Une part de l’œuvre de Foucault s’exprime dans le projet de réaliser une anthropologie de la subjectivation. Foucault cherche à faire la généalogie du sujet par les institutions, il ajoute aux techniques de production, de signification (communication), de domination d’Habermas, les techniques de soi.
Ce projet s’appuie sur la genèse de textes d’auteurs anciens tant grecs que romains, puis avec une analyse du pastoralisme des premiers chrétiens. Le fil conducteur est la genèse du souci de soi. Trois grandes techniques de soi ou art de se conduire sont relevées : la diététique, l’économique et l’érotique. Ce qui caractérise l’être humain c’est la possibilité de la maîtrise de soi. Pour Foucault l’ascèse est un exercice de soi dans la pensée. « Il y aurait sans doute à faire ou à reprendre la longue histoire de ces esthétiques de l’existence et de ces technologies de soi ».
Il se fait le prolongateur d’auteurs tels qu’Epictète « l’être humain est défini comme l’être qui a été confié au souci de soi » ou Sénéque qui affirme le souci de soi tant comme un privilège et un devoir, un don et une obligation qui nous assure la liberté en nous astreignant à nous prendre nous-mêmes comme objet de toute notre application. Dés lors, se faire soi-même, se transformer, revenir à soi, apprendre à vivre toute sa vie et prendre possession de soi-même sont des finalités auxquelles de nombreuses techniques peuvent être appliquées. Les techniques de soi relevées par Foucault sont variées :
- - l’examen vespéral ou matinal,
- - la réalisation d’une retraite,
- - le recueillement,
- - le tête à tête avec soi même,
- - les exercices de la pensée,
- - la réalisation de tâches pratiques,
- - le régime de santé,
- - les exercices physiques,
- - les méditations,
- - les lectures,
- - les remémorations de vérités,
- - les entretiens avec un confident, un guide ou un ami,
- - les correspondances de ses états d’âmes,
- - les activités de parole et d’écriture ou les liens avec autrui.
Rien n’est laissé au hasard d’une vie, tout ici concourt à une direction de la conscience. « l’habileté du lutteur s’entretient par l’exercice de la lutte, un accompagnateur stimule le jeu des musiciens. Le sage a besoin pareillement de tenir ses vertus en haleine ; ainsi stimulant lui-même il reçoit encore d’un autre sage du stimulant » Sénéque lettre 34.
L’enjeu de cette emprise sur soi est d’établir une éthique de la maîtrise. Celle-ci passe par l’examen de conscience. Si l’exercice apparaît pythagoricien, ou platonicien avec la conversation à soi, les pratiques des épicuriens ou des stoïciens sont aussi relevées et prennent la forme de conseils avisés.
La finalité étant de faire de soi un havre. Poursuivant l’héritage gréco-romain les chrétiens auraient fait de la réflexivité un trait chrétien. « chaque chrétien se doit de sonder qui il est ce qui se passe à l’intérieur de lui-même, les fautes qu’il a pu commettre, les tentations auxquelles il est exposé. Qui plus est, chacun doit dire ces choses à d’autres, et ainsi porter témoignage contre lui-même »
Si les échanges avec des guides, conseillers ou confidents sont expressément relevés les écrits jouent aussi un rôle. Le rapport aux écrits constitue un moyen d’accès à soi Foucault rappelle le rôle des hupomnêmata comme relais dans la subjectivation des discours. Les hupomnêmata pouvaient être des livres de comptes, des registres publics des carnets individuels servant d’aide mémoire. En somme un ensemble de textes placés en réserve pour se constituer et méditer sur des faits, paroles, pensées déjà abordés. Trois raisons expliquent le rôle formateur de ces textes :
1. Les effets de limitations du au couplage de l’écriture avec la lecture
2. La pratique du disparate qui détermine les choix
3. L’appropriation
« l’écriture est un art de la vérité disparate » ou une manière réfléchie de combiner l’autorité naturelle de la chose déjà dite avec la singularité de la vérité qui s’y affirme et la particularité des circonstances qui en déterminent l’usage. L’écrit prend aussi la forme de correspondance. Le récit épistolaire de soi même comme dans les lettres de Fronton à Marc Aurèle permet la remémoration de tous les faits de la journée et de l’inflexion de son âme. Ici le mécanisme de la confession dispose d’un herméneutique de soi. « on sait bien que la maîtrise sur les choses passe par le rapport aux autres ; et celui-ci implique toujours des relations à soi et inversement »
Ce que nous renvoient les analyses des textes classiques le plus souvent à destination des philosophes, dirigeants ou personnage public par Foucault c’est que le gouvernement des autres passe par le gouvernement de soi. Et le gouvernement de soi passe par une ascèse, un examen de soi de ses choix, de ses ressentis, de ses orientations.