« La guerre n’est pour moi que le symbole ultime de l'ignorance, de la cruauté et de la bêtise humaine déchaînées dans une folie collective... sans limites. Une partie de mon existence a été au service de la destruction ; elle a été consacrée à l’hostilité, à la haine, à la mort. Mais la vie m’est restée, et il s’agit désormais de travailler et de remettre au jour ce qu’ont enterré les années d’obus et de mitrailleuses... alors, les morts finiront par se taire. »
Carine Trevisan, Les fables du deuil, PUF, 2002.
Un monde sans limite. Essai pour une clinique psychanalytique du social
De Jean-Pierre Lebrun
Le psychanalyste peut-il contribuer à éclairer la crise qui affecte le social et la famille en cette fin de siècle ? En s'inspirant de Jacques Lacan, Jean-Pierre Lebrun décrit un monde dans lequel le développement de la technoscience a discrédité l'autorité paternelle jusqu'au sein même de la famille et ne lui permet plus d'équilibrer le pouvoir maternel. En effet, la psychanalyse souligne l'importance de la fonction paternelle dans la constitution de la réalité psychique du sujet. Or, le discours et les pratiques sociales d'aujourd'hui tendraient, selon J.-P. Lebrun, à disqualifier le père. En remplaçant, par exemple, la notion d'autorité paternelle par celle d'autorité parentale, elles tendent à substituer une paternité génétique à la paternité symbolique. Par ailleurs, affirme l'auteur, le discours de la science privilégie les énoncés (la description « objective »), au détriment de l'énonciation (le scientifique qui parle), véhiculant une illusion de toute-puissance, voire totalitaire.
Entre un discours scientifique tout- puissant et une famille qui met en congé le père, le champ est libre pour l'évitement de la frustration, elle-même engendrée par un encadrement viril. La rencontre d'un sujet toujours tenté de s'épargner le travail psychique nécessaire pour assumer l'insatisfaction fondamentale de notre condition humaine et d'un discours social qui lui laisse croire que l'ordre symbolique ne porte plus en lui cette inéluctable déception favorise l'apparition de pathologies nouvelles : toxicomanies, délinquance, état limites. Il revient au psychanalyste de faire reconnaître que la rationalité scientifique n'est pas toute-puissante, que l'ensemble de ses énoncés est marqué par la dimension de l'énonciation et que cette dernière, même s'il n'y a plus de père pour la garantir, est néanmoins garantie par le langage, et en cela irréductible.