Questions à la psychanalyste Gisèle Harrus-Révidi:
Beaucoup de parents n’assument plus leur rôle affectif. Et l’enfant, pour compenser sa souffrance, se sacrifie en mûrissant trop vite. La psychanalyste Gisèle Harrus-Révidi consacre un ouvrage, Parents immatures et enfants adultes (Payot, 2004), à ce drame familial.
Gisèle Harrus-Révidi : Je crois qu’actuellement, il touche une part non négligeable de la population. Et, curieusement, il n’a jamais été traité par les psychanalystes. Mûrir à son rythme, soutenu par des parents qui apportent un espace psychique pour penser et aimer, fait actuellement figure de luxe. Or, c’est une nécessité.
Le cinéma, la télévision montrent, sous l’angle de la comédie, des parents infantiles pris en charge par leurs enfants. On en rit, mais dans la réalité, c’est tragique : l’enfant est obligé d’endosser le rôle de parents de ses propres parents. Et se sent coupable de ne pas y arriver. Le pire est que cette hypermaturité est le destin le plus enviable quand on a ce type de parents. Seul l’individu qui a pu trouver un soutien, des modèles en dehors de sa famille y accède. La norme serait plutôt la répétition de l’immaturité parentale.
Il est très difficile de dresser un tableau clinique complet de l’immaturité – ou de l’hypermaturité. En effet, certains parents – ou enfants – présenteront tels traits caractéristiques et pas tels autres. Néanmoins, des constantes apparaissent. En premier lieu, l’immaturité affective décrite ici est très différente de l’immaturité bien visible du « parent copain ». Les parents dont je parle ont pour particularité première de nier la spécificité de l’enfance : ils sont indifférents à la leur, qu’ils évoquent sans la moindre émotion. Ils ont, très clairement, un problème important avec le temps et les souvenirs. C’est comme s’ils évoluaient dans une temporalité immobile. D’ailleurs, ils ont la particularité de paraître nettement plus jeunes que leur âge. On a l’impression que les événements n’ont nulle prise sur eux.
Ces parents sont également très centrés sur eux-mêmes, au point d’être totalement sourds aux besoins de réassurance, de soutien et d’affection de leur enfant. Ils ne le protègent pas, n’éprouvent aucun sentiment de devoir vis-à-vis de lui. Leur fille rêve de faire de la danse ? Si le professeur habite trop loin à leur goût, ces parents ne vont pas sacrifier leur bien-être, et la fillette devra renoncer à sa passion. De plus, l’adulte immature manque d’esprit pratique. Les gestes de la vie courante sont exécutés en dépit du bon sens : un marteau servira de casse-noisettes, ou bien les assiettes seront entreposées dans la salle de bains. Il est fréquent que les patients ayant eu de tels parents se plaignent d’attitudes à la limite du sadisme. L’un d’eux me confiait que ses parents s’étaient amusés à lui laisser croire qu’il était possible d’épouser son père ou sa mère !
Pourquoi les individus immatures fondent-ils des familles ?
Pour faire comme tout le monde et, parfois même, dans le secret espoir que, plus tard, leurs enfants s’occuperont d’eux. Ce ne sont pas de "vrais" parents, mais d’éternels enfants.
Une de mes patientes me racontait qu’elle avait toujours restreint ses envies et ses besoins, parce que ses parents n’étaient jamais disponibles. Elle voulait qu’ils l’aiment, aussi faisait-elle ce qu’ils attendaient : elle essayait de se rendre inexistante, et devenait une petite souris dans son coin. Malgré ça, elle avait tout le temps conscience qu’elle les dérangeait. Elle ne faisait jamais de caprices, parce qu’elle n’avait pas suffisamment confiance en eux pour en faire. Pour elle, faire des caprices, c’était se savoir aimée. L’hypermature doit donc lutter contre ces deux lieux communs : que toute mère est dotée d’un instinct maternel, et que les parents veulent forcément le bonheur de leurs enfants. Il a vécu exactement l’inverse.
De plus, il constate que ses choix, sa vision du monde sont sans rapport avec ceux de son entourage. D’où un sentiment de différence très inconfortable. Vu de l’extérieur, l’ancien enfant hypermature est souvent quelqu’un qui réussit professionnellement, notamment dans les métiers de soin, car, depuis son plus jeune âge, il a pris les autres en charge. Mais derrière la façade, quelle souffrance ! Profondément, l’hypermature ne s’aime pas et ne se trouve pas aimable. Généralement, c’est un grand angoissé, qui se sent en permanence le dos au mur et qui tend à tout intellectualiser pour se protéger. Ses failles affectives peuvent cependant être comblées, dans une certaine mesure, par un travail sur soi.
Comment agir avec des parents qui ont gâché votre vie ?
Les haïr, s’acharner violemment sur eux, reviendrait à reprocher à un myope sa myopie. Il faut se protéger, en leur disant par exemple : « Je t’interdis de me parler comme ça, c’est inacceptable. » Impossible de leur en demander plus. Ils ne deviendront jamais de gentils parents.
Les immatures ne se reconnaissent pas du tout dans les descriptions qui sont faites d’eux, car ils ont l’impression de faire énormément pour leur entourage.
Parents immatures et enfants adultes (Payot, 2004) - Gisèle Harrus-Révidi - psychologie.com