La manipulation des médias est une réalité de notre temps, mais la crédulité, elle, est universelle. Une étude en psychologie s’est penchée —encore une fois— sur les raisons qui rendent certaines personnes plus susceptibles de croire en une information fausse, qu’elle leur parvienne des médias, de la presse ou des politiciens.
À la base, ces chercheurs partent d’un constat récent, qui a été révélé ces dernières années par l’analyse de nos cerveaux: rejeter une information demande plus «d’efforts» que d'y croire. Notre cerveau doit en effet analyser —la fiabilité de la source d’information et le caractère plausible ou non de l’histoire— avant de la rejeter. En comparaison, si on choisit d’y croire, notre cerveau peut faire une sieste...
Mais c’est plus compliqué que ça, écrivent le psychologue australien Stephan Lewandowsky et ses collègues. D’une part, si le sujet n’est pas déjà important pour vous, la fausse information risque de s’enraciner plus facilement dans votre esprit —et il sera par la suite très difficile de l’en déloger.
Or, même lorsque le sujet est important pour vous, et que vous prenez donc le temps d’analyser l’information, cela se fait si vite qu’il n’y a que quelques éléments auxquels vous portez attention: la source d’information est-elle crédible? Quelles sont les autres personnes de mon entourage qui y croient ? Est-ce que cette information est «compatible avec d’autres choses auxquelles je crois» ?
Qu’ont en commun ces éléments auxquels vous portez attention? Le groupe auquel vous vous identifiez, les idéologies auxquelles vous adhérez, bref, tout ce qui prédétermine déjà votre vision du monde, sera crucial dans votre choix de croire ou non à une information —et ce, qu'elle soit vraie ou fausse.
Ces conclusions n’étonnent pas quand on pense politique: l’électeur qui préfère le parti X sera davantage enclin à croire au chef du parti X. Mais quand on pense science, ces constats deviennent gênants: on peut pratiquement prévoir à l’avance quels groupes croiront spontanément que la vaccination cause l’autisme, que les OGM ne sont pas dangereux ou que le réchauffement climatique est un canular, pour reprendre trois des exemples cités par Lewandowsky et ses trois collègues américano-australiens.
Leur article a été mis en ligne le 18 septembre par la revue " Psychological Science in the Public Interest ".
«Il y a un coût social à la désinformation», écrivent les auteurs: arrive un moment où une fausse croyance est si bien enracinée qu’elle influence les décisions politiques. Et sachant cela, des groupes bien organisés peuvent arriver à répandre de fausses informations, par le biais des médias, de la rumeur publique et même des politiciens: c’est le mécanisme qu’on a vu à l’oeuvre dans les années 1980 chez les défenseurs du tabac et, depuis les années 1990, chez les climatosceptiques.
Les solutions qui en découlent sont donc à l’envers de ce qui est couramment défendu par les scientifiques: se contenter de «dé-mythifier», ce qui serait le réflexe premier des scientifiques, n’est guère utile si la croyance est déjà profondément enracinée. Il faut travailler en amont, notamment —quand c’est possible— en prévenant les gens que «l’information qu’ils vont recevoir peut être trompeuse».
- Les avertissements peuvent induire un état temporaire de scepticisme, qui peut maximiser l’aptitude des gens à discriminer entre une vraie et une fausse information.
Une autre piste de solution est de fournir une «explication alternative» aux causes d’un événement. Cela peut permettre d'ouvrir une voie de sortie à certaines personnes qui ont entendu dire que leur information était fausse, mais qui ne savent pas comment en «décrocher».
Désinformer pour régner : Un regard de la science sur elle-même !
Comment désinformer ? Il vous suffit d’avoir une poignée de scientifiques pour vous donner une apparence de crédibilité. Et beaucoup d’argent, à distribuer en catimini pour favoriser certaines études. À partir de là, la bête va grossir toute seule...
C’est tellement simple qu’on s’étonne que tant de gens puissent tomber dans le piège. Et tellement tordu qu’on a du mal à croire que certains relationnistes aient été assez fiers pour publier un guide —Bad science : A Resource Book, en 1993. Et pourtant, ce n’est qu’un fragment de ce que les procès contre les compagnies de tabac ont révélé.
Car tout part du tabac : dans les années 1950 et 1960, les multinationales se sentant menacées par la science du cancer ont embauché des relationnistes et des lobbyistes, donnant du coup naissance à une « industrie du doute ». Que décrit l’historienne Naomi Oreskes dans un excellent ouvrage paru plus tôt cette année, Merchants of Doubt.
Financement en sous-main de « groupes de réflexion » (think tank) composés d’universitaires (des scientifiques, mais aussi des économistes) payés pour donner des conférences ou rédiger des mémoires sympathiques à l’industrie; publication de dépliants, bulletins, livres, expédiés à des milliers de politiciens et de journalistes. L’objectif : non pas combattre la science par la science, mais semer le doute dans l’esprit du public : « d’autres produits peuvent causer le cancer », « la science est faite d’incertitudes », « davantage d’études sont nécessaires » avant de réglementer le tabac.
- L’industrie avait compris qu’il vous est possible de créer l’illusion d’une controverse simplement en posant des questions, même si vous connaissiez en fait les réponses et que vous saviez qu’elles n’aidaient pas votre cause.
Car l’industrie savait : les procès du tabac intentés dans les années 1990 ont en effet révélé que les compagnies savaient dès les années 1950 qu’il existait un lien entre tabac et cancer. Elles ont dès lors travaillé à le dissimuler et la stratégie a plutôt bien fonctionné : il a fallu attendre les années 1980, voire 1990, pour que le public nord-américain cesse de croire que la science était divisée sur la question du tabac. Ce n’est que le début de l’histoire que raconte Naomi Oreskes, de l’Université de Californie à San Diego, et son collègue Erik Conway, dans cet ouvrage admirablement documenté. Car le tabac n’est que le premier chapitre : forts de leur succès, ces « marchands du doute » se sont mis au service de l’industrie du charbon —lorsque le gouvernement américain a voulu la réglementer pour combattre les pluies acides— des CFC —le trou dans la couche d’ozone— et de l’armement. Depuis 15 ans, ils sont au service des industries du pétrole, du charbon et de l’automobile, où ils travaillent à créer l’illusion que subsiste un débat scientifique autour du réchauffement climatique.
- Le réchauffement climatique. D’abord ils ont affirmé qu’il n’y en avait aucun, puis ils ont affirmé que ce n’était qu’une variation naturelle, puis ils ont affirmé que même s’il était réel, et que c’était de notre faute, ça importait peu puisque nous avions juste à nous adapter. Cas après cas, ils ont systématiquement nié l’existence d’un consensus scientifique.
Du tabac au climat, ce sont en effet les mêmes tactiques qui se répètent encore et encore, ce qui rend cette lecture parfois désespérante.
Les médias portent une part de blâme, puisque ce sont eux qui répercutent les « études » de ces Instituts Cato, Competitive Enterprise Institute et autres groupes financés à 100% par ces industries. Mais la désinformation a su, avant toute chose, exploiter une qualité du journalisme, qui devient dans ce cas-ci une faiblesse : l’ambition d’accorder un temps de parole égal au « pour » et au « contre ». Devant un document farci de jargon scientifique, signé par le détenteur d’un doctorat affilié à une université, le journaliste —et le politicien— sont impressionnés... ce qui est exactement le but visé.
Si les tactiques sont restées les mêmes depuis l’époque du tabac, le ton est devenu plus hostile ces dernières années. La droite américaine en particulier, ne se contente plus de semer le doute, elle envoie des mises en demeure aux scientifiques, joue la carte du harcèlement et certains climatologues ont reçu jusqu’à des menaces de mort. En entrevue pour Je vote pour la science, Naomi Oreskes expliquait le mois dernier cette évolution par « les enjeux plus élevés » :
- À mesure que les enjeux sont devenus plus élevés, la pression est devenue plus élevée et les tactiques, de plus en plus extrêmes.
Que faire ? C’est sans doute la seule chose qui manque dans ce livre. Mais le lecteur qui n’est pas scientifique y apprendra à tout le moins qu’être vigilant face aux désinformateurs, ce n’est pas sorcier. Pas besoin en effet d’avoir un doctorat en physique pour distinguer une opinion d’une étude, spécialement quand elle émane d’un groupe qui dissimule soigneusement ses sources de financement.
- En bref, aucun citoyen n'est plus bête qu'un autre, même si celui-ci n'est pas équipé des diplômes les plus illustres. L'intuition des populations n'est parfois pas si éloignée de la vérité, fut-elle bien cachée par des personnes influentes. L'avenir appartient désormais à ceux qui, toujours plus nombreux, éguisent leur discernement... Bien loin de l'idée d'être des partisants de la "théorie du complot".
Pascal Lapointe pour www.sciencepresse.qc.ca/