Les nanotechnologies sont-elles une nouvelle création de l'apprenti-sorcier qui agit au plus profond de l'humanité ? Représentent-elles un danger au regard de l'éthique ?
En préliminaire, il faut confirmer aux septiques que les nanotechnologies et les nanoparticules, ne sont plus du domaine de la science-fiction. Depuis toujours, nous côtoyons en permanence bactéries, virus, poussières, farines, etc. Tout objet dont la taille est inférieure ou égale à 100 nanomètres soit 0,0000001 mètre, pour comparaison, un cheveu a une taille de 100 000 nanomètres et un globule rouge 3000 nanomètres.
Mais ces nanoparticules qui nous entourent sont d’origine naturelle, les nanoparticules artificielles sont tout autres, elles proviennent de la construction atome par atome de structures chimiques nouvelles.
C’est Richard Feynman, physicien américain et prix Nobel 1965, qui imagine en 1959 la possibilité de manipuler les atomes un par un et de les agencer en structures cohérentes de très petites tailles, la re-création de la nature ; en quelque sorte, la main de dieu, ou autre, c’est selon !
L’invention, en 1981, du microscope à effet de champ (ou effet tunnel) qui permet de réaliser l’image d’un seul atome a rendu possible cette prédiction. A ce niveau de dimensions, nous entrons dans la physique quantique et les assemblages à cette échelle n’ont pas les mêmes propriétés que la matière à une échelle plus grande. C’est le véritable problème de cette révolution technologique qui serait, selon ses partisans, beaucoup plus considérable que l’invention de l’imprimerie, de la machine à vapeur ou de l’informatique.
Aujourd’hui, au niveau mondial, on trouve des nanoparticules dans plus de 550 produits de consommation courante : oxyde de titane pour des crèmes solaires, des produits d’entretien, des farts de skis, des textiles, des carburants, des peintures, particules de silices pour les pneumatiques, encre pour imprimantes, et même certains aliments, silice colloïdale dans le chocolat en poudre ou le ketchup pour empêcher la formation des grumeaux ou augmenter la fluidité. Il existe cependant peu d’études portant sur la toxicité de ces produits et le développement des nanotechnologies n’est pas sans rappeler le développement des OGM : le discours porte sur la lutte contre la faim dans le monde, mais la mise sur le marché concerne avant tout des objectifs de rentabilité des grandes entreprises agro-alimentaires.
Il y a un manque de recherche fondamentale au profit de la recherche marchande, ou, plus préoccupant encore, la recherche non rendue publique. En 2005, pour 10 milliards d’euros consacrés à la recherche-développement, seulement 40 millions d’euros l’ont été pour la recherche sur les effets secondaires éventuels.
Prenons l’exemple des nanotubes de carbone, principal produit en circulation aujourd'hui, très utilisé pour leur robustesse, leur légèreté, leur élasticité et leur excellente conductivité électrique, ils sont déjà largement utilisés dans l'industrie automobile, mais aussi en électronique et dans la fabrication des écrans plats, des textiles High-tech ou de certains articles de sports. Si leurs applications technologiques sont multiples, en revanche, on ne connaît presque rien de leur impact environnemental.
Le carbone, utilisé à l’échelle macrométrique sous la forme graphite ou diamant, est sans effet, mais son utilisation à l’échelle nanométrique en fait un autre produit aux conséquences inconnues et les premières études scientifiques viennent de démontrer que les craintes ne sont pas infondées. Deux d’entre d’elles révèlent que des souris à qui l'on a injecté des fibres de nanotubes de carbone dans leur cavité abdominale développent des pathologies comparables à celles que provoque l'amiante enfin des chercheurs japonais ont constaté la formation de lésions cancéreuses chez des souris après 25 semaines d'exposition à des nanotubes de carbone injectés, là aussi, par voie abdominale.
Ces résultats préoccupants, incitent à mener d'autres investigations pour clarifier un certain nombre de points cruciaux. Il s'agit notamment de déterminer le seuil de particules inhalées (et non injectées comme dans les expériences citées) au-delà duquel le mésothélium est atteint et développe un cancer. Comme l'explique Éric Gaffet, chercheur à l'université de Belfort et auteur d'un rapport pour l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), il faut «considérer le cycle de vie du produit dans sa totalité, notamment au stade de la fabrication puis lorsqu'il devient un déchet.» La problématique est identique avec les nanoparticules de titane déjà incorporées dans les cosmétiques. On connaît mal leurs effets et la législation n'oblige pas à mentionner leur existence. Ce qui compte en terme de risque, c'est le type de molécule et non la façon dont elle est préparée. Une nanoparticule d'oxyde de titane n'a rien à voir avec le même oxyde sous forme de particules plus grosses. Mais la législation ne fait pas la différence.
Qu’elles sont les applications ?
- Du point de vue de l’informatique et de l’audiovisuel. Les futurs concepts d’enregistrements nanotechnologiques devraient combiner divers avantages : très grande capacité de stockage, rapidité d’accès et conservation des données sans alimentation constante. Grâce aux nanotechnologies, un seul appareil de la taille d’une carte de crédit fera office de magnétophone, d’appareil photo, de magnétoscope, de télévision, de téléphone mobile, de GPS, de traducteur… et de carte de crédit. Les RFID de génération nanométrique seront réduites à la taille de poussières intelligentes.
- Du point de vue médical. C’est le rêve le plus audacieux, peut-être le plus dangereux : la création de la vie artificielle.
La virologie a récemment synthétisé le virus de la poliomyélite et le virus de la pandémie grippale de 1918, et rien ne s’oppose à la création de virus entièrement artificiels.
Mais il s’agit aussi de la lutte contre le cancer, le sida, les maladies génétiques rares, l’utilisation d’implants bioactifs et d’outils de diagnostic miniaturisés.
- Du point de vue des matériaux. Les nanomatériaux constituent les « briques de base » des produits manufacturés. Ils confèrent aux produits manufacturés composés ou constitués de nano-objets les propriétés spécifiques à la dimension nanométrique.
- Du point de vue militaire. Nanocapteurs, poussières de détection intelligentes, microdromes, armes chimiques et bactériologiques micro-encapsulées, micromunitions, etc.
Et l’idée maîtresse des apprentis sorciers des nanosciences est le réalisation d’objets moléculaires et de nanorobots capables de s’auto-assembler, de se répliquer, et dotés de propriétés leur permettant de s’auto-adapter à leur environnement.
Qu’elles se présentent sous la forme de particules libres ou fixées, de fibres ou de tubes, de cristaux ou de lamelles ou de nanorobots hermaphrodites et qu’elles connaissent actuellement un développement remarquable dans le domaine, par exemple, des nanotubes de carbone, il reste que certaines questions, qu’il est légitime de se poser, sont en suspens :
- Que sait-on aujourd’hui des effets des nanotechnologies sur la santé et l’environnement ?
- Que deviennent-elles, après que le produit ait achevé son cycle de vie ?
- Sont-elles biodégradables ?
Sans réponse à ces questions fondamentales pour le devenir de l’humanité, que fait du principe de précaution pourtant inscrit dans la constitution française ?
Ce principe est sacrifié sur l’autel du profit car les nanotechnologies suscitent un intérêt croissant. Les pays industrialisés investissent massivement : 8.4 milliards de dollars en 2004. La France est en sixième position avec 187 millions de dollars. La Silicon Valley française en matière de nanotechnologies se situe à Grenoble. Les industries nanotechnologiques forment un secteur stratégique en croissance rapide, à potentiel de développement économique important dans plusieurs directions – l’informatique, l’optique, les télécommunications, la biométrie, la chimie, la médecine, la cognition.
Leurs impacts sur l’économie est très prometteur car les applications industrielles sont nombreuses et concernent des domaines très variés. A l’horizon 2015, 15 % de l’activité manufacturière mondiale serait concernée par des dispositifs ou des matériaux utilisant des avancées nanotechnologiques. En 2008, le marché mondial est estimé à 450 milliards d’euros. Il pourrait doubler en 2015. En France, pour 2007, l’effort public a été de 280 millions d’euros, mais le 24 septembre 2008 le Premier ministre, en déplacement à Grenoble, a annoncé que l’Etat soutiendrait la filière nanométrique à hauteur de 565 millions d’euros par an, dans les cinq ans qui viennent.
Pourtant, un certain nombre de dangers touchant à ces technologies peuvent être identifiés, se situant sur divers terrains :
- Dangers pour la santé :
Comme nous l’avons vu, certains scientifiques font le rapprochement entre les impacts éventuels sur la santé humaine des nanotubes de carbone et l’amiante. Se présentant sous forme de fibres, les nanotubes de carbone pourraient pénétrer dans les poumons et venir se stocker dans les alvéoles pulmonaires voir dans le cerveau.
Certains chercheurs ont mis en évidence des dangers de ces technologies dans la chaîne alimentaire.
Il sera également possible de fabriquer des nanovirus, ciblés pour tuer, beaucoup plus efficacement que les virus naturels, sur des personnes précises, sur des groupes de populations.
- Dangers au regard des droits de l’Homme :
On note l’atteinte à la vie privée que pourrait permettre la généralisation des applications liées à la sécurité au sens large (alimentaire, du territoire, des personnes, etc.) et notamment des RFID nanométriques qui seraient combinées à Internet. Ces étiquettes électroniques posent la question du stockage et de l’usage des informations personnelles. Il est bien prévu une neutralisation de chaque RFID, mais comment neutraliser toutes les RFID si un jour elles sont à la taille nanométrique, et donc invisibles ?
- Dangers au regard de l’éthique :
Les nanotechnologies peuvent être à la source d’une remise en cause de la société, voire de l’Homme lui-même, soulevant en cela de nombreux problèmes éthiques.
La multiplication des nombreuses applications « médicales » pourraient le transformer en le modifiant et en « l’améliorant ». Il existe déjà, aux Etats Unis mais aussi en Europe, des associations qui rêvent de l’avènement d’un « sur homme » dopé par les nanotechnologies et secondé par les nanorobots.
L’être humain risque d’être réduit à ses paramètres génétiques et biochimiques, l’identification d’un individu à son profil.
Les risques sur la santé et sur l’intégrité humaine se double d’une réflexion nécessaire sur le risque d’une atteinte aux libertés individuelles en raison des possibilités techniques quasi infinies et de la discrétion des nanomatériaux.
La question de la traçabilité, récurrente partout dans le domaine du contrôle social, se pose aussi par l’utilisation contre la personne de nanoparticules reliées à des instruments de surveillance, à l’insu des porteurs (type RFID). Notre envie de profilage des individus – ce dernier étant déjà omniprésent –, pourrait anéantir, de fait, tout respect du droit à la vie privée.
L’urgence d’un débat et d’une régulation
N’est-ce pas créer de l’imprévisible tout en souhaitant, le moment venu, pouvoir le maîtriser, que de fabriquer des objets moléculaires capables de s’auto-assembler, de se répliquer, et dotés de propriétés leur permettant de s’auto-adapter à leur environnement ? N’est-il pas homicide de mettre sur le marché des nanoparticules dont on ne connaît pas les effets à court et à moyen terme ?
Il faudrait en conséquence produire pour comprendre, avant de produire pour vendre.
Une citation de Eric K. Drexler, dans son livre Engines of creation, résume bien la situation : « Si on développe la technologie des monstres, ne faut-il pas développer en même temps la technologie des cages qui vont avec. »
L’arrivée des nanotechnologies bouleversera les moyens de production et touchera tous les domaines ; elles semblent capables de transformer la matière, le vivant et l’espèce humaine, leur essor concerne chacun d’entre nous. Il est urgent et capital de mettre en place une régulation, de fixer des normes, d’élaborer des règlements. Cet objectif passe par une mobilisation à l’échelle nationale et mondiale, et par la mise en place de vrais débats, d’échanges entre les chercheurs, les décideurs et les citoyens.
Il faut rompre avec le désintérêt général lié aux questions publiques et améliorer la qualité de l’information. Sinon, des apprentis-sorciers déclencheront volontairement, dans la nature, des processus qui leur échapperont, non par erreur, mais par dessein.
Malgré les craintes que soulèvent les nanotechnologies à cause de leur risque de toxicité, les citoyens en consomment déjà, des ouvriers les manipulent, et le législateur est à la traîne d’une industrie en pleine expansion. Sachant qu’il s’agit d’un domaine de recherche et de développement qui ambitionne pour une grande part d’agir sur le monde qui nous entoure et pas seulement de le comprendre, l’enjeu éthique consiste à se donner les moyens de réfléchir au sens et à la finalité de la recherche en nanotechnologies. Cette réflexion passe par une interrogation quotidienne : « Dans quel monde voulons-nous vivre demain ? Avec quelle liberté ou quelle dépendance vis-à-vis de notre environnement individuel, naturel et technologique ? Avec quelle frontière entre le naturel et l’artificiel ? » (Jacques Bordé - CNRS)
<< Il est urgent de s’y intéresser. Ne pas dominer les nanotechnologies réduirait l’humanité au néant.>>
Notes sur les droits et besoins des êtres humains. Par Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux.