Les Confessions (400) de saint Augustin, si elles sont incontestablement l'ouvrage le plus célèbre de cet auteur, ne sont dans l'oeuvre du théologien-philosophe que secondes par rapport à La Cité de Dieu, écrite plus tardivement (412-427) et qui contient la philosophie de l'histoire de saint Augustin.
Le succès des Confessions vient probablement de l'implication personnelle de l'auteur dans cet ouvrage, qui permet au lecteur de suivre un itinéraire de vie. Le livre a toujours été très lu. Il aurait sa place dans une histoire des « romans d'apprentissage » (Bildungsroman). Mais l'apprentissage dont rend compte l'auteur est celui de Dieu. Il pourrait être sous-titré « Comment je suis devenu chrétien ».
C'est un ouvrage qui prend la forme d'une « confession ». Le lecteur qui découvre aujourd'hui saint Augustin a souvent lu avant lui Jean-Jacques Rousseau et ses Confessions, qui nous ont fait oublier le vrai sens du mot « confession ». Chez Rousseau, le mot a été détourné de son sens premier. Même si son objectif est de se justifier de l'accusation d'avoir abandonné ses cinq enfants, Jean-Jacques se complaît, en effet, à raconter toutes ses aventures : il exalte son moi et se vante même de ses erreurs. Chez Augustin, le mot « confession » est pris dans son sens premier. Nous découvrons un pécheur qui se tient devant son Dieu et devant les hommes pour s'accuser de tous ses péchés et remercier Dieu de lui avoir fait le don de la grâce.
Voici un extrait des Confessions de Saint Augustin, traitant du temps, ce concept étrange et qui nous semble pourtant inné:
Méditations d’Augustin sur le temps
XIV. Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?
XX. Or, ce qui devient évident et clair, c’est que le futur et le passé ne sont point ; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps : passé, présent et futur ; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit ; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. Si l’on m’accorde de l’entendre ainsi, je vois et je confesse trois temps ; et que l’on dise encore, par un abus de l’usage : Il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir ; qu’on le dise, peu m’importe ; je ne m’y oppose pas : j’y consens, pourvu qu’on entende ce qu’on dit, et que l’on ne pense point que l’avenir soit déjà, que le passé soit encore. Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup d’inexactes ; mais on ne laisse pas d’en comprendre l’intention.
Saint Augustin, Les Confessions, Livre 11, chapitres 14 & 20.
Explication du texte par Nicolas Bogler:
Saint Augustin, philosophe chrétien du IV ème siècle, réfléchit dans ce texte au concept du temps : qu’est-ce ? Il ira toucher du doigt le paradoxe du temps en tentant de l’expliquer, à savoir que, nous savons ce qu’il est, mais il nous est difficile de l’expliquer car il reste malgré notre conscience du temps, abstrait. Il tente alors de définir passé, présent et futur, et de les raccrocher avec ce qui nous est propre ; il conclut en critiquant nos « abus de langage », à l’origine selon lui, de bien des méprises.
Augustin part de l’étrange paradoxe de notre perception du temps : nous savons ce qu’il est, néanmoins nous sommes incapable de l’expliquer à autrui, car nous le « sentons », c’est-à-dire que de manière naturelle nous avons le « sentiment » de temps ; mais il nous est difficile de l’expliquer rationnellement.
« Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. »
Il tente alors de montrer de manière rationnelle ce qu’est le temps, en le définissant autour de trois axes classiques de la perception du temps : le passé, le présent, le futur. Ainsi, le passé existe car les choses ne sont pas éternellement ; Augustin souligne que par la durée limitée des choses, on ne peut qu’affirmer l’existence du passé : « si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ».
Le futur, il le justifie, car les choses sont parfois en « attente d’être », elles n’ont pas été, ne sont pas, mais seront ; donc le futur est un temps : « si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir » ; enfin il définit le présent par les choses qui « sont » au moment de l’élocution ; vivant les choses en direct, nous pouvons affirmer l’existence du présent : « si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. ». Après avoir dit que ces trois temps « sont » puisqu’ils existent, il s’interroge, se demandant si il est possible de dire que le passé et le futur « sont » ; en effet « le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore », par conséquent ces temps ne sont pas, mais existent sous une autre forme (puisque l’on a démontré dans la première étape qu’ils existent).
Il en est de même pour le présent qui « n’est » pas ; car le présent n’est que l’instant volage qui devient passé ; si le présent était présent constamment, sans devenir passé, il ne serait pas un temps (qui par définition s’écoule) mais une éternité : donc le présent lui-même n’ « est » pas.
C’est là que pour Augustin, il y a une difficulté dans la démonstration rationnelle : « Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ? » : le présent est donc uniquement destiné à ne plus être, sinon il serait éternité ; il y a donc un paradoxe du présent de dire qu’il est alors que pour être considéré comme tel, il doit ne plus être, ou du moins y aspirer. Le temps pose un problème dans la démonstration rationnelle car il n’est que lorsqu’il tend à ne plus être.
Après avoir dégrossit les notions de temps, de passé de présent et de futur, Augustin, qui a perçu les contradictions de la démonstration rationnelle, tente de redéfinir ces trois notions, de manière à ce qu’elles soient explicables et sans paradoxe. Il énonce donc : « Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. ». Cette dénomination, qui peut sembler étrange est celle qui « existe dans l’esprit » : en effet le présent du passé c’est quand ce qui à été nous semble être ; il s’agit donc le la mémoire. Le présent du présent est facilement compréhensible, c’est le moment « actuel », celui de l’élocution, de l’action … Et le présent du futur c’est ce qui sera ; nous le concevons car nous sommes capables d’imaginer ce qui sera ; n’étant pas encore on ne peut le définir que en fonction de ce qui est déjà ; c’est pourquoi Augustin énonce : « Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. »
De cette manière on peut dire, sans craindre le paradoxe qu’il y a trois temps qui sont car il sont indépendants et ne sont pas dans la nécessité de ne pas être pour exister. Il admet donc que par abus de langage on puis dire qui y a trois temps : le passé le présent et le futur ; néanmoins il nous est important de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un raccourci, mais qu’en réalité les seuls temps qui sont, s’appellent le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur.
Sa conclusion est un remarque concernant les mots, ou nous expression en général : « Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup d’inexactes ; mais on ne laisse pas d’en comprendre l’intention. ». C’est-à-dire, de manière moins philosophique que notre langue à beau comporter peu d’expressions propres, on comprend néanmoins bien ce que l’on souhaite exprimer.