10 avril 2015 5 10 /04 /avril /2015 09:57

On emploie souvent le terme de "psychopathe" mais sans savoir vraiment ce qu'il veut dire. Pervers narcissiques, psychopathes, psychotiques... Quelles différence et comment les reconnaitre ? Voici les 8 signes révélateurs de cette maladie.

 

-8 signes pour détecter un vrai psychopathe !-

1- Il ne ressent rien pour les autres

 

 Les psychopathes ne ressentent rien pour les autres mais seulement pour eux. Ils ressentent bien biologiquement des émotions mais psychologiquement les troubles caractériels de leur maladie viennent troubler et altérer le ressenti de ces émotions. Ils n'ont aucun sentiment envers les autres. Toute émotion est ramenée à eux de n'importe quelle façon. Les autres ne sont que des objets qui servent à assouvir leurs envies.

 

Ce problème d'absence d'empathie explique pourquoi ils n'ont aucune morale et donc aucune limite à faire du mal à autrui physiquement et moralement. D'où leur dangerosité.

 

 

2- Il n'avoue jamais sa culpabilité

 

Mensonges, manipulations, violence... Les psychopathes sont prêts à tout pour que chaque chose conviennent à leurs envies. Tout individu, lorsqu’il n’agit pas comme le psychopathe le souhaite, lui rappelle cette réalité qu’il déteste. Il n’est pas question de déni ou de fuite de la réalité, un psychopathe cherche juste à la modifier pour qu'elle soit conforme à l’idée que lui se fait. Si quelqu'un agit différemment, il fera tout pour le détruire. Et s'il fait du mal c'est uniquement parce que les autres l'ont bien cherché.

 
Jamais de leur faute ? Jamais un psychopathe n’avoue sa culpabilité. Il cherche à trouver n’importe quoi pour se justifier ou tente de manipuler l’autre pour lui faire croire que tout est de sa faute. "Pour satisfaire sa personnalité narcissique jamais le psychopathe ne doit baisser dans l'estime des autres. Il n’y a aucune préoccupation pour le sort de la victime, aucune expression d’amour et de remords" explique J.Reid Maloy, professeur de psychatrie à l'université de Californie, dans son ouvrage Les psychopathes.

 

 

3- Il dévalorise les autres sans cesse

 

Le psychopathe vit dans une réalité qu’il se fabrique. Tous les autres individus extérieurs le sortent de cette réalité et lui rappellent ce qu’il déteste. En conséquent, il a tendance à rabaisser les autres plus bas que terre continuellement. C’est une sorte d’extériorisation agressive afin de détruire tout ce qui peut lui faire mal. Un moyen d’attaquer les autres pour être sûr qu’il ne le blesse pas un jour. Etant un être tourné sur lui même, le psychopathe ne prendra pas le risque que quelque chose puisse toucher à l’estime qu’il a de lui. Pour arriver à ses fins, il est prêt à tout. Néanmoins il est important de ne pas confondre un pervers narcissique qui rabaisse pour son plaisir avec un psychopathe qui souffre d'une maladie violente beaucoup plus dangereuse.

 

 

4- Aucune relation sociable durable

 

Contrairement à ce qu’on croit, les psychopathes ont quelques facilités à nouer des liens avec les autres. Mais ces liens ne durent jamais. Comme une pause au milieu de la maladie, les psychopathes ont besoin des autres pour tester la réalité. Le problème c’est qu'à cause de leurs caractéristiques narcissiques, colériques et paranoïaques n’importe quelle personne viendra un jour heurter leur susceptibilité et déchaîner leur colère sans même le vouloir. Comme un mécanisme de défense, le malade va tenter de détruire l’autre, moralement ou physiquement. Quoiqu’il arrive, les psychopathes finissent par être isolés.

 

 

5- Paranoïaque, il s’énerve rapidement

 

 C’est dans son caractère colérique que l’on ressent le plus l’aspect d’un psychopathe. Cette particularité s’apparente à une sorte de délire paranoïaque parce qu'il veut être constamment admiré et envié. "Les personnes réelles sont perçues comme des objets familiers mais néanmoins maléfiques qui attaquent et qui méritent la rage du psychopathe" explique J.Reid Maloy dans son livre Les psychopathes. Un événement bénin, une petite insulte ou même un regard de travers peuvent suffire à renvoyer au psychopathe l’impression qu’on ne le voit pas comme il le souhaiterait. "L’expérience consciente de rage dans le processus psychopathique débouche typiquement sur la violence en l’absence de structuration du surmoi" ajoute l'auteur.

 

 

6- La tromperie continuelle

 

Une personne atteinte de psychopathie a conscience du mal qu'elle cause à l’autre. Pour éviter que les autres ne fassent quelque chose qui lui déplaise ou l'angoisse, elle utilise la tromperie. Il y a une réelle intention de manipulation des autres pour le dénuer de tout attribut. Par ce moyen, le psychopathe est sûr de dominer et satisfaire sa personnalité narcissique.

 

 

7- L'indifférence froide

 

Les personnes psychopathes ne sont pas sensibles, on ne peut pas les "prendre par les sentiments". Elles contrôlent sans peine leurs peurs et leurs pulsions en public. Ayant souvent deux visages, l'un pulsionnel et l'autre social, le premier reprend rapidement l'ascendant sur le second dans la vie privée. Leurs pulsions peuvent s'exprimer avec efficience à travers le pouvoir des mots (ou langage performatif), qui deviennent aussi destructeurs que les violences physiques, voire davantage. Leur regard reste froid et intense à la fois, accentuant une part de mystère.

 

 

Psychopathie : 3% d'hommes et 1% de femmes

 

La psychopathie est une maladie grave très peu connue qui touche 3% d'hommes et 1% de femmes.
C’est un trouble permanent du développement comportementale caractérisé par des comportements associables impulsifs et pour lesquels le sujet ne ressent aucune culpabilité.

 
Ce trouble psychologique peut interagir et/ou accentuer d’autres troubles comme la schizophrénie ou la dépression bipolaire. Il existe plusieurs degrés dans la maladie pouvant aller de la psychopathie modérée à un passage à l’acte criminel et dangereux pour les autres. Elle ne peut être diagnostiquée avant 18 ans mais en générale on peut toujours constater des antécédents au cours de l'adolescence.

 

- Les psychopathes, essai de pathologique dynamique, J.Reid Maloy, 2011, Editions Frison-Roche. Pour http://www.medisite.fr/

 

 

8- Quel est le langage des psychopathes ?

  

On ne peut oublier ces phrases délicieuses que prononce, dans Le silence des agneaux, Hannibal Lecter, interprété par Anthony Hopkins : “J’ai été interrogé par un employé du recensement. J’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre, et un excellent chianti.” Si elle était sortie de la bouche d’un criminel réel, cette citation aurait fait le bonheur d’un trio de chercheurs américain et canadiens qui ont publié le mois dernier, dans la revue Legal and Criminological Psychology, une étude analysant la manière dont s’expriment les psychopathes. Il en ressort notamment qu’en plus de ne manifester aucune empathie pour leurs victimes, qui sont instrumentalisées, les psychopathes, lorsqu’ils relatent leurs crimes, font beaucoup plus référence que les assassins “normaux” à leurs besoins physiologiques et matériels. Nourriture, boisson et argent sont nettement plus évoqués. Pour exceptionnel qu’il paraisse, Hannibal le Cannibale n’est donc pas si différent des autres…

 

Les psychopathes éprouvent très peu d’émotions, sont essentiellement centrés sur eux-mêmes et, dans leur vision de la société, ils perçoivent les autres comme des proies ou du bétail à exploiter. C’est probablement pour cette raison que, selon une étude récente, on retrouve tant de psychopathes parmi les dirigeants d’entreprises… Ce sont d’excellents manipulateurs et ils utilisent le langage comme une arme. On se souvient d’ailleurs que le docteur Lecter pousse son voisin de cellule à se suicider après une longue discussion. On sait également qu’au Canada, les psychopathes réussissent 2,5 fois plus que les autres détenus les entretiens qu’ils réalisent en vue d’une libération conditionnelle… Néanmoins, ces qualités verbales, ce bagout, ont été fort peu analysés.

 

C’est pour combler cette lacune que l’étude de Legal and Criminological Psychology s’est donné pour objectif d’interroger en prison, avec leur accord, des criminels canadiens, tous coupables de meurtres qu’ils ont reconnus. Sur les 52 hommes retenus, 14 étaient qualifiés de psychopathes par des psychiatres. Les chercheurs sont donc allés les interviewer, 25 minutes chacun, en leur demandant de raconter, avec le plus de détails possibles, les crimes qu’ils avaient commis. Des crimes qui, en moyenne, avaient eu lieu une décennie auparavant. Une fois retranscrits, les entretiens ont été passés à la moulinette de programmes d’analyse textuelle. Ceux-ci ne se contentent pas de faire des statistiques sur les occurrences de mots mais ils les classent dans des catégories grammaticales (noms, articles, adjectifs, verbes, adverbes, etc) et des champs sémantiques (mots évoquant les interactions sociales, l’argent, le temps, etc.), soupèsent leur charge affective (positive ou négative, intense ou faible, imagée ou pas) et reconnaissent les temps de conjugaison employés.

 

Les entretiens réalisés avec les 52 détenus ont totalisé plus de 127 000 mots, dont presque 30 000 pour les 14 psychopathes. La manière dont ceux-ci s’expriment a été comparée avec celle des autres criminels et les chercheurs y ont décelé un certain nombre de points saillants. La première découverte concerne l’usage important que les psychopathes font des conjonctions de subordination et des expressions à valeur causale (parce que, puisque, étant donné que) lorsqu’ils décrivent leurs méfaits. Comme si les crimes qu’ils ont commis étaient les résultats logiques de plans, comme si ces actions devaient être effectuées, ce qui est cohérent avec le fait que la très grande majorité des psychopathes tuent avec un but précis en tête, alors que la moitié des autres meurtriers agissent dans l’instant, sous le coup de la colère, dans des bagarres, etc.

 

Deuxième enseignement, les psychopathes utilisent environ deux fois plus souvent que les autres du vocabulaire se rapportant à leurs besoins physiologiques primaires (manger et boire) et à leur préservation (avoir de l’argent, un toit). En revanche, ils se réfèrent nettement moins aux relations sociales, à la famille ou à la religion. Cela colle bien avec le portrait-robot du psychopathe centré sur sa personne, qui, même s’il peut être à l’aise dans la communication, se crée difficilement des liens et n’envisage aucune aide familiale ni spirituelle pour sa “réhabilitation”. Il décrit son crime d’une manière froide, détachée, lointaine, ce qui est confirmé par l’utilisation plus fréquente des temps du passé, alors que les autres détenus ont davantage tendance à se servir du présent pour reconstituer les meurtres dont ils ont été coupables.

 

Cette étude présente des limites dont les auteurs sont conscients. Notamment le fait qu’on a demandé aux détenus de décrire ces actes si exceptionnels que sont des meurtres. Il faudrait reproduire la même analyse avec des conversations ou des récits plus banals. Les chercheurs suggèrent ainsi de montrer de courtes vidéos à des psychopathes et à des assassins non-psychopathes et de les leur faire décrire ensuite, pour décortiquer la manière dont ils reconstituent les scènes. Evidemment, les conclusions de ces travaux n’ont pas (encore…) de valeur prédictive. Alors, la prochaine fois que quelqu’un raccrochera un peu vite le téléphone en vous disant “J’aimerais poursuivre cette conversation mais… j’ai un vieil ami pour le dîner”, n’imaginez pas forcément que, à l’instar du docteur Frederick Chilton à la fin du Silence des agneaux, le “vieil ami” en question terminera sa carrière en osso-bucco préparé par un clone d’Hannibal Lecter…

 

Pierre Barthélémy pour http://blog.slate.fr/

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5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 17:09

Dans un article intitulé « Arrêtons de nous prendre pour des psys ! », la journaliste Anne Lamy tire la sonnette d’alarme [ Version Fémina du 16 mars 2015 ] :  « La culture psy a envahi nos vies, pour le meilleur mais aussi pour le pire… car à force de jouer les thérapeutes, n’en faisons-nous pas trop ? »

 

" La question a le mérite d’être posée clairement, car les risques d’abus existent réellement et les dérives se multiplient. "

  

 

Analyse et critique de Saverio Tomasella :

 

L’aspect positif du développement de la culture psychologique et psychanalytique est indéniable. Par exemple, il permet d’assouplir la relation à soi et aux autres, en aidant à comprendre les situations vécues, sans juger les personnes et en faisant preuve d’empathie. Il est plus facile aujourd’hui pour un individu d’avouer qu’il ne va pas bien, ou qu’il s’est engagé dans une thérapie, ou encore qu’il est en recherche sur lui-même. La sensibilité et son expression sont mieux accueillies, etc.

 

Néanmoins, nous pouvons tous constater que certaines personnes utilisent le vocabulaire psychologique et psychanalytique de façon autoritaire ou péremptoire, pour imposer leurs idées ou faire taire l’auditoire, ou même à des fins manipulatoires en semant le trouble, en poussant les autres à douter d’eux-mêmes, de leurs perceptions, voire en les culpabilisant.

 

Ce phénomène de prise de pouvoir par le biais de la terminologie psychanalytique ou psychopathologique est doublé par un autre phénomène préoccupant : l’absence de pensée réelle, personnelle, et l’usage d’un discours préfabriqué par le biais de « formules consacrées ». Cette phraséologie est très présente, lancinante parfois, répétée par les uns ou par les autres, sans se rendre compte qu’elle est creuse et qu’elle signe un vide de pensée profonde ou de réflexion concrète.

 

Certains journalistes sont aussi responsables, pour une part, de la divulgation de ces formules à l’emporte-pièce. Mes collègues psychanalystes et moi-même avons pu remarquer, souvent avec déception, parfois avec révolte, qu’après nous avoir interrogés, et même après nous avoir fait relire le texte avant impression, nos propos étaient publiés de façon déformée avec des excroissances hideuses qui pouvaient même être contraires à notre pensée, en tout cas contraire à notre façon de l’exprimer. En ajoutant sans raison « Œdipe », « narcissisme », « projection », « identification projective », « résilience » ou « addiction », en glissant une étiquette psychopathologique que nous n’avions pas utilisée, « hystérique », « parano », « mélancolique », et d’autres, le travail de précision sémantique dans la simplicité et l’exigence du respect de l’autre comme humain à parité ont été maintes fois balayés au profit de quelques formules magiques qui sont susceptibles de flatter l’auditoire et d’augmenter les ventes du magazine.

 

En outre, plutôt que de jouer aux « psys », il vaut mieux se taire et écouter l’autre se confier à nous. Bien connaître quelqu’un, ce n’est pas parler à sa place. La seule chose que nous puissions faire, c’est l’écouter vraiment, attentivement, le questionner pour mieux le comprendre, et si l’occasion se présente et s’il accepte, parler de sa propre expérience. « Quand tu me dis cela, je pense à ce que j’ai vécu… », au lieu d’asséner une interprétation plaquée, forcément violente et déplacée, du genre : « si tu dis ceci ou si tu fais cela, c’est parce que… », forcément faux, ou tellement rudimentaire, que notre remarque ne pourra pas l’aider, au contraire.

 

Enfin, plus grave, la tendance à exclure ce qui est différent de soi se fait désormais avec des termes « psys ». Selon une nouvelle morale échafaudée sur une fausse « psychanalyse ». L’époque s’est ainsi trouvé ses nouveaux boucs émissaires : les « jaloux », les « pervers narcissiques » et les « bipolaires ». Non pas que la jalousie, la maniaco-dépression et la perversion n’existent pas, au contraire, mais que la question première est, chaque fois, comme Freud l’a posé dès 1905 : « Quelle est ta propre part dans le désordre dont tu te plains ? »

 

L’autre, trop facilement prétendu « mauvais » ou « nuisible » parce que différent, donc troublant, ne peut pas être la cause de tous nos maux… C’est difficile à admettre, mais c’est aussi une dimension inévitable de l’éthique, de l’accueil de l’autre, de son respect, pour favoriser des relations fécondes et la possibilité de bien vivre ensemble, solidaires, en bonne intelligence malgré les différences.

 

Saverio Tomasella, 4 avril 2015.

 

En savoir plus sur l'auteur :

 

Saverio Tomasella est un psychanalyste français né à Saint-Cloud en 1966, docteur en sciences humaines1.

En 2012, il reçoit le Prix Nicolas Abraham et Maria Torok pour son ouvrage Renaître après un traumatisme2. Lire la suite : Cliquez sur ce lien.

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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 17:59

La théorie de la reproduction sociale admet des exceptions dont il faut rendre compte pour en mesurer la portée. Cet ouvrage a pour but de comprendre philosophiquement le passage exceptionnel d’une classe à l’autre et de forger une méthode d’approche des cas particuliers. Extrait de "Les transclasses ou la non-reproduction", de Chantal Jaquet, publié aux éditions PUF.

Un berlinois à l'ouvrage en 1989

Un berlinois à l'ouvrage en 1989

Le transclasse est la preuve en acte de l’existence d’une mobilité et d’une plasticité des êtres, y compris dans les conditions les plus défavorables. Il ruine aussi bien une vision essentialiste de l’homme, consistant à croire qu’il est prédéterminé de manière fixe et immuable, qu’une vision existentialiste lui octroyant naturellement le statut de sujet libre. La non-reproduction ne présuppose ni la négation des déterminismes ni la réintroduction subreptice d’un libre arbitre. Elle n’est pas une autocréation du moi, mais une co-production sociale du milieu d’origine et du milieu d’évolution, en tant qu’elle n’advient qu’avec ou contre eux.

 

Elle implique qu’un individu, en transit entre deux classes, se fraie un passage, et soit tour à tour façonnant et façonné par les mondes qu’il traverse et qui le traversent. Elle met ainsi en jeu une interaction et ne saurait se réduire au parcours solitaire d’un homme volontaire.

 

La trajectoire des transclasses reste inintelligible sans une pensée de la complexion qui ressaisit l’ensemble des déterminations communes et singulières qui se nouent dans un individu, à travers son existence vécue, ses rencontres, à la croisée de son histoire intime et de l’histoire collective. Cette pensée de la complexion repose sur une appréhension de l’interconnexion des causes et du lien constitutif qui définit l’être avec autrui. Elle rompt avec une vision substantialiste des hommes conçus comme des êtres indépendants et elle invite à sortir du modèle d’explication exclusif par l’habitus pour rendre compte des comportements sociaux. Les habitus sociaux inclinent les hommes à reproduire le mode de vie de leur classe et ne permettent pas toujours de rendre raison des différences fines. La non-reproduction va à l’encontre des conditionnements sociaux et des systèmes de dispositions durables qu’ils engendrent ; elle se caractérise par une aptitude à s’écarter des schémas dominants et à surmonter l’obstacle de la répétition ou l’enfermement dans le même. Elle ne les supprime pas pour autant ; elle les contrarie plutôt qu’elle ne les contredit et sa rareté atteste de la force de la reproduction.
 

C’est pourquoi l’analyse de la complexion n’implique pas la récusation des habitus sociaux, mais leur inclusion dans une logique combinatoire plus vaste et plus complexe où l’enfance, l’histoire familiale, la place dans la fratrie, l’orientation sexuelle, la vie affective, les relations amicales et amoureuses, sont intégrées dans l’examen de la trajectoire. Le changement de classe sociale ne se résume ni à un transfert des habitus d’une classe dans l’autre ni à leur troc ou leur transplantation, car les dispositions premières sont parfois mises en sommeil ou restent au contraire en travail, sont modifiées et refondues au contact du milieu d’évolution. Il engendre une reconfiguration qui ne se réduit ni à une addition des habitus ni à leur hybridation, mais qui prend la forme dynamique d’une déconstruction et d’une reconstruction permanente à travers les tensions de la transition. Le transclasse ne peut être compris que dans ce mouvement du passage par lequel il fait l’expérience d’une transidentité et de la dissolution du moi personnel et social. Il se déclasse au risque d’être toujours déplacé. Il est out of place, à la frontière entre le dedans et le dehors, dans un entre-deux qui l’expose à la fluctuatio animi. C’est cette posture fluctuante et ses variations entre écart et écartèlement que le concept de complexion permet d’appréhender.
 

Mais si toute existence est marquée par la variation, l’immobilisme n’est qu’ « un branle plus languissant », pour parler comme Montaigne, un mouvement arrêté par la présence de forces contraires au changement. À cet égard, la reproduction sociale n’est pas plus une règle ou une loi d’airain que la mobilité sociale. Ce n’est pas une structure intangible des sociétés, mais l’expression des rapports de force entre les classes, la résultante de leurs intérêts opposés.

 

 L’analyse des causes de la non-reproduction révèle également la nécessité de prendre en compte la part des affects dans la constitution de soi. Le transclasse est le fruit d’une complexion affective ; il n’est pas un simple agent qui imite mécaniquement ou calcule rationnellement une stratégie. Comment comprendre son parcours sans la honte, le désir de justice, la fierté, la colère et l’indignation mêlés ? Comment faire l’économie de sa douleur ou de la force joyeuse puisée dans les rencontres amoureuses et les figures de l’amitié ? L’affect joue un rôle décisif, et reste encore trop souvent négligé par certains sociologues au nom d’une méfiance à l’endroit de la psychologie, comme s’il ne faisait pas partie du social et se réduisait à un trait de caractère donné de toute éternité. Dans la lignée spinoziste, l’affect est au contraire social par excellence. Il recouvre l’ensemble des modifications corporelles et mentales qui touchent notre puissance d’agir, la renforcent ou l’amenuisent. Produit de l’interférence entre la puissance causale d’un homme et celle des causes extérieures, il est l’expression des relations interhumaines et des échanges avec le milieu environnant. L’affect relate l’histoire de notre rencontre avec le monde extérieur et s’insère dans un déterminisme du lien interactif. Il ne s’agit pas pour autant de réduire les comportements à des types affectifs et de s’imaginer que tel sentiment produit automatiquement tel effet, mais de penser une combinaison singulière, un noeud de déterminations.

 

En effet aucune détermination n’est opérante et n’a d’efficience à elle seule ; ce n’est que par le croisement et le concours qu’elle peut produire des effets. Prise isolément, elle est un des fils possibles de la trame de la non-reproduction, mais ne devient une maille réelle que si elle se tresse avec d’autres déterminations. Ainsi l’existence de modèles alternatifs, la mise en place d’institutions politiques et d’aides économiques peuvent être des conditions nécessaires, mais elles ne sont pas des conditions suffisantes. Il convient à chaque fois de ressaisir le jeu de forces à l’oeuvre, la place de chacun dans une configuration donnée, les affects singuliers qui le modifient et se combinent de manière décisive pour qu’il s’écarte du modèle ambiant et entame une trajectoire sociale différente. C’est pourquoi il faut envisager ce passage de classe sous la forme nodale de la complexio et non d’une causalité mécanique horizontale.

 

En dernière analyse, on pourrait se demander si certaines déterminations prédisposent davantage à la nonreproduction sociale, tandis que d’autres au contraire constituent de sérieux handicaps. Compte tenu de l’histoire actuelle des sociétés, on serait en effet enclin à penser que le coefficient d’adversité est moindre pour un homme que pour une femme, pour un hétérosexuel que pour un homosexuel, un Blanc qu’un Noir, et imaginer sur cette base une échelle des probabilités plus ou moins grandes de franchir les barrières sociales. Au sommet figurerait l’homme blanc hétérosexuel et en bas la femme noire homosexuelle, par exemple.

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Biographie de Chantal Jaquet:
 
Ancienne élève de l'ENS Fontenay-Saint-Cloud, agrégée de philosophie et Docteur, Chantal Jaquet est actuellement professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne où elle enseigne l'histoire de la philosophie moderne. Ses recherches portent essentiellement sur Spinoza, sur lequel elle a écrit quatre livres et dirigé quatre volumes collectifs, centrés pour la plupart sur la durée et l'éternité, les rapports corps/esprit, les affects et la puissance d'agir. Prenant appui sur un modèle spinoziste, elle travaille aussi sur le thème du corps auquel elle a consacré un livre aux PUF qui vise à définir la puissance éthique, technique, esthétique et sexuelle du corps. Elle prépare actuellement un ouvrage sur Bacon pour les PUF et écrit parallèlement un essai sur la philosophie de l'odorat.

 

Entretien Regard.fr avec Chantal Jaquet :

 

 La non-reproduction sociale est un sujet miné. Pourquoi la plupart des penseurs de la gauche critique rechignent-ils à l’étudier ?

 

Chantal Jaquet. Les exceptions à la reproduction sociale sont effectivement le point aveugle de la réflexion de Pierre Bourdieu. Or les penseurs de gauche sont réticents à l’éclairer, essentiellement pour des raisons politiques. D’une part les chercheurs engagés aspirent à un changement global, collectif, et considèrent que les exceptions sont par définition isolées et donc peu intéressantes. D’autre part, ils craignent d’accréditer l’idéologie méritocratique dominante qui consiste à penser que chacun est responsable de son destin, le fameux « quand on veut on peut ». Et de fait, les rares exemples de mobilité sociale sont souvent valorisés au service de cette thèse du volontarisme et brandis pour masquer l’immobilisme.

 

Vous montrez au contraire que l’ascension sociale a peu à voir avec la volonté ou le mérite...

 

Mon travail consiste en effet à montrer qu’il n’y a pas de libre arbitre : le destin de chacun n’est pas le résultat d’une décision qui se prendrait ex nihilo sur la base d’une volonté. Ça, c’est une illusion pure, puisqu’on n’agit jamais sans causes ni raisons, qu’elles soient conscientes ou non. Pour autant, ce n’est pas parce qu’il y a déterminisme qu’il y a fatalité. Ma posture se situe entre la négation du libre arbitre et la négation de la fatalité. J’ai cherché à comprendre les causes qui permettent à certains d’opérer un changement social là où, en l’absence de révolution, il n’y a pas de changement collectif, là où tout semble figé.

 

Quelles sont ces causes, alors ?

 

Il n’y a jamais une cause unique que l’on pourrait brandir comme la cause première et il faut étudier chaque cas dans sa singularité. Ceux qui changent de classe, que j’appelle les "transclasses", obéissent à des concours de causes qui se combinent : il y a d’abord des conditions de possibilité économique et politique liées par exemple au système éducatif et aux bourses, il y a aussi des rencontres décisives et un jeu complexe d’affects. Attention, le concept d’affect ne renvoie pas à une détermination psychologique puisqu’il désigne chez Spinoza l’ensemble des modifications physiques et mentales qui ont un impact sur notre puissance d’agir. Ce sont les sentiments et les émotions qui résultent de nos rencontres avec le monde extérieur, et qui vont produire des effets.

 

« On ne part jamais tout seul : on est mis à la porte ou on est porté par son milieu »

 

L’ambition n’est pas un facteur explicatif ?

 

Elle n’est que la partie visible de l’iceberg, en ce qu’elle est plus une conséquence qu’une cause : pour qu’il y ait ambition, il faut qu’il y ait ambition de quelque chose et pour cela, il faut qu’on ait eu l’idée de l’existence de ce quelque chose. Il faut donc chercher à comprendre quelles rencontres, quels modèles, (dans la famille ou à l’école par exemple), et quels mimétismes (conscient ou inconscients) ont pu jouer. Mais une fois qu’on a eu l’idée d’autres modèles de vie, cela ne suffit pas : encore faut-il les désirer ! Pour ça, le modèle de vie que nous offre notre environnement immédiat doit nous apparaître comme non désirable : soit parce que les parents souffrent de leur condition sociale et désirent un autre avenir pour leur enfant — c’est ce qu’a vécu l’écrivain Annie Ernaux, qui dit qu’elle écrit pour « venger sa race », soit parce que l’enfant n’a pas sa place dans son milieu, il est rejeté, par exemple en raison de son homosexualité. C’était le cas d’Édouard Louis, l’auteur de Pour en finir avec Eddy Bellegueule, ou du sociologue Didier Eribon. L’ascension sociale n’est pas une aventure individuelle, on ne part jamais tout seul : on est mis à la porte ou on est porté par son milieu. Il n’y a pas de self-made man. On se fait toujours avec le concours des autres : avec ou contre eux, mais toujours en relation avec son milieu.

 

Cette mobilité sociale représente-t-elle forcément un bien, un progrès ?

 

Pas du tout. C’est pour ça que j’ai créé le terme neutre de "transclasse", qui implique le mouvement, le passage d’un côté à l’autre, mais sans jugement de valeur négatif ou positif. Bien sûr, les transclasses peuvent vivre leur trajectoire comme une promotion, mais d’autres la vivent comme une aliénation. En tout cas, on ne peut pas parler de progrès lorsque le transclasse intègre sans discernement les valeurs de la classe d’arrivée et devient un oppresseur qui oublie les opprimés. L’abolition des barrières de classe, qui ne peut se faire que par la voie d’un changement collectif, n’implique pas d’épouser toutes les valeurs du monde bourgeois. On peut comprendre qu’on envie à la bourgeoisie ses ressources économiques et une partie de sa culture, mais toutes ses valeurs culturelles et intellectuelles ne sont pas bonnes à prendre. Il y a également dans la culture populaire des valeurs et des savoir-faire que le transclasse aurait tort d’oublier ou de rejeter car ils peuvent constituer une force, une ressource et fournir un recul critique empêchant l’adhésion aveugle au milieu d’arrivée, à la culture de l’entre-soi qui prévaut souvent dans le monde bourgeois.

 

« Certains transclasses vont surjouer leur nouveau rôle social et singer la classe d’arrivée pour montrer qu’ils en possèdent bien tous les attributs »

 

Vous analysez longuement le sentiment de honte sociale. À quoi correspond cet affect souvent très présent chez les transclasses, même quand ils ont objectivement "réussi" ?

 

La honte ne correspond pas forcément à une situation objective : c’est plutôt l’intériorisation d’un regard qu’on imagine, à tort ou à raison, que les autres portent sur soi. Cette honte, qui peut à un moment être un moteur et un instrument de libération, peut au contraire paralyser, devenir oppressante et produire un sentiment d’infériorité ou d’imposture, conduisant certains transclasses à constamment prouver leur légitimité et à adopter une posture plus royaliste que le roi. Ils vont alors surjouer leur nouveau rôle social et singer la classe d’arrivée pour montrer qu’ils en possèdent bien tous les attributs. Les intellectuels par exemple vont faire étalage de leur érudition. Le transclasse se fera ainsi reconnaître par son manque de légèreté par rapport à la désinvolture de celui qui est "bien né" et qui n’a donc rien à prouver.

 

Certains passages de votre livre ressemblent presqu’à un manuel à l’usage des transclasses qui subissent cette honte sociale, pour les aider à retrouver une fierté.

 

Mon travail en tant que philosophe est en effet un travail de libération par rapport aux affects qui oppriment. Idéalement, on doit arriver à un point où l’on vit bien sa condition, sans honte ni fierté. Mais ressentir de la fierté peut être une étape intermédiaire. La honte sociale étant liée à un sentiment d’infériorité et de dévalorisation qui repose en grande partie sur un imaginaire, la combattre nécessite de lui opposer un autre imaginaire plus fort, éventuellement en revendiquant une certaine fierté de ses origines. La fierté dont je parle n’est pas liée au mérite bien sûr, ni à l’affirmation d’une valeur supérieure. Elle est bien exprimée dans la gay pride, puisque l’acronyme GAY signifie à l’origine « We are as Good As You », c’est-à-dire en somme qu’on vaut n’importe quelle autre personne. Il faut ensuite transformer cette fierté en estime de soi, en amour propre bien compris : l’amour qu’on se porte à soi-même, qui nous pousse à nous conserver, à nous développer.

 

« On a l’illusion d’une personnalité fixe et unifiée mais en réalité, on est fait de bric et de broc, on se tisse, on se détisse et on se métisse en permanence »

 

La souffrance que vous décrivez ne vaut pas seulement pour les transclasses : il suffit d’arriver à Paris depuis la banlieue ou la province pour faire l’expérience violente de la domination et de l’infériorisation… Est-ce comparable ?

 

Le parcours d’un transclasse est exemplaire de changements que l’on peut vivre à d’autres échelles et d’autres manières, dès lors qu’on est importé brusquement dans un autre milieu où on n’a pas sa place d’emblée. Je fais souvent la comparaison avec l’immigration, mais la même chose peut se produire quand on passe d’un milieu rural à un milieu citadin, et inversement. Tout passage, tout déplacement, peut induire une souffrance de se sentir rejeté ou de ne pas comprendre les codes.

 

Les changements de vie importants donnent parfois l’impression de ne plus reconnaître la personne qu’on était soi-même par le passé, à tel point qu’on peut être amené à s’interroger sur la réalité de son identité…

 

Dans la lignée de Spinoza, je pense que le moi n’existe pas. On a l’illusion d’un sujet constitué, d’une personnalité fixe et unifiée mais en réalité, on est fait de bric et de broc, on se tisse, on se détisse et on se métisse en permanence. C’est pour ça que je préfère parler non pas d’identité, mais de complexion, c’est à dire d’un ensemble de déterminations qui se nouent et se dénouent en chacun de nous. Le transclasse est simplement celui qui illustre le plus le fait qu’il n’y a pas de moi constitué ou constitutif donné comme un a priori, et il amplifie ce qui vaut pour la condition humaine tout entière.

 

C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

 

Bien sûr. La notion d’identité ayant tendance à figer les êtres, l’idée qu’on se désidentifie, qu’on n’est pas borné à l’individuel mais qu’on est dans le transindividuel, est très libératrice. Le moi nous enferme, son abolition ouvre toutes les frontières.

 

 Extrait de "Les transclasses ou la non-reproduction", de Chantal Jaquet, publié aux éditions PUF, 2014.

 Source: http://www.atlantico.fr/ et http://www.regards.fr

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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 19:47

Face à un État qu’il juge inefficace, Alexandre Jardin lance une initiative populaire pour « une révolution solidaire » : il appelle la société civile à refuser les fausses promesses et les discours extrémistes, et à montrer tout le génie dont elle est capable.

 

Alors ... Coup médiatique ou véritable volonté citoyenne ?

"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait" Mark Twain.

"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait" Mark Twain.

Pourquoi estimez-vous que notre époque est nulle ?

 

Ce qui se passe au sommet de notre État est indigne du génie de notre pays. Le pays est en train d’inventer toutes les solutions dont il a besoin, grâce à ses maires, ses associations, ses entrepreneurs. 8 % des Français font confiance aux partis politiques pour régler leurs problèmes. Or, ceux que j’appelle les « faizeux » passent à l’acte dans nos territoires, trouvent des solutions dont le pays ne sait pas tirer profit au niveau national. Le problème est qu’ils sont isolés : chacun travaille dans son coin. Il faut modifier cela. Échanger les bonnes pratiques et étendre au niveau national ce qui marche localement. Bref : laissez-nous faire !

 

« Laissez-nous faire » est le titre de votre livre où vous lancez un appel à ces « faizeux ». Vous oscillez entre colère et enthousiasme…

 

Oui, car le pays est au bord de la révolte, profession par profession. Demandez à toutes les professions comment elles vont mettre en place le compte de pénibilité ! Cette disposition part d’un bon sentiment et cela se termine en mesure technocratique imposée par Paris. La France est en train de mordre la poussière à cause du système normatif. Notre pays hésite entre les plus noirs sentiments et son enthousiasme à faire ! Ou l’on engage une révolution solidaire venant de nos territoires avec les entreprises, les associations, les mairies, ou bien on aura une révolution négative.

 

Comment fait-on une révolution solidaire ?

 

On a répertorié une centaine d’actions, comme « Lire et faire lire », et on les regroupe en « bouquets » d’actions pour proposer aux mairies des politiques publiques clés en main portées par la société civile avec des opérateurs compétents. En 2017, on fera l’inverse de ce que Nicolas Hulot a fait en 2007. Il a proposé un pacte aux candidats en leur disant : « Signez et faites-le ». Nous, nous leur demanderons de signer des contrats de mission et on leur dira de nous laisser faire. Un véritable contrat entre les partis et la société civile agissante pour passer à l’acte.

 

  

Sinon ?

 

Sinon nous irons à la présidentielle. Ce sera le signe de notre échec. Car notre but n’est pas de prendre des postes mais de transférer en 2017 des compétences aux gens légitimes, qui ont apporté la pertinence des modèles qu’ils proposent. La France regorge de solutions adaptées à l’ensemble de nos problèmes. Un exemple ? Les gens de « compte nickel » ont rebancarisé 100.000 personnes en un an ; des étudiants ont publié une carte des colocations ; d’autres organisent des dons de sang dans certains quartiers pour lutter contre les communautarismes arguant qu’il vaut mieux verser son sang dans des poches que dans la rue. Et ça marche !

 

Concrètement comment fait-on ?

 

On dépose une fiche sur le site bleublanczèbre.fr. Si le comité de sélection considère qu’il y a un potentiel pour l’ensemble du pays, l’action rejoindra l’un des « bouquets » de solution. Les gens peuvent aussi, dès maintenant, s’engager dans des programmes qui fonctionnent déjà. Agissez vous-mêmes, n’attendez plus rien d’en haut !

 

C’est un discours qui porte ?

 

Cela crée un sentiment d’enthousiasme fou !

 

Vous parlez et soutenez les démarches positives des Français. Jamais du négatif : des haines, des ressentiments, du racisme, du repli communautaire. Pourquoi ?

 

Car je pense que le pays est en train d’hésiter entre le positif et le négatif. Il suffit d’une masse critique de gens ultra-enthousiastes et courageux pour faire que l’histoire bascule dans le bon sens.

 

Le FN est arrivé en tête des élections européennes. Comment avez-vous réagi ?

 

Ce jour-là j’ai su qu’il fallait rassembler les « faizeux ». Car la France, ce n’est pas le tri des personnes et les palissades à nos frontières mais l’universalisme, le courage, l’audace. On n’a rien à voir avec un peuple de peur. Mais si on nie le problème, les classes populaires, les gens deviendront fous. Les élections européennes n’ont rien changé : les partis sont restés sur les vieux logiciels.

 

Que répondez-vous aux gens qui disent que vous êtes un doux rêveur ?

 

« Lire et Faire lire » n’est pas un programme de rêveur. Plus de 400.000 enfants en bénéficient et ce n’est pas un rêve.

 

Vous dénoncez l’immobilisme de Chirac, le réformisme factice de Sarkozy et le rien de Hollande…

 

Le problème n’est pas tant le politique que l’outil qui ne fonctionne plus. La loi Macron, dont on nous rabat les oreilles, ne sera pas opérationnelle avant la mi 2016 ! Les classes populaires ne peuvent plus attendre !

 

Qu’est-ce qui vous meut pour agir ?

 

Mon amour pour la France et le fait que je suis le petit-fils du bras doit de Pierre Laval. Je ne peux pas ne pas agir et attendre qu’une catastrophe arrive. Je sais familialement que cela peut arriver, que des gens malveillants peuvent arriver. Or chez tous nos « zèbres », il y a une authentique bienveillance.

 

 

 

Cette bienveillance était palpable dans les rues de France le 11 janvier, après les attentats de Paris…

 

C’est vrai mais l’esprit du 11 janvier n’a rien enclenché sur un plan pratique, opérationnel. C’est pour cela que j’insiste pour que les « faizeux » se rassemblent. Isolés, ils ne pourront pas grand-chose face à l’appareil d’État.

 

Des électeurs du FN peuvent-ils vous suivre ?

 

Il y a des gens qui sont tentés et qui se mettent à réfléchir car on leur parle concret. On n’a pas de baratin ni de programme. Ce sont nos actions qui parlent pour nous. La puissance du mouvement « zèbre » ne dépend que de la force de conviction des Français.

 

Pourquoi les appelez-vous des zèbres ?

 

Parce qu’ils sont joyeux comme tous ceux qui refusent la fatalité. Et puis ce sont de drôles de zèbres, ils sortent du cadre.

La France est en train de mordre la poussière. Notre pays hésite entre les plus noirs sentiments et son enthousiasme à faire !

 

Propos recueillis par Nathalie MAURET pour Est-Républicain.fr

Soutenir les zèbres : http://www.bleublanczebre.fr/

 

Le Choix de Yves Calvi avec Alexandre Jardin : Bleu Blanc Zèbre est-il un feu de paille ?

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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 21:09

Après sa programmation spéciale sur l’économie à l’automne dernier, la chaîne franco-allemande poursuit dans "sa volonté de sonder les réalités sociales actuelles en s’inscrivant résolument du côté de l’humain'", explique Vincent Meslet, directeur éditorial d’Arte France. La chaîne franco-allemande entame la diffusion de "Classe moyennes, des vies sur le fil". Un documentaire en trois volets sur ces dix millions de Français qui vivent avec 1 200 euros par mois pour une personne seule, 2 600 pour une famille de deux enfants. Véritable réflexion sur la crise, loin des discours froids des économistes du CAC 40 et plutôt vu par le prisme de l’émotion, le film met en lumière cette petite classe moyenne oubliée des statistiques, ces "déclassés" en proie à la précarisation.

 

" La pauvreté mentale fait le lit de l'avidité "

" La pauvreté mentale fait le lit de l'avidité "

Synopsis et documentaires en trois parties :

 

À Lille, Régis, qui dirigea autrefois des restaurants, multiplie les heures comme serveur dans une brasserie afin de subvenir aux besoins de sa famille. Sa femme, Jacqueline, est vendeuse à temps partiel dans une boutique du centre-ville. Près de Nancy, Jean-Philippe connaît l’enfer de l’endettement depuis que son employeur, une chaîne de hard discount, a amputé son salaire de 25 %. Isabelle, sa femme, visiteuse médicale à mi-temps, faute de mieux, culpabilise de ne pouvoir travailler plus. Metteuse en scène à Lyon et mère célibataire de trois enfants, Gaëlle alterne phases de confort et périodes de vaches maigres. Quant à Catherine, marchande de journaux à Paris dans le 14e arrondissement, elle tente tant bien que mal de sauvegarder son commerce, ouvert grâce aux indemnités de licenciement perçues à la fermeture de Marks & Spencer. Fragilisés par la crise, tous échafaudent des stratégies pour s’en sortir : Régis économise le moindre centime de pourboire, Jean-Philippe retarde le paiement de ses factures, Gaëlle sous-loue une chambre de son appartement, et Catherine compte sur le soutien des habitants du quartier.

 

En France, dix millions de personnes forment la petite classe moyenne, oubliée des statistiques et ignorée des politiques. En équilibre instable sur un fil, compte tenu de leurs faibles revenus (à peine au-dessus du seuil de pauvreté, soit 1 200 euros pour une personne seule et 2 600 pour une famille avec deux enfants), ces hommes et ces femmes se démènent pour ne pas sombrer dans la misère. Frappés de plein fouet par la crise, ils ont vu leur niveau de vie se dégrader. Comment, dès lors, faire comprendre aux enfants qu’on ne peut plus consommer comme avant ? Comment préserver l’harmonie au sein de la cellule familiale quand l’épuisement se fait sentir et que l’angoisse de l’avenir vous tenaille ? Et comment trouver la force de se réinventer quand l’estime de soi a déserté ? Frédéric Brunnquell a partagé les difficultés de quatre familles pendant sept mois, à Lille, Paris, Lyon et Nancy, recueillant leurs témoignages et capturant des instantanés du quotidien. Il propose ainsi, au fil des épisodes, un regard sensible sur la crise et les coups qu’elle assène à une partie de la classe moyenne, dont les efforts, hier synonymes de promesse d’aisance économique et d’élévation sociale, semblent ne plus payer.

Classe moyenne, des vies sur le fil 1/3

Classe moyenne, des vies sur le fil 2/3

Classe moyenne, des vies sur le fil 3/3

Entretien avec le réalisateur Frédéric Brunnquell :

 

Arte a récemment diffusé une série documentaire d'exception : "Classe moyenne, des vies sur le fil", un film en trois volets humain, sans pathos et sans fard, sur ces oubliés de la petite classe moyenne. Frédéric Brunnquell, le réalisateur, raconte le terrible cercle vicieux du sentiment de déclassement et de l'isolement, brisant les citoyens dans leurs désirs d'un avenir plus juste.

 

Vous vous intéressez à une catégorie sociale, inconnue des statistiques, que vous nommez "la petite classe moyenne". Que recouvre-t-elle ?

 

Frédéric Brunnquell.– La classe moyenne inférieure, juste au-dessus de celle des Français les plus modestes. Soit 10 millions de personnes désormais exposées à des difficultés les rendant de plus en plus vulnérables. Ces gens ont une existence très différente de celle qu’ils prévoyaient il y a peu. Leur angoisse du lendemain irradie l’ensemble de la société.

 

Vous avez choisi de suivre six hommes et femmes. Comment les avez-vous rencontrés ?

 

- Même s’ils vivent autour de nous, il n’était pas évident de les convaincre de témoigner sur une période compliquée de leur vie. Une journaliste m’a aidé en contactant des associations. J’ai ainsi rencontré Régis, qui multiplie les heures dans une brasserie de Lille, et son épouse Jacqueline, vendeuse en CDD à temps partiel. J’ai aussi connu, à Lyon, Gaëlle, intermittente du spectacle et célibataire avec 3 enfants. J’avais travaillé sur le phénomène du hard-discount et c’est ainsi que j’ai pensé à Jean-Philippe, directeur d’un de ces supermarchés dans la région de Nancy, et à sa femme Isabelle, visiteuse médicale à mi-temps. Quant à Catherine, j’étais entré un jour par hasard dans sa maison de la presse, à Paris. Nous avions discuté. Je me suis souvenu de cette petite dame qui a du caractère et des choses à dire.

 

Ces Français se sentent oubliés. Comment l’expriment-ils ?

 

- De manière assez détournée. Ils ne s’intéressent plus à la politique ni à l’actualité. La plupart d’entre eux fuient les JT, ne lisent pas les journaux. Depuis que son salaire a été diminué de 25 %, Jean-Philippe laisse la télévision fermée afin de ne pas inquiéter ses enfants. Isabelle et lui se protègent du climat anxiogène, comme beaucoup de Français.

Gaëlle, metteuse en scène de théâtre, ignorait même le nom du Premier ministre. Ils rejettent tout ce qui, pour eux, s’apparente à l’élite, tournent le dos au débat public. Autant de répercussions de leur impression de délaissement.

 

Quel est le sentiment qui domine chez ces familles précarisées ?

 

 - La colère. Cette indignation qui naît lorsqu’on se rend soudain compte que ses aspirations ne peuvent être satisfaites. 

 " On évite les amis qui ont réussi. On sort moins, parce qu’on n’en a pas les moyens. On reçoit peu : offrir un repas coûte cher. "

On rompt avec certaines activités, sportives ou autres, par crainte de ne plus être à la hauteur dans certains cercles. La vie sociale se réduit. On s’enferme. On s’isole.

 

Comment les enfants vivent-ils ces bouleversements ?

 

- Tout dépend de leur âge et du contexte parental. Les plus jeunes, comme les enfants de Jean-Philippe et d’Isabelle, très couvés, ne réalisent pas la paupérisation. Dans leur cas, la famille élargie compense financièrement les besoins. Les deux pré-ados de Gaëlle composent très bien avec la situation. Ils parviennent à s’offrir des marques en courant les promos et ils en sont très fiers.

Pour les plus grands, c’est un peu compliqué. Durant toute leur adolescence, ils ont vu leurs parents trimer comme des dingues pour s’en sortir avec un résultat proche de zéro. "La valeur travail" est très dépréciée auprès de ces jeunes. Pourquoi se tuer au boulot si c’est pour se retrouver au chômage à 45 ans ?

 

La précarisation atteint forcément l’intimité des couples...

 

- Rentrer le soir chez soi épuisé déstructure forcément la vie familiale. Catherine, qui travaille 12 heures par jour, reconnaît qu’elle n’a pas pu s’occuper de ses filles comme elle l’aurait souhaité. Régis, qui fait de 80 à 90 heures par semaine sans connaître ses horaires à l’avance, tombe de fatigue en permanence. De retour à la maison, il ne pense qu’à dormir. Il n’a même plus l’énergie d’emmener ses enfants se balader.

Les couples n’ont plus de vrais moments à deux. Et si ça va mal, ils sont bien obligés de rester ensemble. Impossible d’abandonner l’autre alors qu’il ne gagne que 600 euros par mois. La précarité interdit de choisir sa vie.

 

Vous avez filmé vos personnages entre juillet 2013 et mars 2014. Qu’en retenez-vous ?

 

 - On s’en tire mieux quand la famille est présente, quand son enfance a été choyée, quand ses repères restent forts, quand le système ne vous broie pas depuis trop longtemps, via des CDD à répétition. A la longue, certains s’accusent même de ce qui leur arrive et finissent par mettre en doute leurs propres capacités. Le problème qui touche souvent cette population fragile est la perte de confiance en soi.

 

Sources: http://teleobs.nouvelobs.com/ et http://www.arte.tv/fr

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26 février 2015 4 26 /02 /février /2015 10:09

Selon la définition admisse, le LEAN management (anglicisme comme toujours) est une méthode dite de type approche systémique pour atteindre l’excellence opérationnelle. Le but afficher est de « mettre fin au gaspillage » et aux « opérations qui n’apportent pas de valeur ajoutée au client ». En clair : c’est la mise en place d’une relation de type capitaliste et marchande dans toutes les sphères de la vie. Oui, car le LEAN management est aujourd’hui appliqué de partout, en particulier dans les services publics et les grandes entreprises.

 

 

Deux versions s'affrontent dans ce dossier dédié au bonheur au travail :

 

-Bonheur au travail : Dans l'ombre du LEAN management-

1- Les risques masqués de l'infantilisation :

 

Quelle est la cible de ce type de dressage ? Officiellement, le LEAN management s’attaque à sept points précis : la surproduction, les attentes, les rebuts-retouches / corrections, les gammes et processus opératoires mal adaptés, les transports / ruptures de flux, les mouvements inutiles et les stocks (productifs ou administratifs). Ces points sont appelés, de façon assez prosaïque, « formes de gaspillage ».

 

Vous l’aurez compris : le but est le flux tendu permanent (donc la course à la production et la flexibilité, comme diraient nos têtes d’ampoules), la diminution de personnel (ce qui est appeler « mouvements inutiles » est en fait une notion très étrange, qui se traduit sur le terrain par mouvement financiers inutiles, ce qui peut être fait par un en compressant et accélérant doit l’être au lieu d’être fait par deux) et le prix de production le plus bas possible pour le profit le plus haut possible.

 

Dans la définition officielle, le LEAN management doit, pour être efficace, s’appuyer sur l’amélioration continue avec une forte implication de tout le personnel impliqué dans les processus à optimiser. Oui, vous avez bien lu : pression continue et permanente, et surtout, tout le monde est impliqué, de l’exécutant au directeur, du patron à l’ouvrier. En théorie en tout cas, car sur le terrain c’est autre chose. D’ailleurs, pour en mettre plein la vue au prolo (prolétaire de l'esprit) et donner une impression de supériorité (et de science) aux « team manager » comme on dit, ce LEAN management s’appuie sur un outil précis, le PDCA (Plan-Do-Check-Act) … Outil inventé par un nommé Shewhart, basé sur les travaux d’un statisticien du nom de Deming. On sent tout de suite le côté humain de la chose.

 

Quel but a cet outil ? L’infantilisation d’un côté, en mettant de belles couleurs et de jolis graphismes circulaires, et de l’autre la mise en perspective individuelle, c’est-à-dire, la mise en accusation. Car si la « roue » se déroule pour le service, par exemple, elle est aussi bien souvent individualisée. Au travers d’entretiens d’objectifs ou autres noms, on met la pression individuellement à chacun pour « arriver à l’excellence ». Et surtout se met en place le tous contre tous. Un tous contre tous orchestré, qui touche avant tout le plus bas niveau de l’échelle.

 

A cette « roue » un peu débile s’ajoute un outil fun, le KAIZEN (issu du japonais pour une fois, contraction de Kaï (changement) et Zen (bon)). Oui notez qu’on aime dans le LEAN management les formules alambiquées et pleines de sous entendus. Alors c’est quoi le KAIZEN ? Et bien c’est l’amélioration continue. En gros, vous êtes mauvais, vous le serez toujours car on peut toujours s’améliorer… Ne voyez vous pas là dedans une forme d’absolu un peu flippant ?

 

Cette théorie des petits pas est mise en pratique dans énormément de secteurs : l’industrie lourde, l’hôpital, la poste, des PME, etc… Sa méthodologie est simple : mise en accusation et faire de l’opérateur concerné son propre bourreau. Comment cela peut-il se traduire ? Et bien je vais essayer de donner un exemple concret.

 

Prenons monsieur Bertin, ouvrier dans l’automobile, sur une chaîne de montage de portières. Il doit mettre 8 vis en 1 minute et 15 secondes aujourd’hui. Seulement voilà, son poste a été identifié comme « glouton » (oui ce genre de mot est souvent employé, infantilisation oblige) au sein de la chaîne. Au cours de l’entretien annuel cela lui est signifié. Bien entendu, on laissera sous entendre qu’il n’y est pas pour rien, ce cher Bertin.

 

L’étape suivante est subtile, elle consiste à mettre en place un « climat de confiance » entre les managers et leurs équipes. Deux moyens, souvent employés en même temps, existent. Le premier consiste à jouer la carte de la compétition. Vous est donc mis en évidence le fait que d’autres sites, d’autres entreprises sont meilleures que vous. Notez au passage que la notion est tellement subjective que pour le coup, aucun manager ne sera en position de vous prouver ses dires. Mais cela doit reposer sur la « confiance » qu’il inspire et « l’esprit de corps » qu’il met en place. La seconde méthode, c’est le sous entendu envers un ou une collègue. Souvent quand il / elle n’est pas là. C’est fait subtilement, en « mettant en évidence le problème » en « présentant de façon objective et anonyme (tout le monde sait que c’est impossible) des cas ». Souvent, ce / cette ou ces collègues deviennent les boucs émissaires faciles de tout ce qui cloche. Pas assez rapide, pas assez consciencieux, pas assez… Et on monte la meute contre eux. Avant d’en isolé d’autres …

 

Une fois ce climat installé, c’est la mise en place de « team learning » ou équipe apprenante. Cela consiste en une chose assez simple : on vous prend, individuellement, et on vous demande d’évaluer votre poste (espace de travail, cadence, positions, etc…) et de « proposer des améliorations dans l’esprit du KAIZEN (vous voilà samouraï). La première copie que vous allez rendre (ou les premières suggestions orales) sera certes reconnue mais classée comme insuffisante… surtout vis-à-vis de ce que d’autres ont fourni (comme par hasard). C’est là que monsieur Bertin (revenons en à lui) va se pencher là-dessus, donner de quoi accélérer encore la cadence de son poste (en plaçant autrement les outils par exemple) et permettre que la chaine avance plus vite, que le stock diminue du coup… Et là, bingo, félicitations et mises en place en grande pompe de ce qui est trouvé.

 

Seulement, l’année suivante, monsieur Bertin se retrouve seul à sa machine, là où il avait avec lui un autre collègue. Le travail augmente et on licencie. On flexibilise encore en demandant parfois des semaines de 44 heures et d’autres fois de 28 heures. Pas de stock, donc production à la demande. Plus de rapidité au poste, donc plus de fatigue et de stress, mais surtout moins de salariés. C’est le cercle infernal qui se met en place. Et puis surtout, l’entretien d’évaluation arrive et on lui demande encore d’améliorer son poste… Et c’est reparti.

 

Voilà donc comment on transforme n’importe qui (ou presque) en son propre bourreau. Le LEAN management n’a que ce but : faire de vous la clef de voute de votre propre servitude. Mais en décuplant en prime l’individualisme, afin de briser toute envie d’unité dans la lutte.

 

Cette technique de management par l’affect (souvent, elle se double d’un management « psychologique », surtout lors des entretiens annuels) est des plus redoutables car elle est souvent, au départ du moins, plébiscité par une majorité de salariés, voir par certains syndicats. Elle va avec le tutoiement d’entreprise, vous savez ce « tu » à toutes les sauces, entre tous les niveaux hiérarchiques.

 

Et c’est là que le bas blesse. Loin d’être une simple lubie nouvelle à la mode, le LEAN management est un outil assez terrible qui brise bien au-delà du simple corps social prolétaire, mais qui brise aussi l’esprit et les corps. Il est plus qu’urgent de combattre cela avec vigueur et force, de le dénoncer et de faire reculer le patronat.

 

PS : vous aurez remarqué que je répète énormément « LEAN management » dans ce texte. Et bien vous avez face à vous une des techniques pour faire accepter ce dernier : la répétition d’un concept, même absurde, mais à l’infini.

 

Par Fablyon pour http://rebellyon.info/

Le patronat ne respecte que ce qu'il craint ? - Bonheur au travail - ARTE

La reconnaissance, moteur de l'investissement - Le Bonheur au travail - ARTE

Le lean est une méthode de management qui vise l’amélioration des performances de l’entreprise par le développement de tous les employés. La méthode permet de rechercher les conditions idéales de fonctionnement en faisant travailler ensemble personnel, équipements et sites de manière à ajouter de la valeur avec le moins de gaspillage possible. C'est toute la vie d'un employé orientée vers une culture globale d'entreprise !

 

 

Les avantages des SCOP, sans jamais redistribuer le capital :

 

-Bonheur au travail : Dans l'ombre du LEAN management-

2- Les performances incontestées du Lean management :

 

Le double objectif du lean est la satisfaction complète des clients de l’entreprise (ce qui se traduit en chiffre d’affaires) et le succès de chacun des employés (ce qui se traduit en motivation et engagement). Pour ce faire, la tradition lean insiste sur quatre principes fondamentaux :

 

Comprendre ce qui plait au client pour spécifier la valeur du service ou du produit. Les marchés sont concurrentiels et évolutifs, les goûts et usages changent sans cesse, le premier enjeu du lean est de développer l’écoute des clients par la résolution des réclamations et l’expérimentation d’offres nouvelles afin de construire la qualité dans le produit, en résolvant les problèmes des clients de manière totalement fiable et durable.

 

Augmenter le niveau de Juste-à-temps, c’est à dire réduire le délai entre la commande client et la livraison du produit ou de l’offre. Pour y parvenir sans augmenter les stocks, l’enjeu est de ne produire que ce qui est demandé, quand c’est demandé et dans la quantité juste nécessaire. Le lean s’attache à réduire le lead-time de fabrication par un ensemble de techniques qui permettent de tirer les flux. Ce flux tiré crée une architecture du progrès continu sans laquelle les améliorations ponctuelles sont rarement pérennes.

 

S’arrêter à chaque défaut et résoudre le problème plutôt que le contourner. Mettre un problème de côté sans le traiter pour pouvoir continuer à avancer va d’une part, générer bien d’autres difficultés en aval et d’autre part ne permet pas de voir les faits précis des conditions qui ont généré le problème – et donc de le résoudre et de progresser. Le lean a développé plusieurs techniques pour identifier, signaler et traiter les problèmes là où ils se posent, quand ils se posent avec les opérateurs eux-mêmes afin de chercher des causes racines et résoudre fondamentalement les sujets. Ces pratiques permettent de garantir la qualité des produits et des services par la formation des agents dans leur travail.

 

Impliquer les opérateurs dans l’amélioration et la reconception de leurs environnements de travail. Par la formation continue aux standards (accords sur la façon de travailler qui génère le moins de gaspillages) et l’animation du kaizen (progrès par petits pas), les opérateurs sont encouragés à s’engager dans l’amélioration de leurs propres postes de travail pour éliminer les soucis d’ergonomie et trouver des astuces permettant de travailler plus efficacement. Le rôle du management est de soutenir cette action d’amélioration au quotidien afin que chacun dans l’entreprise puisse d’une part, partager le sens de la qualité offerte au client et, de l’autre, ait l’occasion de réaliser sa part de créativité dans le travail de production.

 

Le lean se pratique sur le terrain pour se mettre d’accord avec les équipes sur les faits et la vraie nature des problèmes. A la différence de toutes les méthodes productivistes nées du taylorisme, le lean ne distingue pas les experts qui pensent des opérationnels qui font, mais est une pratique qui vise à développer l’expertise de chacun en s’appuyant sur un mode de relation hiérarchique fondée sur l’enseignement et la transmission d’expérience. Le but du management lean est de développer la compétence technique de chacun et de savoir travailler avec les collègues des fonctions amont et aval.

 

La méthode lean cherche avant tout à construire pas à pas, amélioration par amélioration... la confiance entre l’entreprise et ses clients, entre l’encadrement et les salariés et entre l’entreprise et ses fournisseurs. Cette confiance permet un engagement collectif dans la recherche d’efficacité par l’élimination des activités inutiles et permet de dégager des résultats financiers pour l’ensemble des partenaires de la chaine de la valeur : meilleurs rapport qualité/prix pour les clients, emplois et primes pour les employés, activité et rentabilité pour les fournisseurs tout en dégageant croissance et bénéfices pour l’entreprise.

 

Michel Ballé pour http://www.operaepartners.fr/

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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 13:34

Si être libre, c’est être soi, en cohérence avec sa « nature essentielle », comment se débarrasser des contraintes qui nous freinent ? La thérapie est un bon moyen, mais ce n’est pas le seul, conquérir sa liberté intérieure est le travail de toute une vie - Suivi d'une analyse de Fabrice leroy et de l'entretien de Roland Gori, professeur émérite de psychopathologie clinique à l'université d'Aix-Marseille et psychanalyste, sur l'antenne d'IDFM Radio Enghien.

-Roland Gori : Le combat pour se sentir libre !-

L’être humain ressent cette nécessité intérieure, tout au long de sa vie : être « soi ». Depuis le « non » du petit enfant jusqu’aux plus grands choix des adultes, en passant par les révoltes adolescentes, « c’est le sentiment que nous devons, nous et nous seuls, répondre à nos besoins les plus profonds et les réaliser », expose Alain Braconnier. Le psychiatre et psychanalyste ajoute : « Cette réalisation ne répond pas à une demande extérieure, mais bien à un besoin intérieur. La liberté rejoint l’identité. Je pense aux analysants disant, finalement : “Je me sens beaucoup plus libre.” »

 

Il s’agit donc de se donner de l’espace et de retrouver l’intégrité de sa personnalité. Ce que le psychothérapeute Thierry Janssen aime à nommer « l’essence » de l’être, ou que la spécialiste en sagesses orientales Denise Desjardins désigne comme notre « nature essentielle » (définition issue du bouddhisme), par opposition à l’« ego », qui représente notre part de narcissisme – certes, indispensable, mais souvent envahissant, car répondant aux besoins de réparation de l’être blessé en soi.

 

Les contraintes dans lesquelles nous sommes pris s’opposent sans cesse à l’exercice de notre liberté intérieure. « Elles prennent bien des formes : l’éducation, les valeurs morales, les pressions sociales, mais aussi les contraintes intérieures, les inhibitions, les angoisses… » souligne Alain Braconnier. S’il nous arrive de ne plus nous sentir d’équerre avec notre partenaire, d’être en désaccord avec nos valeurs dans le travail, mal dans notre vie, c’est souvent parce que nous n’osons pas blesser, nous mettre en danger, aller au bout de nos choix. L’enjeu est bel et bien vital. « Bien sûr, on peut toujours s’arranger avec les compromis, rester dans le déni, faire taire ce besoin profond de liberté, que moi j’appellerai aussi de “cohérence”, mais cela finit inévitablement par remonter, par s’exprimer », remarque Thierry Janssen. Exactement comme le refoulé, l’absence de liberté intérieure trouve un moyen pour se manifester. Physiquement – les affections psychosomatiques, les accidents – ou psychiquement, « par une souffrance réelle, voire par la dépression », indique Alain Braconnier.

 

La voie de l'action

 

Comment procéder ? Lever les contraintes ou, au contraire, les accepter, mais en pleine connaissance, voilà le travail qui nous attend. « Comme toujours, la thérapie est un bon chemin pour y parvenir, puisqu’il s’agit non seulement d’identifier ces contraintes, mais encore de pouvoir les élaborer, puis les transformer. » Car c’est bien le sentiment d’être en cohérence avec soi et ses valeurs qui donne naissance à l’action et à ses corollaires : l’épanouissement, la jubilation. Ce que la philosophe et théologienne Lytta Basset nomme « la réconciliation avec soi-même, ce laborieux et souterrain travail de réunification ». L’action, épanouissante, « pacifiante », celle qui permet d’entendre, enfin, cette petite voix qui sait si bien ce qui nous convient. « La liberté intérieure, c’est le premier pas vers la liberté », conclut Alain Braconnier.

 

Exercice : Ouvrez la « porte des nuages »

 

Cet exercice traditionnel oriental (1), que je soumets régulièrement à la pratique, calme le coeur et amène une paix intérieure profonde en renforçant l’énergie des poumons, siège des émotions. À faire chaque fois que nous nous sentons oppressés :

 

- Asseyez-vous sur une chaise, sans vous adosser, pieds à plat devant vous écartés de la largeur des épaules.

- Posez les mains à plat sur les cuisses.

- Étirez votre colonne vertébrale de manière à avoir le sommet de la tête tiré vers le haut.

- Relâchez les zones du corps par tranches, de la tête aux pieds.

- Soulevez vos bras latéralement, puis ramenez vos mains sur vos épaules (main droite sur épaule gauche et main gauche sur épaule droite).

- Conservez cette position, fermez les yeux et relâchez le visage.

- Relâchez les coudes et les épaules, écoutez votre respiration naturelle et sentez la chaleur de vos mains emplir votre poitrine jusqu’au dos.

- Respirez plus profondément. En inspirant, rentrez le ventre et gonflez un peu la poitrine. En expirant, relâchez votre ventre en le gonflant légèrement.

- Continuez quelques minutes. Bras toujours croisés, revenez à votre respiration naturelle pendant deux à trois minutes.

 

1- Egalement développé par Ke Wen, directrice du centre de culture chinoise Les Temps du corps, dans son ouvrage Entrez dans la pratique du qi gong (Le Courrier du livre, 2009).

 

Roland Gori : " Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? "

Réflexions à propos du livre « Faut il renoncer à la liberté pour être heureux »Roland Gori, Editions « Les Liens qui Libèrent » :

 

Fabrice Leroy: L'éxécutant est un éxecuteur. C'est comme cela que j'aimerais introduire à la lecture du dernier livre de Roland Gori, qui nous confronte, comme les précédents, à un certain nombre de questions, au carrefour du politique, de l'anthropologique, du psychique et du social.

 

Voilà, au fond, à quoi finit par conduire le conformisme généralisé, la soumission librement consentie aux protocoles, aux procédures techniques : à s'exécuter, dans toute la polysémie de cette expression.

 

D'une part, exécuter l'autre, mon semblable, en ne le voyant que comme un segment de population, une part de marché, ou, quand il tombe malade, un « terrain physiologique où s'exprime le trouble », pour citer Canguilhem. Mais d'autre part, et dans le même mouvement, s'exécuter soi-même. Car au delà de l'autre, il y a l'Autre, le lieu d'où je parle et où je suis parlé, l'adresse à laquelle mes pensées trouvent leur source, et que l'autre, mon frère, mon semblable, incarne et supporte. Autrement dit, le lieu de mon humanité est le même que celui de la fraternité, car celui à qui je parle me permet de penser ce que je viens de dire, et d'en être le sujet.

 

Au lieu de cela, le commandement de l'idéologie néo-libérale et du « système technicien », qu'analyse rigoureusement Roland Gori dans son livre, semble être : « tu réifieras ton prochain comme toi-même ». Ce qui peut nous faire penser à ces vers de Léo Ferré : « Il est de toute première instance que nous façonnions nos idées comme s´il s´agissait d´objets manufacturés. Je suis prêt à vous procurer les moules. Mais...La solitude... ».

 

Oui, la solitude. Car il n'y a pas de liberté sans l'autre. La liberté, nous rappelle Roland Gori, trouve son origine dans l'affranchissement des esclaves, l'effacement de leurs dettes. Non pas s'affranchir de l'autre, mais de ses dettes, afin de pouvoir s'engager dans le lien à l'autre. C'est cela, la liberté.

 

Ce livre nous amène donc à réfléchir aux éléments anthropologiques et politiques permettant de comprendre la recomposition des sensibilités et des subjectivités de notre époque. Sans trop entrer dans les détails, j'en donnerai au moins deux : d'une part, l'importance, l'omniprésence de la technique, des automatismes, des procédures, des protocoles dans nos vies et nos métiers. D'autre part le fond de culpabilité et d'angoisse propre au lien social et à la liberté, à notre liberté, celle qui résulte de l'absence de garantie quand à notre engagement comme sujet de nos actes.

 

Le lien entre les deux est démontré clairement tout au long de ces pages : pour ne pas avoir à affronter le risque, l'incertitude, le doute et la culpabilité inhérente à nos actes, l'idéologie gestionnaire, le calcul, l'automatisation des procédures viennent à point nommé pour ne rien engager de nous-même dans ce que nous faisons et ce que nous pensons.

 

Mais ce qu'il s'agit de bien comprendre, c'est que le livre de Roland Gori n'est pas un plaidoyer contre la technique. Il n'est pas question de regretter le temps d'avant, au prétexte que la technique, aujourd'hui, envahit tout et dénaturerait les liens sociaux. Le problème n'est vraiment pas à ce niveau là, et l'auteur tendrait plutôt à se féliciter des capacités extraordinaires qu'offrent les technologies actuelles dans la communication et la transmission de l'information. Non, ce dont il est question, me semble-t-il, c'est de la transformation de notre pensée, une pensée humaine, en une pensée technique, ce qui lui fait perdre toute dignité.

 

Car il s'agit bien de la modificaion d'une manière de penser, et non d'un manque de temps pour exercer cette pensée. Les conséquences en sont analysées tout au long de l'ouvrage, et elles sont majeures. Sur le plan politique, cela se traduit par ce que l'on pourrait appeler une dépolitisation assez radicale : les questions politiques finissent par ne plus recevoir que des réponses techniques, celle des « experts ». Par ailleurs, le bien commun – et c'est là où la question du bonheur, comme facteur de la politique selon Saint Just, arrive – se trouve réduit à la gestion individuelle des bonheurs privés et à celle de la sécurité.

 

Sur le plan anthropologique, maintenant : la culpabilité, au fondement du lien social par refoulement de la haine, se trouve évacuée au profit d'une prise en charge des comportements par l'appareil social, par une délégation de pouvoir, en quelque sorte.

 

Le « système technicien » (Ellul), au fond, vient se substituer tant à une pensée politique qu'au lien social qui se tisse entre sujets. Il s'agit de réguler la société comme on régule le marché, et plus encore, de se réguler soi-même. Pour employer d'autres références, la culpabilité, socle de la responsabilité pour autrui (Levinas), se trouve ravalée au niveau d'une simple erreur technique, d'un défaut d'apprentissage, qu'une réponse correctrice devrait effacer.

 

Cette « technicisation » des pensées et des subjectivités tend à s'étendre dans tous les domaines de l'existence, et dans tous les métiers, y compris – et c'est là un point central – dans tous les métiers de l'humain. C'est le cas dans le champ de la psychiatrie, par exemple. Avec les dernières versions du DSM, l'entretien, le diagnostic, la clinique elle-même, se réduisent de plus en plus à une procédure de codage, ignorant complètement ce qui fait la spécificité de l'humain et de ses souffrances. La narrativité du récit clinique, seule à même de restituer la complexité de la psychopathologie, laisse place au formalisme des critères statistiques, des items à cocher, et des échelles quantifiant le niveau de dépression comme on mesure la température d'un individu.

 

Qui plus est, il ne s'agit pas de coder dans n'importe quel sens. Ce dont il est question, en réalité, c'est de l'extension infinie d'un système de contrôle et de normalisation des conduites, en lieu et place d'une interrogation sur le sens et la signification des symptômes. Ainsi, les normes liées aux performances, aux compétences, aux « habiletés sociales », ne font pas que réduire le malade à la somme de ses comportements, elles en font un « handicapé psychique ». Le symptôme n'est plus à entendre, mais à rééduquer, à normaliser. Il s'agit, au fond, de coder pour ne plus avoir à décoder.

 

Mais c'est plus largement, et pas seulement dans le champ de la psychopathologie, que l'auteur nous invite à porter l'analyse. L'extension du paradigme techniciste, en robotisant nos existences et notre intimité, en faisant de la vie elle-même un véritable programme d'éducation thérapeutique, transforme chacun d'entre nous en un handicapé existentiel, s'évaluant lui-même en permanence, qu'il le sache ou pas, et se réifiant ipso facto comme objet même de cette auto-évaluation.

 

Les promesses de bonheur véhiculées par un discours social réduisant les questions politiques à des problèmes techniques ne sont pas sans effet sur les individus, en tant que sujets politiques et anthropologiques. Il ne s'agit pas seulement de séduire les foules pour se faire élire ou ré-élire, ou pour consommer plus. Il ne s'agit pas non plus de dénoncer stérilement l'individualisme contemporain. Non, tout cela a des racines beaucoup plus profondes : il y a là une véritable incitation à abandonner la liberté politique, en rabattant la question du bonheur dans la sphère privée au lieu de la maintenir au niveau politique, celui du bien commun.

 

Le bonheur privé n'est pas à mépriser, bien entendu. Mais pris comme horizon politique au détriment du bonheur commun, c'est la spécificité du politique elle-même qui se perd, au profit d'une expertise généralisée de nos « affaires domestiques » (pour paraphraser Benjamin Constant).

 

En se conformant aux discours promettant le bonheur par le respect des procédures, des comptes et des décomptes, l'angoisse et la culpabilité propres à toute position de liberté trouvent donc un soulagement immédiat dans tous ces dispositifs de servitude volontaire. En s'appuyant sur Freud, Roland Gori nous rappelle alors que la culpabilité inconsciente est consubstantielle au lien social et que toute pratique sociale prétendant faire l'économie de l'angoisse sociale ne peut que conduire, sur le plan subjectif et anthropologique, à une impasse en aliénant chacun à sa propre sécurité.

 

Pour le dire autrement, si la technique libère l'homme, cela n'est vrai qu'en partie, car lorsqu'elle devient norme des pensées et des conduites, elle finit par libérer l'homme...de sa propre liberté. Là où le progrès technique devrait libérer l'homme en lui donnant le temps d'exister comme sujet politique, cette même technique risque en réalité de produire l'inverse : sa propre dépolitisation.

 

C'est ici que l'on saisit, avec Roland Gori, que la liberté en question n'est pas une liberté égoïste, préservant son seul espace en se désintéressant d'autrui. Pour chacun, la liberté est exigeante, elle oblige, et pas seulement en tant que sujet individuel, mais en tant que sujet politique, qui ne nie pas la dette qu'il contracte depuis toujours avec ses frères d'humanité. Liberté et lien social vont décidément du même pas.

 

Sources: Fabrice Leroy pour www.oedipe.org

Christilla Pellé Douel pour psychologies.com

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13 février 2015 5 13 /02 /février /2015 19:40

De plus en plus de soignants et de bénévoles s’investissent dans l’accompagnement des mourants. En quoi consiste leur travail, quelles sont leurs motivations ? Immersion dans une unité pionnière : La maison Jeanne-Garnier.

 

-Soins palliatifs : ils ont choisi d’être des passeurs !-

Annette, d’une brassée de marguerites, compose deux bouquets. "Aujourd’hui, j’accueille un jeune homme et une dame âgée." Maria, ex-cadre d’entreprise, est à la recherche d’une chaise roulante pour conduire une patiente à quelques rues d’ici. "Il y a trois jours, elle était complètement recroquevillée. Ce matin, elle va bien, ravie de sa balade pour une radio de contrôle." Pour Josée, attachée de direction à la retraite, c’est un départ. "Elle a du courage, Josée. Moi, le funérarium, je ne peux pas…" avoue Béatrice, jeune mère au foyer. "C’est pourtant le moment où la famille a besoin d’être secondée", gronde gentiment Josée.

Soins palliatifs

De la salle des bénévoles de la maison Jeanne-Garnier (Paris XVe) unité pionnière en matière de soins palliatifs, on aperçoit le parc et les allées lisses qui contournent les pelouses. Sur les bancs, quelques personnes lisent ou contemplent les arbres. Patients ? Personnel soignant ? Aucun uniforme ne les différencie… Les portes des chambres, le plus souvent ouvertes sur de larges et paisibles couloirs, laissent filtrer les voix. "Reposez-vous un moment, votre fils ne va pas tarder", rassure un quinquagénaire en bras de chemise : l’aumônier badgé d’une croix discrète. "Elle n’a pas l’air mal cette purée. Si vous pouviez en avaler un petit peu…" conseille en souriant un jeune homme chargé d’un plateau. Pas d’appareillage médical. Pas d’agitation. Pas de ton infantilisant ou compatissant, de sourire dynamique ni de figure d’enterrement.

 

Ici, pourtant, quatre-vingt chambres accueillent des malades incurables, atteints du cancer, du sida ou de maladies neurologiques, le plus souvent en phase terminale. Une terrible réalité qui fonde la philosophie de ce lieu : "Ici, on vit, on tente de vivre, jusqu’au bout de sa vie." Philippe Mazeron, directeur de la maison, ne se voile pas la face. Les quatre équipes tournantes, composées de cent vingt soignants et d’une centaine de bénévoles, ont accepté de ne pas être là pour guérir mais pour aider les patients à vivre leurs derniers instants dans les meilleures conditions possibles.

Vouloir travailler ici ne suffit pas

La sélection est rigoureuse, notamment pour les bénévoles. Quant aux médecins et infirmiers, leur présence est le plus souvent liée à une expérience antérieure décevante dans les services hospitaliers classiques. "Tous cherchent des relations différentes entre patients et soignants, explique Philippe Mazeron. Ici, toutes les décisions thérapeutiques sont prises en accord avec l’équipe et le patient. La parole de chacun a le même poids. Un malade peut confier quelque chose à la femme de ménage qu’il ne dira pas au médecin."

 

Pas d’organisation pyramidale mais des équipes soudées, ouvertes au dialogue et en constante interaction. "Les soins palliatifs demandent beaucoup d’énergie et une forte implication personnelle, poursuit le directeur. On vit des situations extrêmes, douloureuses, insupportables si l’on ne dispose pas d’un réel équilibre intérieur conjugué à de bonnes conditions de vie à l’extérieur (famille, amis, passions…) qui permettent de se ressourcer. Les soignants qui donnent trop d’eux-mêmes, portent trop sur leurs épaules et n’ont que cette souffrance pour horizon. Ils ne tiennent pas le coup." Et de reconnaître qu’il est difficile pour chacun de trouver la bonne distance… "Ni trop près pour ne pas fusionner avec le patient et donc forcément souffrir, ni trop loin pour ne pas rester imperméable." Quant aux bénévoles, leurs activités au sein de l’équipe sont limitées à une journée par semaine. "Pour éviter le trop grand attachement de part et d’autre. La personne en fin de vie va devoir gérer plusieurs séparations, inutile d’en ajouter une autre."

S’occuper du patient

Béatrice a dessiné le Petit Prince sur son badge de bénévole. Elle soupire et tente de résumer son rôle : "On ne fait presque rien et mille choses en même temps." Des courses pour le patient, l’aider à prendre ses repas, remonter son oreiller, regarder avec lui la télévision. "On reste là s’il le demande, on l’écoute s’il en a envie, on parle avec lui sans poser trop de questions, sans juger, sans imposer nos idées. On s’ajuste à lui. Nous sommes une présence, silencieuse ou non, qui le sécurise, lui permet de verbaliser à son rythme ce qui le préoccupe." Jour après jour, Béatrice affine sa perception de l’autre et de ses besoins : "Dès que je commence à me sentir mal aux côtés d’un malade, je sais qu’il a envie d’être seul. Parfois, c’est très difficile d’approcher une personne dégradée physiquement ou aphasique. Il faut prendre sur soi, respirer profondément. Puis il suffit d’un regard échangé pour que je redevienne naturelle."

 

Il s’agit aussi de savoir qui sera le plus apte à aider le malade. "Vous me dites que vous avez du mal à parler à votre femme de la mort qui approche, la psy peut vous aider à aborder ce sujet avec elle." Béatrice part faire la lecture à une jeune femme : "Elle ne veut entendre que du Lacan ! Il est compliqué cet auteur ! Elle a fini par s’endormir mais la douleur l’a réveillée. J’ai immédiatement appelé l’infirmière qui l’a soulagée." Car les soins, comme le contact physique et maternant, sont les domaines exclusifs du soignant. Un bénévole a seulement le droit de caresser une main, de coiffer ou d’aider un malade à s’habiller, à se maquiller.

Entourer la famille

Annette, elle, trouve son patient du jour très angoissé par la situation dans laquelle il va laisser sa famille. Elle demandera à l’assistante sociale de prendre le relais. Epuisée et en grande détresse, la famille culpabilise souvent de ne plus pouvoir assumer et soulager son parent. Entourer cette famille, la guider, lui permettre d’exprimer ses conflits, ses peurs et ses hésitations à communiquer par la parole ou par le toucher avec le malade, fait aussi partie du rôle des bénévoles. "Il y a toujours un parent, un ami, qui va me confier sa peine, ses doutes, reprend Annette. Il en parlera moins facilement aux soignants par peur de les déranger. Moi, je suis comme lui, quelqu’un de l’extérieur. Un étranger bienveillant auprès duquel il peut se permettre de se laisser aller." Des paroles qui peuvent être capitales quand on sait, à force de côtoyer la mort, l’importance et l’urgence de la réconciliation. Annette a déjà vu ses patients s’accrocher à la vie pour revoir une ex-femme, parler à un parent qui l’avait rejeté, régler un héritage ou attendre la naissance d’un petit-enfant.

 

"Hier, une dame est arrivée qui ne semblait pas connaître son diagnostic. Ou alors elle le sait mais elle veut protéger son fils. Lui de son côté ne cessait de faire pour elle des projets d’avenir." Un refus réciproque de la mort dans lequel leur relation va s’enfermer mais que le médecin a l’habitude de dénouer. "Etre à côté du patient, précise Philippe Mazeron, le prendre là où il est et l’emmener là où il veut, là où il peut, sur le chemin de sa vérité. Voilà notre travail. Nous sommes des passeurs." Cependant, aucune fausse réassurance, aucun mensonge ne seront prononcés pour ne pas briser la relation avec le malade. "En lui disant la vérité, vous lui faites un cadeau. Il part apaisé, réconcilié avec lui-même et avec les siens. Evidemment, chacun a son propre cheminement et tous espèrent jusqu’au bout. Ils “savent” et font malgré tout des projets de vie." Ce que constate quotidiennement Camille Baussant, psychologue et psychanalyste : "Quand un patient me réclame, il n’a pas nécessairement envie de parler de la mort, car jusqu’à son dernier souffle il reste un sujet désirant. Alors on se livre ensemble à une psychothérapie en accéléré, ou bien il me parle de sa vie, de ses désirs, des problèmes qui le préoccupent."

La vie a-t-elle du sens jusqu’au bout ?

"C’est en tout cas ce qui anime nos équipes, affirme Philippe Mazeron. Et c’est ce que nous tentons d’insuffler à nos patients et à leur famille." Malgré la peur, malgré la dégradation des corps et des esprits ? "On a tous peur de mourir, peur de ce passage dans l’inconnu. La difficulté est de l’accepter et de faire le deuil de sa vie." Pas facile, même pour une personne croyante, reconnaît Annette : "J’ai été frappée par la disparition récente de deux religieuses. L’une est partie dans la sérénité, l’autre était terriblement angoissée. Alors que je lui tenais la main, elle m’a dit, presque furieuse : “Je ne comprends pas, toute ma vie j’ai souhaité rencontrer le seigneur et là, j’ai peur, je me cramponne.” "Tous ne veulent pas être accompagnés. Ceux-là préfèrent partir seuls, ou s’en vont en colère." Il arrive que l’on nous rejette d’un : “Vous n’avez rien d’autre à faire que de me regarder mourir ?” " D’autres s’éloignent sur un dernier mot d’humour.

Le restaurant donne sur une terrasse

Soignants et bénévoles déjeunent gaiement sous les parasols. Maria, bénévole depuis six ans, connaît tout le monde. Elle est vite entourée de six personnes. Que reçoivent-elles en échange de cette proximité qui terrifierait la plupart d’entre nous ? Toutes éclatent de rire. "Nous ne sommes ni morbides ni perverses ! Il est vrai que l’on parle peu de nos activités à l’extérieur parce que cela met beaucoup de gens mal à l’aise… Nous ne sommes pas très sûres de ce que nous donnons, ni si ce que nous faisons est bien. On sait seulement que nous recevons beaucoup et que notre regard sur la vie et les êtres change." Tout prend plus d’intensité. Elles se rappellent ce jeune homme qui ne communiquait plus qu’avec un ordinateur. "Parlez-moi, écrivait-il, parlez-moi… beaucoup !" Des mots, des regards, des rires, des gestes qui laissent en elles des traces lumineuses. Et celle qui les rassurait : "OK, je vais mourir mais ce n’est pas si grave !" Et celui qui "voulait absolument m’apprendre à jouer au tarot, “avant”."

 

Et… Silence sur ceux dont elles n’ont pas envie de parler. Maria le brise : "Oui, je les aime. Je n’ai pas peur de prononcer ce mot." Elles approuvent en s’excusant presque. "C’est difficile de ne pas s’attacher." Annette bouscule à sa façon la gravité qui les gagne. "Parfois, quand le personnel souffre trop, c’est nous qui servons de fusible. Comme la semaine dernière où il y a eu six départs… l’engueulade a été pour nous… ça fait tomber la pression." Josée calme le jeu sans cacher son admiration pour l’extrême implication des médecins et des soignants. "On nous remet tous sans cesse en question. Forcément, on devient plus humble, plus vrai mais aussi plus réactif…"

Aucun départ ne les laisse indifférentes…

… mais il en est de plus difficiles que d’autres, évoqués à demi-mot : "Ce sont surtout les soignants qui sont là. Moi, je n’ai accompagné que trois personnes. La dernière me tenait la main… ou bien c’était moi qui tenais la sienne." Josée ne sait plus. "Son mari n’a pas voulu ou pas pu rester là… Avec elle, j’ai appris que la mort pouvait être paisible." Maria est plus dubitative, en particulier quand il s’agit de personnes trop jeunes. "Quand Isabelle s’est éteinte, c’était… devoir accepter l’inacceptable. Seulement 20 ans ! J’étais près d’elle avec sa mère. J’ai eu l’impression que la pièce se remplissait de clarté. C’était comme… une récompense."

 

Il n’est pas rare qu’un accompagnateur vienne dans le bureau de Simone Verchère, la responsable des bénévoles, pour pleurer. "Parce que c’est trop dur… ou trop beau. Car la mort peut être belle. Le souffle s’arrête et c’est tout. Quand on a été le témoin des efforts du malade pour parvenir à cette sérénité, c’est bien", rassure-t-elle. Alors, pour réussir à se réinvestir auprès d’autres patients, l’équipe parle de la personne décédée. "Nous achevons ensemble une histoire." Pour revenir à la vie ordinaire, Josée a besoin de marcher longtemps. Annette, elle, évite de sortir le soir-même. "J’ai besoin de me récupérer."

 

A travers les feuillages, le soleil danse sur le trottoir. Une ambulance empreinte lentement la rampe d’accès à la maison Jeanne-Garnier. Sans doute un nouvel arrivant pour le lieu le plus civilisé du monde que je viens de traverser.

 

Danièle Luc pour www.psychologies.com

Les Soins Palliatifs, le sens de la vie - par le Pr. Claude Grange.

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13 février 2015 5 13 /02 /février /2015 19:28

Si le monde tel qu’il est produit des désastres, pour la plupart générés par l'incurie de nos décideurs, Edgar Morin invite à croire, non sans utopie, que « l’improbable bénéfique » peut arriver... même en politique ! Pour le sociologue, le changement se produira avant tout à l’échelle planétaire, en réaction aux défis de demain.

-Edgar Morin : Le crépuscule du "degré zéro" de la pensée politique-

Edgar Morin est un penseur globe-trotteur, fin connaisseur de l’Amérique latine, régulièrement invité à tenir conférence aux quatre coins de la planète, 
le monde qu’il parcourt imprègne sa pensée. Sociologue, philosophe, anthropologue, il aime croiser les regards, confronter les savoirs, interroger les disciplines.

 

Né en 1921, Edgar Morin entre en résistance à vingt ans, rejoint le PCF en 1941 avant d’en être exclu pour avoir pris ses distances avec le stalinisme. En 1950, il entre au CNRS et sera nommé directeur de recherche en 1970. Ce penseur inclassable est aussi un homme engagé, militant. Très tôt, Edgar Morin invite à « croiser les connaissances ». C’est sa marque de fabrique, qui l’a amené à développer le concept de « pensée complexe », entendu comme « ce qui est tissé ensemble », initié dans le livre Science avec conscience, en 1982. Au sein des six volumes de la Méthode (1977-2004), aux titres évocateurs de la Vie de la vie, la Connaissance de la connaissance ou encore l’Humanité de l’humanité, il explicite les défis de la complexité.

 

Observateur des dérèglements du monde, Edgar Morin produit une réflexion dont le fil d’Ariane cherche un chemin vers l’avenir. « Allons-nous vers des catastrophes en chaîne ? C’est ce qui paraît probable si nous ne parvenons pas à changer de voie », questionne-t-il dans la Voie, écrit en 2011.

 

Vous venez de signer, avec des dizaines d’autres intellectuels, le Manifeste des convivialistes, qui se propose de tenter de définir la philosophie commune de mouvements aussi divers que l’altermondialisme, les Indignados espagnols, le slow food ou encore l’économie sociale et solidaire. Pensez-vous que ces initiatives dessinent des futurs  ?

 

Edgar Morin. Les mouvements existent mais ils n’ont pas vraiment convergé. Toutes ces initiatives forment une constellation mais ne sont pas encore organiquement associées. Le Manifeste des convivialistes que j’ai effectivement signé représente une partie de la perspective. Il faut réintroduire de la convivialité dans notre société. « Convivialisme » est une très bonne étiquette mais elle ne recouvre pas tout le problème, qui est complexe. J’accorde beaucoup d’importance à la pensée d’Ivan 
Illich, un des penseurs de notre civilisation qui, dans les années 1970, a livré une critique de notre civilisation assez radicale, aussi bien de l’industrialisation, du mode de consommation, d’éducation, etc. Or, nous sommes à un moment de l’histoire où tout fait problème : la domination du capitalisme financier, l’agriculture ou l’élevage industrialisé, la consommation livrée à une véritable intoxication. Les institutions mondiales sont devenues totalement insuffisantes, impuissantes et arbitraires, comme l’ONU, ou déviées, comme le FMI. La politique est arrivée à un degré zéro de la pensée.

 

Dans cette situation, doit-on plutôt verser dans le pessimisme ou l’optimisme  ?

 

Edgar Morin. On doit chercher la nouvelle voie. J’ai développé l’idée d’une métamorphose pour dire qu’au fond tout doit changer. Des pays d’Amérique latine comme l’Équateur ou la Bolivie ont élaboré une politique du « buen vivir ». C’est une idée à mettre en avant. Le « bien-être » est un très beau mot dont le sens a été totalement dégradé. Le problème n’est pas seulement de pouvoir atteindre un niveau de confort en possédant des biens matériels comme une télé, un frigo, une voiture. C’est important. Mais, ce qui compte avant tout dans le sentiment de « buen vivir » repose sur la réalisation d’un épanouissement individuel au sein d’un épanouissement collectif, d’une communauté fraternelle. L’aspiration à une autre vie a traversé l’histoire. Elle s’est longtemps incarnée dans l’idée du paradis. Puis, elle est descendue sur terre avec la Révolution française, le socialisme, Karl Marx. Mon idée est qu’il faut relier les trois sources : libertaire, pour l’individu, socialiste, pour améliorer la société, communiste pour vivre en communauté, et y ajouter la soirée écologiste. L’aspiration à une autre vie a traversé le socialisme qui s’est ramolli, le communisme qui s’est détourné ; elle a soulevé la jeunesse en Mai 68. Elle anime aujourd’hui les jeunes du printemps arabe, ceux d’Occupy Wall Street aux États-Unis, les Indignés espagnols, les manifestants au Brésil. Mais pour aller jusqu’au changement de voie, il manque de la pensée politique. Les gens sont déçus, résignés, sans espoir. C’est vrai, mais c’est avant tout parce que rien de crédible ne se dessine encore.

 

Au fond, qu’est-ce qu’une société conviviale ? Une société où la coopération entre les hommes prendrait le pas sur l’exploitation de l’homme par l’homme  ?

 

Edgar Morin. Le film de Vittorio De Sica, Miracle à Milan, se termine sur l’idée d’une société où chacun dit bonjour à l’autre. Dans une société conviviale, les gens ne sont pas anonymes, ils se croisent, se reconnaissent. Il ne s’agit pas seulement de politesse ou de courtoisie. L’autre existe, il est reconnu comme différent de soi et semblable à soi. Ce besoin de reconnaissance existe chez tous les êtres humains. Ceux qui en sont privés parce qu’ils sont humiliés, asservis, dominés, souffrent. Dans les administrations, les entreprises, partout, les gens sont séparés les uns des autres. En fait, on pourrait parler du besoin de « reliance ».

 

Être relié à son voisin à l’échelle de l’individu, d’un village ou d’une commune est facile à imaginer. Mais à l’échelle du monde, est-ce à partir du concept que vous mettez en avant de « terre patrie »  ?

 

Edgar Morin. Dans tout être humain, il existe deux principes fondamentaux. D’abord le « je », égocentrique et vital pour nous défendre face à l’adversité. Mais aussi le « nous » qui s’épanouit par la famille, les copains, dans les partis politiques, la religion, etc. Notre civilisation a surdéveloppé le « je » et sous-développé le « nous ». Il faut changer ce cap et développer un « nous » nouveau. L’ancien se dressait contre l’ennemi, contre l’envahisseur. À l’échelle du monde, aujourd’hui, la convivialité se décrit comme la prise de conscience que nous avons un destin d’êtres humains commun. Nous sommes dans la même aventure, nous allons vers les mêmes abîmes et il nous faut réagir à l’échelle du globe. La question est de réussir à sauver notre terre patrie de la destruction. Nous sommes les produits d’une évolution biologique, qui s’est construite pendant deux milliards d’années et d’où est sortie une espèce abusivement appelée Homo sapiens. Cette identité commune produit des différences. Le mot « patrie » parle à la sensibilité, il fraternise. Il n’est concevable que dans le Respect de toutes les diversités nationales et culturelles, à condition toutefois d’insister sur l’unité. Car ceux qui ne voient que la diversité humaine oublient l’unité. Et ceux qui ne voient que l’unité en ont une conception abstraite et oublient la diversité humaine. La mondialisation technico-économique d’aujourd’hui ignore la diversité des cultures et la sensibilité des peuples. Or, si la « terre patrie » englobe les patries, alors la diversité humaine est le trésor de l’unité humaine et l’unité est le trésor de la diversité.

 

 

Il y a des moments dans l’histoire de l’humanité où s’opèrent des changements de voies, des bifurcations. Quels indices percevez-vous que nous serions réellement dans une telle phase  ?

 

Edgar Morin. Nous sommes dans une situation où les choses ne sont pas formées, nous ne savons ni quand, ni comment le moment de basculement arrivera. Le monde est en fermentation. On ne sait pas ce qu’il peut en sortir. Les pulsions de mort et de destruction sont très fortes. Mais cela ne doit pas empêcher d’espérer. Il existe de multiples conflits d’où peut naître une déflagration générale. Chacun est comme un arbre. Le vent dissémine les graines. Quand elles tombent sur une terre féconde, elles poussent. En Inde, les réflexions du prince Shakyamuni, le Bouddha, sur la souffrance humaine et la vérité ont donné naissance à une religion qui rassemble des millions de gens. Dans un tout autre domaine, Marx et Proudhon, étaient considérés par l’intelligentsia de l’époque comme des marginaux, des déviants avant que leur pensée donne naissance à des forces politiques considérables.

 

Si le futur prévisible ne prête pas à l’optimisme, vous affirmez quand même que l’improbable bénéfique arrive. Les révolutions arabes sont-elles pour vous un des signes que l’improbable peut devenir probable  ?

 

Edgar Morin. Les printemps arabes, surtout en Tunisie et en Égypte, sont des mouvements très importants, pacifiques. Mais pour le moment, ce qui en est sorti en termes de processus électoral a été à la fois positif et négatif. La plupart des partis de gauche étaient persécutés par les régimes dictatoriaux. Ils avaient souvent perdu le contact avec le peuple. Les islamistes l’avaient, eux, et les gens ont voté pour eux. Cela n’enlève rien à l’importance de l’événement. Aujourd’hui, le peuple gagne contre le président Morsi. Mais l’opposition reste très hétérogène. Le printemps arabe représente un réveil initial qui va féconder le futur mais je ne sais pas comment.

 

Les artisans du printemps arabe ont qualifié leur mouvement de « révolution ». Vous, vous avez choisi de délaisser ce terme pour lui préférer celui de métamorphose. À quoi correspond ce concept  ?

 

Edgar Morin. Il fait penser à la chenille qui s’enferme dans un cocon pour devenir un papillon. Elle se détruit complètement pour devenir autre. Dans l’histoire humaine, le monde est plein de métamorphoses. La nouvelle n’aura lieu qu’à l’échelle planétaire. L’ensemble des relations, de l’organisation va se modifier et il est aujourd’hui impossible de prévoir la forme que prendra cette nouvelle société monde. J’ai abandonné l’idée de révolution pour deux raisons. La première correspond à l’objectif de ne plus accréditer l’idée que « du passé faisons table rase ». Nous avons besoin de toutes les cultures du passé, de tous les acquis de la pensée passée. L’idée de métamorphose porte à la fois la rupture et la continuité. La deuxième voulait laisser derrière l’idée que la révolution était d’autant plus authentique qu’elle était violente. La violence est parfois inévitable mais c’est une erreur de penser qu’elle est justifiée et nécessaire car, alors, elle appelle d’autres violences.

 

Le traitement imposé à la Grèce, les plans d’austérité qui conduisent à la récession nourrissent un rejet de l’Europe dans de larges couches de la population. L’Europe peut-elle encore jouer son rôle dans la politique de civilisation que vous prônez ?

 

Edgar Morin. La crise économique a révélé une crise déjà existante. L’Europe s’est développée économiquement mais sans unité fiscale et elle est restée un nain politique, incapable de porter l’idée de son origine : s’unir pour la paix et en fonction de traits communs de civilisations. Aujourd’hui, dans ce vide-là, il y a un danger réel. L’Allemagne est devenue la puissance politique dominante et a imposé aux autres le faux remède de l’austérité. Il y a pour moi, aujourd’hui, deux signaux d’alerte. Les réponses apportées à la domination du néolibéralisme économique produisent le chaos en Grèce et amènent en Hongrie un nouveau système autoritaire, qu’on ne peut pas encore dire fasciste, mais qui est dangereux.

 

En France, vous avez appelé récemment le président de la République à changer de cap. Quel regard portez-vous sur la situation  ?

 

Edgar Morin. Disons que, le sursaut, je l’attends. Je ne suis pas encore désespéré. J’émets une critique constructive. La situation livre des symptômes inquiétants. On retrouve les mêmes personnes dans les cabinets ministériels, qui délivrent les mêmes rapports et pensent la politique à partir des idées reçues sur la croissance et la compétitivité. Le président de la République va devoir comprendre qu’il faut changer de route et que la grande voie de vraie relance qui s’ouvre, c’est l’économie verte.
L’absence d’une pensée sur notre monde contemporain, sur la crise actuelle de l’humanité à l’ère de la mondialisation conduit à une vision de courte vue que vous reprochez souvent aux partis politiques.

 

Vous appelez à régénérer la pensée politique. Qu’entendez-vous par là  ?

 

Edgar Morin. Les responsables politiques vivent au jour le jour. Ils n’ont plus de vue globale. Pour ne pas être condamnés à être des somnambules, il me semble utile d’élaborer une pensée politique qui sache rassembler les connaissances. Prenons par exemple la mondialisation. Elle est à la fois un processus économique, démographique, sociologique, psychologique, religieux, etc. Toutes les pensées interfèrent. Les événements aussi. En 2001, un groupe politique marginal et minoritaire, al-Qaida, parvient à détruire deux tours dans une ville, New York, et la conséquence est une déflagration mondiale. Les partis sont dans le tout mais le tout est dans les partis. Le monde est en nous. Et cet état de fait entraîne une façon de penser très différente, complexe, de long terme, pas manichéenne. Le monde a, à la fois, besoin de mondialisation (les cultures par exemple) et de démondialisation (l’agriculture). Il a, à la fois, besoin de croissance et de décroissance. Il doit développer, pour que chacun profite des progrès positifs, et envelopper pour que les gens continuent d’appartenir à une communauté. Voilà l’orientation d’une pensée politique qui pourrait amener une métamorphose, un changement de voie.

 

Source: http://www.humanite.fr/

 

De l'incurie en politique : Un temps de président sur France 3

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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 18:50

Bernard Stiegler fait école aux parents d'élèves de la ville d'Epineuil afin de sensibiliser les éducateurs, parents, enseignants et formateurs aux troubles de l'attention, véritable fléau qui touche en profondeur l'essence même d'un sujet - citoyen : Sa conscience et son humanité.

 

Conférence donnée à la Maison Ecole le 5 juin 2010 à l’initiative de l’Association des Parents d’Elèves d’Epineuil-le-Fleuriel

Chaque jour, partout, nous le constatons : la perte d’attention est devenue un fait majeur de notre époque. Elle constitue aux États-Unis une véritable pathologie, et l’on estime que 15% des enfants américains souffrent de ce que les pédopsychiatres américains appellent l’attention deficit disorder.
Or, l’attention est chez l’être humain le fruit de l’éducation. Un enfant sauvage, qui n’a reçu aucune éducation, est privé d’attention. Chaque société humaine est basée sur un système éducatif et des institutions spirituelles, cultuelles, culturelles et académiques qui ont pour but de former puis de développer l’attention.

 

À la fin du XIXè siècle, en France, la IIIè République institua un système d’instruction publique et obligatoire qui avait pour but de permettre à tous les enfants vivant sur le sol français d’accéder aux formes les plus élevées de l’attention, et, ainsi, de «devenir français».

 

Au XXè siècle, l’attention devient cependant ce qu’il s’agit de capter et de canaliser pour l’attirer vers les marchandises, et ce, au risque de détruire tout le système de formation de l’attention.
-Bernard Stiegler, instituteur au Grand Meaulnes !-
Selon une enquête récente, les adolescents américains passent dix heures et demi par jour devant les médias audiovisuels et électroniques, et leurs parents consacrent plus de cinq heures par jour à la seule télévision. Dans de telles conditions, il devient impossible de former leur attention. La situation évolue malheureusement dans le même sens en France.

 

C’est à examiner de plus près cette situation et les possibilités de la transformer que s’attachera cette conférence.
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