Quand nos journées, nos cabas, nos agendas et notre maison sont pleins à ras bord, il est déjà trop tard pour réagir ! Heureusement, en décryptant ce qui nous pousse à nous laisser envahir, il est encore possible de "résister".
Un jour, ça vous saute aux yeux, ça vous monte à la tête : l’évidence, oppressante, de ne pas pouvoir faire jouer votre libre arbitre, de ne plus savoir dire « non » vous apparaît d’un coup. Vous vous sentez pris dans une spirale infernale : travailler encore plus, gagner plus d’argent, dépenser plus pour vous détendre après votre dose quotidienne d’hyperactivité, remplir vos placards de ces nouvelles acquisitions…
Dans ce cercle infernal du « trop c’est trop », stress professionnel, achats et aménagement de l’espace sont toujours des champs intrinsèquement liés. Comment changer la donne ? Comment éviter de se laisser prendre par cette compulsion en trois temps ? Des spécialistes nous ont donné leurs pistes pour retrouver un peu d’air.
(Anne Laure Gannac avec la collaboration de Christophe Massin et Michel Lejoyeux, psychiatres, et de Cyrille Frémont, « home organiser ».)
Trop de travail !
« Je suis débordé » ; « Je ne peux pas m’empêcher de rapporter mes dossiers à la maison le week-end »… Ces plaintes, le psychiatre et spécialiste du stress au travail Christophe Massin les entend chaque jour : « Mais ce sont les mêmes qui, dès qu’ils ont une minute, se trouvent une activité. »
Une ambivalence qui prouve que nous sommes tous « habités par une force qui nous conduit à rechercher sans cesse “plein de…” (activités, expériences, etc.) simplement pour fuir une confrontation au réel, à soi-même, à ses doutes ». Sauf que cette fuite en avant n’est pas plus satisfaisante.
L’hyperactivité génère le stress, aux effets contre-productifs et douloureux. « Si l’on ne se freine pas suffisamment tôt, la décompression s’imposera d’elle-même, souvent sous la forme d’une dépression », affirme le psychiatre.
- Les signes
Vous cumulez les migraines, les douleurs musculaires et respiratoires sans raison apparente. Vous vous sentez fatigué, mais dormez mal. Votre libido est au plus bas et vous grignotez entre les repas, car vous avez envie de sucre, d’excitants. Vous avez du mal à vous concentrer, vous oubliez des affaires urgentes à traiter, vos lapsus deviennent plus fréquents. Vous devenez plus émotif, souvent irritable.
De façon générale, vous avez l’impression d’agir sous la contrainte. Vous n’avez plus d’activités de loisir, vous recevez de plus en plus rarement chez vous… Autant de preuves d’une perte de contact avec vos envies et avec les « plaisirs » de la vie. Ces stress deviennent alarmants quand ils s’installent dans la durée, ne sont pas reliés à un événement particulier – échéance de remise de dossiers, discours à tenir en public… – à l’inverse du stress « positif », moteur et stimulant, toujours relié à un fait concret.
- Les solutions
- Posez-vous physiquement.
L’objectif principal ? Se recentrer sur soi, assure Christophe Massin. « Quand nous sommes stressés, nous nous éparpillons en pensées et en gestes, ce qui ne fait qu’augmenter le stress et nous rendre inefficaces. » D’où l’intérêt d’investir physiquement son bureau : installez-vous le dos droit, les pieds bien posés sur le sol et respirez lentement. « Cela revient à décider d’être là, à l’assumer, avant de pouvoir réfléchir et agir sereinement. »
- Prenez du recul face à vos émotions.
Quand l’émotion prend le dessus, elle déforme et oriente notre pensée, donc notre sens des priorités. En colère, par exemple, nous privilégions tout ce qui, dans notre environnement, pourra nourrir cet état… Comment l’éviter ? « Une émotion se reconnaît à ce qu’elle donne un caractère impératif à l’action : “Il faut absolument que je fasse ceci.” » Dans ce cas, remettez cette action à votre programme du lendemain. D’ici là, l’émotion sera retombée, et d’autres priorités, rationnelles, s’imposeront.
- Gardez vos priorités en tête.
Sous l’effet du stress, il est fréquent d’accomplir d’abord les choses secondaires et de laisser s’accumuler celles qui sont essentielles… Interrogez-vous sur ce qui est prioritaire pour vous. L’objectif : ne plus être dans le « Il faut que je fasse ceci », générateur de nervosité et démotivant, mais dans le « Je décide que ceci est important ». « Il s’agit de reprendre les rênes de sa vie : même si les facteurs externes de stress existent, il nous faut admettre que nous sommes maîtres de notre quotidien et pas seulement ballottés par les pressions extérieures. »
Pour cela, rien de mieux que les listes établies à partir de quelques questions : « Qu’est-ce que je veux avoir fait avant ce soir ? Avant la fin de la semaine ?… » Sans oublier que la probabilité d’y parvenir n’est pas de 100 % !
- Soyez patient.
Ces efforts de « recentrage » ne peuvent se faire sans rencontrer une force de résistance : les autres qui vous sollicitent, votre corps qui s’agite d’avoir accumulé trop de tensions… Les bienfaits ne viendront que progressivement, mais plus vous en prendrez conscience, plus il vous sera facile de vous recentrer.
Reprendre contact avec soi et ses priorités garantit, à terme, plus de concentration, plus d’efficacité, moins de dispersion… donc plus de disponibilité pour sa vie extraprofessionnelle.
Trop d'achats !
Qui n’a jamais craqué dans une boutique pour se changer les idées après le travail ou se consoler un jour de déprime ?
A notre décharge, tout nous y incite : de la carte bancaire (plus facile à dégainer qu’un billet à valeur affichée) au web (qui permet d’acheter en un clic), il est de plus en plus ardu de résister à la tentation de l’achat impulsif, téléguidé par l’émotion. Au risque de sombrer dans l’excès de consommation, entraînant avec lui son lot de culpabilité, de regrets, voire de difficultés financières. Comment savoir si votre comportement d’acheteur dépasse les bornes du raisonnable ?
- Les signes
Vous vous ennuyez si une journée vous n’achetez rien. Le shopping est d’ailleurs votre passe-temps favori, le seul à vous mettre de bonne humeur. Vous traînez régulièrement sur le Net, sur les sites d’enchères notamment. La crainte de rater « la » bonne affaire vous place en situation d’urgence : acheter avant que ce ne soit trop tard. Du coup, vous attendez beaucoup de chaque achat. « Avec cette nouvelle table, cette nouvelle robe, ma vie sera changée, les autres me regarderont différemment… » Autant de fausses croyances qui révèlent que les objets comblent un vide intérieur, ou un manque de confiance et d’estime de soi.
Conséquence, l’insatisfaction vous guette : « Finalement, ce vêtement n’est pas si bien que ça… » Une fois acquis, l’article tant convoité ne vous intéresse plus : un mal-être vous saisit, teinté de culpabilité et de regret. Il vous arrive de ne même pas utiliser ce que vous avez acquis, preuve que votre achat représentait un dérivatif, non une réponse à un besoin, « ni même un cadeau pour soi, car celui-là, nous nous précipitons pour l’ouvrir et en user », précise le psychiatre Michel Lejoyeux.
Vous agissez suivant le principe de plaisir, au risque de mettre votre équilibre financier en péril. Pour vous dédouaner, vous cherchez à vous justifier – « Je n’en ai pas besoin aujourd’hui, mais demain sûrement » – car vous sentez que votre geste n’est qu’émotion.
- Les solutions
- Pensez avant d’agir.
« Essayez de distinguer les achats qui relèvent de la consommation et ceux qui relèvent de la consolation », conseille Michel Lejoyeux. En prenant quelques minutes de réflexion avant d’acheter : « Je veux ceci. Mais vais-je vraiment m’en servir ? A quand remonte la dernière fois où j’ai regretté de ne pas l’avoir ? » Des questions qui permettent de cerner l’utilité réelle de l’objet.
- Identifiez vos sentiments.
« Qu’est-ce que je ressens quand je passe à la caisse ? » Mettez des mots sur votre ressenti : excitation, plaisir intense ? Sentiment d’apaisement, impression d’être comblé ? Ou fierté, sentiment de force ?
- Cernez votre profil d’acheteur.
Ce repérage des sentiments permet, selon le psychologue Claude Boutin, de comprendre à quel type de personnalité correspond votre besoin de surconsommer :
1/ Si vous êtes excité par votre achat, c’est le signe d’une personnalité que le psychologue dit « sensuelle » : en quête permanente d’émotions fortes, elle est débordée par l’ennui dès qu’elle ne donne pas du piquant à sa journée.
2/ Si vous êtes apaisé, c’est que vous êtes en état d’insécurité et cherchez dans l’achat un moyen de « faire momentanément relâche des émotions désagréables ».
3/ Si votre achat vous redonne confiance en vous, c’est que vous souffrez d’un manque d’estime de soi et que vous accordez beaucoup d’importance au regard d’autrui.
- Trouvez des dérivatifs.
Il s’agit de mettre en place d’autres réflexes que l’achat, adaptés à votre « profil ». Vous êtes « sensuel » ? Trouvez des activités qui stimulent vos sens (peindre, cuisiner, aller voir des expos…). Vous êtes angoissé ? Cherchez une source d’apaisement, par exemple dans la pratique d’une spiritualité ou la lecture d’ouvrages philosophiques. Ou investissez-vous dans une association caritative qui vous aidera à vous ouvrir aux autres.
Enfin, si vous êtes plutôt en manque de confiance, vos efforts consisteront surtout à faire preuve de clémence envers vous-même : en prenant soin de votre corps (sport, bain, massage…), en étant davantage attentif à vos réussites, afin de trouver en vous, et non plus dans les objets achetés, les raisons de vous estimer.