Eh oui ! Jeunesse s’est passée et le temps file vite... A mi-vie, hommes et femmes font le bilan. Une remise en question psychologiquement douloureuse, parfois brutale, mais souvent bénéfique.
Il vient un jour où votre fils vous rétame lamentablement au tennis, où les passants qui admiraient d’ordinaire votre chute de reins se retournent sur les charmes naissants de votre adolescente, où une rencontre de hasard révèle les premiers fléchissements de votre virilité… Quand ce n’est pas un événement plus dramatique encore infarctus, licenciement, divorce, décès des parents, qui vous rappelle, de façon cruelle, que jeunesse se passe. Autant d’éléments perturbateurs susceptibles de déclencher ou d’amplifier, quand on atteint la barre fatidique des 40-50 ans, une profonde remise en question de soi-même. Parfois délétère, souvent bénéfique.
Maintenant ou jamais !
80 % des personnes de cette classe d’âge seraient concernées, selon le Dr Gilbert Tordjman, sexologue. Outre-Atlantique, on appelle ce tournant de la vie middle life crisis. Traduisez : « crise de milieu de vie ». Elle peut s’exprimer par une simple déprime passagère, ou entraîner des troubles psychologiques conséquents. Selon certains chercheurs américains, cette crise surviendrait entre 37 et 48 ans. En fait, on constate qu’elle se manifeste à la fois de plus en plus tôt et de plus en plus tard.
D’une part, la société n’imposant plus de modèle d’existence, chacun doit inventer beaucoup plus tôt un rapport à soi ou aux autres original. D’autre part, bien souvent, les pressions de la vie sociale et un emploi du temps surchargé empêchent de se poser des questions fondamentales avant 55 ans.Qu’est-ce qui caractérise cette crise par rapport aux précédentes ? « Tout simplement, l’idée que c’est maintenant ou jamais », explique le Dr François Lelord, psychiatre. Le compte à rebours a commencé, on a le sentiment qu’il faut agir maintenant, avant qu’il soit trop tard. D’où des réactions parfois surprenantes. Un quinqua sans histoires sera brutalement frappé par le démon de midi, une épouse modèle abandonnera son foyer pour les beaux yeux d’un galant de passage, une autre choisira, à la veille de la ménopause, d’engendrer un dernier enfant...
Du sens au non-sens
«A cette époque, j’ai eu une élève jeune, belle et intelligente, j’en ai été très amoureux et j’ai failli quitter femme et enfants.» Nombre d’hommes sont prêts à témoigner, sous le sceau du secret, de cette soudaine pulsion qui, à l’orée de l’âge mûr, les a entraînés dans un tourbillon de passion dont l’intensité les a surpris. L’inverse est aussi vrai. Ainsi Jacques, philosophe, le verbe haut, la faconde méditerranéenne, jouisseur invétéré «pour tromper l’ennui» : «A force de pratiquer le sexe à gogo, j’étais devenu cynique. Je confondais le plaisir et le bonheur. »
A 50 ans, il découvre la vie : «Je suis tombé sur plus fort que moi. J’ai voulu conquérir une fille, mais elle m’a rejeté... Parce que je vivais depuis l’adolescence dans le non-sens, j’ai décidé de fabriquer du sens...» Aujourd’hui, il est marié et père de famille. «Certains doivent penser que je suis un vieux con. Mais je m’en moque. J’ai renoncé à mon ego. Je n’exige plus rien. Je vis tranquille.»
Pour l’homme, la quarantaine, c’est l’apogée. Il est au top de sa carrière professionnelle, de son pouvoir, de ses capacités financières. Tout va bien... jusqu’au jour où il commence à se poser des questions, souvent à la faveur d’un événement déclencheur.
Les hommes deviennent des existentialistes
«J’avais deux emplois et je trouvais ça génial. J’ai perdu le second d’un seul coup, explique Patrick, 39 ans. Avant, je me serais dit : “Ce n’est pas grave, on va se relever.” Là, c’est peut-être l’âge, mais j’ai le sentiment que cette crise va beaucoup plus loin. Elle m’oblige à repenser mon mode d’existence, à ne plus foncer, à ne plus éluder les vraies questions. Aujourd’hui, je me demande si mon équilibre de jadis n’était pas bancal : faut-il vraiment deux boulots pour se sentir bien dans sa peau ?» Patrick se cherche. «J’ai été bien secoué», avoue-t-il. C’est pourquoi il vient de s’engager sur le chemin d’une meilleure compréhension de lui-même.
Chez l’homme, ce sont en effet souvent les difficultés professionnelles, la crainte d’un licenciement, l’approche de la retraite ou les premiers problèmes de santé qui suscitent un questionnement métaphysique. Bien souvent, il se rend compte que ses idéaux valables à 20 ans ne le sont plus à 40, et qu’il faut réajuster le tir. L’homme de 40-50 ans se retrouve au carrefour de deux générations : celle de ses enfants, à qui il n’est plus indispensable, et celle de ses parents, dont il devient responsable.
«Le midi de la vie est l’instant du déploiement extrême, où l’homme tout entier est à son œuvre avec tout son pouvoir et tout son vouloir, mais c’est aussi l’instant où naît le crépuscule», écrit Jung. Décès d’un parent ou d’un ami, infarctus d’un collègue, la mort entre par effraction dans la vie. C’est l’époque où «chaque homme devient un existentialiste», affirme ainsi Gilbert Tordjman.
Les femmes et le syndrome du nid vide
Et les femmes ? A l’aube de la cinquantaine, beaucoup de femmes font une «crise de féminisme» et rejettent les valeurs qu’elles respectaient jusqu’alors, constate François Lelord : «Une femme dotée d’un austère sens du devoir, qui a consacré toute son existence aux autres, va tout à coup s’interroger : “Où est mon plaisir dans tout cela ?”» Néanmoins, on a le sentiment que les femmes sont moins concernées que les hommes. En fait, chez elles, la crise de milieu de vie ne survient ni au même âge, ni pour les mêmes raisons.
A 50 ans, pour une femme, il est déjà trop tard. Elle ne peut plus envisager une nouvelle vie féconde et elle manque de modèles d’identification. «Même si nous avons quelques femmes au gouvernement, ce sont des hommes de 50 ou 60 ans qui détiennent le pouvoir politique et économique, remarque le Pr Quentin Debray, auteur de Les personnalités pathologiques (Masson, 1997) et de L'idéalisme passionné (PUF, 1989). Chez une femme, la cinquantaine est associée à la stérilité et au vieillissement.»
La femme, plus intérieure, davantage centrée sur la vie affective et sur ses enfants, vivra douloureusement la perte de sa fécondité – souvent associée à une perte de féminité – ainsi que le départ de ses enfants du foyer. «C’est ce qu’on appelle le “syndrome du nid vide”, explique le Pr Alain Braconnier, spécialiste de l’adolescence. Des femmes qui ont renoncé à leur vie professionnelle pour élever leurs enfants se retrouvent face à elles seules... et à la dépression.»
Une vraie crise “parentale”
La crise de milieu de vie, c’est aussi une «crise parentale». «Face à un enfant qui atteint sa maturité sexuelle, les parents développent inconsciemment une rivalité, manifestée par la jalousie ou par un désir de séduire, poursuit le Pr Braconnier. Parallèlement, les enfants rejettent les rêves et les espoirs que les parents ont projetés sur eux. Cela entre en résonance avec les blessures narcissiques que la vie inflige aux parents.»
Roger se souvient : "Quand mes fils sont partis, l’un pour les Etats-Unis, l’autre pour suivre des études de médecine, et que j’ai compris que je ne pourrais pas leur transmettre l’entreprise familiale, j’ai failli tout abandonner. En plus, ma femme abordait la ménopause. Elle était devenue irascible. Je n’en pouvais plus... J’ai été jusqu’à envisager une séparation pour entrer dans les ordres."
Certains passent le cap sans heurt
Heureusement, le monde ne s’écroule pas toujours sur les épaules des 40-50 ans. Christine, 48 ans, sans enfants, une vie réglée comme un métronome, ne se rappelle pas avoir connu les affres d’une remise en question métaphysique. Pourtant, ses dernières années ont été rythmées par des ruptures : ménopause précoce, décès du compagnon, dépistage d’un cancer chez son père. "Bien sûr, ce sont des deuils difficiles à vivre. Mais j’ai toujours su que j’étais de passage, que rien de ce que je construisais n’était éternel."
Une philosophie de la vie cultivée au fil des ans : travaillant dans une unité de polytraumatisés, Christine a toujours côtoyé la mort. Les drames confrontent la personne à la réalité. «J’ai vu des gens qui, après un infarctus, ont totalement modifié leur existence, souligne le Pr Debray. Ils ont consacré moins de temps à leur travail, davantage à leur famille, se sont découvert de nouvelles passions. Ils sont devenus plus créatifs.»
«Il y a aussi ceux qui traversent la mi-vie en niant la crise. En continuant, par exemple, au même régime, volontaires et hyperactifs jusqu’à l’épuisement, oubliant leur vie personnelle et familiale, note Christian Gaillard, psychanalyste. D’autres encore parient sur les lendemains qui chantent et forment des projets utopistes. Il y a surtout tous ceux qui compensent par le repli et le passéisme.»
De la réalisation de ses désirs à la réalisation de soi
Refuser la réalité, c’est risquer qu’elle s’impose avec d’autant plus de violence. Alors que, à l’inverse, accepté, réfléchi, mûri, le midi de la vie est le moment idéal pour passer de la période de réalisation des désirs, si abondamment décrite par Freud, à la réalisation de soi, chère à Jung: «Ce peut être un véritable renversement, car la réalisation de soi exige le renoncement à certains désirs.»
Avant 40 ans, Freud n’avait guère effectué que des recherches sur la cocaïne. Ce n’est qu’à 44 ans qu’il publie son “Interprétation des rêves” et devient le grand Sigmund Freud. Bach, lui, a composé ses plus grandes œuvres une fois nommé à Leipzig, à 38 ans. Beckett a quitté sa mère et son Irlande natale aux alentours de 40 ans et n’est devenu écrivain qu’à 46 ans, en arrivant à Paris. C’est aussi l’âge où Marx jette les premières bases de son “Capital”. Goya, Gauguin, Wagner, Monet, Hugo, Verdi, Rameau, et bien d’autres, ont attendu la maturité avant de produire leurs plus beaux chefs-d’œuvre.
Des œuvres plus intenses, plus profondes que leurs créations de jeunesse. « Il n’y a rien de comparable entre le jaillissement spontané de la musique de Mozart, qui procure une jouissance immédiate, et les opéras de Wagner », note Quentin Debray, pour qui la seconde partie de la vie est propice à la conceptualisation, à la réflexion.
Rééquilibrer sa vie et passer le flambeau
Pour tous ceux qui passent ce cap avec succès, l’âge mûr conduit à une autre façon d’être à soi et aux autres. Y compris en amour. On ne séduit plus forcément par son corps, par des regards troublants, mais par son discours, sa culture, sa gentillesse, son écoute. Le midi de la vie est l’occasion idéale de rééquilibrer sa vie amoureuse. Le Dr René Baux, sexologue, insiste : la quarantaine est la période d’épanouissement sexuel pour la femme. C’est l’heure de l’émancipation, tant sexuelle que sociale, où elle renforce sa confiance en elle et, donc, son autorité. L’homme, lui, accepte sa part féminine, son « anima ». Il se réconcilie avec lui-même et s’ouvre davantage aux autres.
Roger, soutenu par un groupe de prière pendant la longue maladie de son épouse, confirme : « Toute ma vie, le seul homme que j’aie jamais embrassé, c’est mon père. Mais avec retenue. Ici, on se touche, on se tutoie, et cette proximité des corps rend plus facile la proximité des âmes. » Il n’est pas rare que ce tournant de la vie soit l’occasion d’entreprendre, sous la conduite d’un professionnel, un retour sur soi. « La majeure partie des analyses débute vers 40 ans », confirme Christian Gaillard.
Et ce sont souvent les plus riches. La mi-vie est également l’occasion de passer le témoin à la génération suivante. L’être humain prend conscience que ce qu’il a réussi est limité, mais que, peut-être, ses enfants iront au-delà. Qu’il est temps pour lui de s’engager dans un processus d’individuation : penser à lui, être lui, devenir enfin ce qu’il est vraiment. Qu’il est temps de créer son propre cheminement, de trouver sa juste place. Ce n’est pas la perte des illusions, c’est le réajustement de l’illusoire.
Témoignage
“Depuis ma seconde naissance, je suis un homme en marche”
Jean-Marie, sexagénaire, divise sa vie en deux : « Jusqu’à 40 ans, ma vie a été un long sommeil. Mais, depuis ma seconde naissance, je suis un homme en marche. » Un mariage brillant, trois jeunes enfants, un poste à responsabilité... A 39 ans, tout se défait : son épouse le quitte, son agence de pub dépose son bilan, son père décède, lui-même échappe de peu à un grave accident de voiture. Alors, il part en quête de lui-même : il pratique le yoga et s’initie à l’astrologie. « Peu à peu, j’ai pris conscience que ce que je faisais dans la pub était le contraire de ce que je considérais comme essentiel : l’homme. J’ai alors commencé une psychanalyse, puis j’ai créé avec un psychiatre un centre de bilans dans le sud de la France. »
Le grand tournant, c’est un peu plus tard, quand il rencontre Dürckheim, à 55 ans : « Je me suis mis à devenir conscient, lucide, artisan de mon existence, que j’avais trop longtemps vécue poussé par la volonté paternelle. » La crise de milieu de vie s’est traduite pour Jean-Marie par une rupture brutale, mais qui, selon lui, s’est passée dans la continuité : « Déjà, quand j’avais 5 ans, j’avais déclaré : “Un jour, je serai moine-portier.” C’est un peu ce que je suis aujourd’hui : je fais l’interface entre le monde extérieur et le monde essentiel. »
L’avis de Gérard Mermet
Dur de changer de génération !
Gérard Mermet, sociologue, redoute que la crise de milieu de vie ne soit de plus en plus apparente. D’abord, parce que nous vivons dans une société qui demeure adolescente. Or les personnalités les plus vouées au culte de la jeunesse abordent l’âge mûr avec de nombreux handicaps. Ensuite, parce que le temps de la réussite est de plus en plus court : « Avant 30 ans, vous êtes rejeté par le monde de l’entreprise car vous êtes inexpérimenté ; après 45 ans, vous n’êtes plus bon. »
Pourtant, l’idée qu’au-delà d’un certain âge on ne serait plus créatif relève du mythe. « La créativité est au carrefour de nos expériences. Pour une meilleure efficacité des entreprises, il faudrait au contraire jouer sur l’hétérogénéité des générations. » Avant, chaque âge avait une fonction. Aujourd’hui, seule la jeunesse est célébrée. La crainte du déclin, dans un monde qui récuse la mort et oublie la personne âgée, rend cette crise d’autant plus violente. Sous d’autres latitudes, vieillir, c’est acquérir la sagesse et le respect. En Occident, c’est la décrépitude.
Nouvelle hypothèse
Et si la crise de milieu de vie était liée au vieillissement de notre cerveau ? C’est l’hypothèse émise récemment par un groupe de chercheurs, sous l’égide d’un grand laboratoire français. Le syndrome a même reçu un nom : déficit neurobiologique de la cinquantaine, ou DNBC. « Nous avons étudié les liens entre la dopamine, qui est plus ou moins le substrat du désir, et le vieillissement », explique le neurobiologiste Jean-Didier Vincent.
A la fin des années 80, un colloque évoquait pour la première fois cette nouvelle pathologie caractérisée, selon un des orateurs, par « des difficultés de concentration, des difficultés à rassembler ses idées et à les exprimer clairement, ainsi qu’à prendre des décisions, une baisse des capacités intellectuelles, un défaut de performance, des difficultés à faire des projets d’avenir, une perte d’intérêt pour ses tâches habituelles, une diminution des contacts sociaux, un manque d’entrain, une grande fatigabilité ». Or les chercheurs avaient noté que ces symptômes étaient souvent associés à un déficit précoce de certains neurotransmetteurs, dopaminergiques en particulier. Diverses études ont, depuis, confirmé le rôle fondamental de la dopamine dans de très nombreux processus cérébraux, sans pour autant prouver que la crise de la cinquantaine serait la conséquence directe de ces carences. A suivre.
Cendrine Barruyer pour Psychologies.com