Nietzsche, grand critique de la modernité, en incarne néanmoins l'esprit et l'éthique. Bien qu'il développe des arguments contre la démocratie, le libéralisme ou les différents mouvements sociaux progressistes, son attaque est au moins partiellement réalisée dans le style moderne des Lumières, réfutant les idées existantes au nom d'un avenir meilleur. En dépit de son gout vif pour les cultures passées telles que l'Antiquité classique, ou de sa défense de certaines valeurs pré-modernes, Nietzsche demeure concentré sur le présent et l'avenir, attaquant la tradition pour réclamer une nouvelle société et une nouvelle culture. Un élan d'innovation, impliquant la négation de l'ancien et la création du nouveau, est donc au cœur même du travail théorique complexe et souvent énigmatique de Nietzsche, qui, dans l'esprit de la modernité, affirme la transcendance et le développement de l’antique en tant que valeurs cruciales pour les individus et la société contemporains.

 

Nietzsche a voulu dépasser la modernité pour atteindre un mode supérieur de culture et de société, qui créerait des individus plus forts et plus complètement développés. Il pensait que de nouvelles potentialités pour la créativité individuelle et pour "une plus haute" forme de culture, rendus possible par l'éruption de la modernité, avaient été réduites et réprimées par l'organisation sociale et politique, et exigeait donc un changement socio-culturel radical. Cela aussi, cependant, représente à certains égards une posture très moderne. Ainsi, malgré ses attaques contre la modernité, Nietzsche incarne un ethos moderne de la critique, et tout au long de sa carrière il s'en est pris aux idoles éternels et contemporains de l'esprit, qu'il considérait comme des obstacles à une pensée et à une vie libres.

 

Dans cette étude, je vais interroger la critique que Nietzsche propose de la culture de masse dans son analyse de la modernité comme dans des perspectives philosophiques plus larges. Je soutiens que Nietzsche a développé une des premières grandes critiques philosophiques de la culture de masse, qui a inspiré plus tard les penseurs à la fois plus à droite, tels que Heidegger et Junger, et plus à gauche, tels que les membres de l’École de Francfort et Foucault. Nietzsche a été l'un des premiers à considérer la culture de masse comme centrale dans les processus modernes de reproduction sociale, et en particulier dans ce qu'il considérait comme les traits distinctifs des sociétés modernes : la massification et l'éradication de l'individualité, la création de sociétés grégaires et la médiocrité. Il a donc été une source majeure des critiques ultérieures de la société et de la culture de masse, qu'il voyait comme des forces de décadence et de nihilisme, sapant la vitalité culturelle et empêchant la création et la diffusion d'une véritable culture et d'individus forts.

 

Le débat sur la culture de masse

 

Les critiques de la culture de masse et de la presse ont commencé à émerger à la fin du 18e siècle. Ces critiques s'enracinaient dans des réflexions sur la vie moderne et les loisirs qui apparurent au 16ème siècle avec la disparition du féodalisme. La montée des révolutions industrielles et démocratiques a été accompagnée par l'émergence de la littérature populaire, du journalisme et de la presse moderne qui alimentèrent de grands débats sur leur impact et leurs conséquences. Des penseurs comme Montaigne et Pascal ont évoqué le besoin de divertissement dès le 16ème siècle, et des écrivains comme Goethe s'en sont pris au divertissement banal offert par la presse et la culture de masse, notant qu'il fonctionnait comme principal moyen d'échapper à la réalité sociale.

"Nous avons des journaux pour chaque heure de la journée. Et quelqu'un d'intelligent peut même en avoir un peu plus. Et ainsi tout, tout ce que chacun fait, veut, écrit, même ce qu'il prévoit, se trouve exposé publiquement. L'on ne peut plus se faire plaisir, ou souffrir, que pour le divertissement de tous, dans la plus grande précipitation tout cela est transmis de maison en maison, de ville en ville, d'empire à empire, et enfin d'un continent à l'autre [1]. "

Pour Goethe, la presse constitue un gaspillage de temps au cours duquel le lecteur "gâche les jours et vit de la main à la bouche, sans créer quoi que ce soit[2]." De même, anticipant les réflexions de Nietzsche, il a critiqué la manière dont le divertissement moderne et la presse promouvait la passivité et la conformité, épinglant dans une chansonnette la manière dont la presse veut régaler ses lecteurs d'à peu près tout, sauf d'idées dissidentes :

"Laissez-nous tout imprimer
et nous occuper de tout.
Mais nul ne doit remuer
Qui ne pense pas comme nous [3]."

D'autres ont une vision plus optimiste de l'impact des médias de masse, et en particulier de la presse. Karl Marx, par exemple, a une opinion particulièrement haute de la presse et de son rôle pour la promotion de la démocratie et les libertés civiles, lorsqu'il écrit en 1842 :

“Une presse libre est l'œil vigilant et omniprésent de l'âme du peuple, l'incarnation de la foi d'un peuple en lui-même, le lien éloquent qui relie l'individu avec l'État et le monde, la culture incarnée qui transforme les luttes matérielles en luttes intellectuelle et idéalise leur forme matérielle brute. C'est la confession franche d'un peuple à lui-même, et le pouvoir rédempteur de la confession est bien connu. C'est le miroir spirituel dans lequel un peuple peut se voir lui-même, et l'examen de soi est la condition première de la sagesse. C'est l'esprit de l'État, qui peut être répandu dans chaque chaumière, pour moins cher que le gaz de houille. Il est de tous côtés, omniprésent, omniscient. C'est le monde idéal, qui ressurgit sans cesse du monde réel, et reflue vers lui gros de toutes les richesses spirituelles, et renouvelle son âme[4].”

Dans les années 1840, la presse était donc le terrain d'un conflit dans lequel s'opposent défenseurs fervents et détracteurs. Certains la considéraient comme un instrument d'éveil et de progrès, tandis que d'autres la considéraient comme un véhicule de distraction et de banalité.

 

En outre, différents groupes politiques élaboraient au même moment leurs propres organes de presse et s'efforçaient de modeler l'opinion publique de différentes manières. La critique la plus radicale est venue de penseurs comme Kierkegaard qui considérait la presse comme un chien d'attaque, violent, qui poursuit les individus de méprisable manière et diffuse une opinion publique "fantôme" et mensongère[5]. La contribution de Nietzsche consiste à étendre la critique de la presse développée par ses prédécesseurs à une critique de la culture et de la société de masse dans leur ensemble. Tout au long de ses œuvres, Nietzsche considère la culture comme un élément central de la vie humaine et estime qu'une culture forte et vigoureuse engendrerait des individus distingués, créatifs et puissants, alors qu'une culture faible et fragmentée créerait des êtres inférieurs et médiocres. Sa critique est née dans ses premiers écrits, qui insistaient sur le contraste tranché entre une culture grecque, forte et vigoureuse, et une culture allemande de plus en plus banale ; elle se poursuivit dans ses écrits tardifs dans lesquels il opposait ses propres conceptions de la culture et de l'individu forts aux conceptions européennes modernes alors dominantes.

 

La critique de la culture de masse chez le jeune Nietzsche

 

Le premier Nietzsche voyait la Grèce comme le modèle d'une culture forte, dynamique et organique, propre à produire des individus robustes et créatifs. Dans son premier livre publié, La naissance de la Tragédie, Nietzsche opposa la vibrante culture dionysiaque, présente dans la Grèce pré-socratique et les premières tragédies grecques, à une vision Apollinienne, plus rationaliste, à l’œuvre dans la raison socratique et dans les tragédies grecques plus tardives. La culture dionysiaque est éminemment une culture d'affirmation de la vie, exprimant les énergies corporelles et les passions, unissant les individus dans des expériences culturelles partagées d'extases, d'ivresse et de fêtes, dont Nietzsche pensait qu'elles pouvaient engendrer des individus robustes et une culture vigoureuse.

 

Selon Nietzsche, la culture socratique a été une réponse à l'effondrement et à la fragmentation de la culture tragique grecque, qu'elle a tenté de remplacer par un ensemble de valeurs éthiques homogènes et partagées, de normes théoriques et de procédures méthodologiques basées sur la logique et le raisonnement socratiques, qui devaient substituer aux dieux guerriers des Grecs une culture rationnelle plus unifiée. Dans un sens, la culture socratique a ainsi fourni un remède à une urgence culturelle, utilisant l'extrême rationalisme pour faire plier les fortes impulsions belligérantes qui avaient été libérées et que Socrate / Platon estimait être devenues incontrôlables. Il en résulta un équilibre entre raison, connaissance et vertu, faisant de la raison l'instrument à la fois de la vérité et de la moralité[6].

 

Ainsi, la culture socratique a remplacé ce que Nietzsche considérait comme une profonde vison tragique, pré-socratique, de la souffrance et de la rédemption par la culture, par l'optimisme socratique, qui considère que la raison peut découvrir la vérité et produire une vie bonne. Pour Nietzsche, le triomphe de l'homme selon la théorie socratique est à l'origine du rationalisme moderne et de l'optimisme des Lumières. Il a mis cela en balance avec un pessimisme tragique qui, à la manière de ses premiers mentors Schopenhauer et Wagner, considérait la grande philosophie et l'art comme des professeurs et comme des rédempteurs de l'humanité, et comme les instruments nécessaires à des cultures saines et fortes[7]. Dans l'ensemble de son œuvre, Nietzsche a présenté la culture Socratique comme une force informant la période moderne, et aboutissant à une négation de la vie (par exemple, Le crépuscule des idoles, "Socrate"). "Socrate" pour Nietzsche est donc un symbole du pourrissement, de l'atrophie des instincts de vie par laquelle la raison en est venue à dominer le corps et les passions. Processus qui se sont intensifiés au cours des siècles et que Nietzsche a vu comme constitutifs de l'ère moderne.

 

Dans La naissance de la Tragédie, Nietzsche a défendu le théâtre musical de Richard Wagner en tant que force culturelle potentiellement revitalisante, dont il espérait qu'elle entrainerait une renaissance de la culture allemande, et avec il noua avec lui une profonde, quoique conflictuelle, amitié. En effet, Nietzsche était devenu un visiteur assidu de la maison de Wagner à Tribschen et un propagandiste des pièces musicales du maestro, dont il espèrait qu'elles puissent servir de base à une nouvelle culture allemande. Vers la fin de l'ouvrage, Nietzsche décrit l'avilissement de l'art contemporain et la manière dont le faible niveau de la critique culturelle, « formaté par l'éducation et les journaux », a conduit à l'impossibilité d'apprécier l'art véritable :

“La tentative, par exemple, d'utiliser le théâtre comme une institution pour l'éducation morale du peuple, encore envisagée sérieusement au temps de Schiller, est déjà comptée parmi les incroyables antiquités d'un type d'éducation daté. Tandis que la critique a la haute main sur le théâtre et les salles de concert, le journaliste sur les écoles, et la presse sur la société, l'art dégénère en vulgaire sujet de conversation, et la critique esthétique est devenue le moyen de produire une sociabilité vaine, distraite, égoïste, et pardessus tout lamentablement banale” (La naissance de la Tragédie, S22, pp. 133-134).

Nietzsche perçoit ainsi cette culture massifiée, perpétuée à la fois par la scolarisation et par la presse, comme un travail de sape de l'art authentique, accouchant d'une culture médiocre. Nietzsche lui-même espérait créer les fondements philosophiques d'une nouvelle culture qui revitaliserait l'Allemagne et a entrepris d'étudier la philosophie grecque qu'il pensait à même de fournir les éléments essentiels d'une culture "affirmant la vie", créant des individus forts et supérieurs. En 1873, toutefois, Nietzsche s'est détourné de ses méditations sur la philosophie grecque et a projeté de développer ses propres perspectives philosophiques, en écrivant une série de critiques de l'époque contemporaine. Les commentateurs voient souvent ce basculement vers le contemporain comme une tentative de satisfaire Wagner, qui méprisait les études purement philologiques ou philosophiques, et comme une intervention active de Nietzsche dans les conflits culturels allemands de son temps[8]. Bien que l'asservissement au projet wagnérien de façonner la culture allemande contemporaine, ainsi qu'au désir de Wagner de voir publier une critique de son ennemi Strauss, à qui il était arrivé de le critiquer, puisse avoir influencé l'intention première de Nietzsche, le virage vers les « considérations inactuelles » a constitué un mouvement décisif pour approcher la culture contemporaine qui devenait un élément central du nouveau projet philosophique de Nietzsche.

 

Nietzsche a commencé à s'en prendre à l'essentiel des phénomènes de son époque dans une série de Considérations inactuelles qui attaquaient, dans l'esprit des Lumières, les personnages et les caractéristiques clés de l'Allemagne et de l'époque moderne, tout en proposant des idées pour un renouveau culturel. La cible des premières Considérations fut l'écrivain allemand David Friedrich Strauss, auteur d'une influente Vie de Jésus qui, au terme d'une analyse détaillée de la place de Jésus dans les Évangiles, a conclu que le christianisme était un mythe qui correspondait aux besoins de la population de l'époque. Nietzsche a lu la bombe démystificatrice de Strauss à vingt ans, et a été profondément impressionné par sa critique philologique[9]. Après avoir rendu hommage aux travaux antérieurs de Strauss, Nietzsche critiqua vivement ses écrits plus récents, qu'il considérait comme un exemple du philistinisme qui régnait en l'Allemagne depuis sa victoire sur la France et l'unification, et qui a bloqué la renaissance de la véritable culture qu'il désirait (Dionysos, S2). Condamnant la joyeuse auto-satisfaction des Allemands après la guerre franco-prussienne, Nietzsche écrit :

"Je sens cette joie extatique dans l'incroyable confiance en eux des journalistes allemands et des faiseurs de romans, de tragédies, de poèmes et d'histoires. Ces hommes forment clairement un club étroitement soudé, conspirant à la fois pour contrôler les heures que l'homme moderne consacre aux loisirs et à la digestion, qui est son 'moment de culture', et pour l'assommer d'imprimés. Depuis la guerre, tout est joie, dignité et auto-satisfaction pour ce petit club. Après un tel «triomphe de la culture allemande » ses membres se considèrent non seulement comme établis et autorisés, mais presque comme sanctifiés, et parlent ainsi d'autant plus solennellement. Ils se délectent d'appels directs à la population allemande, publient leurs œuvres à la manière d'auteurs classiques, annonçant même dans les journaux à leur disposition ceux de leurs pairs qui nous servirons de nouveaux classiques (Dionysos, S1).

Voilà qui constitue pour Nietzsche un « abus de succès », et il espère que certains Allemands au moins entreprendront de critiquer "le spectacle affligeant qui se joue devant eux" (ibid.). Nietzsche lui-même reproche à "la caste érudite" d'avoir négligé "la culture populaire allemande" et de ne pas prendre au sérieux l'absence d'une culture dynamique et unificatrice en Allemagne. Strauss, pour Nietzsche, a été le modèle du "philistinisme culturel" que Nietzsche estime responsable de l'effondrement de la culture et de la société allemande contemporaine. Nietzsche a été particulièrement consterné que Strauss s'auto-proclame professeur de nature allemande, moule et sculpteur de la génération à venir, maître à penser de la jeunesse. Pour Nietzsche, il était horrible d'envisager qu'un philistinisme aussi ordinaire puisse façonner l'avenir de l'Allemagne (Dionysos, S7).

 

Nietzsche considérait la prédominance de la culture de masse comme la source de l'avilissement de la pensée et de la culture dans l'Europe contemporaine. Les idées de Strauss « sont toutes uniformément livresques, en fait, journalistiques (Dionysos, S8[10]). La dégradation de la culture trouve son origine dans la culture de masse, qui influe sur la langue, le style, les idées, et les jugements actuellement en circulation et dominants. Pour Nietzsche :

“L'essentiel de la lecture quotidienne des allemands se trouve, presque sans exception, sur les pages des quotidiens et des magazines standards. Cette langue, son goutte-à-goutte continu - même mots, même phrases - produit une impression sonore. Pour la plupart, les heures consacrées à cette lecture sont celles pendant lesquelles l'esprit est trop fatigué pour résister. Petit à petit, l'oreille se familiarise avec cet allemand banal et souffre, lorsque, pour une raison quelconque, elle ne l'entend plus. Mais, par une sorte de déformation professionnelle, les producteurs de ces journaux et magazines sont les plus profondément endurci à ce visqueux jargon journalistique. Ils ont littéralement perdu tout goût et toute saveur et, par-dessus tout, ils sont absolument corrompus et capricieux. C'est ce qui explique ce tutti unissimo avec lequel chaque solécisme nouvellement forgé claironne instantanément, malgré la torpeur et le malaise général. Avec leurs impudentes corruptions, ces tâcherons de la langue prennent leur revanche sur notre langue maternelle qui les a si incroyablement ennuyés.


… Lorsque les clichés éculés, vulgaires, et ineptes sont acceptés comme la norme, et l'erreur ou l'emploi de termes inappropriés comme des exceptions charmantes, alors, le puissant, le rare et le beau tombent en disgrâce. C'est pourquoi, en Allemagne, nous entendons si souvent l'histoire du beau voyageur qui visite le pays des bossus. Où qu'il aille, il est ridiculisé, et l'on se moque de sa difformité apparente - son absence de bosse. Finalement, un prêtre le prend en pitié, et dit aux gens: « Ayez pitié de ce pauvre étranger et louez les dieux qui vous ont fait grâce de ces somptueuses bosses de chair" (Dionysos, S11).”

Tout au long de ses Méditations, Nietzsche affirma que la culture moderne était "barbare" (c'est-à-dire : un amalgame informe de styles, d'idées et d'œuvres concurrents et fragmentaires) et s'en prit au rationalisme excessif, à l'individualisme égoïste, à l'optimisme superficiel, à l'homogénéisation et à la fragmentation qu'il considérait comme caractéristiques de la culture moderne. Dans De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie, Nietzsche fait ainsi valoir que la prolifération des études historiques paralyse l'homme moderne qui se trouve dépassé par la connaissance historique (Husserl, Préface). Il écrit ainsi que "... nous modernes… ne possédons rien qui soit véritablement à nous", nous assimilons une écrasante quantité de connaissances factuelles qui ne jouent aucun rôle de transformation de la vie sociale :

« Et c'est ainsi que toute la culture moderne ne concerne plus que le for intérieur. Sur la couverture, le relieur appose des titres qui tous en reviennent à : "Manuel de Culture Intérieure à l'Usage des Barbares Extérieurs " (Husserl, S4). »

Estimant que les individus modernes souffrent d'un affaiblissement de la personnalité, Nietzsche a voulu que l'étude de l'histoire soit mise au service de la création de fortes personnalités, afin de rendre possible la renaissance d'une culture affirmant la vie. Au cours des années 1870, Nietzsche fut de plus en plus déçu du philistinisme du Reich allemand et intensifia progressivement au cours des années 1880, sa critique de la culture bourgeoise allemande, de Wagner, de Bismarck, du militarisme allemand, et du Reich. Il a pris ses distances d'avec sa propre recherche d'une nouvelle culture allemande basée sur les pièces musicales de Wagner, et a alors publié une série de travaux aphoristiques promouvant une éthique de l'illumination et de la critique sociale, à commencer par Humain, trop Humain.

 

Nietzsche, critique du présent.

 

Pour Nietzsche, la culture de masse incluait la presse, des formes culturelles allant des magazines aux publications scolaires, en passant par la religion, la politique, la bière, et le nationalisme[11]. Nietzsche avait deviné l'importance des technologies et des modes de communication émergents pour le développement de la modernité : "La presse, la machine, le chemin de fer, le télégraphe ne sont que des prémisses, dont personne n'a encore osé tirer les conclusions pour les siècles à venir" (Harvey, p. 378[12]). Globalement, il considère la culture de masse, dans ses écrits tardifs et de maturité, comme ce qui massifie, ce qui nivelle, ce qui produit une culture et des individus médiocres. La religion, par exemple, était pour Nietzsche une forme de culture de masse. Bien que Nietzsche soit parfois accusé d'irrationalisme, il s'en est précisément pris au Christianisme en dénonçant son irrationalité, et ce qu'il considérait comme une attaque contre le corps et contre le monde. Jésus Christ, selon lui, "a promu l'abêtissement de l'homme, s'est placé du côté des pauvres en esprit et a retardé l'avènement de l'intelligence suprême" (Harvey, p. 112). Nietzsche a également disséqué la transvaluation chrétienne, qui considérait la force et la sagacité comme "mauvaises", tandis que la modestie, l'humilité et la soumission étaient jugées "bonnes". Pour lui, cette promotion d'une morale d'esclave a sur-valorisé l'esprit sur le corps, et participé à une répression et une régression sociétales généralisées. (Genealogy of Morals).

 

Les politiques modernes sont aussi pour Nietzsche une forme de culture de masse. Nietzsche était « anti-politique » dans le sens où il croyait que les politiques de masse contemporaines conduisait à une conformité grégaire, à la perte de l’individualité, à la manipulation et à l’homogénéisation des masses. Dans Ainsi parlait Zarathoustra, il développe une des premières critiques de l’État moderne comme « nouvelle idole », décrivant l’État comme « un monstre froid » entrainant les peuples à la mort.

Il situe le contraste entre « un peuple » avec ses traditions, « ses droits et coutumes », et l’État moderne, avec ses mensonges et ses prétentions, répandus par la presse et la culture de masse. La critique nietzschéenne de l’état trouve son origine dans une position radicalement individualiste dans Zarathustra, choisissant le retrait et l’isolement contre la participation et l’engagement dans une société de masse :

« Les odeurs nauséabondes de leur idole, ce monstre froid (…) brisez plutôt ces fenêtres, et sautez à l’air libre. »

La critique que Nietzsche fait de l'État est liée à sa critique de la société et de la culture de masse, qu’il considère comme essentiellement homogénéisantes et nuisibles aux énergies vitales, à la créativité et à l’individualité supérieure. Nietzsche pensait que la démocratie moderne, le libéralisme et les mouvements sociaux éclairés contribuait à la régression de « l’homme moderne » en deçà des individus, plus vifs et puissants, de la Renaissance. Défendant systématiquement la Grèce antique et la Renaissance italienne en tant que paradigmes d’une culture forte et vigoureuse, la stratégie de Nietzsche fut de choisir des idéaux passés à même de servir de modèles ou de normes pour une future « grandeur ».

 

Les cultures de la Grèce et de la Renaissance affirmaient le corps, étaient séculières, ont développé la science et la technologie, étaient hautement esthétiques, et produisirent des individus forts - autant d’idéaux nietzschéens. Ces prototypes, pensait-il, se trouvaient concentrés dans des individus forts, tels que Jules César, César Borgia, et les « grands hommes » de la Renaissance.

 

Les contrastes normatifs de Nietzsche reposent sur la distinction entre maladie et santé, entre la vie ascendante et la vie déclinante. Son texte exulte en une affirmation des énergies vitales et critique tout ce qui peut empêcher ou inhiber la pleine expression des instincts primaires. Son attaque de la religion, de la morale, de la culture de masse et la banalité des  sociétés modernes est ainsi initié à partir du point de vue d’un idéal de circulation libre et sans entrave des énergies vitales, de l’expression sans frein des puissances instinctives.

 

De même, il soutient que les mouvements démocratiques, libéraux, féministes, anarchistes, et socialistes sont l’expression d’une vie déclinante, de la maladie, du ressentiment. Tous sont des manifestation de la culture socratique, qui met la raison au-dessus de la passion, les idées au-dessus de la vie, et sont également des manifestations des tendances homogénéisatrices modernes, et sont donc anti-vie, participant à produire des individus et une culture faibles. En opposition à la tolérance culturelle libérale, Nietzsche plaidait pour une guerre culturelle, dont il pensait qu’elle générerait une diversité culturelle, ainsi qu’une culture et des individus plus forts et créatifs.

 

Bien que l’attaque de Nietzsche contre le libéralisme et les autres mouvements sociaux progressistes contint des attitudes élitistes et anti-démocratiques, on trouve également dans ses écrits des prises de positions positives sur la démocratie, comme lorsque Nietzsche présente la démocratisation de l’Europe comme irrésistible, et comme «  un maillon de la chaine de ces énormes mesures prophylactiques qui sont la conception des temps modernes par laquelle nous nous séparons du moyen-âge. » (Harvey, p. 376). Par ailleurs, « les institutions démocratiques sont une mesure de quarantaine pour venir à bout de cette ancienne pestilence, la soif de tyrannie : en tant que telle, elles sont très utiles, et très ennuyeuses. » (Harvey, p. 383). Ces passages indiquent assez clairement l’attitude ambivalente de Nietzsche envers la démocratie : d’un coté, elle est utile comme force d’opposition à la tyrannie, mais de l’autre, elle est ennuyeuse et ne promeut que la médiocrité. Dans ses écrits postérieurs, dans les années 1880, Nietzsche passera au crible les aspects positifs de la démocratie, et sa position deviendra essentiellement négative.

 

Ainsi, Nietzsche attaqua à la fois l’État moderne et la culture et la société de masse, pour leurs tendances homogénéisantes et normalisatrices, dans une posture proche de celles de l'École de Francfort et de théoriciens français comme Foucault. Pour Nietzsche, l'État et la culture de masse s’opposaient avec amertume à une véritable culture, et il voyait dans l'État moderne comme dans la société de masse des producteurs de médiocrité et d’arriération culturelle, ainsi que des générateurs d’hystéries de masse telles que le nationalisme et l’antisémitisme. L’État moderne et les sociétés et cultures de masse nivellent les hiérarchies des valeurs et des statuts, réduisant les idéaux et les gouts à leur plus petit commun dénominateur, et ne produisant que des individus médiocres.

 

Remarques conclusives critiques

 

Nietzsche était généralement pessimiste quant à l’impact des processus sociaux modernes. Pour l’essentiel, il pensait que la culture et la société modernes étaient devenues si chaotiques, fragmentées, « arbitraires » et dépourvues de « force créative » qu’elles avaient perdu toute ressource nécessaire à la création d’une culture vitale et finalement précipitaient le déclin de l’espèce humaine.

 

Il pensait particulièrement que la presse et la culture de masse étaient des forces de dégénérescence et de médiocrité, concentrant l’attention sur le trivial, le superflu et le sensationnel, ne créant qu’homogénéisation et conformité. Il n’a pas cependant, développé de critique systématique de la presse ou de formes spécifiques de culture de masse, à l’exception, peut-être, de sa critique de Strauss et du philistinisme, ou de Wagner et du wagnerianisme qu’il a pu finir par considérer comme une exhibition populacière (lowborw, ndlt) de la culture de masse et du mauvais gout. Il n’a ainsi pas développé de critique institutionnelle des médias ou des industries culturelles, comme on pu le faire Adorno et Horkheimer[13], ni de critique détaillée du phénomène de la culture de masse, comme ont pu le faire les chercheurs appartenant au champ des études culturelles critiques.

 

Plus encore, Nietzsche s’est montré radical et totalisateur dans sa critique de la culture de masse, il n’a pas identifié de moments de progrès, si ce n’est peut-être dans l’opérette, qui exprimait une « joie de vivre » et une gaité qu’il approuvait. La culture pour Nietzsche consistait fondamentalement en un « système de classement » (Rankordnung, ndlt) distinguant hautes et basses valeurs, et il en appelait à une réévaluation de ces valeurs, à un renversement (Umwertung, ndlt) des plus hautes valeurs et à l’établissement de valeurs supérieures, qui promouvraient un individu plus fort et une culture plus vive vital. Son « Ubermensch », donc, est un individu supérieur qui surmonte les valeurs décadentes de la culture de masse et qui est capable de créer des valeurs affirmant la vie, et conséquemment une culture plus forte et plus à même d’affirmer la vie.

Le développement d’individualités supérieures implique de surmonter les formes dominantes de culture et la conformité, d’opposer l’individu à la société et à la culture de masse. Nietzsche croyait que certains individus pouvaient exercer leur volonté de puissance à la création de subjectivités (selves, ndlt) plus élevées et raffinées, défendant ainsi finalement une forme d’individualisme et d’esthétisme aristocratique. Faisant une distinction implicite entre art élevé et bas, Nietzsche soutient que l’art authentique permet une « liberté au-dessus des choses », au-dessus des exigences de la morale et des autres institutions répressives :

« Nous avons tous besoin d’un art exubérant, flottant, dansant, moqueur, enfantin et heureux, de peur que nous ne perdions la liberté au-dessus des choses qu’exige notre idéal… Nous devrions également être capables de nous tenir au-dessus de la morale — et pas seulement de nous y tenir avec la rigueur inquiète d’un homme qui a peur de glisser et de tomber à tout moment, mais encore de flotter au-dessus d’elle et de jouer. Comment alors pourrions-nous renoncer à l’art — et au fou ? (‘’GS’’, p. 164[14]).

Nietzsche a privilégié l’art authentique, précisément celui qui cultivait les sens, l’imagination et les autres aspects de l’esprit et du corps, permettant aux individus d’accéder à un royaume transcendant la morale conventionnelle et les normes sociales. Nietzsche défendait l’art en tant qu’ennemi le plus puissant de l’idéal ascétique, et source ultime de vitalité culturelle. La crise de la culture moderne est partiellement enracinée dans le fait que la sensibilité esthétique a été éreintée par les forces répressives de la rationalité instrumentale, de la rationalisation sociale, et des cultures et sociétés de masse, par lesquelles l’art a été relégué aux marges de la société. Pour Nietzsche, ces forces rationalisantes doivent être contraintes par des valeurs esthétiquement enracinées. Des esprits libres sont nécessaires, qui expérimenteraient avec l’art, les idées et la vie, et qui créeraient de nouvelles valeurs et une culture supérieure qui produiraient en retour un être humain plus élevé.

 

Finalement, Nietzsche voulait une culture affirmant la vie, qui donnerait naissance à des individus supérieurs. Il est un révolutionnaire culturel à la recherche d’une culture vibrante et pleine de santé, et il croit en la culture comme mode de transformation individuelle et sociale le plus puissant qui soit. Sa critique radicale de la culture de masse est alimentée, en partie, par la conviction qu’elle constitue une dégénérescence de la culture, qu’elle n'est qu'une forme avilie, précisément, de ce mode d’existence supposé produire des êtres humains meilleurs, plus élevés, et en plus grande santé. Nietzsche affirme ainsi résolument une distinction normative entre haute et basse culture, et est un élitiste culturel éhonté. Comme l’ont suggéré mes apartés entre parenthèses, Nietzsche serait probablement consterné par l’état de dégradation de la culture contemporaine[15], et les impulsions nietzschéennes ont contribué aux études culturelles radicales (radical cultural studies, ndlt) qui, aujourd’hui, mènent une bataille systématique contre la culture contemporaine dans son ensemble — souvent par le biais de thématiques marxiennes, féministes ou post-structuralistes.

 

La critique négative de Nietzsche transcende et s’oppose au tournant populiste des études culturelles qui affirme et célèbre la culture populaire. Dans l’ensemble, la critique culturelle de Nietzsche est dialectique, affirmant ce qu’il considère comme susceptible d’améliorer la vie (life-enhancing, ndlt) et d’augmenter l’autonomie (empowering, ndlt), et critiquant ce qui lui semble nier la vie et être déresponsabilisant. Dans le Crépuscule des idoles, Nietzsche écrivait : « Formule de ma félicité : un Oui, un Non, une ligne droite, un but… » (« Maximes »). Ainsi, Lyotard se trompe quand il prétend que Nietzsche est un penseur fondamentalement affirmatif, et attaque la conception proto-nietzschéenne de la philosophie d’Adorno comme négation, puis défend lui-même une « économie libidinale » purement positive et affirmative[16]. Pour sûr, Nietzsche n’est pas seulement un négateur, et il accompagne toujours son Non! d’un Oui! La question n’est donc pas celle d’un Nietzsche négatif contre un Nietzsche affirmatif, mais plutôt celle d’une relation dialectique entre les deux, montrant comment le "oui" et le "non" se complètent toujours nécessairement dans la pensée de Nietzsche.

 

De mon point de vue et pour conclure, la critique négative et radicale de la culture de masse par Nietzsche est précieuse et rencontre certainement de nombreux enjeux contemporains. Mais je soutiendrais contre Nietzsche une optique plus dialectique, qui voit dans ce que j’appelle la "média-culture" un terrain contesté, le lieu de luttes sociales, aux caractéristiques réactionnaires et progressistes, oppressives et affirmatives de la vie[17]. Une théorie critique de la média-culture serait ainsi tout aussi implacablement négative que celle de Nietzsche, mais affirmerait également l’existence de moments critiques, subversifs, et démocratisants. Ses politiques culturelles ne concerneraient pas seulement des individus supérieurs, mais s’efforceraient de développer une pédagogie culturelle qui attaquerait toute forme d’oppression et de domination et viserait à produire une société et une culture plus démocratiques, justes et pédagogiques.

 

Notes:

 

[0] Karl Marx and Friedrich Engels, Collected Works. Vol I (New York: International Publishers, 1975, p. 142). This study draws on collaborative work with Robert Antonio on an unpublished text on theories of modernity and work with Steven Best in works on postmodern theory, so I am indebted to these collaborations for my readings of Nietzsche. In this article, I am interpreting Nietzsche predominantly as a modern theorist, addressing crucial issues of modernity; for discussion of how Nietzsche anticipates the postmodern turn, see Steven Best and Douglas Kellner, The Postmodern Turn (New York: Guilford Press, 1997).

[1] Goethe, in Leo Lowenthal, Literature, Popular Culture and Society (Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-Hall, 1961, p. 20).

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Marx, op. cit., p. 165.

[5] For his critique of the press and public opinion, see Soren Kierkegaard, Two Ages: The Age of Revolution and the Present Age (Princeton: Princeton University Press, 1978) and The Corsair Affair (Princeton: Princeton University Press, 1982). For commentary, see Steven Best and Douglas Kellner "Modernity, Mass Society, and the Media: Reflections on The Corsair Affair," in International Kierkegaard Commentary, The Corsair Affair, edited by Robert Perkins. (Macon, Georgia: Mercer University Press, 1990) and Best and Kellner, The Postmodern Turn, op. cit.

[6] Friedrich Nietzsche, The Birth of Tragedy (New York: Random House, 1967) and Twilight of the Idols (New York: Penguin Books, 1968, p. 33). The historical Socrates, of course, was much more intuitive, passionate, aesthetic, and erotic than in Nietzsche's model, thus his conception of Socratic culture should be read as an ideal type that crystallizes a type of Greek rationalism in the figure of Socrates, a mode that Nietzsche believes continues to characterize modern culture.

[7] See Nietzsche's meditations on Schopenhauer and Wagner in Unmodern Observations (New Haven and London: Yale University Press, 1990). On Nietzsche and Schopenhauer, see Georg Simmel, Schopenhauer and Nietzsche (Urbana and Chicago: University of Illinois Press, 1991 1907). It was under Schopenhauer's influence that Nietzsche could proclaim in The Birth of Tragedy that art is the "essential metaphysical activity" and that "it is only as an aesthetic phenomenon that existence and the world are eternally justified" (BT, p. 52).

[8] See Herbert Golder, "Introduction" to DS in Unmodern Observations, op. cit, pp 3ff.

[9] Ronald Hayman, Nietzsche. A Critical Life (New York: Penguin Books, 1980, p. 63). Strauss' text greatly influenced the Young Hegelians when it was published in 1835 and intensified the modern philological and philosophical critique of religion begun in the Enlightenment which culminated in Nietzsche himself. Indeed, the Young Hegelians anticipated Nietzsche's critique of religion with Bruno Bauer declaring "God is Dead," Marx describing religion as "the opium of the people," and Feuerbach interpreting religion as the projection of human qualities onto a deity.

[10] Nietzsche intended to write a critique of religion, school, press, state, society, Man as I, Nature, and the road to liberation as part of a series of Unmodern Observations, after the four he published (see the list on pp. 321-322). While he never completed this project, reflections on these topics are found throughout his succeeding aphoristic works, such as Human, All-Too-Human.

[11] See, for example, Twilight of the Idols where Nietzsche complained that the press, beer, religion, education, and nationalism had stupefied the German people ("Germans"). He makes a similar criticism in his Strauss critique (S4).

[12] See Human, All Too Human (Cambridge, England: Cambridge University Press, 1986), p. 378.

[13] See Max Horkheimer, and Theodor Adorno, Dialectic of Enlightenment (New York: Continuum, 1972) and Douglas Kellner, Media Culture (London and New York: Routledge, 1995).

[14] See The Gay Science (New York: Vintage Books, 1974), p. 164.

[15] Thus, in contrast to Stephen Barker's paper also published in this issue, it is hard for me to imagine Nietzsche as affirmative of contemporary technoculture in the light of his radical critique of mass culture. I would imagine that Nietzsche would find appalling many of the examples of contemporary technoculture that Barker affirms in his name, and that Nietzsche's higher culture and individual would posit themselves against technoculture.

[16] See Jean-Francois Lyotard, Economie Libidinale (Paris: Les Editions de Minuit, 1974) and "Adorno as the Devil," Telos 19 (Spring 1974): 127-137.

[17] Kellner, Media Culture, op. Cit.

 

Traduit de Douglas Kellner
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