Les hommes sont-ils finis ? Les femmes auraient-elles vraiment pris le pouvoir ? C’est la "thèse provocatrice" de la journaliste américaine Hanna Rosin dans « The End of Men ». Une interview qui fait mâle. Alors, pour ou contre cette thèse ?
« Ils ont du mal à trouver leur place »
Julia Dion: Dans votre essai, vous soutenez que « la fin des hommes » est arrivée, c’est de la provocation ?
Hanna Rosin. Bien sûr, mais pas seulement ! Mon livre est le fruit d’une enquête menée pendant deux ans aux Etats-Unis auprès de couples et de femmes célibataires, avec ou sans enfants, de tous horizons sociaux et culturels. J’ai constaté que « Plastic Woman », la femme inventive, l’a emporté sur « Carton Man », l’homme incapable de se remettre en question. « Plastic Woman » est partie à la conquête de nouveaux territoires (travail, politique...) sans renoncer aux anciens (maison, éducation des enfants...). Plusieurs professions se sont féminisées, alors qu’aucun métier ne s’est franchement masculinisé. Les hommes que j’ai rencontrés sont tétanisés à l’idée d’embrasser de nouveaux rôles : aide-soignant, père à plein temps... Ils ont du mal à trouver leur place.
JD. Ce déclin des hommes découlerait selon vous d’une dégringolade économique ?
Hanna Rosin. Tout à fait. Nous sommes passés d’une société industrielle à une économie de services. La force naturelle des hommes n’est plus déterminante dans la course aux jobs. En 1950, un homme sur vingt ne travaillait pas. Aujourd’hui, c’est un homme sur cinq qui est au chômage. Dans le même temps, les femmes sont devenues majoritaires dans la population active américaine. En France, elles représentent 58 % des médecins de moins de 35 ans et près d’une Brésilienne sur trois gagne plus d’argent que son mari.
JD. Le décrochage des hommes se jouerait dès l’école ?
Hanna Rosin. Dans le monde entier, à l’exception de l’Afrique, les femmes sont majoritaires dans les universités. Aux Etats-Unis, certaines facs commencent même à appliquer des « quotas » en faveur des étudiants mâles. C’est encore tabou, mais la discrimination positive vis-à-vis des garçons, ça existe.
« L'homme est devenu du superflu, de l'accessoire »
JD. En quoi cette prise de pouvoir économique des femmes bouleverse-t-elle leur relation privée, voire intime, avec les hommes ?
Hanna Rosin. Plus diplômées, plus indépendantes économiquement et plus sûres d’elles socialement, les femmes peuvent choisir de se marier plus tard, voire du tout ! La plupart des jeunes femmes que j’ai croisées déclarent ne pas avoir « besoin d’un homme » pour vivre. J’ai vu des banlieues entières, en Alabama, dans le Nevada, en Floride, se transformer en véritables matriarcats, régentés par des mères de famille qui remboursent le crédit de la maison et qui décident de tout, de l’éducation des enfants jusqu’à l’achat de la voiture... Que reste-t-il aux hommes ? Les miettes.
JD. Vous évoquez aussi les conséquences de cette domination féminine sur le plan sexuel...
Hanna Rosin. Certaines jeunes femmes ont tendance à sélectionner leur copain afin qu’il ne fasse pas barrière à leur carrière. L’homme est devenu du superflu, de l’accessoire. Donc, elles multiplient les expériences sexuelles, adoptent un comportement de prédatrices... et expérimentent de plus en plus la sodomie. En 1992, 16 % des 18-24 ans disaient avoir essayé ; aujourd’hui, elles sont 40 %. C’est un bon indicateur de la « plasticité sexuelle » des femmes et de leur prise de pouvoir progressive au lit. Elles retournent cet acte sexuel de soumission à leur avantage en le désirant. La sodomie est en train de devenir dans leur esprit une pratique sexuelle banale.
« Un monde de femmes, ce n'est pas le nirvana »
JD. Et les hommes, comment vivent-ils cette chute de leur piédestal ?
Hanna Rosin. Parfois comme une « castration » sociale. Je donne l’exemple de David, 29 ans, éditeur de magazines à Vancouver et qui se déclare « pour l’égalité professionnelle », rejette le statut de « chef de famille » et se dit même plutôt « content » que sa copine gagne plus d’argent que lui. Mais, dès qu’elle sort sa carte bancaire au restaurant, il est mal à l’aise. Même chez les hommes plus jeunes, leur capacité à entretenir leur famille reste l’étalon de la virilité. En plus, certaines femmes ne trouvent pas très attirant d’avoir un homme qui gagne moins qu’elle...
JD. Votre thèse a été sévèrement épinglée par les féministes !
Hanna Rosin. Parce qu’elles n’ont pas tout compris ! Je n’ai pas le sentiment de trahir la cause des femmes, je ne dis pas que les combats féministes ne servent plus à rien et que tout est rose. Il reste du chemin à faire afin que les rapports entre les femmes et les hommes soient plus égalitaires et plus apaisés. Le plafond de verre est toujours là, les inégalités salariales persistent, le sexisme perdure... Et puis, un monde de femmes, ce n’est pas le nirvana.
« J'essaye de faire comprendre à mes fils que je ne suis pas leur secrétaire »
JD. A vous lire, en effet, le matriarcat, ce n’est pas le paradis...
Hanna Rosin. C’est même l’enfer ! Entre elles, les femmes ne sont pas tendres et, en plus, elles mènent des vies épuisantes. Entendre des femmes affirmer qu’elles n’ont plus besoin des hommes, qu’elles les utilisent comme des mouchoirs de papier, ou des produits jetables, c’est effrayant. Et cela ne les rend pas heureuses. Les femmes et les hommes ont besoin les uns des autres, évidemment. Idéalement, je suis pour que les femmes et les hommes aient le choix de leur identité sans que personne paie le prix fort. J’aimerais qu’une femme ambitieuse s’autorise à être forte et qu’un homme puisse devenir père au foyer sans qu’on lui jette la pierre.
JD. Comment vos deux fi ls ont-ils reçu ce livre ?
Hanna Rosin. J’ai dédicacé mon livre à l’un de mes fils, Jacob, en m’excusant du titre provocateur. Mais ils me connaissent et, surtout, ils sont éduqués à l’égalité depuis plusieurs années ! Autant je ne crois pas du tout à la lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge – donner une poupée à un garçon et un camion à une petite fille, pour moi, c’est du vent ! –, autant j’essaie de leur faire comprendre que je ne suis pas leur secrétaire et qu’il faut qu’ils se débrouillent seuls pour la lessive, le ménage, la cuisine. Et puis ils sont à bonne école. Mon mari est très différent de mon père. Il s’occupe des enfants autant que moi. Je ne l’ai jamais regardé changer une couche en me disant « Quel looser ! » J’ai toujours trouvé ça normal.
« La fin des hommes » les fait réagir:
Dominique Bernotti, ministre chargée de la Famille
« La fin de la domination masculine aurait sonné ? Hanna Rosin sous-estime la résistance des hommes dans la vie économique, politique et culturelle. Les femmes, si elles ont acquis de nouveaux droits, ont encore beaucoup à conquérir : l’égalité salariale, un partage plus équilibré des tâches domestiques... »
Dominique Méda, sociologue
« Ce n’est pas parce que les filles font plus d’études qu’elles accèdent aux mêmes postes, responsabilités et salaires que les hommes. Parce que l’orientation des filles reste différente mais aussi parce qu’elles continuent à prendre en charge la plus grande part des tâches domestiques et familiales. Le temps des femmes n’est peut-être pas pour tout de suite... »
Serge Hefez, psychiatre
« Cette opposition entre les hommes et les femmes est absurde ! Il faut penser la mutation des rôles comme une remise à plat des identités dans leur ensemble et non en termes d’amputation ou de perte. Ne relançons pas la guerre des sexes ! »
Camille Froidevaux-Metterie, professeure de sciences politiques
« Le livre de Hanna Rosin a ceci d’utile et de pertinent qu’il met l’accent sur l’inédit de la condition féminine contemporaine sur fond de désexualisation des rôles et des statuts sociaux. Dommage que Hanna Rosin nourrisse le féminisme radical qui considère les hommes et les femmes dans une logique du vis-à-vis, voire du conflit. »
Anne Navez, présidente de votre-administrateur.com *,
« La montée en puissance des femmes accélérée par la loi Copé-Zimmermann sur les quotas dans les conseils d’administration va avoir un effet d’entraînement indéniable. Les femmes sont sélectionnées de façon plus transparente et exigeante que les hommes. Ils seront eux aussi forcés de répondre à des critères plus objectifs. Pourquoi ne pas voir le côté gagnant-gagnant de ce nouveau partage des rôles. »
* Réseau des femmes administratrices.