il trouve quelques éclats auprès de Mme de Warens, avec laquelle il vit une communion rare entre Annecy et Chambéry avant d'être remplacé par un autre...

 

À plus de 30 ans, lorsqu'il vient s'installer à Paris, Rousseau veut conquérir une place parmi les hommes. « Le désir d'une société idéale est encore loin d'être le moteur de son existence », note D. Faïck. Rousseau est en quête de reconnaissance dans le regard des autres. Pourtant, lorsque son opéra-comique Le Devin du village est joué devant la cour en 1752, il décline l'invitation du roi de peur de ne pas être à la hauteur... Deux ans plus tôt, l'Académie de Dijon a pourtant récompensé son Discours sur les arts et les sciences, dans lequel il démontre - en plein siècle des Lumières - que la science et les arts, loin de purifier les mœurs, éloignent l'homme de la vertu et ne servent qu'à l'occuper de futilités pour lui faire oublier sa servitude. Il acquiert ainsi une notoriété qu'il n'a pas de naissance, mais celle-ci ne le rend pas plus à l'aise dans les salons parisiens... « J'aimerais la société comme un autre si je n'étais sûr de m'y montrer non seulement à mon désavantage, mais tout autre que je ne suis », déclare Rousseau dans Les Confessions.

 

Son passage de la musique, sa première vocation, à l'écriture et à la philosophie, le Genevois le décrit a posteriori comme une sorte d'illumination aux conséquences funestes  : « Dès cet instant, je fus perdu. » Peu après, en choisissant de se retirer à l'Ermitage, à l'écart de Paris, il attise encore l'incompréhension des philosophes des Lumières à son égard. Ces derniers, rappelle D. Faïck, se considèrent en effet investis d'une mission  : montrer un visage ouvert, engagé et sociable pour convertir le public à leurs idées.

 

Inventer un monde idéal

 

Parmi eux, Rousseau détonne donc en affirmant qu'il est pour lui « moins cruel et moins difficile de vivre seul dans un désert que seul parmi ses semblables ». C'est donc bien parce qu'il est « dans l'impossibilité d'atteindre aux êtres réels », comme il écrit dans Les Confessions, que le philosophe préfère se réfugier « dans le pays des chimères » s'inventant « un monde idéal » « peuplé d'êtres selon (son) cœur ». Ce faisant, il se permet aussi de dénoncer une organisation sociale injuste sans flatter ni ménager personne aux dépens de la justice et de la vérité, prétendant suivre avec intrépidité les routes de la droiture.

 

Mais les critiques les plus virulentes qui subsistent à notre époque sur Rousseau se fondent sans doute encore sur l'hiatus entre son comportement et ses œuvres. Lui-même, conscient de ce paradoxe, prévient  : « Hors d'état de remplir la tâche la plus utile, j'oserai du moins essayer de la plus aisée  : à l'exemple de tant d'autres, je ne mettrai point la main à l'œuvre, mais à la plume  ; et au lieu de faire ce qu'il faut, je m'efforcerai de le dire . » Incapable de vivre parmi les hommes, il écrit sur le vivre ensemble dans Du contrat social (1762). Ayant abandonné les cinq enfants qu'il a avec Thérèse Levasseur, il écrit l'Émile, un livre consacré à l'éducation...

 

Dans cette perspective, Rousseau passerait presque pour un donneur de leçons à défaut d'être lui-même exemplaire. Cela n'empêche pas nombre de penseurs contemporains de saluer la puissance créatrice de sa pensée, Edgar Morin notamment  : « J'aime ce Genevois, totalement autodidacte, d'une sensibilité inouïe, qui, après toutes sortes d'aventures, débarque à Paris dans le milieu des philosophes et y manifeste tout de suite la profondeur de son inspiration, une inspiration qui était à la fois littéraire, politique et philosophique. Il scandalisera bientôt les philosophes qui l'avaient d'abord accueilli à bras ouverts. »

 

Rousseau sur la richesse

 

" C'est une des singularités du cœur humain que malgré le penchant qu'ont tous les hommes à juger favorablement d'eux-mêmes, il y a des points sur lesquels ils s'estiment encore plus méprisables qu'ils ne sont en effet. Tel est l'intérêt qu'ils regardent comme leur passion dominante, quoiqu'ils en aient une autre plus forte, plus générale, et plus facile à rectifier, qui ne se sert de l'intérêt que comme d'un moyen pour se satisfaire, c'est l'amour des distinctions. On fait tout pour s'enrichir, mais c'est pour être considéré qu'on veut être riche. Cela se prouve en ce qu'au lieu de se borner à cette médiocrité qui constitue le bien-être chacun veut parvenir à ce degré de richesse qui fixe tous les yeux, mais qui augmente les soins et les peines et devient presque aussi à charge que la pauvreté même. Cela se prouve encore par l'usage ridicule que les riches font de leurs biens. Ce ne sont point eux qui jouissent de leurs profusions et elles ne sont faites que pour attirer les regards et l'admiration des autres. Il est assez évident que le désir de se distinguer est la seule source du luxe de magnificence, car quant à celui de mollesse il n'y a qu'un bien petit nombre de voluptueux qui sachent le goûter et lui laisser la douceur et toute la simplicité dont il est susceptible. C'est donc ainsi qu'on voit par le même principe toutes les familles travailler sans cesse à s'enrichir et à se ruiner alternativement. C'est Sisyphe qui sue sang et eau pour porter au sommet d'une montagne le rocher qu'il en va faire rouler le moment d'après. " De J.J Rousseau.

 

Juliette Galeazzi pour Cairn.info

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