21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 08:16

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Psyché ranimée par le baiser de l'amour - Marbre d'Antonio Canova 1793.

 


 « Pensée philosophique de Mai… »

 

Une folle idée me traverse l'esprit, qui pourrait ne pas en être une ! Pourquoi avons-nous chuté dans un corps, selon l’œuvre de Platon ? Pourquoi l’âme tombe t-elle comme Icare, qui perdit ses ailes et sa cire, et oublie tout dans sa condition d’homme ?


Très probablement parce que l’âme oublie l’essence même de la vérité: « Sa beauté », notre beauté, et la beauté des vertus. Nous oublions la beauté et nous sommes condamnés à tout redécouvrir… parce que sans elle, nous sommes déséquilibrés, et malades.


Sans la beauté, notre condition malade nous oblige à « la technique », prothèse vitale de nos corps prématurés, qui n’est pas la beauté mais la rationalité.

 

En conséquence, nous devenons hideux et avons honte de cet état de misère. Nous refusons de regarder notre reflet, tel Narcisse, de peur de notre laideur; et cette même « peur » nous rend « lâches» et nous empêche de voir ce qu’il reste de beauté immanente, pour trouver la force d’arpenter le chemin et s’exposer à nouveau en pleine lumière. « Nous devenons des créatures sombres et nocturnes. »


C’est le cas de bon nombre d’entre nous, nous nous voilons la face et laissons agir les gardiens du troupeau. Nous avons tout oublié de notre passé et de quoi nous sommes capables !


« La beauté est l’ultime vérité, compagne de l’amour, qui élève, sublime et libère les âmes noétiques » de leurs conditions corporelles et malades.


Dans la condition postmoderne, il n’y a plus ni honte, ni souci de la beauté de l’âme ou de la liberté, car « les supports techniques » nous offrent tant de béquilles que nous ne sentons même plus nos douloureuses infirmités ! Ils nous ont aseptisés et anesthésiés…


Comment, à cette condition, sans souffrances, se souvenir que nous étions beaux et unis dans la grâce du vivre ensemble ?


Non en chassant la technologie, qui pourrait être une formidable échelle de Jacob ; mais au prix de nos lourds efforts et de nos râles pour pallier à l’omniprésence de « l’hyper matériel » ! Seule la vigilance aujourd’hui peut nous sauver car l’homme n’est pas loin, avec l’approche de l’intelligence artificielle, de se prendre pour un demi-Dieu, et finalement « devenir le pire des démons ».

 

Il y a effectivement risque de faillite, ou de pathologie, du narcissisme primordial…Finalité dramatique d’une civilisation qui, par la symbiose « du Support et du Symbole », aurait pu atteindre les plus hauts sommets de la connaissance, de la bienveillance et de la beauté.

 

…A défaut, nous sombrons dans la boue de la bêtise et du vice.

 

 

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Trommenschlager Franck Tous Droits Réservés ©2013. Droits sur le texte : « Et si c'était elle ? ». Article rédigé le 11 Mai 2013. Extrait de l'ouvrage :  « La beauté sublimée ».

La loi apporte sa protection à toute oeuvre sans distinction du genre, de la forme d'expression, du mérite ou destination (art L. 112-1 CPI). Aucune reproduction, même partielle, autre que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur.

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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 06:49

Objet de respect et de mépris, de savoirs et de rumeurs, de louanges et de critiques, l'eau du quotidien porte beaucoup de paradoxes.

 
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Léda et Jupiter métamorphosé en cygne Bas-relief en pierre situé sur la façade Est de la fontaine de Médicis (Jardin du Luxembourg).


Fonds mythologique profond, mythes littéraires, symboliques religieuses, tous ces éléments culturels sont présents dans notre inconscient. L'eau imaginaire, l'eau imaginée, l'eau désirée, celle que nous portons tous est nourrie de ces symboliques puissantes. Pour décrypter la nature complexe de ces attitudes face à l'eau, nous pouvons analyser les mythes de l'eau. Ainsi se clarifie la complexité des interrogations, ainsi s'éclairent les attitudes passionnelles.

 

Les mythes littéraires

  

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© Cargo/ImageZoo/Corbis

 

L'eau oscille entre la vie et la mort

  

C'est le miroir de la fontaine qui ouvre l'imagination. Pour l'Homme qui se mire et se cherche, l'eau devient un véritable écho visuel. On pense au célèbre Mythe de Narcisse, réinventé au cours des siècles par les poètes. Voici l'eau fraîche et claire de la rivière. Elle invite au bain, à la nudité permise, innocente. L'eau fraîche prend ici sa valeur abstraite de jeunesse, signifie le renouveau, le printemps. Et puis, il y a l'érotisme : la rivière qui ondule évoque la femme cygne de l'origine, cette Léda qu'a aimée Jupiter après l'avoir vue dans l'eau. Voici les eaux profondes, profondes comme des tombeaux, engloutissantes... C'est Edgar Poe, poète du fantastique et de la ligne frontière entre la vie et la mort, qui a le plus exprimé cette fascination pour l'eau de l'ombre, qu'il appelait l'ébène liquide. Cette fois, les eaux dorment, elles font silence, elles abritent non plus des enfants mais des morts. L'eau symbolise la mère et la femme En s'appuyant sur des œuvres littéraires et picturales, il ne fait aucun doute que l'eau est le premier symbole de la Mère nature.

 

A l'eau sont donc associées, au plus profond de chaque être, des images de bien-être et de nourriture qui le renvoient à son premier amour : sa mère. Chez les poètes romantiques, cette image maternelle se féminise ; Lamartine a beaucoup chanté son désir d'être bercé dans les bras d'une rivière-jeune fille. L'eau conduit la pureté Les mythes littéraires apportent la preuve que pour l'imagination humaine la pureté résume à elle toute seule toutes les valorisations et l'eau en est le symbole naturel. Il suffit à l'homme d'être aspergé d'eau en surface pour que tout son être soit purifié en profondeur. Cette purification rénovatrice se concrétise dans le mythe la fontaine de Jouvence. L'eau aspergée sur le visage réveille l'énergie de voir. Lorsque la pureté de l'eau est détruite, c'est la colère de l'homme. La description d'une eau impure provoque des adjectifs en forme d'injures (nitreuse, sulfureuse...) qui sont moins des constatations scientifiques qu'une analyse psychologique de la répugnance : en somme les grimaces d'un buveur. Tout comme l'eau pure représente le Bien, l'eau impure représente le Mal.

 

Le fond mythologique

 

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Auteur : Vassil - Médaillon représentant Jonas et la Baleine; façade de la cathédrale d'Amiens.

 

L'eau qui distingue - L'eau qui sépare le pur de l'impur n'agit pas par lavage quantitatif. Quelques gouttes suffisent à purifier le monde. Pas étonnant que dès l'Antiquité l'eau soit considérée comme indispensable aux cérémonies de purification. L'eau qui fusionne Dans l'univers de l'eau, on prend appui sur un schéma anthropologique éternel : l'inversion du contenant en contenu. L'eau avale pour mieux ressourcer. C'est le cas de Jonas qui nous redonne la possibilité de revenir dans les eaux amniotiques d'origine et de ressortir de la baleine avale-tout, chargé d'une vie nouvelle. La mère-eau est un thème qui apparaît aussi bien à Babylone, dans les pays baltes qu'en Inde. Les fontaines de fécondité se retrouvent de l'Asie à la Gaule en passant par la Russie. La catastrophe aquatique peut se prolonger par la renaissance : le Déluge où Noé est sauvé des eaux fonde une nouvelle humanité, les rituels funéraires où en lavant le corps on peut le ramener symboliquement à l'eau primitive.

 

Les symboliques religieuses

 

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La France des fontaines Près de 6000 sources existent en France. La façade atlantique concentre le plus grand nombre de fontaines. Au contraire, en descendant dans le Sud-Est, avec une véritable zone de silence entre Ardèche et Alpes de Haute Provence, les fontaines se raréfient. S'agit-il d'un déterminisme géographique ou d'un phénomène culturel ? L'historien fait remarquer que l'influence protestante a contribué à effacer dans le Sud les cultes païens des fontaines que le catholicisme breton a plus facilement intégrés... Les fontaines sont aussi des marqueurs d'espace. Elles instituent une frontière entre profane et sacré quand elles jouxtent l'église ou le cimetière. Elles délimitent les campagnes et les villes : dans toute la France, il n'existe qu'une soixantaine de fontaines en ville.

 

Elles délimitent également l'univers féminin du lavage (fontaine lavoir) de l'univers masculin du travail de la terre. Les ruisselets issus des fontaines coulent le plus souvent vers l'ouest, et suivent donc la course du soleil. Les rites de l'eau Aux processions vers une source sacrée et aux rites anniversaires qui font revivre le miracle de l'apparition de l'eau, s'ajoutent les rites de l'ingurgitation qui provoquent une précieuse immédiateté du transfert symbolique (ex des femmes stériles « prenant les eaux »). L'eau a toujours mis en jeu l'ensemble de la collectivité. Il y a un lien très net entre les dévotions rendues à l'eau et les fêtes des villages qui réunissaient tous les habitants. L'une de ces principales conjonctions était la nuit de la Saint Jean, au cours de laquelle les villageois rendaient hommage aux eaux régénératrices en dansant autour des feux. De même, parfois, les habitants de toute une région - par exemple dans les Landes- se réunissaient en pleine forêt pour se baigner ensemble dans des grandes baignoires chauffées au fourneau, en une sorte de moment d'intense thérapie collective.

 

L'eau dans les religions monothéistes Si dans les traditions païennes et celtiques, l'eau des sources et des fontaines signifie l'abondance et la guérison, les trois religions monothéistes se sont formées au contact de la rareté de l'eau, précieux don de Dieu. Les images bibliques fondamentales que sont les sources de l'Eden ou le Déluge ont produit des symboliques et des rites qui sont encore en pratique aujourd'hui. Symboliques et pratiques judaïques Dans le judaïsme, la valeur principale que prend l'eau est celle de la pureté avec des rites purificatoires très nombreux. Ainsi, après la destruction du temple, l'importance de l'eau s'étend des pratiques des prêtres à celles du peuple juif tout entier, la purification ayant alors valeur d'aide à la reconstruction du temple. Ce sont donc non seulement les prêtres qui doivent se laver les mains après avoir lu les textes sacrés mais chaque fidèle, pour bien séparer ses activités religieuses de ses activités profanes. Aujourd'hui encore, nombre de fêtes comprennent un ou plusieurs moments de lavage des mains : prière de Pâque, de Rosh Ashana (le nouvel an).

 

L'eau des Evangiles L'ensemble des textes du Nouveau Testament se présente comme un « accomplissement de l'Ancien Testament », c'est-à-dire un prolongement des mêmes valeurs et symboles. En ce sens, l'eau chrétienne poursuit l'eau judaïque en lui donnant sa spécificité, notamment autour des thèmes centraux de l'eucharistie et de la résurrection. Évidemment, cette eau est indissociable de la figure de Jésus. Ainsi, c'est le baptême qui fonde le plus symboliquement le christianisme. Ce rite est accompli par Jésus lui-même, qui se soumet à l'immersion dans le Jourdain sous la conduite de Jean le Baptiste. C'est son contact avec l'eau qui révèle sa divinité et par conséquent le caractère fondamental de son acte : plonger et ressurgir de l'eau, tel est le sens profond du message christique. Cependant, comme le note l'historien des religions Odon Vallet, le christianisme ne s'est pas contenté dans sa façon d'utiliser et de diviniser l'eau de poursuivre le judaïsme d'origine. Il s'est également inspiré des religions dites premières. Ainsi, chez les Mayas Quiché, on aspergeait la tombe des défunts comme aujourd'hui le prêtre catholique pratique une aspersion aux enterrements. L'eau dans le Coran Dans l'islam, l'eau occupe également une place essentielle. Elle accompagne et symbolise les appels du Prophète à la pureté, notion centrale de cette culture. Selon Mahomet, la pureté c'est déjà la moitié de la foi, et se purifier est le premier acte d'engagement de tout musulman.

 

La purification est permise tout particulièrement par la pratique des ablutions. Dès les temps mythiques de la séparation d'Israël et d'Ismaël, l'eau intervient. En effet, lorsqu'Hâdjar, la servante d'Abraham qui porte son fils, est abandonnée dans le désert, elle n'est sauvée que par le jaillissement d'une source aux pieds de son enfant. Le murmure de l'eau -zam zam- donne son nom au premier puits sacré de l'islam : le zam-zam. Le Coran raconte aussi que Mahomet, recevant la parole de l'ange Ibraîl, demande qu'on le couvre d'une cape et qu'on l'asperge d'eau. C'est cet exemple originel que chaque musulman est invité à son tour à suivre. La pratique de l'ablution intervient ainsi de nombreuses fois dans la vie d'un musulman pratiquant : au moins une fois lors des cinq prières quotidiennes, et au cours des moments exceptionnels que sont les accouchements, les rites funéraires ou les mariages.

 

La légende

 

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La licorne : la pureté sublimée Féérique, fabuleuse, la licorne est dépeinte comme un cheval blanc, doté d'une corne torsadée au milieu de son front. Elle est évoquée pour la première fois par l'historien grec Ctesias, vers 389 av JC, sur la base de récits de voyageurs. Elle symbolise la puissance, la beauté, la noblesse et la pureté. Sa corne unique lui donne des pouvoirs incroyablement mystérieux. La légende nous raconte que sa corne pouvait séparer les eaux polluées, déceler les impuretés et les poisons et purifier les points d'eaux infestés par les vermines et serpents.

 

Voir l'ouvrage pour en savoir plus:

L'eau – Mythes et Symboliques, Jules Gritti. Eau - mythes et symboliques

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 09:38

La remise en question de l'autorité religieuse et la chute des puissances idéologiques au cours du XXème siècle ont immanquablement conduit à une interrogation sur les fondements de l'autorité et, de ce fait, sur l'idée de maître.

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Certes, « le Duce est notre maître à tous » est une proposition intolérable - mais reste à savoir pourquoi ; plus encore, quand il affirme en même temps que « le seul maître est Dieu » et que « cet artisan est un maître », le sens commun semble bien peu se soucier de la surprenante analogie qu'il opère. Toute identification à un maître ne saurait donc se passer d'une définition du maître. Il importe que la philosophie s'en charge parce qu'elle s'étonne précisément de ce qui n'étonne personne, parce qu'elle s'arrête là où tout le monde passe. C'est que, ici, s'agissant d'un maître, il nous faudra avoir soin de nous interroger aussi sur son existence effective, et, davantage, sur sa légitimité ; en un mot, il nous faudra nous inquiéter de ses assises. Ce n'est qu'à ce prix qu'on s'affranchit.

 

Commençons par le commencement : A la question « qu'est-ce qu'un maître ? », le sens commun donne une réponse peut-être bien simple ou incomplète mais que rien n'invalide : Le maître est celui qui sait. Son savoir le rend maître de la technique, des éléments, éventuellement aussi : des individus. On dira alors : « le maître forgeron », le « maître d'oeuvre » ; on s'enorgueillira : « c'est mon maître ». Dans tous les cas, le maître est celui qui sait disposer d'une technique particulière, d'un savoir particulier. C'est une fois qu'il a acquis la pleine maîtrise de ses pinceaux, de la couleur et de la ligne, que Raphaël est devenu un maître. En ce sens, le maître est celui qui sait se rendre maître de la technique, la dépasser. Le peintre manie la forme ; l'écrivain, les mots. « C'est un métier que de faire un livre, écrit La Bruyère, comme de faire une pendule ». C'est ce « métier », ce savoir-faire que le maître s'approprie ; c'est à eux qu'il commande sans jamais accepter de se laisser gouverner par eux. Du début jusqu'à la fin, il contrôle tout, maîtrise tout : il reste le maître.

 

Seulement voilà. La domination pleine et entière de la matière ne suffit pas. Nul maître sans élève. L'élève est une condition nécessaire au maître. Et c'est dans la relation qu'il entretient à son élève que se distingue le vrai, l'authentique maître. Le maître sera celui qui, certes, est détenteur d'un savoir qu'il a à charge de transmettre, mais aussi celui qui possède d'assez grandes qualités pédagogiques pour « cerner » en quelque sorte son élève, et une assez grande humilité pour le pousser dans sa voie. Il n'est pas de pire maître que celui qui donne la réponse. Le maître met l'élève sur la route de sa propre réponse, singulière. Humilité, disions-nous ? Le maître est celui pour qui l'élève compte plus que soi-même. L'homme qui freinerait le développement de son élève par crainte d'être dépassé n'est pas un maître. De même qu'un bon père n'est jamais jaloux de son fils, un bon maître n'est jamais jaloux de son élève. Ici, l'autre - l'élève - importe plus que soi-même. La parole du maître est toute entière axée sur le « tu » ; elle est conative, aurait dit Jakobson. Le maître accepte l'altérité de son élève et l'entretient. Il a compris que chaque être est unique.

 

Mais le maître est aussi et d'abord un homme, tout entier placé dans le paradoxe de l'être humain. Partagé entre sa connaissance (solidaire de son désir de connaître) et sa finitude, le maître est l'être déchiré. Par son savoir, le maître exerce la faculté spécifiquement humaine de l'entendement ; il réalise son « être-homme » en tant que ce dernier est « être raisonnable ». Ainsi, il suffirait d'apprendre, de comprendre, d'assimiler, et de se rendre en cela maître de son savoir, pour être un maître. A la vérité, l'homme qui se demande : « Comment devient-on un maître ? » est placé devant deux postulations contradictoires : tantôt une perspective innéiste tendant à faire du maître le réceptacle d‘un génie inaliénable et innée ; tantôt une perspective volontariste : on ne devient maître que si l'on a exercé son pouvoir d'agir en ce sens, que si l'on a fait usage de sa liberté. Mais, à cela, deux objections : la première tient aux limites de l'entendement humain, la seconde s'attache à redéfinir la liberté humaine.

 

Le second point d'abord. Nous avons dit que seuls la raison et l'entendement permettent de prendre la maîtrise de la connaissance. Cependant, comme nous l'ont appris les structuralistes - quoiqu'on s'en doutât depuis Spinoza -, nous sommes le fruit de déterminations que nous ignorons et qui infléchissent fatalement notre pouvoir d'agir. Le maître serait alors celui qui sait aller contre, dépasser les déterminismes psychologiques et sociaux pour se rendre à lui-même. Mais cela existe-t-il ? Le maître, alors, ou bien n'existe pas, ou bien est un demi-dieu. Nous préférons croire que le maître est celui qui se soumet à ses déterminismes, et qui compose avec. C'est précisément grâce au vent, et contre lui, que l'homme avance, nous rappelle Alain. Et tandis qu'Engels, dans l'Anti-Dühring, n'envisage pas de liberté sans nature, Hegel définit la « ruse de l'homme », prenant par la nature la maîtrise sur elle. Ainsi devient-on maître : Le maître est alors l'homme accompli, l'homme libre.

 

Et cet homme libre a conscience de ses limites. Il sait - c'est là la première objection - qu'il ne peut pas tout savoir. Il s'attache au contraire à délimiter les sphères d'application de sa raison. Le maître sait reconnaître que « ici ses compétences s'arrêtent ». En ce sens, le maître, c'est le sage, le philosophe, dont Kant est sans contredit le meilleur exemple.

 

Ainsi le maître est tout entier déchiré entre sa finitude d'homme et l'infini de la connaissance. Depuis que l'homme a renoncé à son innocence originelle, il n'en est quitte qu'à ce prix. Partagé entre finitude et infinitude, il est la réalité achevée dans l'absolu de la connaissance.

 

* * *

 

C'est cette limite fondamentale de l'être humain qui nous conduit à nous interroger sur l'effective présence/existence du maître.

 

Car, en effet, puisque nous sommes finis, il n'existe pas de maître absolu. Chacun localise son domaine d'action. Le sens commun veut que telle profession soit supérieure à telle autre ; il y a grande difficulté à soutenir cette opinion : l'homme se voit obligé, de par sa finitude d'homme, à circonscrire son domaine d'étude. Aussi, la langue courante n'admet que très rarement l'emploi de « maître » non suivi d'un génitif (on est « maître d'oeuvre ») ou d'un autre nom à but qualificatif (on est « maître charpentier »). Le savoir absolu est impossible, tout maître en est conscient. - Mais alors il n'y a pas de maître ! Le seul maître serait l'Etre absolu, connaissance infinie : Dieu. Mais dans la sphère des relations humaines, le maître n'existe pas. Aussi peut-on retourner le problème : c'est probablement parce que l'on ne peut pas tout savoir que l'on restreint le domaine d'étude ; et ce n'est qu'à cette condition qu'on parvient à briller. On excelle rarement dans plusieurs domaines, et Léonard de Vinci est moins un grand architecte qu'un grand peintre. C'est ainsi que nous pouvons paradoxalement affirmer : C'est grâce à sa finitude que l'homme devient un maître.

 

Mais maître de qui ? de quoi ? Pour que nous fussions maîtres des autres, il faudrait d'abord que nous fussions maîtres de nous-mêmes. Et c'est là que Descartes a tort contre Freud : en entretenant l'idée d'une conscience transparente à elle-même, Descartes a opposé un obstacle épistémologique à la connaissance de l'homme ; et Alain aura beau jeu de dire : « On ne pense pas ce qu'on veut », Freud nous a montré que l'homme n'est pas maître en sa propre demeure ; l'illusion du « conception héroïque » de la conscience est tombée ; tout est déterminé par nos impressions d'enfance, par ce que Freud appelle encore « la trace mnésique » entretenue par l'inconscient psychique. On le voit bien, nous ne sommes pas même maîtres de nous-mêmes. Nul n'échappe à ce déterminisme. « Je est un autre » s'écrie Rimbaud dans sa lettre dit : « du voyant ». C'est cet Autre qui agit à ma place, cet Autre qui me fait penser. Je ne suis pas maître chez moi - et je voudrais être maître chez les autres ?

 

Hegel nous tire d'embarras en déplaçant le problème. Si la conception freudienne, telle qu'elle est prise ici, ruine l'idée du maître - nous y reviendrons -, Hegel la présente inséparable de mon accès à l'existence. En effet, ayant acquis la conscience de moi-même, je ne peux être objectivé que si je suis reconnu comme telle par une autre conscience, nous explique Hegel dans la Phénoménologie de l'Esprit. Or l'autre cherche aussi une reconnaissance. D'où s'engage une lutte à mort pour la reconnaissance. Mais le maître sait renoncer à sa vie, au coeur du combat, tandis que l'esclave reste tout entier prisonnier dans son attachement à la vie. Ici aussi le maître est l'homme libre. Mais ce qu'il est intéressant de remarquer, c'est que celui que nous appelions tout à l'heure « élève » est ici « esclave ». Non que tout élève soit esclave. Mais il y a là un tout autre rapport : Il s'agit d'une lutte pour la reconnaissance, souvenons-nous-en ; or ici n'a pas sa place la relation axée sur le « tu » de la dialectique maître-élève ; c'est de soi qu'il s'agit, de sa propre existence. Cette théorie de Hegel ne nous invite cependant pas à croire que l'autre est fondamentalement mon ennemi, de même que la lutte biblique de Jacob avec l'ange ne peut nous conduire à engager la bataille contre autrui. La dialectique du maître et de l'esclave met en lumière la principe égoïste qui régit les relations humaines ; et même dans l'amour, extrême limite de la relation à autrui, chacun ne cherche que sa propre reconnaissance par l'autre, un autre qu'il chosifie, immobilise et retient prisonnier par « cristallisation » ou « sublimation », selon que l'on s'appelle Stendhal ou Freud.

 

Arrivés ici, il nous paraît que nous avons mis au jour une autre sorte de maître : non plus celui qui forme un élève, mais celui qui commande à un esclave. C'est pourquoi il convient de s'interroger sur la légitimité et la valeur d'un maître.

 

* * *

 

Si nous faisons un petit effort de mémoire, c'est sans doute sans grande difficulté que nous nous rappellerons la première réplique de Sganarelle dans le Médecin malgré lui : « - Non ! je te dis que je n'en veux rien faire et que c'est à moi d'en être le maître ! ». (Nous citons de mémoire ; veuille Molière excuser notre inexactitude). Ici, le « maître » c'est celui qui agit selon son bon vouloir. Ainsi, dans les régimes autocratiques, le seul maître c'est le chef, c'est Hitler, c'est Staline, c'est Mussolini. Ce pouvoir sur les autres est indissociable d'une autorité fondée sur la force. Le maître n'a là aucune valeur éthique, sauf à confondre légalité et légitimité. Le pouvoir hitlérien a beau être légal, il n'est jamais légitime ; l'autorité dont se réclame ce Blanc sur ce Noir dans une plantation a beau être légale, elle est illégitime. Seul est légitime l'exercice du pouvoir soutenu par une norme morale prédéfinie et indiscutable. Le vrai maître ne saurait donc être un tyran, assouvissant ses volontés despotiques en vertu d'un pouvoir illégitimement conquis - qu'importe s'il est légal. Ainsi nous dirons que l'individu se choisit son propre maître, sur la base d'un critère qu'il aura lui-même défini. Le maître alors est légitime, qui s'appuie, non sur le droit du plus fort, mais sur un sentiment quasi-naturel.

 

Mais les moralistes religieux ont beau s'écrier : « Il faut des maîtres ! », la raison a grand mal à accepter l'idée que l'homme puisse, de sa propre volonté, rechercher un maître. On pourrait croire en effet que se choisir un maître, c'est abdiquer son intelligence. Cela n'est pas soutenable. Non pas que l'homme, devant « l'angoisse de la liberté », n'ait le fâcheux penchant de s'assujettir pour se donner des « excuses » ; non pas que l'homme renonce à remplacer le Père par une autre figure dominante, comme nous le suggérerait Freud ; non pas que la recherche d'un maître ne soit susceptible d'être une attitude d'esclave, comme le dénonce Nietzche ; - mais il n'en demeure pas moins que se conformer à un maître (au sens où nous l'avons moralement accepté), c'est se reconnaître comme esprit en formation, ayant nécessairement besoin pour éclore de l'assistance et de l'aide d'un autre. Socrate figure ici le meilleur maître. Poussant ses élèves dans leur sens par ses multiples questions, il est l'accoucheur des personnalités, le « maïeutiste » le plus accompli. Seulement, il y a un risque : l'élève peut devenir complètement dépendant du maître, puisqu'il a besoin de lui pour être soi-même. D'emblée, la méthode socratique récuse cette objection : « Connais-toi toi-même » est une invite à être soi-même à l'origine de son propre développement. Mais la fascination du maître peut être plus forte, et alors ce n'est qu'avec la mort du maître que l'élève atteint sa propre maturité : Platon n'est Platon qu'après la mort de Socrate...

 

Ainsi, un maître est nécessaire à l'homme pour son épanouissement. Et plus encore : le maître tient sa légitimité de la légitimité de son élève. Socrate cherchait lui-même ses propres élèves. Il avait compris que nul n'est maître sans élève. L'élève est celui qui « reprend le flambeau » après la mort du maître. Il y a de l'émotion dans le texte biblique relatant la passation des pouvoirs de Moïse à Josué. C'est l'élève qui confère éternité au message de son maître. Si le maître peut se définir comme celui qui se retire devant son message, il importe qu'alors les générations successives ne perdent pas ce message. Tout est transmission, mouvement. Mouvement même, en amont, dans l'élaboration du message. Le maître apprend beaucoup de son élève. Il ne s'agit pas ici d'une transmission par vases communicants, mais bien d'un échange. Le maître refuse le statisme d'une connaissance acquise. Sans cesse insatisfait, il a conscience que « le vrai est le devenir lui-même » (Hegel, Phénoménologie de l'Esprit) ; il n'accepte donc pas qu'on le fige. La vérité qu'il recherche, il la cherche chez son élève, dans l'altérité radicale de l'autrui qu'il a à charge de former.

 

* * *

 

Nous recherchions le maître - nous avons rencontré le tyran et le philosophe. Le maître s'est alors apparenté au détenteur de la sagesse et de la connaissance ; son esprit est en marche. Parce qu'autrui n'est pas un moyen mais une fin, la relation maître-élève ne saurait se confondre avec la relation maître-esclave et se situer dans un rapport dominant-dominé. Le maître est en définitive celui qui sait assumer sa qualité d'homme, déchirement entre infinitude et finitude, entre absoluité et relativité, par la maîtrise et la transmission. Ce n'est qu'à cette condition qu'il échappe au temps et à la contingence. La valeur de l'homme est fondamentalement transcendante.

 

"Par Dan Arbib 1er prix de dissertation philosophique."

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5 mai 2013 7 05 /05 /mai /2013 06:54

Être bête aujourd’hui, c’est ne pas penser par soi-même ! Selon l’essayiste Belinda Cannone, qui publie "La bêtise s’améliore", le prêt-à-penser se glisse partout, dans les arts, à la télé, dans nos expressions quotidiennes. Entretien:

 

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« Je dois cet intérêt pour la bêtise à mon père qui, dès mon plus jeune âge, m’a toujours incitée à vérifier régulièrement la valeur de mes idées, à me demander si elles tiennent la route ou si elles ne sont pas seulement des choses que je répète par automatisme ou conformisme. Quand vous pratiquez cet exercice, vous vous apercevez que vous êtes très souvent confronté à des idées sans fondement. » C’est ainsi que Belinda Cannone se justifie d’être passée de thèmes tels que l’imposture, le jeûne, l’introspection à ce mal trivial : la bêtise. Résultat : un essai original et une réflexion qui lance le débat autour de la crétinerie contemporaine. 

Anne-Laure Gannac : Dans votre ouvrage, vous vous attaquez à une forme particulière de bêtise : celle des gens intelligents. Qu’entendez-vous par là ?

Belinda Cannone : C’est la bêtise de ceux qui ont toutes les possibilités d’être intelligents – ceux qui ont accès à l’information, à la culture, qui ont du temps pour penser, lire – et qui ne le sont pas toujours. La bêtise de ceux qui n’ont pas les moyens de penser mieux me fait plutôt de la peine, aussi je ne me permettrai jamais de m’en moquer.

 

Mais qu’est-ce qui vous permet de juger de la bêtise des uns, de l’intelligence des autres ?

Soyons clair : je ne juge personne. Je ne montre pas du doigt des individus, mais des comportements. Mon but était de comprendre les mécanismes de cette bêtise très particulière.

 

Quels sont ces ressorts ?
Ils sont de deux types : constants, qui correspondent à des traits fondamentalement humains ; ou contemporains, qui sont propres à notre époque. Parmi les constants, citons le conformisme, cette volonté grégaire de suivre le groupe à tout prix. Ou la paresse, le fait de se laisser aller à ne pas penser… Pour ce qui caractérise notre époque, je pense au bon sentiment, que l’on peut appeler compassion, empathie ou « révoltisme » [tendance à se révolter pour tout, ndlr] selon les cas. Ce n’est pas critiquable en soi, évidemment. Sauf que le bon sentiment passe souvent avant le raisonnement : on donne aux sans-abri ou pour le tsunami parce que c’est bien, point. Ce qui permet de se dédouaner et de ne pas avoir à se projeter dans d’autres combats au quotidien et à long terme. Le bon sentiment devient une plaie aujourd’hui ; il dévitalise et enlève de la crédibilité aux meilleures actions. 

Vous évoquez aussi la sincérité comme forme de bêtise… pourquoi ?  
C’est vrai que cela peut surprendre. Comment faire la critique de cette vertu?? En fait, ce n’est pas la sincérité en soi qui est bête, mais l’application dévoyée qui en est parfois faite aujourd’hui. Dans les arts, la littérature, mais aussi les émissions de téléréalité, cela donne lieu à des créations purement narcissiques, à des mises en scène de soi à outrance… Au fond, je pense qu’il n’y a presque rien qui soit bête en soi, mais plutôt qu’il y a des utilisations d’idées qui peuvent l’être. 

Vous dénoncez également l’usage de certaines expressions toutes faites…
Oui, « politiquement correct » par exemple, ou « subversif », ce mot tellement répété, et pas seulement dans le milieu de l’art : il vous suffit de prononcer ces expressions à la mode et tout est dit. La discussion s’arrête. Voilà ce que j’appelle des expressions bêtes : elles sont des empêchements à penser. Mais, encore une fois, je n’accuse personne : nous sommes tous susceptibles de sombrer parfois dans cette bêtise, c’est inévitable. 
  
Pourquoi ?
Parce qu’il est commode de s’accrocher à des idées ou à des formules toutes faites, sans prendre du recul pour penser. Imaginez que nous nous interrogions en permanence sur ce que nous disons au moment où nous le disons, nous ne pourrions plus penser ! C’est donc aussi pour avancer dans notre raisonnement que, de temps en temps, nous prenons à notre compte certains a priori ou tournures langagières à la mode. Le danger, c’est que nous élaborions des raisonnements complexes à partir de faussetés… Ou bien que nous ne cherchions plus à pousser notre réflexion au-delà. 

Il ne suffit donc pas d’être cultivé pour être moins bête ?
Sûrement pas ! Je pense à des amis qui sont parmi les moins cultivés que je connaisse, mais qui comptent sans doute parmi les plus intelligents. Pourquoi ? Parce qu’ils sont constamment capables de bouger dans leur pensée, d’écouter les autres, de remettre en cause leurs idées… Je dirais que l’intelligence, c’est la vigilance : c’est la capacité de faire un pas de côté pour se regarder raisonner et interroger ce que l’on vient de penser. 

Comment faire ce « pas de côté » ?
Cela demande une certaine inquiétude de la pensée ; il faut être capable de ne pas rechercher le confort intellectuel. C’est, pour reprendre le philosophe Vladimir Jankélévitch, « se comporter comme si rien, dans le monde, n’allait de soi ». 

Cette capacité de douter de tout exige d’avoir une bonne confiance en soi.  
C’est vrai. Prenons un exemple : quand vous ne comprenez pas ce que l’autre vous dit, il y a deux hypothèses. La première, c’est que vous n’avez pas les moyens intellectuels pour comprendre. Si un astrophysicien m’expose une théorie, je ne comprendrai rien, parce que c’est hors de mon champ de connaissances. Mais lorsque vous avez affaire à un discours sur un sujet censé s’adresser au plus grand nombre, vous êtes en droit de vous demander si ce n’est pas l’autre qui vous mène en bateau. Encore faut-il avoir suffisamment confiance en soi pour se dire : « Je ne suis pas si bête que ça, c’est peut-être l’autre qui se trompe. » 

Dans votre livre, vous évoquez aussi l’importance d’être en contact avec soi.
Il me semble que plus les êtres sont étrangers à eux-mêmes, dans la méconnaissance de ce qu’ils sont et de comment ils pensent, et moins ils seront prêts à lutter contre la bêtise. Car ils seront tentés de vivre en attrapant tout ce qui passe autour d’eux. Plus on est intériorisé, plus, je crois, on est apte à se remettre en question. 

Pensez-vous que la psychanalyse, cette invitation à se mettre en question, peut sauver de la bêtise ?
Je suis un grand défenseur de la psychanalyse, précisément parce qu’elle propose d’interroger ce que l’on pense, dit, fait, élabore et de le mettre en doute. En cela, elle est une formidable école de liberté. Or, qu’est-ce que le contraire de la bêtise sinon la liberté d’esprit ? 
 

Quatre idées pour être moins idiot:

 
Selon les psys, il est possible de se débarrasser de sa « bêtise » – du moins du sentiment que l’on en a. Voici quelques solutions. 

Se décentrer
Le repli narcissique, la solitude, l’isolement, les habitudes abrutissent. À l’inverse, maintenir intacte sa curiosité, enrichir sa vie sociale, culturelle et intellectuelle, bref, se décentrer, c’est éviter de s’enfermer dans des mécanismes psychiques abêtissants. 

Prendre le temps de la réflexion
La pensée « idiote » est souvent la première, celle qui sort sous le coup de l’émotion, impulsive, nerveuse… Ensuite, viennent les remords : « Pourquoi est-ce que j’ai dit ou fait ça ? » D’où l’importance de prendre le temps de la réflexion avant tout. Le temps est le meilleur allié du discernement. 

Douter et s’interroger
Rassurantes, confortables, nos idées toutes faites nous empêchent de penser. Il est essentiel de savoir remettre en question ses certitudes, quitte à perdre un peu ses repères. C’est le seul moyen de rester ouvert à la contradiction, à « l’autre ». 

Apprendre à se connaître
Ce qui nous arrive n’est pas toujours la faute à « pas de chance » ou à la « bêtise » des autres… Il peut être utile de chercher à savoir pourquoi et en quoi une part de nous, de nos désirs, de nos peurs est impliquée dans les événements de notre vie. Cela nous aide à sortir d’un schéma de pensée intolérant et vain.
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20 avril 2013 6 20 /04 /avril /2013 11:41

" La philosophie n'a, ne peut avoir aucune utilité pratique", peut-on entendre dire après la critique de Nietzsche :

 

"Si toute pratique moderne de la philosophie est cantonnée dans un faux-semblant érudit, et ce d'une façon politique et policière qui est le fait des gouvernements des Eglises, des Universités, des modes et de la lâcheté humaine, la philosophie a perdu sa justification ; c'est pourquoi l'homme moderne, pour peu qu'il fût courageux et honnête, devrait s'en débarrasser et la bannir à peu près dans les mêmes termes que ceux dont Platon s'est servi pour renvoyer de sa cité les poètes tragiques."

 

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On peut vivre sans philosopher, et la philosophie ne permet pas de vivre, ne promet rien, même si elle apprend tout, pense-t-on. Cela invite à s'interroger sur la question. Pourquoi continuer à faire de la philosophie aujourd'hui ? Ne serait-elle pas une activité culturellement dépassée, sans effet ni portée dans les contextes actuels probablement de plus en plus difficiles de vie ? Qui pourrait alors avoir intérêt à en défendre la cause, et pourquoi, sinon à la faveur d'un certain conservatisme social, en matière éducative en particulier ? La position de celui qui se heurte à une telle question est toujours inconfortable.

 

La philosophie, il serait parfaitement fondé de l'affirmer, apparaît aujourd'hui au premier abord comme un luxe inutile, ou comme un jeu gratuit pour l'esprit, dans une société par ailleurs pétrie d'efficacité scientifique et technique, ayant depuis longtemps dissocié le savoir de la sagesse pour l'ériger en soutien de pouvoir. Laquelle efficacité, précisément, tendrait à homogénéiser la totalité des pratiques individuelles et collectives d'après ses propres normes, centrées autour d'une prétendument nécessaire adaptation au marché, introduisant ces illusions propres à notre époque de la participation, de la concertation, de la qualité de la vie, cristallisées dans la défense des exclus, des minorités, de la démocratie ou de l'environnement, dont on ne pourra pas ne pas relever le saisissant contraste avec la désaffection présente pour le politique, de manière générale la méfiance de principe à l'égard de tout projet. Elle n'a aucune fonctionnalité qui lui soit propre. De surcroît, en tant qu'ensemble de contenus de penser déterminés, elle se trouve manifestement dévalorisée au même titre que les autres éléments de la culture, ou de la formation traditionnelle de l'esprit.

 
La philosophie n'est plus aujourd'hui un savoir ou une science, ce qu'elle a désormais renoncé à être, mais sans cesser d'être ce qu'elle est sur le fond: une démarche réflexive et critique d'abord, laquelle, en se débarrassant de ses contenus affectifs sans abandonner l'essentiel, s'est elle-même instituée en discipline spécialisée, par ses méthodes. Il y a sans doute ici une contradiction avec ce qui en constituerait l'élément essentiel: la liberté du penser dont l'esprit libre serait le refuge en même temps que le dernier représentant, par opposition aux savoirs constitués instituant les autres disciplines. Si la philosophie n'est plus elle-même qu'une certaine discipline parmi d'autres, par ailleurs déterminées, elle n'aurait plus en effet qu'à accepter de devenir une science, mais une science sans contenus ni objet, ce qui reviendrait pour elle à accepter sa propre disparition. Au contraire, la philosophie est au centre de toutes les autres disciplines et en est l'élément moteur. Inconsciemment, tout chercheur libre et indépendant est enclin à philosopher, à savoir le comment et à chercher le pourquoi. Sinon sa science ne lui appartient plus et il n'est plus qu'un rouage dans la grande mécanique que personne ne maîtrise réellement. C'est bien le drame de notre société quand le pouvoir tent à séparer les tâches et à collectiviser la responsabilité. C'est donc une science humaine en quête de sens.

 

La vocation critique de la philosophie

 

Si la philosophie se refuse à se constituer en un savoir spécialisé, c'est qu'elle s'affirme dans son autonomie propre en face d'une conscience devenue prédominante, exigeant toujours davantage de techniques qui puissent servir à une maîtrise effective du monde, de la vie, ou encore des individus eux-mêmes. La fausse neutralité affirmée de la science la réduit à une pure technique, utilisable pour n'importe quelle fin. Et c'est le pouvoir du chef qui va devenir démesurément grand, dangereusement fort. De simples doctrines on attend qu'elles aient réponse à tout. Devant la difficulté de la discipline, on admet le plus souvent la nécessité d'un apprentissage du travail de la pensée, mais sans éprouver la contradiction avec l'affirmation de l'équivalence des opinions à laquelle elle ne pourrait échapper. Avec la philosophie, on a certes toujours affaire à une pensée personnelle mais reposant sur la raison.

 
L'interchangeabilité des pensées, à teneur chosale, serait le critère de la science. Et si des incursions dans le concret la font dévier, elle ne se caractérise plus alors comme effort conceptuel, n'est plus une réelle discipline, mais rien d'autre qu'une idéologie périmée dont on pourrait s'abstenir de faire le choix. Toujours subsistent des représentations spontanées particulières liées à la prédominance d'un mode de production au sein d'un secteur déterminé de la vie sociale, des représentations sociales communes en même temps que de plus singulières, doublant les rapports sociaux - la vérité de la société - dans lesquels les individus se trouvent engagés. Comme par contraste, sans méconnaître le caractère social de la conscience, la dialectique s'est voulue la tentative, pour une critique immanente, de dépasser l'arbitraire de la pensée opérant à partir de simples points de vue, d'opinions ou d'idées reçues. C'est le propre d'une pensée technocratique que d'y rester confinée. Et la philosophie ne peut réellement être que dialectique, en admettant que le reste serait construction préphilosophique d'un sens. La légalité de la pensée invite à penser contre soi-même sans se perdre pour autant.

 
Dissiper l'illusion d'une objectivité constitutive peut être envisagé, paradoxalement, avec la force du sujet individuel. C'est qu'en réalité la subjectivité s'explique, non à partir d'elle-même - le penser -, mais du facticiel - la société, cette dernière correspondant tout autant à un ensemble de sujets individuels qu'à leur négation comme tels. A l'opposé, l'objectivité de la connaissance ne peut quant à elle être envisagée sans penser, c'est-à-dire sans subjectivité. On peut encore affirmer que toute réalité est toujours appréhendée dans une perspective humaine, soit l'impossibilité d'accéder à une connaissance objective des faits, la subjectivité étant toujours socialement préformée. Rien ne se donne à saisir de manière immédiate, tout est construit: l'interprétation, laquelle en est indissociable, oriente la saisie du fait; les éléments du réel ne devenant effectivement compréhensibles qu'à partir du moment où on les isole par la pensée en tant que moments singuliers, où on les singularise du tout, ce qui ne peut être le fait que d'un sujet, individuel ou collectif.

 

Quel pourrait être alors l'objet propre de la philosophie, sinon la critique des prétendus savoirs, des systèmes de pensée et de l'esprit de système, des attitudes collectivement partagées, dont la naturalité, l'immédiateté ou l'objectivité se trouveraient ordinairement affirmée alors même qu'ils seraient dans la continuité d'une idéologie, ou historiquement et socialement constitués ? " Notre destin, ce sont nos passions ", affirmait déjà Epicure, avec l'esprit de la révolte contre toute tentative de soumettre l'individu à un ordre n'ayant rien de naturel, soumettant les besoins aux lois "naturelles" de la production. En ce sens, toute philosophie ne serait rien d'autre qu'une anthropologie critique. Elle exprimerait cette tension irréductible entre le désir pour la vérité - l'étymologie en fait de manière significative une théorie érotique - et l'attitude fondamentalement subversive de toute vérité possible ouvrant l'espace propre de la réflexion critique. Ce qui ne signifierait rien d'autre que ceci: la philosophie n'a pas d'utilité - à proprement parler, elle ne sert à rien -, ne saurait en avoir une. Mais elle resterait indispensable en tant que critique, force de résistance de la pensée contre la simple volonté de puissance pour toujours rester maîtresse d'elle-même, permettant de dénoncer toute forme d'adhésion irréfléchie ou d'acquiescement aveugle à quelque autorité que ce soit: de la nature, de l'évidence première, de la bienséance, de la morale, de la compétence, etc., ou du discours, celui du Maître.

 

Négation ou résistance du penser contre ce qui est imposé ou " s'impose ", c'est-à-dire irait de soi. En ce sens, et dans nos sociétés, elle n'apparaît, ni plus ni moins, que comme le dernier refuge de la liberté de l'individu. Elle ne saurait se renouveler qu'en se confrontant constamment à son objet, lui-même en mouvement, ouvertement et de manière cohérente, sans se laisser prescrire les règles d'un savoir organisé, perçant tout ce que la société a recouvert sur cet objet, forgeant pour ce faire ses concepts, sur le fondement d'une expérience toujours singulière. Le fanatisme réducteur, celui de la science, de la logique à tout prix, de la simplicité, de l'élémentaire, ne lui appartient pas. La référence à la science, à ses règles, à la validité exclusive des méthodes qu'elle a développées, réprime la pensée libre, c'est-à-dire non conditionnée. La liberté du penser signifie aussi la possibilité d'expression de sa non liberté, là où émerge davantage que l'expression: une vue-du-monde préformée et imposée.

  

L'insertion sociale de la critique


  Si, tout comme l'individu qui en est sous un certain aspect l'origine, la philosophie est elle-même engagée dans la totalité sociale, son autonomie en tant que réflexion critique ne pourrait être que toute relative. Il est même possible que l'autonomie en question ne soit qu'illusion. Ce qui signifierait peut-être, ici encore, la fin de la philosophie. Quoi qu'on en pense, c'est de la possibilité même d'une telle réflexion dont il serait ici question. La totalité sociale, dont l'objectivité affirmée ne serait rien d'autre qu'un a priori parmi d'autres de la raison subjective connaissante, ne peut être décrite comme s'il s'agissait d'un fait. Elle a cessé d'être effectivement intelligible, au sens où la con-naissance ne peut jamais ici espérer atteindre son objet qui toujours lui échappe. Il convient ici d'admettre, à titre d'hypothèse, qu'essentiellement négative, la société pénètre, réifie, intègre toute opposition comme les rapports entre les individus, produisant, en même temps que ses fausses autonomies, les idéologies par lesquelles elle se protège contre la critique de son irrationalité. Préordonnée aux individus qui en subissent les multiples contraintes en même temps qu'ils la représentent, elle réprimerait par avance ce qui n'est pas semblable à soi, et la possibilité même de la critique par l'affirmation des exigences de la raison. Ses "rationalisations" produites ne seraient pour autant rien d'autre, conformément au sens freudien, que le signe d'un anti-intellectualisme devenu prédominant.

 

"Être idiot et avoir du travail, voilà le bonheur" (G. Benn). Aller à l'école de la vie, sacrifier aux contraintes du système: la "rationalité" du capital et sa violence se révèlent déterminantes pour la raison de l'individu isolé. En témoigneraient les réalités devenues de l'individualisme et du primat de l'intérêt individuel - normes introjectées -, de la concurrence ou de la compétition sociale aliénantes, dans ces contextes illusoires de vie que sont l'école, l'université, l'entreprise, sous l'apparence d'un souci de respect de pseudo-exigences "démocratiques", "égalitaires" ou "humanitaires"; du principe de l'échange, auxquels les critères d'intelligibilité et de communication sont eux-mêmes pliés; ou encore des exigences de valorisation et de rentabilité. La psychanalyse nous apprend aussi que les attitudes malades peuvent être celles qui se proclament les plus saines. L'extension de "la domination du capital" est indéniable sur la totalité de la sphère d'expansion vitale et d'existence individuelle, venant contredire l'affirmation courante d'une séparation envisageable entre vie professionnelle et vie privée, hiérarchies sociales et égalité privée, consommation et solidarité-partage, exploitation directe de la force de travail et formes plus subtiles de la contrainte idéologique, violence non économique et consentement des individus à la poursuite d'objectifs prétendument communs, etc. L'époque est à un antirationalisme prédominant.

 

La raison elle-même ne serait un absolu que pour qui entend la relativiser. A cela, la philosophie ne peut que s'opposer, mais sans permettre pour autant d'accéder à cette illusoire conscience qu'elle enseignerait traditionnellement à prendre. Le caractère définitif de la fermeture d'une réelle conscience de soi est signifié par le fait que l'individuation est elle-même une catégorie socialement produite: l'individu, auquel se surimposent les rapports d'échange, entrecroise en lui un particulier historique et un universel social, la distinction entre les deux aspects ne pouvant être que le produit d'une fausse abstraction. Ses formes de pensée ne pourraient dès lors qu'être, tout comme lui, un en soi social. Ce qui signifierait l'existence d'incontournables médiations, socialement produites, véhiculées mais masquées par le langage, entre la connaissance et le processus réel que le mouvement d'objectivation ne contredirait qu'en apparence, soit l'absence de toute vérité concevable au-delà du médiatisé, qui serait séparée des faits. La valeur de la philosophie, comme lieu d'apprentissage de la lucidité critique, serait ainsi sérieusement compromise. Ou alors, il s'agirait de considérer le penser et ce qui est pensé, ce dernier ne bénéficiant d'aucune indépendance par rapport au penser, comme médiatisés l'un par l'autre. La philosophie, sans renoncer à la vérité, ne serait seulement en mesure d'atteindre aucune positivité réelle, ne serait pas même assurée de son objet. Développant sa rigueur en se cherchant dans ce qui lui serait le plus opposé - la totalité sociale -, elle s'efforcerait d'aller à l'être même de la chose - ce qui suffirait à la distinguer d'un savoir superficiel mêlé d'idéologie -, sans parvenir à échapper à l'imposition d'une conscience fausse de la réalité, dont elle reproduirait les catégories.

 

  "Un système philosophique [l'expression est pour le moins malheureuse] n'est pas fait pour être compris [et par là mis en pratique et éprouvé dans et par l'action]: il est fait pour faire comprendre" (J.-F. Revel, Pourquoi des philosophes ? p.22). [Texte original élaboré par Serge Zajac]. En bref : Les raisons de la raison sont de combattre la déraison. 

 

A voir: http://www.webnietzsche.fr/

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5 avril 2013 5 05 /04 /avril /2013 10:50

C’est un document exceptionnel, sur Freud praticien et sur son rôle dans le mouvement psychanalytique international, notamment ses relations avec les Sociétés de Psychanalyse de New York, Londres ou Berlin.


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L’auteur, jeune psychiatre à l’époque, effectue à Vienne en 1921 une « tranche » avec Freud, une formation dans le but de devenir psychanalyste et il sera par la suite l’une des figures du courant culturaliste américain avec Ruth Benedict ou Ralph Linton, un courant qui conjugue les points de vue de l'anthropologie et de la psychologie pour rendre compte du processus de l'intégration sociale. On peut lire sous sa plume un ouvrage publié en 1969 chez Gallimard : L'individu dans sa société : essai d'anthropologie psychanalytique. Abram Kardiner a également travaillé sur les névroses et les traumatismes causés par la guerre.

 

Il y a beaucoup de fraîcheur et d’authenticité dans ce témoignage de première main. L’homme est jeune, il a connu l’enfance difficile d’un petit immigré à New York, voyant son père, un ancien tailleur d’origine ukrainienne, se débattre pour obtenir des petits boulots. Sa mère succombe à la tuberculose alors qu’il a trois ans, et le souvenir, corroboré ensuite par sa sœur, lui reviendra en analyse d’avoir lui-même constaté sa mort alors qu’il était en train de jouer à ses côtés. Bref, résume-t-il dans le récit qu’il fait à Freud : « Ma petite enfance est dans l’ensemble un cauchemar incessant, marquée par la faim, le délaissement, l’impression de ne compter pour rien ». Le bon client, en somme, pour le psychanalyste, lequel devant son récit déroulé d’une seule traite, l’arrête et lui demande : « Avez-vous préparé cette séance ? ». « Non – lui répond Kardiner – mais pourquoi me posez-vous cette question ? – Parce que cette présentation était parfaite, je veux dire druckfertig comme on dit en allemand. A demain. » Le mot est l’équivalent de notre « bon à tirer », une expression utilisée dans l’édition.

 

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Son père se remarie et une relation œdipienne se noue avec une jeune belle-mère qui, ne pouvant avoir d’enfants, compense sa frustration en l’invitant à monter dans son lit pour « lui caresser et lui téter les seins », des cajoleries que l’enfant de quatre ans trouve très « stimulantes », à l’ombre d’un père pour lequel il éprouve des sentiments ambivalents de profonde sympathie et de terreur. A l’époque où il fait son analyse avec Freud, ses rêves sont limpides et pourtant il contestera rétrospectivement le postulat œdipien, pour son propre cas, et dans l’absolu il réfutera le caractère « universel » du complexe, objectant qu’il ne peut s’appliquer à toutes les cultures. Au cours de l’analyse se font jour des sentiments de résistance et de culpabilité, et la découverte, qu’il juge « effrayante », de nourrir des pensées dont il n’avait pas conscience.

 

Très vite le transfert lui apparaît massif avec la personne du psychanalyste, qui se met à jouer dans son esprit le rôle du père, ce que confirme Freud au cours d’une conversation ultérieure où Kardiner lui demande comment il se voit comme analyste. « A dire les choses franchement – lui répond Freud – les problèmes thérapeutiques ne m’intéressent pas beaucoup. Je suis à présent beaucoup trop impatient. Je souffre d’un certain nombre de handicaps qui m’empêchent d’être un grand analyste. Entre autres, je suis beaucoup trop un père. Deuxièmement je m’occupe tout le temps de théorie, je m’en occupe beaucoup trop, si bien que les occasions qui se présentent me servent plus à travailler ma propre théorie qu’à faire attention aux questions de thérapie. Troisièmement je n’ai pas la patience de garder les gens longtemps. Je me fatigue d’eux et je préfère étendre mon influence. »

 

Cette influence, on peut en prendre la mesure dans les descriptions que fait Kardiner des réunions de la Société de Psychanalyse de Vienne. « C’était là – dit-il – que Freud montrait toute sa maîtrise : maîtrise des hommes, maîtrise des problèmes ». Un jour, pour mettre un terme à un débat animé concernant un des membres accusé de plagiat des idées de Freud sur l’hypnose, et auquel celui-ci ne prêtait qu’une oreille distraite alors qu’on s’affrontait avec véhémence en son nom, il s’exclama « Pourquoi me traitez-vous comme si j’étais déjà mort ? Vous êtes assis en train de discuter entre vous de ce que j’ai écrit dans tel article, vous me citez ici et là. Pendant ce temps je préside, et personne ne vient me demander : qu’est-ce que vous vouliez dire au juste ? » Et il ajouta : « j’imagine facilement ce qui arrivera quand je serai mort pour de bon ».

 

Abram Kardiner, qui évoque aussi certaines de ses colères, parle d’un « être aimable et attachant, un homme charmant, plein d’esprit et d’érudition » et qui avait un grand sens de l’humour. Lors d’une conversation au sujet du parricide de la scène primitive dans Totem et tabou, il lui souffle : « bah ! Ne prenez pas ça trop au sérieux. C’est une chose que j’ai rêvée un dimanche de pluie. » Et en apprenant le suicide de deux analystes à Vienne, les yeux pétillants de malice il déclara : « le jour n’est pas loin où l’on considérera la psychanalyse comme une cause légitime de décès. » Comme le rappelle Lacan, lorsqu’il se rendit aux Etats-Unis en 1909 à l’invitation de Putnam, il dit à Jung qui l’accompagnait : « ils ne savent pas que nous leur apportons la peste ».

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13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 12:29

Caroline Eliacheff, pédopsychiatre et psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages dont : A corps et à cris : être psychanalyste avec les tout-petits (Odile Jacob) va nous parler de son expérience avec les jeunes enfants et même parfois avec les très jeunes enfants. L’écoute qu’ils peuvent recevoir quand ils sont pris dans un maelstrom de relations complexes parentales et que leur naissance a été extrêmement chaotique.

 

Ecouter le podcast de l'émission:

 

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Nous aborderons également avec Caroline Eliacheff les évolutions des filiations, des difficultés que peuvent introduire ses familles composées et recomposées et les questions liées à l’anonymat en cas de recours à un don de gamètes. En effet, dans toutes ces procréations médicalement assistées (PMA) qui peut mieux parler de l’enfant que les spécialistes à l’écoute des plus fragiles d’entre nous.

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17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 11:54

Comment pourrait-on penser en dehors du langage ?


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Partie I


"Le langage que nous utilisons est ce qui doit  nous permettre de nous exprimer de manière à être compris."

 

Nombreuses sont pourtant les occasions où nous sommes obligés de reprendre nos paroles car elles ne correspondent pas à ce que nous pensions et voulions dire. Et pourtant, c’est nous-mêmes qui avons choisi les mots employés. Est-ce à dire que le langage peut trahir la pensée ? Trahir, c’est d’abord décevoir une relation de confiance. Si le langage peut nous trahir, c’est que l’on a préalablement admis qu’on lui confiait la tâche d’extérioriser une pensée intime. Les mots sont-ils à la hauteur de cette tâche ? Méritent-ils notre confiance ? N’y a-t-il pas, dans la langue, une mise en forme, une rationalisation qui ne se trouvent pas toujours dans ce que nous pensons intimement ?

 

Faut-il, alors, nous méfier du langage ? Car s’il peut nous trahir en déformant ce que nous disons, le langage peut, ce qui semble pire, nous trahir en nous faisant dire ce que nous ne voulons pas dire, parfois même ce que nous ignorons. N’est-ce pas le cas lorsque nous commettons un lapsus ? Dans les deux cas (que la trahison déforme ou révèle la pensée), cela suppose une pensée qui se serait formée en dehors du langage et avant lui. Pourtant, penser, ce n’est pas seulement ressentir intérieurement. La pensée désigne un processus de raisonnement qui permet d’agencer des propositions et des idées de manière logique. En cela, la pensée se distingue du ressenti, informe et irrationnel. Dès lors, comment pourrait-on penser en dehors du langage ? Loin de trahir la pensée, le langage n’en est-il pas la condition ?

 

Nous essaierons donc de déterminer si le langage trahit la pensée. La pensée est-elle un processus intime qui se constitue en dehors du langage ou en est-elle dépendante ? Nous verrons d’abord que le langage constitue un code étranger à la réalité désignée par nos pensées. Le langage ne peut-il pas alors nous trahir, au-delà même de ce que nous pensons consciemment ? Mais par pensée ne désigne-t-on pas une opération de la raison qui ne peut avoir lieu que grâce au langage ?

 

Dire que le langage trahit la pensée suppose que langage et pensée sont deux réalités extérieures.

 

La trahison désigne en effet l’incapacité d’une personne ou d’une chose d’être à la hauteur de la confiance placée en elle. Or, confier, c’est déléguer à un autre un objet ou une tâche. Si le langage peut ainsi trahir la pensée, c’est donc d’une part que la pensée est extérieure au langage, et d’autre part qu’elle s’est remise entre ses mains pour lui confier la tâche de l’exprimer. Nos pensées désignent d’une manière très générale la représentation intime que nous nous faisons du monde qui nous entoure et des affections que nous éprouvons. C’est donc d’abord un état intérieur, qui désigne très généralement ce dont nous avons conscience. La pensée vient donc d’abord. Le langage vient ensuite, pour extérioriser ce donné initial. Il ne peut remplir qu’imparfaitement cette tâche car il y a une faille irrémédiable entre les mots et les choses. Dire ce que nous pensons intimement, ce n’est pas la même chose que le penser et le vivre intimement. Pour l’autre qui m’écoute, entendre ce que je dis, ce n’est pas la même chose que vivre ce que je vis. C’est ce qu’explique Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception lorsqu’il dit que « les paroles d’autrui ne sont pas autrui ». Nous n’accédons qu’imparfaitement et extérieurement à ce que l’autre vit, car ses paroles échouent à nous en fournir une représentation exacte. Ainsi, le langage trahit la pensée, non par malice, mais parce qu’il y a une faille irrattrapable entre la pensée vécue intérieurement et la pensée exprimée extérieurement.

 

Cette faille tient à la structure même du langage, qui est elle-même liée à sa fonction. Si le langage sert à communiquer, il faut que les mots employés soient compris de tous. Pour cela, ils doivent être généraux. S’il y avait un nom propre pour chaque table qui existe, a existé et existera jamais, il nous serait tout simplement impossible de communiquer. Parce qu’il est utile, le langage est donc général. Mais parce qu’il est général, il est à distance de ce que nous pensons intimement. En cela, le langage ne trahit pas seulement la pensée des autres, mais aussi la mienne. En m’obligeant à utiliser des mots généraux, il m’empêche d’accéder à la réalité de ma propre pensée. C’est ce qu’explique Bergson dans Le Rire, où il montre que la généralité du langage et ce qu’il a d’utilitaire nous empêchent d’accéder à notre propre intériorité car nous n’en percevons pas les nuances particulières, mais ne pouvons l’aborder que par des mots qui sont communs à tous. Ainsi, le langage trahit la pensée parce qu’il se montre inapte à remplir la tâche qui lui a été confiée : exprimer adéquatement le message qui a d’abord été intérieurement conçu. Cette trahison est liée à sa généralité structurelle. Or, s’il peut ainsi ne pas dire ce que nous pensons comme nous le pensons, ne finit-il pas par dire autre chose ?


Partie II


« Le langage semble doté d’une forme d'autonomie qui le rend capable de dire ce que nous ne voulons pas dire. »

 

Le langage peut trahir la pensée en l’exprimant mal. Il peut aussi la trahir en la dévoilant. N’y a-t-il pas ainsi lorsque nous parlons des pensées qui sont dévoilées malgré elles et malgré nous ? Le langage ne dit-il pas plus ou autre chose que ce que nous voulons dire ? En effet, le langage ne passe pas seulement par les mots. C’est un ensemble de signes et de symboles dont les mots ne sont qu’un aspect. Le choix du vocabulaire, la grammaire et le niveau de langue employés, notre ton, nos gestes... sont autant d’éléments qui constituent un langage, par lequel s’exprime plus que le seul message que nous voulons transmettre. L’habitus décrit par Bourdieu désigne ainsi l’ensemble des traits socialement déterminés qui finissent par faire corps avec nous. Dès lors, quand nous écrivons ou parlons, le langage que nous utilisons trahit notre pensée, c’est-à-dire dévoile malgré nous une manière de réfléchir socialement produite. Le sociologue exprime ainsi ses réserves face aux exercices de la dissertation ou du « grand oral » des concours, dans lesquels on cherche à discriminer les candidats grâce aux codes sociaux de pensée que le langage peut trahir.

 

Ces pensées que le langage trahit ici ne sont donc pas conscientes. Le langage dévoile ce qu’il y a en nous de plus intime, de caché, même à nos propres yeux. Il semble ainsi doté d’une forme d’autonomie qui le rend capable de dire ce que nous ne voulons pas dire. C’est, par exemple, le propre du lapsus. Dans celui-ci, en effet, se manifeste une pensée inconsciente, dont nous sommes nous-mêmes ignorants. Par lui, l’inconscient fait irruption dans notre vie conscience et parvient momentanément à endormir la résistance qui sans cela l’en empêche. D’une manière générale, d’ailleurs, la cure psychanalytique s’appuie sur les propos du patient, cherchant à lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire parce que la censure de la résistance s’y oppose. Mais il finira bien par le dire parce que le langage le trahira, par les lapsus par exemple, mais aussi par les mots qu’il choisira d’employer. Ainsi, le langage trahit la pensée parce que celle-ci n’est pas que consciente et qu’elle se dévoile malgré nous à travers lui. L’usage que nous faisons du langage manifeste notre origine sociale, notre éducation, notre culture, et même des pensées si intimes que nous n’en avons pas conscience. Mais de quelle pensée parle-t-on si elles se situent en dehors de la conscience ? La pensée n’est-elle pas au contraire nécessairement rationnelle et consciente ?


Partie III


« Le langage ne trahit pas la pensée, il est, bien au contraire, ce qui la conditionne. »


Tout ce qui advient en nous, consciemment et inconsciemment, ne saurait en effet être considéré comme pensé au même titre. Si le mot désigne d’une manière générale ce qui est intérieur par opposition à ce qui est extérieur, il désigne aussi ce qui est réfléchi par opposition à ce qui est senti. Tout ce qui advient dans le for de notre subjectivité ne relève pas de la pensée mais celle-ci désigne précisément ce que la raison est capable de produire, comme capacité logique d’agencer des propositions et des idées. Dès lors, nous avons besoin de parler pour penser dans la mesure où l’on ne peut pas produire de tels raisonnements sans passer par le langage. Ce que nous « pensons » en dehors de ce cadre tient du ressenti, que nous n’arrivons pas à dire, comme le soulignait Bergson, pas nécessairement parce que les mots seraient déficients mais parce que ce sentiment lui-même serait trop confus. Même l’inconscient n’est pas pensé tant qu’il n’advient pas à la conscience et au langage.

 

Nous pouvons dire que nous avons des pensées inconscientes, mais cela reste théorique et, dans le fond, nous n’en savons rien puisque si ces pensées existent nous sommes incapables de les penser, de nous les formuler. Dans L’Encyclopédie des sciences philosophiques, Hegel montre ainsi que l’éloge de l’indicible comme pensée si profonde que les mots ne sauraient la dire cache en réalité la vacuité et la confusion de ce qui n’est pas encore délimité et caractérise une pensée en devenir. Si nous n’arrivons pas à dire ce que nous pensons, ce n’est pas parce que « les mots nous manquent » et que donc le langage serait défaillant. L’indicible est le signe d’une pensée qui n’en est pas encore une, car penser une chose, la prendre pour objet, c’est être capable de l’identifier, de la délimiter et donc de la dire. Une fois achevée, la pensée prend la forme du mot qui seul peut désigner adéquatement et précisément la chose pensée. Ainsi, le langage ne trahit pas la pensée, il est au contraire ce qui la conditionne.

 

Alors, la pensée n’est plus extérieure au langage et ne le précède plus. Bien au contraire, elle se forme avec lui et par lui. Avant d’être exprimées, les choses doivent en effet être formulées, et penser, ce n’est alors jamais que se parler à soi-même. On peut même se demander, comme le fait Nietzsche dans Le Gai Savoir, si ce n’est pas parce qu’il devait parler pour communiquer ses besoins aux autres que l’homme a développé la conscience. Dans ce texte, Nietzsche montre en effet que l’homme, d’abord isolé, devient une bête de proie qui doit s’associer aux autres pour survivre. Cette communauté n’a de sens et ne satisfait ses objectifs que si les hommes sont capables de se formuler réciproquement leurs besoins pour pouvoir y pourvoir. Avant même de formuler aux autres ces besoins, l’homme doit en prendre conscience, c’est-à-dire se les formuler à lui-même. Voilà ainsi exposée l’origine de la pensée comme conscience, qui apparaît donc comme indissociable du langage.

 

Ainsi, le langage ne trahit pas la pensée. Certes, il existe une multitude de sentiments ou de phénomènes intimes, sentis, inconscients en dehors et en deçà de la pensée, que le langage ne parvient pas à rendre et peut pourtant, paradoxalement, dévoiler malgré lui. Mais la pensée désigne une opération logique de réflexion qui ne préexiste en rien au langage mais se confond avec lui.

 

Travaux de Aïda N'Diaye - http://www.philomag.com/

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11 février 2013 1 11 /02 /février /2013 11:07

Roland Gori : « la psychanalyse n'est pas un guide des mœurs »

Propos partagés sur ce site, recueillis par Philippe Petit pour Marianne.

        

En plein débat sur le projet de loi autorisant le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe, le psychanalyste, et fondateur de « l’Appel des appels », Roland Gori, répond aux questions de Marianne, soulignant que cette demande de reconnaissance sociale des couples homosexuels témoignent, selon lui, d’une laïcisation de plus en plus forte des institutions organisant l’existence des individus.


Roland Gori : « la psychanalyse n'est pas un guide des mœurs »

Marianne : La loi Taubira concerne à la fois l'extension du domaine du mariage et l'application de nouvelles règles de filiations concernant les couples homosexuels? Les psychanalystes semblent  très divisés concernant cette loi qui est débattue au parlement. Quelle est votre position?  

Roland Gori : Il faut cesser d’instrumentaliser la psychanalyse.  La psychanalyse est d’abord et avant tout une méthode spécifique  mise en acte dans une pratique clinique et dont les connaissances proviennent de cette expérience. Et comme le dit Freud, ce dont on n’a pas l’expérience il faut le taire. Alors les psychanalystes qui s’expriment pour ou contre la loi Taubira sur le mariage gay ou l’adoption par des couples homosexuels, je ne suis pas sûr qu’ils aient beaucoup d’expérience clinique à apporter en la matière. Pas davantage que la psychanalyse sauvage des hommes politiques, ces spéculations psychologisantes autour des projets de loi ne possèdent de validité scientifique.

La psychanalyse n’est pas un guide des mœurs et un ensemble de prescriptions morales. Il faut rompre avec cette tendance des « experts » à idéologiser la psychanalyse ou tout autre mode de connaissance. 

Concernant la loi Taubira les psychanalystes doivent d’autant plus être prudents que le mot « homosexualité » n’a pas le même sens dans le langage courant et en psychanalyse ?  

Dans le langage courant, il s’agit d’un « comportement » concernant le choix d’un partenaire sexuel de même sexe ; en psychanalyse il s’agit non de ce que fait un sujet mais de ce qu’il est dans ce qu’il fait, c’est à dire d’une position psychique. Freud disait que « nul ne pouvait être tenu pour homosexuel en fonction de son choix d’objet ». Un homme peut se comporter comme un Don Juan  et « consommer » sexuellement de nombreuses femmes tout en se révélant du point de vue psychique « homosexuel », pris dans un désir entièrement orienté par un désir pour des rivaux ou un défi à l’autorité paternelle. Il serait plus juste d’ailleurs de parler des homosexualités plutôt que de l’homosexualité.

Au début de la vie, l’être humain est bisexuel et ce n’est qu’au cours de son histoire qu’il s’identifie à un genre masculin ou féminin. Mais le féminin ne demeure pas le monopole des femmes, ni le masculin celui des hommes. Roland Barthes disait avec beaucoup  de vérité que l’amoureux, l’aimant, est « féminisé non parce qu’il  est « inverti » mais parce qu’il est celui qui attend ». Les deux  cette confusion linguistique qui conduit abusivement à prétendre expertiser en la matière, je ne vois pas pourquoi en tant que citoyen je devrais m’opposer au mariage des homosexuels. Pour moi cette revendication culturelle, comme celle de l’homoparentalité, se révèle plutôt comme le symbole d’une révolution des mœurs. Cela veut dire que le mot « couple » ou le mot « parent » sont en train socialement de changer  de sens,  comme ils ont d’ailleurs changé de significations au cours des siècles précédents et selon les structures de parenté des sociétés. 


L’anthropologue Maurice Godelier parle très justement à ce sujet de « métamorphoses de la parenté »...
 
C’est le mot juste. Je crois comme lui que l’humanité n’a eu de cesse d’inventer de nouvelles formes d’alliances et de parentés. Je crois que cette demande de reconnaissance sociale des couples 
homosexuels et leur aspiration à l’adoption témoignent d’au moins deux choses : d’une part de l’augmentation croissante aujourd’hui des revendications des minorités quelles qu’elles soient, et d’autre part d’une laïcisation de plus en plus forte des institutions organisant l’existence des individus.

Cela veut dire à mon avis que la désacralisation du monde civil, son désenchantement religieux s’accroît et qu’en contrepartie de nouvelles figures s’imposent pour occuper ce vide laissé par la pulvérisation des figures traditionnelles de l’autorité. Sinon pourquoi y aurait-il un débat passionnel autour de ces questions ? Si ce n’est qu’elles mobilisent l’arrière-fond religieux des formes d’alliance et de parenté, qu’elles poussent en avant les questions laissées en suspens par l’effondrement des marques majeures de l’autorité.

Quelles conditions pour l'adoption ? 

Cela concerne les homosexuels comme les hétérosexuels. Je pense par exemple que nous restons trop agglutinés aux anciens modèles d’une conjugalité organisée autour d’un noyau du couple papa-maman auquel les enfants s’agrègent, plus ou moins séparés du reste de la famille et à distance des autres relations sociales. Si la loi maintenait cette illusion et devait favoriser pour les homosexuels le déni de l’altérité, de la différence, alors pour le coup on serait plus que jamais dans le semblant et dans l’imposture. L’hétérosexualité du couple ne garantit pas en lui-même l’existence de différences constitutives comme les différences  de sexe et de génération par exemple, elle n’est pas davantage une garantie de socialisation des enfants. On oublie trop souvent que Platon suggérait que pour favoriser la citoyenneté républicaine ce ne soit pas les parents qui élèvent leurs enfants…

La fameuse loi du père, qui a donné à l’idéologie psychanalytique ses plus beaux fleurons, est une fonction au sens quasi mathématique du terme, un ensemble de règles permettant des opérations qui ne sauraient se confondre avec les personnages chargés de l’incarner à un moment donné. Donc là encore, ce n’est que dans l’après coup de l’expérience clinique et au cas par cas que l’on peut dire quelque chose, et non  en amont de cette expérience pour servir la soupe idéologique de je ne sais trop quelle cause.

Le débat autour de l'ouverture du mariage pour tous ne se situe pas uniquement au niveau de l'altérité des sexes mais également 4 au niveau de la parenté et de la filiation. Toute réforme du mariage doit être examinée au prisme de son impact pour tous les citoyens. Les effets de la réforme sur le Code Civil sont connus, mais sur les principes de la bioéthique, ils le sont moins. Doit-il y avoir selon vous une limite à imposer en ce qui concerne ces derniers? Etes vous favorable par exemple à la gestation pour autrui?

A partir du moment où vous voudrez bien admettre avec moi que les notions de couple, de parenté ou de famille ne sont pas des vérités naturelles et biologiques. Elles procèdent essentiellement 

de transactions sociales et symboliques et il est évident que tout changement en la matière confronte à des problèmes éthiques. Simplement, ces problèmes éthiques, voire bioéthiques, ne doivent pas demeurer une affaire de spécialistes, faute de quoi on fabriquerait de l’imposture, mais que leur traitement doit faire l’objet de débats citoyens. Si nous voulons réinventer de nouvelles façons de vivre ensemble et de traiter ces problèmes éthiques, il est nécessaire de réhabiliter la parole, le débat et le récit des expériences de vie. Après quoi on pourrait toujours procéder à un référendum. Cela me parait d’autant plus indispensable que le système technicien aujourd’hui, accouplé à la religion du marché, menace l’humanité dans l’homme. 

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8 février 2013 5 08 /02 /février /2013 09:47

La honte comme un sentiment social, selon Serge Tisseron


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Je trouve intéressant le point de vue de Tisseron concernant le sentiment de la honte, d’autant plus que c’est le point de vue d’un psychanalyste qui définit la honte comme un sentiment social.

Pour l'hypothèse psychanalytique, la honte est éprouvée au moment de l’Œdipe, lorsque l’enfant désire le parent du sexe opposé, et qu’il a honte de ce désir et de ne pouvoir rivaliser avec le parent du même sexe, qui est perçu comme supérieure à lui. Lorsque le sujet ressent de la honte dans sa vie d’adulte c’est lié à la projection d’instances parentales sur des personnages ou des institutions, une répétition donc de la honte éprouvée au sein de la famille en lien avec les imagos parentales. 

Tisseron nous dit que l’enjeu de la honte est le risque d’exclusion. La honte est un sentiment complexe du fait qu’il renvoie à des situations vécues comme honteuses, aux non dits, à des situations de violence. Confondre le sentiment de la honte lié à une situation réelle de violence subie par le sujet, avec la projection d’une instance parentale intériorisée, serait reproduire cette même violence au sein de l’espace thérapeutique. 

Tisseron dit clairement que certaines théories psychanalytiques peuvent empêcher la personne de pouvoir symboliser ce qui a été à l’origine de ce sentiment. 
Une autre caractéristique de la honte c’est qu’elle est souvent accompagnée, cachée derrière d’autres sentiments, comme le sentiment de culpabilité, qui crée de la confusion. La confusion étant ici le moyen pour la personne de se défendre du risque de déségrégation mentale lié au sentiment de la honte.

Tisseron souligne la nécessité de favoriser l’expression de la situation qui a été à l’origine de la honte, et d’analyser les défenses intersubjectives à côté des défenses subjectives.
Il souligne le rôle essentiel de l’environnement dans la construction de soi à côté du rôle joué dans l’enfance par les premières figures d’attachement et d’investissement. « Les enveloppes psychiques ne sont pas constituées une fois pour toutes dans la relation avec la mère primitive, mais constamment confrontées à la dynamique sociale. » (Tisseron, 1992, p. 178).

Le psychisme humain prend racine dans la famille, qui est un lieu d’identifications et d’apprentissages, et un lieu de soutien, de holding au sens où en parle Winnicott. Par la suite il est tributaire des groupes auxquels il participe. Le groupe a un effet contenant sur le sujet, il contient des parties dangereuses de lui-même, le protége, et permet le partage de certaines instances comme le surmoi et l’idéal du moi, soutenant le système de défense du sujet. En contrepartie le groupe attribue un rôle à chaque sujet. C’est pour cette raison que le vécu de la honte peut non seulement survenir par rupture d’investissements du sujet sur des objets réels, mais aussi par rupture des investissements dont il est lui-même l’objet de la part du groupe. Le rejet du groupe provoque une violence telle qu’il peut « ébranler les personnalités les mieux constituées. » (Tisseron, 1992, p. 178). 

Une compréhension de la honte dans tous ses aspects nécessite non seulement l’analyse des situations d’enfance au cours desquelles l’enfant a été confronté à la honte, mais aussi à l’exploration des situations humiliantes auxquelles il a vu ses parents confrontés, à la prise en compte des hontes des parents cachées à l’enfant et à l’étude des ensembles auxquels l’individu participe, qui partagent ses valeurs ou les lui contestent. Plusieurs situations peuvent émerger, même des situations qui ne sont pas en lien avec le sentiment de la honte. Tisseron émet l’hypothèse que l’on peut supposer qu’une personne soit plus sensible au vécu de la honte, du fait d’une fragilisation de son moi, et des enveloppes psychiques. Face à des situations sociales difficiles, du fait de cette fragilisation, la personne perd ses repères internes et ne peut pas mettre en place les réaménagements nécessaires pour faire face à ces situations. Mais mettre l’accent sur cette fragilisation sans intervenir autour des situations humiliantes réelles vécues renferment la personne dans un cercle vicieux : ressentie comme un témoignage de l’inadéquation entre le monde et soi, elle empêche l’ajustement qui permettrait de lui échapper.

 

1. La prise en compte des déterminismes sociaux

Tisseron nous dit que dans des problématiques liées au sentiment de honte, tenir compte du milieu social dont le sujet est issu est fondamental lorsque l’on aborde ce thème. 

Il parle de comment certaines attitudes émotionnelles peuvent représenter une tentative d’affirmer le maintien d’un lien privilégié avec le mode de communication familiale, plutôt que le signe d’un affaiblissement dans la constitution du moi. « Le travail analytique implique en effet pour ces patients une double rupture : de leurs habitus et repères personnels, et de leur tradition culturelle familiale. » (Tisseron, 1992, p.155).

Lui permettant de ne pas se couper de ses origines, il aura la tendance à se questionner davantage sur l’histoire familiale. Ce qui pose la question de savoir si une tentative de compréhension des déterminismes sociaux n’est pas une nécessité de dégagement de la honte d’un autre en soi. La compréhension des déterminismes sociaux des adultes qui ont entouré la personne dans son enfance, est aussi un renoncement à la toute puissance du subjectif, et une condition nécessaire à la mise en sens et donc à la symbolisation du récit familial.

L’enfant s’approprie et s’identifie à la honte des parents, à celle que les parents ont vécue ou subie face à des situations humiliantes, liées à leurs conditions sociale et professionnelle. Tenir compte du décalage historique et de l’évolution des mœurs permet dans ce cas-là de pouvoir se dégager de la honte introjectée et se séparer d’une stigmatisation de classe et d’une fidélité. 

 

2. La médiation des images

Tisseron propose une approche thérapeutique de la honte au travers de la médiation d’images. L’image est le moyen privilégié pour accéder à la représentation. Elle permet le lien avec le corps et ce que Tisseron appelle les éprouvés du corps, qu’en APO on appellerait sensation. 

Tisseron nous dit combien dans les problématiques de honte, les défaillances du moi sont à l’œuvre, en mettant la personne dans un cercle vicieux. Afin qu’elle puisse symboliser la honte, séparer ce qui lui appartient de ce qui lui a été transmis, séparer les différentes émotions qui créent la confusion, il est important d’oser penser la honte au sein de la cure, de la nommer, mais aussi d’utiliser le partage des images de la part du psychanalyste. 

En effet l’image a le pouvoir de donner l’illusion d’un partage psychique, avec une annulation des limites corporelles. L’image assure une identité de perception qui permet de contenir. 

Tisseron rappelle que les défaillances des enveloppes psychiques sont importantes dans la honte, et que ces défaillances peuvent survenir à n’importe quel moment de la thérapie, lorsqu’un enfant a éprouvé une excitation qui n’a pas pu être contenu, et a dû recourir au clivage. « Avec de tels patients, l’image permet de réintroduire le corps et les émotions qui le mobilisent. Et le travail du psychanalyste avec eux doit consister d’abord à mettre des images sur leurs propos…un peu comme un créateur de bande dessinée, ou de rébus, met des images sur des textes, mais aussi comme le travail du rêve. » (Tisseron, 1992, p.164). Tisseron donne l’exemple d’une femme qui exprime l’éprouvé du dégoût. Il lui dit « Vous avez eu envie de vomir » (Tisseron, 1992, p. 165). Il prend l’image statique de l’éprouvé corporel, le dégoût, pour la mettre en mouvement par le verbe. « Il s’agit de favoriser la remémoration d’éprouvés corporels à partir desquels se fixent les images » (Tisseron, 1992, p. 165).

Pour des personnes qui n’ont pas été contenue dans une excitation, qui ont été dans une proximité physique avec peu d’élaboration mentale, l’image permet de contenir davantage cette excitation, car elle crée un espace transitionnel. Tisseron propose que le psychanalyste partage une image avec le patient, ce qui a un effet surprise.

Donner une image qui implique le thérapeute dans l’action d’imaginer, permet de signifier que l’image peut être partagée à deux, que nous faisons référence à un langage commun, peut être une culture commune, une sorte d’appartenance, le travail d’association est relancé. L’image permet donc de pouvoir à la fois partager un langage commun, un bagage culturel et social commun, et de contenir.

Tisseron donne l’exemple d’une patiente, Sonia qui lui demande « Je voudrais être sur vos genoux », il parle de l’impossibilité pour elle de s’imaginer, et au fond ce qu’elle disait par-là était « Je n’arrive pas à m’imaginer sur vos genoux ». La renvoyer par l’analyse du transfert à ses carences affectives aurait été répéter cette violence du manque, qu’elle a vécu dans son enfance. Tisseron propose donc de revenir sur le sens de sa demande. Il en déduit que le choix de l’image a permis à Sonia d’accéder à ce qu’elle aurait aimé mais qu’elle n’a jamais eu, (ce que nous appelons en APO énergie conséquentielle), « l’espace de ce qui n’est pas mais qui pourrait être, l’espace imaginaire ». Tisseron décide d’intervenir en la rassurant sur la réciprocité de l’image, qui par son pouvoir de co-création d’un espace commun, permet la connexion à l’éprouvé corporel, à la sensation et donc de relancer l’activité symbolique. Ce faisant il lui répond « Je peux imaginer que je vous reprends sur mes genoux et que je cajole la petite fille qui est en vous comme un père cajolerait sa fille » (Tisseron, 1992, p. 172).

 

3. Conclusion

Le sentiment de la honte est un sentiment difficile à nommer du fait de son caractère contagieux.

La honte peut être masquée par d’autres sentiments, elle renvoie à la complexité du lien entre la scène psychique et la scène sociale. Elle est souvent liée à des carences affectives dans l’enfance, mais les enveloppes psychiques se confrontent à l’environnement, et à la dynamique sociale. C’est pourquoi il est nécessaire de soutenir la personne dans une mise en mot de la situation vécue comme honteuse, porteuse d’humiliation, et en même temps être à l’écoute du manque de contenant qui lui est souvent lié. 

L’image permet, au travers de son pouvoir contenant et de partage, d’aider ces personnes à faire le lien avec leur éprouvés corporels, pour relancer le travail de symbolisation.

Le travail autour de la honte demande au psychothérapeute une certaine sensibilité à ce sujet et une analyse sur le double registre de l’intersubjectif et du subjectif. 

Il s’agit donc de valoriser la honte, comme tentative pour le sujet de symboliser et dépasser une violence vécue et subie comme honteuse.

Le psychothérapeute ou psychanalyste doit recréer un sentiment d’appartenance, d’affiliation avec le patient ce qui suppose l’implication de sa subjectivité. Ce qui a aussi l’avantage de mettre le psychothérapeute et le patient au même niveau, il y a là un partage qui se fait au sens d’un partage d’être humain à être humain. Et dans cette « descente du piédestal » on peut supposer que cela peut être très réparateur au sens où il n’y a plus de doutes possibles à ce moment là, d’éventuelles positions hiérarchiques différentes, le psychothérapeute occupe une position symbolique si je puis dire ainsi, accessible.

Par Federica Scagnetti, Psychothérapeute et Psychanalyste.
Voir la page Psycho-Ressources

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