La psychanalyse est trop souvent mal comprise et critiquée... Voici donc 10 questions-réponses pour tenter de mieux comprendre ce qu'est "le travail sur soi"
Pourquoi s'aventurer dans un processus à deux, qu'on dit à tort interminable et coûteux, quand tout semble faire croire que la solution à nos petits et grands problèmes est en nous, et qu'ils peuvent se régler "rapidement" en prenant du temps pour soi ou en méditant ? Parce que la psychanalyse est une démarche unique en son genre. Qu'elle propose un travail de découverte de soi à nul autre pareil, à condition de la débarrasser de certains travers qui l'ont polluée au fil du temps (fausses croyances, idéologies diverses, scientisme, et autres groupuscules intolérants), nous disent les spécialistes, Serge Tisseron en tête.
Ce dernier est l'auteur de Fragments d'une psychanalyse empathique, ouvrage dans lequel il milite pour une psychanalyse ouverte d'esprit. Grâce à son aide et à celle d'autres professionnels et de patients, nous avons mis la psychanalyse sur le divan. En dix questions.
1. Qu'est-ce qu'une analyse ?
"Faire une analyse, c'est chercher l'enfant qu'on a été et celui qu'on ne veut plus être", nous dit une jeune femme qui a fait un "travail" pendant deux ans et demi. Pour Serge Tisseron, cette définition est juste, mais elle ne recoupe que le deuxième temps de ce travail. "Le premier consiste à découvrir que notre manière de réagir au monde nous est vraiment propre. La psychanalyse est la seule méthode qui invite à trouver ce qu'il y a de plus personnel et spécifique en vous, un voyage initiatique qui vous rend véritablement adulte. C'est pour cela qu'elle n'a jamais été acceptée par aucun gouvernement totalitaire."
2.Comment la distinguer d'autres types de thérapies ?
Avec le développement des autres méthodes thérapeutiques, du comportementalisme et du cognitivisme (voir l'encadré en bas de page), il est plus aisé de définir la spécificité de la psychanalyse. Pour Serge Tisseron, "c'est un espace ouvert où on a la possibilité de mettre des mots et des images sur son expérience personnelle du monde. Où l'on peut se découvrir". On ne peut le faire qu'en analyse, parce que le thérapeute accompagne sans s'imposer, sans en référer à sa propre histoire. Parce qu'il a lui-même déjà suffisamment parlé, au cours de son analyse de formation.
Qu'est-ce que la psychanalyse nous apprend ? "Deux choses essentielles, selon Maud Sauvageot, psychanalyste. D'abord, que ce que vous vivez vous appartient. Un patient vous dit par exemple: "J'ai perdu ma mère il y a trois ans, je suis triste tous les jours, mais c'est normal." Votre rôle de psychanalyste consiste à lui faire comprendre que le lien de cause à effet ne justifie pas tout, qu'il existe sûrement d'autres causes à cette tristesse. Car la réalité du monde qui appartient à chacun -la réalité psychique- est dépendante de l'environnement, mais pas seulement. La deuxième chose, c'est que la représentation que chacun se fait de sa vie est liée au présent, mais aussi à la persistance du passé."Nous avons des zones de fragilité malgré les forteresses que nous avons édifiées. Et nous réagissons souvent à des situations actuelles comme nous l'avons fait dans le passé." C'est ce que l'analyse propose de dénouer.
3.Pourquoi la psychanalyse a-t-elle parfois eu mauvaise réputation ?
L'image d'un Freud au visage sévère (ravagé par un cancer de la mâchoire) est devenue le symbole de la psychanalyse, déplorent certains praticiens, comme Serge Tisseron. "Après guerre, elle a connu un essor comme phénomène culturel, explique-t-il. Elle a été développée en partie par des praticiens juifs traumatisés par la Shoah. Rien ne prédestinait la psychanalyse à cette rencontre avec l'Histoire, mais celle-ci a eu de lourdes conséquences, invitant les psychanalystes à cultiver cette figure tragique. Que l'on retrouve dans le choix du silence."
S'est ajouté à ces raisons historiques le fait que nombre de psychanalystes ont mis en avant la difficulté de leur travail et la souffrance que celui-ci pouvait charrier. Ils ont ainsi véhiculé l'image d'un thérapeute qui gratte ses propres plaies pour rester en empathie avec le patient. Par ailleurs, les psys "modernes" sont sévères à l'égard d'une forte tendance, dans les années 1950 jusqu'aux années 1980-1990, à ne pas se soucier du bien-être du patient, à ne penser qu'à son inconscient et pas à son conscient, à ignorer sa réalité familiale. La discipline est tombée dans une foule d'ornières, disent-ils. Pour Serge Tisseron, "il est important de débarrasser la psychanalyse de ses scories pour retrouver ce qui en fait son essence: l'émergence de la force vitale du patient, le coeur du message originel de Freud, trop souvent détourné".
4.Y a-t-il un danger à faire une analyse ?
On a entendu des patients nous faire part de leur crainte de se retrouver "perdus au milieu du gué". D'autres encore reconnaître: "Ça peut être violent, une séance qui s'arrête comme ça, tout net"; ou: "Il faut beaucoup de courage, car on se retrouve parfois en plein désarroi, mais vous êtes guidé, jamais seul"... La réponse des psys est unanime. Dès que vous acceptez de confier une partie de votre corps ou de votre esprit, vous courez un risque. "Mais la vie est composée de risques. Faire confiance, c'est courir le risque d'être déçu. Mais ne pas faire confiance, c'est être déçu quoi qu'il arrive. Car aucune porte ne s'ouvrira", affirme Jean-Pierre Winter, psychanalyste et auteur de Transmettre (ou pas) (Albin Michel, 2012).
5.A trop fouiller en soi-même, ne risque-t-on pas de devenir narcissique ?
Au début du travail, il y a un moment où le patient est plus centré sur lui et il revendique davantage ses propres désirs. Réprimés dans l'enfance, ceux-ci refont surface. Une fois qu'il les a nommés et qu'il a pris conscience du fait qu'il ne pourra jamais les satisfaire, il apprend à les laisser filer. C'est ce que l'on appelle, "sous un nom horrible", selon Serge Tisseron, la castration symbolique. "Accepter que le passé ne se reproduira plus et que l'avenir ne pourra pas le réparer. Mais que, dans le présent, on peut apprendre à vivre en paix." Une des grandes vertus de la psychanalyse est de nous amener à ne pas répéter toujours les mêmes choses.
6. Est-il possible d'entamer une analyse quand on va très mal ?
Ce n'est pas le fait d'aller mal qui est déterminant, mais celui de présenter un symptôme que l'on peut précisément décrire ou non. Si le patient est sujet à de sérieuses crises bipolaires ou à des accès de décompensation récurrents, c'est un psychiatre qu'il faut consulter, pour qu'il prescrive le médicament adapté. Peut-être y a-t-il une thérapie comportementale et cognitive (TCC) adaptée à ce symptôme.
La psychanalyse intervient soit quand on a déjà consulté un psychiatre ou un comportementaliste et que ça n'a pas marché, soit parce qu'on éprouve le désir de mieux se connaître, soit pour débloquer les causes profondes relatives aux symptomes douloureux. Certains font une analyse parce qu'ils ont le sentiment qu'une partie d'eux-mêmes ne parvient pas à s'exprimer. Ils n'arrivent pas à communiquer avec leurs proches, par exemple. "On peut vivre sans se soigner de cela, bien sûr, ce n'est pas une maladie, mais c'est un confort. La psychanalyse s'occupe de patients qui ont une vraie souffrance, mais aussi de ceux qui souhaitent, simplement, mieux vivre", résume Serge Tisseron.
7.Comment savoir si on est tombé sur le bon psy ?
Trouver qu'un psy est mauvais fait-il de lui un mauvais psy ? Pas si simple. "La relation entre un thérapeute et son patient est éminemment subjective", observe Mickael Benyamin, psychologue clinicien et psychothérapeute. "Un patient peut être frustré par le silence d'un thérapeute, quand son voisin trouvera intrusifs les conseils et les paroles d'un autre", précise-t-il. Trouver le bon, c'est avant tout trouver celui avec lequel on se sent bien. Mais la réciproque a ses limites: ne pas avoir le feeling avec l'un n'en fait pas un mauvais professionnel.En revanche, ce n'est pas parce qu'un analyste est empathique que c'est un bon analyste. Plus prosaïquement, selon Serge Tisseron, il vaut mieux choisir un psychanalyste d'un certain âge, car "les jeunes psys ont besoin d'argent, donc, ils acceptent trop de patients... Traditionnellement, les psychanalystes recevaient trois fois avant de démarrer ou non l'analyse. Ça ne se fait plus et c'est dommage".
8.Peut-on émettre des doutes quant à la parole du psychanalyste ?
Il arrive, lorsque vous manifestez votre désaccord, surtout au début, que l'analyste vous dise: "Si ça doit se passer ainsi, le travail va être impossible." Comment peut-on savoir à ce moment-là si l'on a raison et si l'analyste n'est pas le bon, ou si ce qu'il dit est une manière de vous signifier quelque chose? "Il est important de comprendre qu'une bonne analyse est une succession de moments malheureux -parce qu'il y a de la souffrance- et heureux. S'il n'y a que de la souffrance, changez d'analyste", résume Serge Tisseron.
9.Faut-il absolument s'allonger ?
Pas nécessairement... surtout lors d'un suivi de type psychodynamique. Mais la plupart des patients que nous avons questionnés en sont convaincus, la position allongée leur a permis de débloquer des choses, d'oser prononcer des phrases qu'ils ne se seraient pas permises s'ils avaient été en face à face. Pourtant, certains thérapeutes pensent que le fait de pouvoir voir, interagir, permet aux patients d'avancer en souffrant moins.
Didier Anzieu, auprès de qui Serge Tisseron suivait une analyse, "faisait en sorte que je le voie me regarder, me permettant ainsi de mieux me voir moi-même", dit-il. Mais la doxa dans les écoles de psychanalyse, c'était: allongé ou rien! Or, pour Serge Tisseron et d'autres, de plus en plus nombreux, le patient allongé surévalue le moindre bruit de gorge ou de lime à ongles.
Aujourd'hui, beaucoup de psys qui pratiquent le face-à-face ne s'en vantent pas, car ils craignent toujours de passer pour des anti-freudiens ne respectant pas le "principe de neutralité". Le respect de ce même principe conduit une grande partie des psys à adopter le plus grand silence.
10.Comment sait-on qu'on est arrivé au terme d'une analyse ?
C'est une décision qui se prend à deux, mais dont le patient sent souvent l'imminence. Parce qu'il se sent tout simplement mieux dans sa vie amoureuse, affective, sociale. Face à cela, il y a deux types d'analystes: ceux qui veulent continuer, parce qu'ils estiment qu'il y a encore du travail à faire, et ceux qui reconnaissent qu'un chemin important a été parcouru, que leur patient a évolué et qu'il est prêt pour une pause, temporaire, ou un arrêt. "J'ai des patients avec qui nous avons fait un travail formidable pendant un, deux ou trois ans et qui reviennent des années plus tard parce qu'ils traversent une épreuve, raconte Serge Tisseron. C'est très sain et ce n'est pas le signe que le travail a été mal fait. Des analyses qui durent dix ans sont pour moi une ineptie. On ne va quand même pas s'embarquer en CDI avec son psy, surtout à notre époque!" En somme, on fait une analyse pour vivre, on ne vit pas pour faire une analyse.