26 août 2012 7 26 /08 /août /2012 09:45

Dans le cadre du dossier "apprendre à maitriser le numérique", il nous a semblé important de vous proposer à la lecture Is Google Making Us Stupid ?, l’article de Nicolas Carr, publié en juin 2008 dans la revue The Atlantic, et dont la traduction, réalisée par Penguin, Olivier et Don Rico, a été postée sur le FramaBlog en décembre. Dans cet article, Nicolas Carr (blog), l’auteur de Big Switch et de Does IT matter ?, que l’on qualifie de Cassandre des nouvelles technologies, parce qu’il a souvent contribué à un discours critique sur leurs "effets neurotoxiques", part d’un constat personnel sur l’impact qu’à l’internet sur sa capacité de concentration, pour nous inviter à réfléchir à l’influence des technologies sur notre manière de penser et de percevoir le monde. Rien de moins !   

 

La couverture d'Atlantic de juillet-août 2008 

“Dave, arrête. Arrête, s’il te plaît. Arrête Dave. Vas-tu t’arrêter, Dave ?” Ainsi le super-ordinateur HAL suppliait l’implacable astronaute Dave Bowman dans une scène célèbre et singulièrement poignante à la fin du film de Stanley Kubrick 2001, l’odyssée de l’espace. Bowman, qui avait failli être envoyé à la mort, au fin fond de l’espace, par la machine détraquée, est en train de déconnecter calmement et froidement les circuits mémoires qui contrôlent son “cerveau” électronique. “Dave, mon esprit est en train de disparaître”, dit HAL, désespérément. “Je le sens. Je le sens.”

  

Moi aussi, je le sens. Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n’irai pas jusque là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l’argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n’est plus que rarement le cas. Désormais, ma concentration commence à s’effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m’agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J’ai l’impression d’être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte.

   

 

Je crois savoir ce qui se passe. Cela fait maintenant plus de dix ans que je passe énormément de temps sur la toile, à faire des recherches, à surfer et même parfois à apporter ma pierre aux immenses bases de données d’Internet. En tant qu’écrivain, j’ai reçu le Web comme une bénédiction. Les recherches, autrefois synonymes de journées entières au milieu des livres et magazines des bibliothèques, s’effectuent désormais en un instant. Quelques recherches sur Google, quelques clics de lien en lien et j’obtiens le fait révélateur ou la citation piquante que j’espérais. Même lorsque je ne travaille pas, il y a de grandes chances que je sois en pleine exploration du dédale rempli d’informations qu’est le Web ou en train de lire ou d’écrire des e-mails, de parcourir les titres de l’actualité et les derniers billets de mes blogs favoris, de regarder des vidéos et d’écouter des podcasts ou simplement de vagabonder d’un lien à un autre, puis à un autre encore. (À la différence des notes de bas de page, auxquelles on les apparente parfois, les liens hypertextes ne se contentent pas de faire référence à d’autres ouvrages ; ils vous attirent inexorablement vers ces nouveaux contenus.)

  

Pour moi, comme pour d’autres, le Net est devenu un media universel, le tuyau d’où provient la plupart des informations qui passent par mes yeux et mes oreilles. Les avantages sont nombreux d’avoir un accès immédiat à un magasin d’information d’une telle richesse, et ces avantages ont été largement décrits et applaudis comme il se doit. “Le souvenir parfait de la mémoire du silicium”, a écrit Clive Thompson de Wired, “peut être une fantastique aubaine pour la réflexion.” Mais cette aubaine a un prix. Comme le théoricien des média Marshall McLuhan le faisait remarquer dans les années 60, les média ne sont pas uniquement un canal passif d’information. Ils fournissent les bases de la réflexion, mais ils modèlent également le processus de la pensée. Et il semble que le Net érode ma capacité de concentration et de réflexion. Mon esprit attend désormais les informations de la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s’écoulant rapidement. Auparavant, j’étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski.

 

Je ne suis pas le seul. Lorsque j’évoque mes problèmes de lecture avec des amis et des connaissances, amateurs de littérature pour la plupart, ils me disent vivre la même expérience. Plus ils utilisent le Web, plus ils doivent se battre pour rester concentrés sur de longues pages d’écriture. Certains des bloggeurs que je lis ont également commencé à mentionner ce phénomène. Scott Karp, qui tient un blog sur les média en ligne, a récemment confessé qu’il avait complètement arrêté de lire des livres. “J’étais spécialisé en littérature à l’université et je passais mon temps à lire des livres”, écrit-il. “Que s’est-il passé ?” Il essaie de deviner la réponse : “Peut-être que je ne lis plus que sur Internet, non pas parce que ma façon de lire a changé (c’est à dire parce que je rechercherais la facilité), mais plutôt parce que ma façon de PENSER a changé ?”

 

Bruce Friedman, qui bloggue régulièrement sur l’utilisation des ordinateurs en médecine, décrit également la façon dont Internet a transformé ses habitudes intellectuelles. “J’ai désormais perdu presque totalement la capacité de lire et d’absorber un long article, qu’il soit sur le Web ou imprimé”, écrivait-il plus tôt cette année. Friedman, un pathologiste qui a longtemps été professeur l’école à de médecine du Michigan, a développé son commentaire lors d’une conversation téléphonique avec moi. Ses pensées, dit-il, ont acquis un style “staccato”, à l’image de la façon dont il scanne rapidement de petits passages de texte provenant de multiples sources en ligne. “Je ne peux plus lire Guerre et Paix, admet-il. “J’ai perdu la capacité de le faire. Même un billet de blog de plus de trois ou quatre paragraphes est trop long pour que je l’absorbe. Je l’effleure à peine.”

 

Les anecdotes par elles-mêmes ne prouvent pas grand chose. Et nous attendons encore des expériences neurologiques et psychologiques sur le long terme, qui nous fourniraient une image définitive sur la façon dont Internet affecte nos capacités cognitives. Mais une étude publiée récemment (.pdf) sur les habitudes de recherches en ligne, conduite par des spécialistes de l’université de Londres, suggère que nous assistons peut-être à de profonds changements de notre façon de lire et de penser. Dans le cadre de ce programme de recherche de cinq ans, ils ont examiné des traces informatiques renseignant sur le comportement des visiteurs de deux sites populaires de recherche, l’un exploité par la bibliothèque britannique et l’autre par un consortium éducatif anglais, qui fournissent un accès à des articles de journaux, des livres électroniques et d’autres sources d’informations écrites. Ils ont découvert que les personnes utilisant ces sites présentaient “une forme d’activité d’écrémage”, sautant d’une source à une autre et revenant rarement à une source qu’ils avaient déjà visitée. En règle générale, ils ne lisent pas plus d’une ou deux pages d’un article ou d’un livre avant de “bondir” vers un autre site. Parfois, ils sauvegardent un article long, mais il n’y a aucune preuve qu’ils y reviendront jamais et le liront réellement. Les auteurs de l’étude rapportent ceci :


“Il est évident que les utilisateurs ne lisent pas en ligne dans le sens traditionnel. En effet, des signes montrent que de nouvelles formes de “lecture” apparaissent lorsque les utilisateurs “super-naviguent” horizontalement de par les titres, les contenus des pages et les résumés pour parvenir à des résultats rapides. Il semblerait presque qu’ils vont en ligne pour éviter de lire de manière traditionnelle.”

 

Grâce à l’omniprésence du texte sur Internet, sans même parler de la popularité des textos sur les téléphones portables, nous lisons peut-être davantage aujourd’hui que dans les années 70 ou 80, lorsque la télévision était le média de choix. Mais il s’agit d’une façon différente de lire, qui cache une façon différente de penser, peut-être même un nouveau sens de l’identité. “Nous ne sommes pas seulement ce que nous lisons”, dit Maryanne Wolf, psychologue du développement à l’université Tufts et l’auteur de Proust et le Calamar : l’histoire et la science du cerveau qui lit. “Nous sommes définis par notre façon de lire.” Wolf s’inquiète que le style de lecture promu par le Net, un style qui place “l’efficacité” et “l’immédiateté” au-dessus de tout, puisse fragiliser notre capacité pour le style de lecture profonde qui a émergé avec une technologie plus ancienne, l’imprimerie, qui a permis de rendre banals les ouvrages longs et complexes. Lorsque nous lisons en ligne, dit-elle, nous avons tendance à devenir de “simples décodeurs de l’information”. Notre capacité à interpréter le texte, à réaliser les riches connexions mentales qui se produisent lorsque nous lisons profondément et sans distraction, reste largement inutilisée.

 

La lecture, explique Wolf, n’est pas une capacité instinctive de l’être humain. Elle n’est pas inscrite dans nos gènes de la même façon que le langage. Nous devons apprendre à nos esprits comment traduire les caractères symboliques que nous voyons dans un langage que nous comprenons. Et le médium ou toute autre technologie que nous utilisons pour apprendre et exercer la lecture joue un rôle important dans la façon dont les circuits neuronaux sont modelés dans nos cerveaux. Les expériences montrent que les lecteurs d’idéogrammes, comme les chinois, développent un circuit mental pour lire très différent des circuits trouvés parmi ceux qui utilisent un langage écrit employant un alphabet. Les variations s’étendent à travers de nombreuses régions du cerveau, incluant celles qui gouvernent des fonctions cognitives essentielles comme la mémoire et l’interprétation des stimuli visuels et auditifs. De la même façon, nous pouvons nous attendre à ce que les circuits tissés par notre utilisation du Net seront différents de ceux tissés par notre lecture des livres et d’autres ouvrages imprimés.

 

En 1882, Friedrich Nietzsche acheta une machine à écrire, une “Malling-Hansen Writing Ball” pour être précis. Sa vue était en train de baisser, et rester concentré longtemps sur une page était devenu exténuant et douloureux, source de maux de têtes fréquents et douloureux. Il fut forcé de moins écrire, et il eut peur de bientôt devoir abandonner. La machine à écrire l’a sauvé, au moins pour un temps. Une fois qu’il eut maîtrisé la frappe, il fut capable d’écrire les yeux fermés, utilisant uniquement le bout de ses doigts. Les mots pouvaient de nouveau couler de son esprit à la page.

  

Mais la machine eut un effet plus subtil sur son travail. Un des amis de Nietzsche, un compositeur, remarqua un changement dans son style d’écriture. Sa prose, déjà laconique, devint encore plus concise, plus télégraphique. “Peut-être que, grâce à ce nouvel instrument, tu vas même obtenir un nouveau langage”, lui écrivit cet ami dans une lettre, notant que dans son propre travail ses “pensées sur la musique et le langage dépendaient souvent de la qualité de son stylo et du papier”.

 
“Tu as raison”, répondit Nietzsche , “nos outils d’écriture participent à l’éclosion de nos pensées”. Sous l’emprise de la machine, écrit le spécialiste allemand des médias Friedrich A. Kittler, la prose de Nietzsche “est passée des arguments aux aphorismes, des pensées aux jeux de mots, de la rhétorique au style télégraphique”.

  

Le cerveau est malléable presque à l’infini. On a longtemps cru que notre réseau mental, les connexions denses qui se forment parmi nos cent milliards et quelques de neurones, sont largement établis au moment où nous atteignons l’âge adulte. Mais des chercheurs du cerveau ont découvert que ce n’était pas le cas. James Olds, professeur de neurosciences qui dirige l’institut Krasnow pour l’étude avancée à l’université George Mason, dit que même l’esprit adulte “est très plastique”. Les cellules nerveuses rompent régulièrement leurs anciennes connexions et en créent de nouvelles. “Le cerveau”, selon Olds, “a la capacité de se reprogrammer lui-même à la volée, modifiant la façon dont il fonctionne.”

 

Lorsque nous utilisons ce que le sociologue Daniel Bell appelle nos “technologies intellectuelles”, les outils qui étendent nos capacités mentales plutôt que physiques, nous empruntons inéluctablement les qualités de ces technologies. L’horloge mécanique, qui est devenu d’utilisation fréquente au 14e siècle, fournit un exemple frappant. Dans Technique et Civilisation, l’historien et critique culturel Lewis Mumford décrit comment l’horloge “a dissocié le temps des évènements humains et a contribué à créer la croyance en un monde indépendant constitué de séquences mathématiquement mesurables”. La “structure abstraite du découpage du temps” est devenue “le point de référence à la fois pour l’action et les pensées”.

 

Le tic-tac systématique de l’horloge a contribué à créer l’esprit scientifique et l’homme scientifique. Mais il nous a également retiré quelque chose. Comme feu l’informaticien du MIT Joseph Weizenbaum l’a observé dans son livre de 1976, Le pouvoir de l’ordinateur et la raison humaine : du jugement au calcul, la conception du monde qui a émergé de l’utilisation massive d’instruments de chronométrage “reste une version appauvrie de l’ancien monde, car il repose sur le rejet de ces expériences directes qui formaient la base de l’ancienne réalité, et la constituaient de fait.” En décidant du moment auquel il faut manger, travailler, dormir et se lever, nous avons arrêté d’écouter nos sens et commencé à nous soumettre aux ordres de l’horloge.

Le processus d’adaptation aux nouvelles technologies intellectuelles est reflété dans les métaphores changeantes que nous utilisons pour nous expliquer à nous-mêmes. Quand l’horloge mécanique est arrivée, les gens ont commencé à penser que leur cerveau opérait “comme une horloge”. Aujourd’hui, à l’ère du logiciel, nous pensons qu’il fonctionne “comme un ordinateur”. Mais les changements, selon la neuroscience, dépassent la simple métaphore. Grâce à la plasticité de notre cerveau, l’adaptation se produit également au niveau biologique.

 

Internet promet d’avoir des effets particulièrement profonds sur la cognition. Dans un article publié en 1936 (.pdf), le mathématicien anglais Alan Turing a prouvé que l’ordinateur numérique, qui à l’époque n’existait que sous la forme d’une machine théorique, pouvait être programmé pour réaliser les fonctions de n’importe quel autre appareil traitant l’information. Et c’est ce à quoi nous assistons de nos jours. Internet, un système informatique d’une puissance inouïe, inclut la plupart de nos autres technologies intellectuelles. Il devient notre plan et notre horloge, notre imprimerie et notre machine à écrire, notre calculatrice et notre téléphone, notre radio et notre télévision.

 

Quand le Net absorbe un médium, ce médium est recréé à l’image du Net. Il injecte dans le contenu du médium des liens hypertextes, des pubs clignotantes et autres bidules numériques, et il entoure ce contenu avec le contenu de tous les autres média qu’il a absorbés. Un nouveau message e-mail, par exemple, peut annoncer son arrivée pendant que nous jetons un coup d’œil aux derniers titres sur le site d’un journal. Résultat : notre attention est dispersée et notre concentration devient diffuse.

 

L’influence du Net ne se limite pas aux bords de l’écran de l’ordinateur non plus. En même temps que l’esprit des gens devient sensible au patchwork disparate du médium Internet, les média traditionnels ont dû s’adapter aux nouvelles attentes de leur public. Les programmes de télévision ajoutent des textes défilants et des pubs qui surgissent, tandis que les magazines et les journaux réduisent la taille de leurs articles, ajoutent des résumés, et parsèment leurs pages de fragments d’information faciles à parcourir. Lorsque, au mois de mars de cette année, le New York Times a décidé de consacrer la deuxième et la troisième page de toutes ses éditions à des résumés d’articles, son directeur artistique, Tom Badkin, explique que les “raccourcis” donneront aux lecteurs pressés un “avant-goût” des nouvelles du jour, leur évitant la méthode “moins efficace” de tourner réellement les pages et de lire les articles. Les anciens média n’ont pas d’autre choix que de jouer suivant les règles du nouveau médium.

 

Jamais système de communication n’a joué autant de rôles différents dans nos vies, ou exercé une si grande influence sur nos pensées, que ne le fait Internet de nos jours. Pourtant, malgré tout ce qui a été écrit à propos du Net, on a très peu abordé la façon dont, exactement, il nous reprogramme. L’éthique intellectuelle du Net reste obscure.

 

À peu près au moment où Nietzsche commençait à utiliser sa machine à écrire, un jeune homme sérieux du nom de Frederick Winslow Taylor apporta un chronomètre dans l’aciérie Midvale de Philadelphie et entama une série d’expériences historique dont le but était d’améliorer l’efficacité des machinistes de l’usine. Avec l’accord des propriétaires de Midvale, il embaucha un groupe d’ouvriers, les fit travailler sur différentes machines de métallurgie, enregistra et chronométra chacun de leurs mouvements ainsi que les opérations des machines. En découpant chaque travail en une séquence de petites étapes unitaires et en testant les différentes façons de réaliser chacune d’entre elles, Taylor créa un ensemble d’instructions précises, un “algorithme”, pourrions dire de nos jours, décrivant comment chaque ouvrier devait travailler. Les employés de Midvale se plaignirent de ce nouveau régime strict, affirmant que cela faisait d’eux quelque chose d’à peine mieux que des automates, mais la productivité de l’usine monta en flèche.

 

Plus de cent ans après l’invention de la machine à vapeur, la révolution industrielle avait finalement trouvé sa philosophie et son philosophe. La chorégraphie industrielle stricte de Taylor, son “système” comme il aimait l’appeler, fut adoptée par les fabricants dans tout le pays et, avec le temps, dans le monde entier. À la recherche de la vitesse, de l’efficacité et de la rentabilité maximales, les propriétaires d’usine utilisèrent les études sur le temps et le mouvement pour organiser leur production et configurer le travail de leurs ouvriers. Le but, comme Taylor le définissait dans son célèbre traité de 1911, La direction des ateliers (le titre original The principles of scientific management pourrait être traduit en français par “Les principes de l’organisation scientifique”), était d’identifier et d’adopter, pour chaque poste, la “meilleure méthode” de travail et ainsi réaliser “la substitution graduelle de la science à la méthode empirique dans les arts mécaniques”. Une fois que le système serait appliqué à tous les actes du travail manuel, garantissait Taylor à ses émules, cela amènerait un remodelage, non seulement de l’industrie, mais également de la société, créant une efficacité parfaite utopique. “Dans le passé, l’homme était la priorité”, déclare-t-il, “dans le futur, la priorité, ce sera le système”.

  

Le système de Taylor, le taylorisme, est encore bien vivant ; il demeure l’éthique de la production industrielle. Et désormais, grâce au pouvoir grandissant que les ingénieurs informaticiens et les programmeurs de logiciel exercent sur nos vies intellectuelles, l’éthique de Taylor commence également à gouverner le royaume de l’esprit. Internet est une machine conçue pour la collecte automatique et efficace, la transmission et la manipulation des informations, et des légions de programmeurs veulent trouver “LA meilleure méthode”, l’algorithme parfait, pour exécuter chaque geste mental de ce que nous pourrions décrire comme “le travail de la connaissance”.

 

Le siège de Google, à Mountain View, en Californie, le Googleplex, est la Haute Église d’Internet, et la religion pratiquée en ses murs est le taylorisme. Google, selon son directeur-général Eric Schmidt, est “une entreprise fondée autour de la science de la mesure” et il s’efforce de “tout systématiser” dans son fonctionnement. En s’appuyant sur les téra-octets de données comportementales qu’il collecte à travers son moteur de recherche et ses autres sites, il réalise des milliers d’expériences chaque jour, selon le Harvard Business Review, et il utilise les résultats pour peaufiner les algorithmes qui contrôlent de plus en plus la façon dont les gens trouvent l’information et en extraient le sens. Ce que Taylor a fait pour le travail manuel, Google le fait pour le travail de l’esprit.

 

Google a déclaré que sa mission était “d’organiser les informations du monde et de les rendre universellement accessibles et utiles”. Cette société essaie de développer “le moteur de recherche parfait”, qu’elle définit comme un outil qui “comprendrait exactement ce que vous voulez dire et vous donnerait en retour exactement ce que vous désirez”. Selon la vision de Google, l’information est un produit comme un autre, une ressource utilitaire qui peut être exploitée et traitée avec une efficacité industrielle. Plus le nombre de morceaux d’information auxquels nous pouvons “accéder” est important, plus rapidement nous pouvons en extraire l’essence, et plus nous sommes productifs en tant que penseurs.

 

Où cela s’arrêtera-t-il ? Sergey Brin et Larry Page, les brillants jeunes gens qui ont fondé Google pendant leur doctorat en informatique à Stanford, parlent fréquemment de leur désir de transformer leur moteur de recherche en une intelligence artificielle, une machine comme HAL, qui pourrait être connectée directement à nos cerveaux. “Le moteur de recherche ultime est quelque chose d’aussi intelligent que les êtres humains, voire davantage”, a déclaré Page lors d’une conférence il y a quelques années. “Pour nous, travailler sur les recherches est un moyen de travailler sur l’intelligence artificielle.” Dans un entretien de 2004 pour Newsweek, Brin affirmait : “Il est certain que si vous aviez toutes les informations du monde directement fixées à votre cerveau ou une intelligence artificielle qui serait plus intelligente que votre cerveau, vous vous en porteriez mieux.” L’année dernière, Page a dit lors d’une convention de scientifiques que Google “essayait vraiment de construire une intelligence artificielle et de le faire à grande échelle.”

  

Une telle ambition est naturelle, et même admirable, pour deux mathématiciens prodiges disposant d’immenses moyens financiers et d’une petite armée d’informaticiens sous leurs ordres. Google est une entreprise fondamentalement scientifique, motivée par le désir d’utiliser la technologie, comme l’exprime Eric Schmidt, “pour résoudre les problèmes qui n’ont jamais été résolus auparavant”, et le frein principal à la réussite d’une telle entreprise reste l’intelligence artificielle. Pourquoi Brin et Page ne voudraient-ils pas être ceux qui vont parvenir à surmonter cette difficulté ?

 

Pourtant, leur hypothèse simpliste voulant que nous nous “porterions mieux” si nos cerveaux étaient assistés ou même remplacés par une intelligence artificielle, est inquiétante. Cela suggère que d’après eux l’intelligence résulte d’un processus mécanique, d’une suite d’étapes discrètes qui peuvent être isolés, mesurés et optimisés. Dans le monde de Google, le monde dans lequel nous entrons lorsque nous allons en ligne, il y a peu de place pour le flou de la réflexion. L’ambiguïté n’est pas un préliminaire à la réflexion mais un bogue à corriger. Le cerveau humain n’est qu’un ordinateur dépassé qui a besoin d’un processeur plus rapide et d’un plus gros disque dur.

 

L’idée que nos esprits doivent fonctionner comme des machines traitant des données à haute vitesse n’est pas seulement inscrite dans les rouages d’Internet, c’est également le business-model qui domine le réseau. Plus vous surfez rapidement sur le Web, plus vous cliquez sur des liens et visitez de pages, plus Google et les autres compagnies ont d’occasions de recueillir des informations sur vous et de vous nourrir avec de la publicité. La plupart des propriétaires de sites commerciaux ont un enjeu financier à collecter les miettes de données que nous laissons derrière nous lorsque nous voletons de lien en lien : plus y a de miettes, mieux c’est. Une lecture tranquille ou une réflexion lente et concentrée sont bien les dernières choses que ces compagnies désirent. C’est dans leur intérêt commercial de nous distraire.

 

Peut-être ne suis-je qu’un angoissé. Tout comme il y a une tendance à glorifier le progrès technologique, il existe la tendance inverse, celle de craindre le pire avec tout nouvel outil ou toute nouvelle machine. Dans le Phèdre de Platon, Socrate déplore le développement de l’écriture. Il avait peur que, comme les gens se reposaient de plus en plus sur les mots écrits comme un substitut à la connaissance qu’ils transportaient d’habitude dans leur tête, ils allaient, selon un des intervenants d’un dialogue, “arrêter de faire travailler leur mémoire et devenir oublieux.” Et puisqu’ils seraient capables de “recevoir une grande quantité d’informations sans instruction appropriée”, ils risquaient de “croire posséder une grande connaissance, alors qu’ils seraient en fait largement ignorants”. Ils seraient “remplis de l’orgueil de la sagesse au lieu de la sagesse réelle”. Socrate n’avait pas tort, les nouvelles technologies ont souvent les effets qu’il redoutait, mais il manquait de vision à long terme. Il ne pouvait pas prévoir les nombreux moyens que l’écriture et la lecture allaient fournir pour diffuser l’information, impulsant des idées fraîches et élargissant la connaissance humaine (voire la sagesse).

 

L’arrivée de l’imprimerie de Gutenberg, au XVe siècle, déclencha une autre série de grincements de dents. L’humaniste italien Hieronimo Squarciafico s’inquiétait que la facilité à obtenir des livres conduise à la paresse intellectuelle, rende les hommes “moins studieux” et affaiblisse leur esprit. D’autres avançaient que des livres et journaux imprimés à moindre coût allaient saper l’autorité religieuse, rabaisser le travail des érudits et des scribes, et propager la sédition et la débauche. Comme le professeur de l’université de New York, Clay Shirky, le remarque, “la plupart des arguments contre l’imprimerie était corrects et même visionnaires.” Mais, encore une fois, les prophètes de l’apocalypse ne pouvaient imaginer la myriade de bienfaits que le texte imprimé allait amener.

 

Alors certes, vous pouvez vous montrer sceptique vis-à-vis de mon scepticisme. Ceux qui considèrent les détracteurs d’Internet comme des béotiens technophobes ou passéistes auront peut-être raison, et peut-être que de nos esprits hyperactifs, gavés de données surgira un âge d’or de la découverte intellectuelle et de la sagesse universelle. Là encore, le Net n’est pas l’alphabet, et même s’il remplacera peut-être l’imprimerie, il produira quelque chose de complètement différent. Le type de lecture profonde qu’une suite de pages imprimées stimule est précieux, non seulement pour la connaissance que nous obtenons des mots de l’auteur, mais aussi pour les vibrations intellectuelles que ces mots déclenchent dans nos esprits. Dans les espaces de calme ouverts par la lecture soutenue et sans distraction d’un livre, ou d’ailleurs par n’importe quel autre acte de contemplation, nous faisons nos propres associations, construisons nos propres inférences et analogies, nourrissons nos propres idées. La lecture profonde, comme le défend Maryanne Wolf, est indissociable de la pensée profonde.

 

Si nous perdons ces endroits calmes ou si nous les remplissons avec du “contenu”, nous allons sacrifier quelque chose d’important non seulement pour nous même, mais également pour notre culture. Dans un essai récent, l’auteur dramatique Richard Foreman décrit de façon éloquente ce qui est en jeu :

 

“Je suis issu d’une tradition culturelle occidentale, pour laquelle l’idéal (mon idéal) était la structure complexe, dense et “bâtie telle une cathédrale” de la personnalité hautement éduquée et logique, un homme ou une femme qui transporte en soi-même une version unique et construite personnellement de l’héritage tout entier de l’occident. Mais maintenant je vois en nous tous (y compris en moi-même) le remplacement de cette densité interne complexe par une nouvelle sorte d’auto-évolution sous la pression de la surcharge d’information et la technologie de “l’instantanément disponible”.”

 

À mesure que nous nous vidons de notre “répertoire interne issu de notre héritage dense”, conclut Foreman, nous risquons de nous transformer en “crêpe humaine”, étalée comme un pâte large et fine à mesure que nous nous connectons à ce vaste réseau d’information accessible en pressant simplement sur une touche.”

 

Cette scène de 2001 : l’odyssée de l’espace me hante. Ce qui la rend si poignante, et si bizarre, c’est la réponse pleine d’émotion de l’ordinateur lors du démontage de son esprit : son désespoir à mesure que ses circuits s’éteignent les uns après les autres, sa supplication enfantine face à l’astronaute, “Je le sens, je le sens. J’ai peur.”, ainsi que sa transformation et son retour final à ce que nous pourrions appeler un état d’innocence. L’épanchement des sentiments de HAL contraste avec l’absence d’émotion qui caractérise les personnages humains dans le film, lesquels s’occupent de leur boulot avec une efficacité robotique. Leurs pensées et leurs actions semblent scénarisées, comme s’ils suivaient les étapes d’un algorithme. Dans le monde de 2001, les hommes sont devenus si semblables aux machines que le personnage le plus humain se trouve être une machine. C’est l’essence de la sombre prophétie de Kubrick : à mesure que nous nous servons des ordinateurs comme intermédiaires de notre compréhension du monde, c’est notre propre intelligence qui devient semblable à l’intelligence artificielle.


Auteur : Nicolas Carr/journaliste.


Nous vous invitons à réagir à cet article sur le Framablog où la traduction a été originellement publiée. Cet article a été repris par LeMonde.fr.

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24 août 2012 5 24 /08 /août /2012 10:03

Comment produire des tueurs à la chaine ou des individus prolétarisés ? Réponse avec deux exemples concrets de suggestion mentale :

 

norvège

 

La cour d’assises est assemblée ; une tête d’homme sera jouée dans un instant. L’avocat de la défense déploie manches et effets oratoires. Epuisés, bombardés d’arguments, les jurés écoutent… N’a-t-on pas fait appel à leur raison,  à leur vertu et à leur intégrité d’êtres humains ? Et l’avocat parle, tentant "de persuader" ces juges…

 

Brusquement, le plaideur envisage l’enfance de l’accusé : père ivrogne, mère addicte, disputes familiales, pauvreté, conflits… Et l’avocat crie : « Songez à cette enfance atroce, messieurs les jurés, et acquittez ! ».

 

Un juré a pâli, comme une flèche, cette injonction le touche, non plus dans sa raison, mais en plein centre de son émotion ! Car ce juré se rappelle, lui aussi, son père alcoolique, sa mère absente, sa pauvreté et son enfance malheureuse. Le plaidoyer de l’avocat le pénètre profondément.

 

Les dés sont jetés ! Devant ce juré, « l’avocat a gagné ». Le raisonnement et la persuasion ont cédé le pas à l’émotion. Et l’impulsion (ou la pulsion) qui en découle reste maîtresse du terrain. De ce juré, viendra un acquittement ou une réduction de peine…

 

« Ou la logique et la raison s’affaiblissent, la suggestion émotive remporte la victoire ».

Et cette puissance de la suggestion, les meneurs de foules la connaissent bien !

  

parteitag

    

Leni Riefenstahl, la cinéaste du troisième Reich allemand, mettait savamment en scène les entrées du sinistre Adolf Hitler et les formidables fêtes du Parteitag… Plus ce cent mille hommes, rangés ; des milliers de drapeaux ; les cloches de Nuremberg sonnant ; une arène de pierre et de marbre ; une ouverture prolongée par la grande forêt… Et dans cette ouverture végétale, Hitler qui avance, glorieux et triomphant, sans gardes, tandis que les chants retentissent et qu’au loin, roule le canon…

 

Une scène théâtrale soutenue par une émotion puissante et suggestive à souhait !

Car à ce moment de l’histoire, « un seul ordre suggestif » aurait pu emporter cette marée humaine, alors assoiffée de désir de puissance, comme un torrent !

 

Et les défilés militaires, cadencés, brillants, clinquants ? Cette musique qui sonne, ces timbales qui roulent ? Et qui font penser aux plus antimilitaristes : « ça me fait quelque chose ! » Suggestion émotive, encore et toujours ! 

 

Il y a donc une différence majeure entre « persuasion » et « suggestion ». Dans le premier cas, j’essaierai d’obtenir votre adhésion volontaire et consciente par la raison et les arguments. Dans le deuxième cas, j’emploierai un procédé entièrement différent, en passant outre votre conscience et votre raison…

 

En court-circuitant temporairement les fonctions supérieures du cerveau, l'émotion emboîte alors le pas sur la raison. Ce qui explique certains comportements inhumains produit lors des deux grandes guerres précédentes, ou le "degré zéro de la pensée" produit par les grands meetings politiques !

 

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24 août 2012 5 24 /08 /août /2012 09:31

"Psychologie et mythologie de la Grèce antique"

 

france inter

-Cliquez sur le logo pour écouter le podcast-

 

Jacques-Antoine Malarewicz est psychiatre. Il vient d'écrire "La Fin de la Psychothérapie" chez Odile Jacob, ouvrage dans lequel il s'interroge sur l'avenir de la psychothérapie en ces temps de consumérisme effréné et de bêtise systémique.

 

Devant la statue du Titan Prométhée, le voleur de feu qui par sa désobéissance à Zeus s’est retrouvé sur le sommet du Caucase à vivre éternellement le même supplice, celui de se faire dévorer le foie au crépuscule et de le voir renaître dès l’aube… Cette statue de Prométhée se trouve au beau milieu du mythique quartier de Saint-Germain des Près, devenu un étonnant centre commercial de luxe à ciel ouvert.
  
Curieux contraste de voir d’un côté, cet hommage du sculpteur Zadkine à  Prométhée et l’indifférence avec laquelle les passants le boudent et lui préfèrent les  bijouteries et les  magasins de vêtements… C’est un peu à l’image de la place qu’occupent les mythes dans notre société.

 

Jacques-Antoine Malarewicz tire la sonnette d’alarme. Il nous explique en quoi l’abandon de nos mythes dans nos vies et en thérapie "est une part d’humanité qui nous quitte…"

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18 août 2012 6 18 /08 /août /2012 10:09

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Comment faut-il la considérer ?

 

Malgré son caractère, à première vue, « merveilleux », l’hypnose doit être considérée aussi froidement que d’autres thérapeutiques. En science : « il n’y a jamais de miracles, ni de remèdes absolus ». Malheureusement, il est certain que la croyance populaire actuelle demeure celle de 1870 !

 

L’hypnotiseur semble un mage, doué de pouvoirs, et qui tient entre ses mains la destinée entière de son sujet… La réalité est tout de même un peu moins fantasque et se base uniquement sur le fonctionnement du système nerveux.

 

L’hypnose peut-être un agent anesthésique temporaire. Et si de grandes opérations furent réalisées sous sommeil hypnotique, n’oublions jamais qu’elles l’étaient déjà au 19e Siècle, et rendons hommage à ces précurseurs !

 

Un grand pouvoir de l’hypnose est donc de remplacer l’anesthésie chimique. Mais on constate que dix pour cent d’individus seulement peuvent être placés dans cette manifestation « totale » hypnotique, ce qui réduit déjà singulièrement les possibilités pratiques. Autre capacité capitale : la suggestion hypnotique peut éviter les douleurs post-opératoires.

 

Faisons le point sur les capacités réelles de l’hypnose :

 

« Au-delà du tapage médiatique qui permet, soit dit en passant, de vendre en quantité non négligeable, on constate que l’hypnose se heurte à ses propres limites ».

 

  • Dans les maladies mentales, il semble qu’aucun résultat positif n’ait été obtenu. Beaucoup d’aliénés sont rebelles à l’hypnose ; celle-ci produit souvent chez eux des réactions délirantes.

 

  • En psychologie, de spectaculaires « Faux Succès » peuvent être obtenus. Il semblait très logique de pouvoir, par hypnose, délivrer des idées fixes, des phobies, du bégaiement, des obsessions…Et l’on constate souvent, en effet, que certains troubles disparaissent rapidement. « Mais seul les symptômes s’en vont, et les résultats ne sont nullement permanents ».

 

Pourquoi ?

 

Parce que la tendance profonde demeure… Tel une charge condensée que l’hypnose seule ne peut déverrouillée. L’exemple de la cocotte minute me semble la plus appropriée : Vous bouchez une fuite de vapeur… et une autre apparaît ! De même, vous ôtez un symptôme… pour qu’un autre se manifeste. Une partie locale du système nerveux est donc soignée sans que pour autant la source (cérébrale) ne soit guérie, « c’est élémentaire ».

 

Si un symptôme disparaît, il y a donc beaucoup de chances pour qu’un autre prenne sa place ! Faites disparaître ce deuxième symptôme, et un troisième apparaîtra… Ce qui montre que la tendance maladive n’est nullement éliminé par l’hypnotisme.

 

Une preuve concrète :

   

Voici un perfectionniste (voir l'article sur le perfectionnisme). Supposons que ce perfectionniste souffre de sa solitude, de son abandon, de son émotivité, de sa timidité... Il désirera donc guérir de cette émotivité, de cette timidité, de cet isolement, qui sont des symptômes !. Mais désirera t-il guérir de sa "névrose profonde", soit son perfectionnisme ? Non... Puisque ce perfectionnisme est pour lui "une sécurité".

 

On voit donc que dans un cas de ce genre, l'hypnotisme est parfaitement inopérant ! La volonté de l'hypnotiseur entrerait en conflit avec la volonté profonde de l'hypnotisé, et aucun résultat ne sera atteint. Les multiples expériences connues depuis Mesmer attestent cet exemple, on ne peut aller au-delà d'un certain seuil d'acceptation sous hypnose, sans heurter la volonté intime du patient.

 

En conclusion...

    

Il s’agit donc, en toute logique, de procéder avec une méthodologie propre à chaque individu. La psyché humaine n’est jamais « chose toute faite ». Prétendre donc que l’hypnose peut, à elle seule, occulter toutes les formes de psychothérapies est une chimère !!  Certains contredirons avec véhémence ces propos, probablement parce que leurs techniques thérapeutiques sont uniquement fondées sur ce processus.


Par contre, utiliser l’hypnose avec justesse et objectivité, en complément des différentes méthodes d'analyse, peut apporter indubitablement de bons résultats.

  

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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 15:07

"Cruauté, voyeurisme morbide, violences psychologiques et sexuelles, humiliations : La téléréalité semble devenue folle..." Et le drame se joue maintenant !

 

-Documentaire Infrarouge sur France 2-

 

Son arrivée au début des années 2000 ouvrait une nouvelle ère dans l'histoire de l'audiovisuel. Cinquante ans d'archives retracent l'évolution du divertissement : comment la mise en scène de l'intime, dans les années 80, a ouvert un nouveau champ, comment la privatisation des plus grandes chaînes a modifié le rapport au téléspectateur.


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A l'aide de spécialistes, dont le philosophe Bernard Stiegler, ce documentaire démontre comment l'émotion a fait place à l'exacerbation des pulsions les plus destructrices !

      

 

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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 12:22

Grand acclimateur de la théorie linguistique, Claude Lévi-Strauss a atteint par son œuvre scientifique un rayonnement international. Mais c’est autant le penseur sensible à la nature et l’écrivain talentueux que les Français ont découvert en lisant Tristes tropiques.

 

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<< Depuis qu'il commencé à respirer, et à se nourrir, jusqu'à l'invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu - et sauf lorsqu'il se reproduit lui-même -, l'homme n'a rien fait d'autre qu'allégrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d'intégration.>>  

 

« J’étais à l’époque une sorte de structuraliste naïf. Jakobson m’a révélé l’existence d’un corps de doctrine déjà constitué dans une discipline, la linguistique, que je n’avais jamais pratiquée. Pour moi ce fut une illumination. » C’est ainsi qu’avec le recul Claude Lévi-Strauss décrit sa rencontre, à New York en 1942, avec le linguiste praguois Roman Jakobson. De cette « illumination », il a tiré depuis une œuvre, une méthode, une vision des cultures humaines, en même temps qu’il introduisait le structuralisme en sciences sociales.

 

À l’avant-garde du structuralisme français

 

Né en 1908 dans une famille cultivée, Lévi-Strauss est, en 1934, un jeune agrégé de philosophie assez déçu par son métier et par ses engagements politiques à gauche. L’occasion lui est offerte d’aller enseigner la sociologie à São Paulo, Brésil  : il la saisit. Il y restera presque cinq ans, profitant des vacances pour visiter les villages indiens du Matto Grosso. L’ethnographie est sa nouvelle vocation. En 1940, il est en France libre et, pour fuir les persécutions antisémites, traverse l’Atlantique où, en compagnie d’autres exilés européens, il enseigne à la New School for Social Research, écrit sur les Nambikwaras du Brésil et se spécialise en ethnologie américaine. C’est là, entendant Jakobson, qu’il entreprend d’acclimater la notion de structure à son propre champ d’étude : les mœurs, la culture. Il publie plusieurs textes sur le sujet qui le font connaître aux États-Unis, puis, de 1945 à 1948, il est à New York comme attaché culturel. Son premier ouvrage, Les Structures élémentaires de la parenté, qui paraît en 1949 à Paris est un événement salué.

 

Dans ce gros livre, Lévi-Strauss développe une thèse : tous les systèmes de parenté remplissent une fonction primordiale qui consiste à codifier les règles du mariage entre familles. Certaines sociétés les organisent de façon systématique et contraignante : on parle alors de « systèmes élémentaires ». Lévi-Strauss montre que les formes d’échange qui en résultent suivent un petit nombre de modèles, restreints ou généralisés. En quoi cela fonde-t-il le « structuralisme » ? La notion existait en anthropologie : on parlait de « structure sociale » pour désigner ce que dans les sociétés lettrées on appelle les « institutions » (organisations familiales et politiques).

 

Mais dans l’usage de Lévi-Strauss, une structure est autre chose : une représentation inconsciente (déjà présente dans les théories Freudiennes), comme peuvent l’être dans le cas de la langue les règles de formation des mots et des phrases. D’autre part (il prend cela à Jakobson), la parenté forme un système : pour le comprendre, on doit en considérer l’état présent et non l’histoire. Telles sont les idées qui transforment le structuralisme en réponse d’avant-garde pour toute question qu’on voudra lui soumettre : histoire, culture, psychologie, psychanalyse, littérature, sociologie. « Avant-garde » veut dire « inévitable », mais pas partout apprécié : Lévi-Strauss, deux fois retoqué, attendra neuf ans pour entrer au Collège de France, alors qu’il est l’anthropologue le plus brillant et le plus lu de sa génération, grâce à un récit philosophique, Tristes tropiques (1955), qui dénonce l’extinction des cultures amérindiennes.

 

 

Perplexité et admiration

 

En 1953, Harvard lui envoie un émissaire chargé de l’embaucher : il refuse. Lévi-Strauss tient à faire carrière en France. Quand enfin il entre au Collège de France, il y installe en 1961 un grand laboratoire d’anthropologie sociale, et lance une revue, L’Homme, rapidement la plus en vue dans la spécialité. Elle l’est encore aujourd’hui. Pour Lévi-Strauss vient le temps de consolider son œuvre. Après Anthropologie structurale (1958), La Pensée sauvage (1962) programme l’extension de l’analyse structurale aux savoirs naturalistes, aux rites et aux mythes. Puis Lévi-Strauss se plonge dans la réalisation : mettre en forme et publier les travaux qu’il mène depuis 1950 sur les mythes amérindiens.

 

Ce sera son chef-d’œuvre : plus de 4 000 pages serrées montrant comment, du Nord au Sud du Nouveau Monde, les mythes, ramenés à une série d’oppositions catégorielles, se répondent les uns aux autres, et sont porteurs de sens non explicites. Encensés, rarement lus, ces Mythologiques (1964-1971), sont un aboutissement du projet de Lévi-Strauss : montrer qu’indépendamment de toute fonction, les structures existent et sont des réalités plus abstraites que concrètes, des constructions de l’esprit humain. Dans un texte resté célèbre, le « finale » de L’Homme nu (Mythologiques, t. IV), il conclut crânement que, peut-être, les mythes ne signifient « rien ». De là, sans doute, la perplexité mêlée d’admiration avec laquelle son œuvre est parfois accueillie. Mais son exemple suffit : Jean-Pierre Vernant, Marcel Détienne travailleront la mythologie grecque à sa manière.

   
En 1973, Lévi-Strauss accepte volontiers un siège d’académicien. Son œuvre est à cette date loin d’être achevée : bien d’autres travaux sur les arts, la parenté, les mythes encore viendront s’ajouter et, parfois, répondre à des objections qui lui sont faites. Depuis les années 1960, en effet, les idées de Lévi-Strauss suscitent commentaires et critiques, comme celles d’Edmund Leach en Angleterre, de Marvin Harris aux États-Unis.

 
Au tournant des années 1980, alors que Lévi-Strauss se retire de l’enseignement avec les honneurs, la tendance est, en France, à la critique de son œuvre : taxé d’antihumanisme, le structuralisme est fustigé par les nouveaux philosophes. Il est aussi attaqué pour son manque de rigueur par des critiques cyniques plus scientistes (Dan Sperber, Le Savoir des anthropologues, 1983). Il n’empêche : la marque laissée par Lévi-Strauss sur l’anthropologie et quelques autres régions du savoir universitaire est indélébile. La preuve : on discute encore aujourd’hui des Structures élémentaires de la parenté et de sa « formule canonique » appliquée aux mythes.

   

 

- Une critique des utopies fusionnelles -

  
Constatant la mondialisation de la civilisation occidentale, Claude Lévi-Strauss souligne qu’elle s’est faite sous la contrainte. À ses yeux, la valorisation de l’autre n’est pas un mouvement spontané, c’est plutôt l’ethnocentrisme qui est normal.

 
«Cette adhésion au genre de vie occidental, ou à certains de ses aspects, est loin d’être aussi spontanée que les Occidentaux aimeraient à le croire. (...). La civilisation occidentale a établi ses soldats, ses comptoirs, ses plantations et ses missionnaires dans le monde entier ; elle est intervenue directement ou indirectement dans la vie des populations de couleur ; elle a bouleversé de fond en comble leur mode traditionnel d’existence soit en imposant le sien, soit en instaurant des conditions qui provoquaient l’effondrement des cadres existants sans les remplacer par autre chose. Les peuples subjugués ou désorganisés ne pouvaient qu’accepter les solutions de remplacement qu’on leur offrait ou, s’ils n’y étaient pas disposés, espérer s’en rapprocher suffisamment pour être en mesure de les combattre sur le même terrain. En l’absence de cette inégalité dans le rapport de force, les sociétés ne se livrent pas avec une telle facilité ; leur Weltanschauung se rapproche de celle de ces tribus du Brésil oriental où l’ethnographe Curt Nimuendaju avait su se faire adopter, et dont les indigènes, chaque fois qu’il revenait parmi eux après un séjour dans les centres civilisés, sanglotaient de pitié à la pensée des souffrances qu’il devait avoir subies loin du seul endroit (leur village) où ils jugeaient que la vie valût la peine d’être vécue. » (Anthropologie structurale).

 

 www.scienceshumaines.com

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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 12:22

Le modèle de la famille nucléaire s'effrite peu à peu pour laisser place à ses nombreuses variantes. On ne dit plus seulement 'papa' et 'maman' mais on peut aussi dire 'maman' et 'maman' et j'en passe..


Alors, le statut de la parentalité évolue avec la société, le statut de "coparentalité" s'installe et les rôles des mères mais aussi des pères se compléxifient. De là, le business du soutien à la parentalité foisonne, organismes de soutien scolaire, coachs parentaux, livres de psychologie de l'enfant...

 

Alors faut-il renvoyer les parents à l'école?

 

C'est la question de ce débat de midi. Cliquez sur le logo:

 

france inter

 

Invités :

- Marie-Pierre Hamel, chargée de mission au département Questions sociales du Centre d'analyse stratégique

- Pierre Antilogus, journaliste, écrivain et scénariste

- Martine Fournier, rédactrice en chef de Sciences Humaines

- Yves Carraud, père de trois enfants issus de trois mères différentes

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13 août 2012 1 13 /08 /août /2012 13:00
Portrait de Jacques Derrida, à travers un documentaire américain soigné de 2002, en grande partie en français. Toute son œuvre à consisté à interroger et à « déconstruire » inlassablement les couples d'oppositions telles que parole et écriture dans la linguistique, raison et folie dans la psychanalyse...

 

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Originaire d'une famille juive d'Algérie, il fait ses études secondaires à Louis-le-Grand où il rencontre plusieurs intellectuels comme Pierre Bourdieu, Michel Deguy ou Michel Serres. Il entre en 1952 à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm et suit les cours de Jean Hyppolite et de Maurice de Gandillac : après sa rencontre avec Louis Althusser, Derrida rédige sa thèse sur 'Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl'. Après qu'il s'est lié d'amitié avec Michel Foucault, il est reçu à l'Agrégation et part enseigner aux Etats-Unis à Harvard : il n'échappe pas à la conscription en Algérie et doit rentrer en France. En 1962, le philosophe s'installe à Nice avant de retrouver la capitale pour dispenser son savoir à Normale où il est nommé maître-assistant en 1964. Ses premiers grands livres sont publiés en 1967, notamment 'De la grammatologie', 'L' Ecriture et la différence' et 'La Voix ou le Phénomène', et réexamine les thèses métaphysiques en éradiquant les présupposées de la parole ou logocentrisme de notre philosophie classique. Le fameux concept de 'déconstruction' se veut en termes heideggeriens une synthèse des ontologies contemporaines dans des oeuvres comme 'La Dissémination' ou 'La Carte Postale'. Il a consacré les années 1990 à une réflexion sur l'universalisme : ses quatre-vingt oeuvres en font le philosophe français le plus étudié à travers le monde.

    

Voici donc un entretien avec cet homme simplement extraordinaire et profondément affectif :

   

 

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13 août 2012 1 13 /08 /août /2012 12:48

"Voici le dernier document d'été de référence sur l'histoire de la psychanalyse : A partir d'une petite vidéo et d'un texte bien fourni, je vous propose la vie et l'oeuvre du pédiatre et psychanalyste Donald Woods Winnicott... qui, comme Françoise Dolto, était très attentif au bon développement des enfants."

 

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"Apprendre c'est supporter l'absence. L'identité d'un enfant se construit sur un manque, sur une frustration, sur une réponse mal adaptée à son désir. Winnicott, en élaborant sa théorie sur l'objet transitionnel nous montre comment l'enfant met en place des stratégies de substitution au manque et développe ainsi sa capacité de penser." .

 

Portrait de ce Pédiatre et Psychanalyste à qui l'on doit, entre autre, l'objet transitionnel...

  

Biographie :

 

Winnicott est issus est d’une fratrie de deux sœurs. Le climat familial dans lequel il grandit fût serein, harmonieux. Il effectuera des études médicales, puis s’intéressera au développement de l’enfant et à la psychanalyse, d’ailleurs il fera son autoanalyse. En 1923, il obtiendra un poste à Londres de pédiatre. A la fin de sa carrière, Winnicott aura examiné environ 70000 personnes, sa grande expérience de clinicien lui servira pour ses recherches. Au cours de son travail à l’hôpital, il s’orientera vers les troubles psychiatriques et son service va alors progressivement se tourner vers la psychiatrie (il appellera son service : " le snack bar en psychiatrie ". Très tôt, il va s’attacher à observer le couple Mère – Enfant, étudier les relations et les perturbations possibles que cela peut provoquer sur la santé. Winnicott aura une vue très réaliste du développent de l’enfant et en dira :

" Un nourrisson ça n’existe pas, car il est toujours en relation avec quelqu’un d’autre ! ".
" On ne peut rien comprendre à la vie psychique de l’enfant si on ne prend pas en compte la relation mère –enfant ". (Winnicott utilise beaucoup le paradoxe).

 

Ces concepts :


La préoccupation maternelle primaire : c'est l'état de la mère pendant la grossesse et quelques semaines après la naissance. La femme ne se souviendra pas de cet état. C'est l'équivalent d'un état de repli, de dissociation, de fugue vis à vis de la réalité et qui peut ressembler à un épisode schizoïde. C'est une sorte d'hyper sensibilité quasi pathologique. Une femme en bonne santé physique et mentale peut à la fois atteindre cet état et l'abandonner quelques semaines après la naissance de l'enfant. La préoccupation maternelle primaire fournit à l'enfant les conditions nécessaires à son développement. Il y a une sorte d'adéquation totale entre la mère et son bébé. Ce dernier n'éprouve aucun danger, aucune menace et peut s'investir lui-même sans problème.

 

Le holding : l'enfant vit des choses bonnes ou mauvaises hors de sa portée et dont il n'est pas responsable. Il rassemble les facteurs externes dans le champ de la toute-puissance. Il donne une signification interne à ce qui est externe. Ce sont les soins maternels qui soutiennent son Moi, encore incapable de maîtriser les expériences, bonnes ou mauvaises. Le "holding", c'est l'environnement stable, ferme et capable de porter psychiquement et physiquement l'enfant. C'est quelque chose de naturel à la mère. Elle comprend spontanément et par empathie ce qu'il faut à l'enfant, ce qui est bon pour lui. C'est ainsi que WINNICOTT peut dire que la plupart des mères sont suffisamment bonnes. La mère elle-même sait qu'elle n'est pas parfaite. Elle est capable d'assumer ses défaillances transitoires. En étant "bonne", elle entretient une "illusion positive" vis à vis de l'enfant qui croit créer lui-même la réalité extérieure. Il finira par prendre conscience de cela petit à petit. Cette illusion positive permet à l'enfant d'émerger de la fusion.

   

 

WINNICOTT distingue 3 étapes:

  

Etape de dépendance absolue: l'enfant n'est pas capable de reconnaître les soins maternels dans ce qu'ils ont de bon ou de mauvais. Il en tire profit ou en souffre et là s'arrête sa participation. Ainsi on observera au niveau du langage la mère qui s'exprime et fait les réponses à sa place. Dans le comportement alimentaire, quand l'enfant a faim, il pleure avec conviction parce qu'il est déstructuré.

 

Etape de dépendance relative: l'enfant est capable de se rendre compte en détail des soins dont il a besoin. Il les relie à des impulsions personnelles. Il les repère, les juge en fonction de ses désirs et de leur adéquation. Il n'est pas encore capable de s'en passer. Ainsi, l'enfant pourra décrypter ce que dit la mère. Quand il a faim, il pleurera pour appeler.

 

Etape d'indépendance: l'enfant peut se passer des soins, en emmagasinant des souvenirs. Il possède une certaine compréhension intellectuelle et une confiance en l'environnement. Il a introjecté les soins antérieurs et peut projeter ses besoins sur autre chose. Il est capable de différer. Ainsi il pourra répondre, prendre en charge le langage. Quand il a faim, il sait attendre un peu, et sait halluciner le biberon pour patienter.

  

L'espace potentiel : pendant les premières semaines, l'enfant vit dans un état de toute puissance magique (il a fabriqué le lait qu'il reçoit). Pour renoncer à cette omnipotence, et reconnaître l'existence de la réalité extérieure distincte, il va fabriquer, concevoir entre l'interne et l'externe une aire intermédiaire qui n'appartient ni à l'un ni à l'autre. C'est l'espace transitionnel, ou potentiel. Une des manifestations de cet espace sera l'Objet transitionnel, dont on peut distinguer plusieurs caractéristiques: c'est un objet matériel (et non un fantasme ou une hallucination), réconfortant pour l'enfant. Il a une consistance. Ce qui est transitionnel, ce n'est pas l'Objet lui-même mais son utilisation. Sa fonction est de représenter le passage entre la mère et l'environnement, de rétablir la continuité menacée par la séparation. C'est la première possession non-Moi de l'Enfant. L'Objet transitionnel ne doit pas être changé par l'extérieur, et doit avoir une permanence. L'enfant a tous les droits sur l'Objet. Il l'aime passionnément, et en même temps le maltraite et le mutile. L'Objet survit à son agressivité. Il sera délaissé quand l'enfant en aura progressivement retiré sa signification affective, l'Objet s'étant alors répandu sur tout le territoire intermédiaire qui sépare la réalité psychique intérieure du monde extérieur. C'est le territoire de la culture et de la communication, du langage et du jeu, de l'art... L'aire transitionnelle est une zone entre le Moi et le non-Moi: l'Objet transitionnel permet le passage dans cette zone. Il est à la fois une projection narcissique et une relation objectale. L'Enfant l'aime comme si c'était quelqu'un d'autre et comme si c'était lui.

 

L'agressivité : il y a d'abord un stade théorique de non- inquiétude, de cruauté. L'enfant a un but et ne se soucie pas des conséquences. Il ne se rend pas compte que ce qu'il détruit, c'est la même chose que ce qu'il estime (clivage du comportement). L'agressivité fait partie de l'amour. L'amour va jusqu'à une attaque imaginaire (du corps de la mère, de l'extérieur, de soi). L'enfant n'est pas responsable de ses actes car il ne sait pas qu'il en est responsable. Ce stade de cruauté doit être vécu pleinement: s'il n'existe pas, ou s'il disparaît trop tôt, s'ensuit une absence de capacité d'aimer, une absence d'aptitude à établir des relations objectales. Il faut en effet que cette non inquiétude soit vécue pleinement pour que le sujet puisse la dépasser. Arrive alors le stade du souci, de l'inquiétude, où l'intégration du Moi est suffisante. L'enfant peut désormais se rendre compte, se soucier des résultats de son agressivité physique ou psychique. Il est capable de se sentir coupable, de ressentir du chagrin. Un enfant en bonne santé peut supporter cette culpabilité, et donc se supporter comme coupable et agressif. Il devient alors capable de découvrir son propre besoin de donner, son propre besoin de construire et de réparer. Une grande partie de l'agressivité donne naissance aux fonctions sociales. La frustration agit comme une échappatoire à la culpabilité et engendre des mécanismes de défense, comme par exemple le clivage où il y a diminution de la culpabilité et renforcement de la haine et de l'agressivité. Cette agressivité est un élément nécessaire au développement. L'Objet interne ne doit pas seulement être gratifiant, il doit aussi être persécutant pour favoriser un potentiel réactionnel.

 

Notion de self : la mère assume un rôle de représentation continue du monde. Elle est suffisamment bonne et entretient l'illusion positive. Elle permet à l'enfant de se forger un vrai self, c'est à dire de passer de la non intégration primaire, archaïque, à l'intégration, au "je". Le vrai self permis par l'environnement, c'est, au stade le plus primitif, le geste spontané, l'idée personnelle. C'est lui qui crée l'espace potentiel, l'Objet transitionnel. Seul le vrai self peut être créateur, et peut être ressenti comme réel. Il est lié à l'idée de processus primaire (condensation, déplacement... processus inconscients) et devient une réalité vivante par la réussite répétée du geste spontané, de la pensée personnelle du nourrisson, ainsi que par l'adaptation de sa mère. L'enfant voit que c'est accepté par l'extérieur. C'est le noyau de ce qu'il est vraiment, des éléments personnels et spontanés, auxquels on adapte les événements extérieurs.

 

Lorsque l'environnement ne s'adapte pas au self, ou lorsque l'enfant ne transforme pas l'environnement suffisamment bon en environnement parfait, il se soumet aux exigences de cet environnement par peur de la désintégration. Il développe un faux self, une personnalité d'emprunt qui pourra être très bien adaptée à la société, très performante mais qui laissera toujours au sujet un sentiment d'inutilité, de vide, de néant, de futilité de l'existence. Le monde devient alors fallacieux, falsifié, il n'existe pas vraiment. Le faux self donne l'impression à la personne de jouer un rôle, de dissimuler, de faire "comme si". Le vrai self n'a alors plus droit à l'existence, et autour de lui se forge un masque qui tente de le protéger. Plutôt que d'intégrer les données extérieures à son self, le sujet en viendra à transformer son self en fonction de l'environnement. Il apprend les choses mais ne les habite pas. La réaction pourra aller jusqu'au repli autistique.

   

Ses principaux ouvrages :

  

De la pédiatrie à la psychanalyse.
Payot éd., Paris, 1969 ( Petite Bibliothèque Payot n°253)

L'enfant et le monde extérieur.
Petite Bibliothèque Payot n°205

L'enfant et sa famille. P.B.P. n°182

La consultation thérapeutique et l'enfant.
Gallimard, coll.Tel, Paris

Processus de maturation chez l'enfant.
Développement affectif et environnement.
Payot éd., Paris, 1970 (PBP n° 245)

Fragments d'une analyse. P.B.P. n°355

La petite "Piggle". Traitement psychanalytique d'une petite fille
Collected papers, London, 1958, Tavistock

The family and individual development.
London, 1965, Tavistock

 

A voir aussi: http://www.educspe.com/

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13 août 2012 1 13 /08 /août /2012 12:29

Avant dernier volet d'été de référence sur l'histoire de la psychanalyse: Voici la biographie complète de Carl Gustav Jung, éminent psychiatre en avance sur son temps ! Ses théories "originales et nombreuses" bouleversent encore le monde de la psychologie analytique...


Penseur influent, il est l'auteur de nombreux ouvrages de psychologie et de psychosociologie en langue allemande traduits en de nombreuses autres langues. Il est le fondateur du courant de la psychologie analytique. Son œuvre a été d'abord liée à la psychanalyse, de Sigmund Freud, dont il fut l’un des premiers collaborateurs, et dont il se sépara par la suite pour des motifs personnels, et en raison de divergences théoriques.

 

Carl Gustav Jung a été un pionnier de la psychologie des profondeurs en soulignant le lien existant entre la structure de la psyché (c'est-à-dire l'« âme », dans le vocabulaire jungien) et ses productions et manifestations culturelles. Il a introduit dans sa méthode des notions de sciences humaines puisées dans des champs de connaissance aussi divers que l'anthropologie, l'alchimie, l'étude des rêves, la mythologie et la religion, ce qui lui a permis d'appréhender la « réalité de l'âme ». Si Jung n'a pas été le premier à étudier les rêves, ses contributions dans ce domaine ont été déterminantes.

 

Auteur prolifique, il mêle réflexions métapsychologiques et pratiques à propos de la cure analytique. Jung a consacré sa vie à la pratique clinique ainsi qu'à l'élaboration des théories psychologiques, mais a aussi exploré d'autres domaines des humanités : depuis l'étude comparative des religions, la philosophie et la sociologie jusqu'à la critique de l'art et de la littérature. On lui doit les concepts d'« archétype », d'« inconscient collectif » et de « synchronicité ».

 

Père fondateur d'une psychologie des cultures, il a rassemblé autour de ses travaux des générations de thérapeutes, d'analystes et d'artistes. En dépit de la polémique concernant ses relations avec le régime nazi (son rôle d'agent secret des Alliés est longtemps resté méconnu), Jung a profondément marqué les sciences humaines au XXe siècle.

  

Documentaire en deux parties :

     



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