L'hippocampe cérébral de jeunes adultes maltraités durant leur enfance est plus petit que celui d'adultes non maltraités. Cette réduction du volume serait un facteur de risque d'apparition de maladies mentales.
Les personnes ayant été maltraitées ont plus de risques de développer des troubles de l'humeur, de l'anxiété et de la personnalité, de consommer des drogues, de souffrir de maladies psychiatriques et de se suicider. Et souvent, leur hippocampe – une région cérébrale impliquée dans la mémoire et les émotions – est plus petit que celui des personnes n'ayant pas souffert. Cette particularité cérébrale est-elle la conséquence de la maltraitance ou résulte-t-elle du trouble mental qui en découle ? Martin Teicher et ses collègues du Département de psychiatrie de l'Université Harvard, à Boston, apportent un élément de réponse : trois « couches » de l'hippocampe gauche de jeunes adultes maltraités pendant leur enfance, mais ne prenant pas de médicaments contre une maladie psychiatrique, sont moins volumineuses (d'environ cinq pour cent) que celles d'adultes non maltraités.
On sait depuis de nombreuses années que le stress provoque des ravages dans le cerveau. Chez l'animal, on a montré que des quantités importantes de glucocorticoïdes, tel le cortisol, une hormone du stress, diminuent le nombre de neurones et de prolongements neuronaux dans l'hippocampe, ainsi que la neurogénèse, c'est-à-dire la formation de nouveaux neurones. Et chez l'homme, grâce à la neuro-imagerie, on sait que les personnes ayant subi un stress post-traumatique ou souffrant de maladies psychiatriques, telle la dépression ou la schizophrénie, ont un hippocampe plus petit.
Quelques études se sont intéressées à la maltraitance pendant l'enfance. Toutefois, elles ne considéraient qu'un nombre limité de jeunes sujets qui présentaient tous une maladie psychiatrique. Et celles où les participants ne souffraient pas d'une maladie mentale et ne prenaient pas de médicaments portaient sur des adultes ayant des antécédents de maltraitance, mais pas forcément pendant l'enfance. Or l'hippocampe est une structure cérébrale cruciale pour la mémoire et les émotions qui se développent dans les premières années de la vie (avant cinq ou six ans).
Les neurobiologistes ont évalué le volume de l'hippocampe de 193 adultes âgés de 18 à 25 ans et ayant subi des maltraitances dans leur enfance (avant quatre ou cinq ans). Les sévices étaient plus ou moins bien décrits et variés : punitions corporelles violentes, abus physiques ou sexuels, agressions verbales ou observation de scènes domestiques très violentes. Ces adultes étaient issus de milieux sociaux moyens et élevés, et la plupart suivaient des études supérieures. Aucun ne prenait de traitements au moment de l'étude. Toutefois, dans leur vie, un tiers de ces sujets avait souffert de dépression, un tiers d'un trouble de l'humeur et un autre tiers d'un trouble de l'anxiété. Enfin, tous ces sujets étaient droitiers.
Tous les participants présentaient une diminution du volume de trois couches de l'hippocampe – le CA3, le gyrus denté et le subiculum –, mais uniquement dans l'hippocampe gauche. C'est la première fois que l'on observe une telle variation dans le subiculum, la région de l'hippocampe d'où partent les informations et qui inhibe notamment l'axe du stress (l'axe cérébral et hormonal de réaction au stress dont l'activation engendre la libération des hormones du stress).
Pourquoi une telle asymétrie ? L'hippocampe est particulièrement sensible aux hormones du stress, car ses neurones possèdent à leur surface de nombreux récepteurs aux glucocorticoïdes. En général, la répartition de ces récepteurs et d'autres molécules impliquées dans les effets du stress est latéralisée (on ignore pourquoi). Les effets du stress, suite à la maltraitance, concerneraient donc davantage l'hippocampe gauche que le droit.
En outre, les neuroscientifiques ont montré que le stress est directement responsable de cette particularité structurale de l'hippocampe, indépendamment d'un stress post-traumatique ou d'un autre trouble mental. Ils suggèrent donc que la diminution de volume de l'hippocampe serait un facteur de risque d'apparition des troubles de l'humeur, de la personnalité, de l'anxiété et des maladies psychiatriques.