Il a reçu des femmes en consultation pendant vingt ans. L’expérience d’Alain Héril, psychanalyste et sexothérapeute, lui a permis de brosser six profils psychosexuels selon les âges. Une vision rassurante de la sexualité féminine.
La plus jeune avait 14 ans, la plus âgée 82… Des centaines de femmes ont été accueillies, dans le cabinet du psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril, en vingt ans de pratique : « Elles ont longtemps représenté 90 % de ma “patientèle”. Et, très vite, j’ai réalisé qu’il existait des spécificités psychosexuelles liées à l’âge. » C’est cette typologie sexuelle féminine inédite, réalisée par le spécialiste, que nous vous proposons de découvrir. Les portraits qui suivent ont été nourris de nombreux échanges rassemblés par Alain Héril, avec ses trois « casquettes » : celle du sexothérapeute à l’écoute de ses patientes, celle du formateur et superviseur d’autres praticiens, et celle de l’écrivain recueillant des témoignages directs pour ses livres. « Je suis alimenté par les paroles de toutes ces femmes dans un espace thérapeutique au sein du cabinet, et par d’autres voix, plus libres, explique-t-il. Ce travail n’est ni intuitif ni empirique. »
Que faire de ces profils ? « Je crois qu’il y a au moins deux façons de les lire : d’abord essayer de se reconnaître, de voir si ce qui est dit correspond à ce qu’une femme est train de vivre. Ensuite, tenter de comprendre que la sexualité s’inscrit dans une dynamique de vie et que toutes les problématiques, toutes les difficultés peuvent donner naissance à un éveil, à une possibilité de grandir. Car il n’y a pas d’âge pour vivre une sexualité épanouie. »
Entre 16 et 25 ans : le romantisme
La sexualité est à son orée. La femme est davantage dans la projection de ce que sera sa sexualité que dans l’établissement d’une stabilité définitive. Chaque rencontre est chargée de cet espoir d’expérimenter ce que la dimension sexuelle porte en elle naturellement : une intensification des sensations et des émotions. Cette période de la vie est empreinte de la mémoire de l’enfance et de l’adolescence. Les mécanismes de défense sont toujours présents. Les jeunes femmes recherchent autant les espaces de sécurité que ceux de l’aventure. Une des caractéristiques de cet âge est une grande aptitude au romantisme, qu’il soit « fleur bleue » ou très « conquérant ». C’est une composante psychologique essentielle à cet âge : d’un côté, un appétit d’épanouissement sexuel, de l’autre, l’attente d’un prince charmant qui tarde à venir, l’idée d’un homme rassurant, aimant et qui saura apporter cette intensité sexuelle tant espérée.
Côté ombre : colère, inhibition, révolte
Le vécu sexuel s’accompagne de sentiments parfois négatifs, la sensation d’être envahie par des « forces » difficilement contrôlables. La femme de 16-25 ans se sent malhabile et aventureuse à la fois. Cela peut l’amener à un certain besoin de révolte : contre l’éducation reçue, contre l’image de la femme donnée par sa mère, contre la société qui fait croire que la sexualité est « simple et facile », et contre elle-même et son incapacité à dépasser ses contradictions internes.
Côté lumière : séduction, développement du narcissisme, acceptation de l’attente
Cette entrée dans la sexualité est un temps de découvertes. Celle de sa capacité de séduction et d’une manière de l’affirmer, qui s’accompagnent d’un développement harmonieux de son narcissisme. Ces deux étapes aident à accueillir l’attente, si spécifique à cette période.
Entre 25 et 38 ans : la créativité
C’est une période naturelle de stabilisation des émotions, où la femme est plus habituée à son corps, elle le connaît mieux et sait ce qu’il faut faire pour être en « bon compagnonnage » avec lui. Elle sait qu’il est possible pour elle de vivre une intensité sexuelle. À ce titre, le besoin d’une sexualité plus créative est énoncé de façon plus directe. S’ouvrir à soi, à l’autre, à ses sensations, à sa sexualité est un mouvement qui appartient à ces femmes-là. Passé 35 ans, c’est aussi la crainte de la fameuse horloge biologique qui s’exprime et peut engendrer soit une sexualité à des fins procréatives, réduisant l’autre au rôle de géniteur, soit une sexualité joyeuse, dans un projet parental partagé. Pour peu que la période précédente ait été vécue sans trop de heurts relationnels ni traumatismes, la liberté d’être au plus près de soi et de ses désirs, de les vivre pleinement, prend sa place de manière directe et forte.
Côté ombre : frustration et impatience
Si les attentes ne sont pas comblées, un sentiment d’insatisfaction peut se mettre en place et connoter la sexualité d’un goût amer. Si les rencontres avec les partenaires sexuels sont fécondes, tout s’ouvre. Mais si la vie sexuelle ne trouve pas son axe juste, c’est la frustration qui envahit tout l’univers sensible, et l’impatience vient naturellement compléter le tableau.
Côté lumière : courage et détermination
L’un des avantages de ce moment de la vie d’une femme, c’est qu’elle ose ! À partir de 30 ans, il suffit de rassembler son énergie intérieure, de la diriger vers un but et de ne rien lâcher. Ce courage crée une manière déterminée d’agir et de demander ce qui est de l’ordre de son désir. C’est une manière de forcer la réalité, de la faire plier en douceur pour qu’elle soit la plus conforme possible à ce dont elle a besoin en vue de vivre avec un minimum de sérénité et de joie.
Entre 38 et 47 ans : la volupté
L’entrée dans la quarantaine est, pour la vie sexuelle d’une femme, le moment de regarder sa vérité en face, afin de savoir parfaitement où elle en est du rapport à soi, à son corps et à son désir. La préoccupation de la maternité a laissé la place à un espace qui se libère. Le désir y reprend sa place et la volupté se questionne à nouveau, avec délices pour certaines et appréhension pour d’autres. Le recentrage sur la dimension sexuelle se fait de manière naturelle, autour de la notion de féminité. C’est la caractéristique – pour ne pas dire la fonction – de cette période que de venir interroger l’identité féminine.
À ces âges, beaucoup de femmes ont appris à mettre en place un rapport à leur corps équilibré, sans la dépendance à des images normatives imposées par l’extérieur. S’ouvrent alors un espace de tranquillité et une affirmation narcissique forte et conquérante. De nombreuses enquêtes sur la sexualité féminine soulignent le grand pourcentage de femmes ayant connu leurs premiers orgasmes dans cette période-là. Vivre sa sexualité entre 38 et 47 ans, c’est d’abord être à l’écoute de soi-même, être attentive à ce qui se passe et à ses sensations au moment même où la rencontre sexuelle a lieu. Mais c’est aussi accepter la force émotionnelle de ce que l’on ressent et ne pas chercher à la masquer, la nier ou lui échapper. Car les ressentis sexuels sont souvent plus intenses à ce moment de la vie. Le psychisme met naturellement en place un lâcher-prise auquel il est bon de consentir si l’on veut justement être présente à soi-même. La découverte de cette capacité, et en éprouver de la joie, donne à cette femme une assurance qui lui permet d’affirmer son désir et de vivre sa sexualité avec légèreté et profondeur.
Côté ombre : irritation, mélancolie, assèchement
Durant cette période peuvent apparaître les premiers signes de la préménopause. Symboliquement, c’est l’inscription d’un âge à venir. Les signes sont clairs, aléatoires et intermittents – sécheresse vaginale, irritation, baisse de la libido, périodes d’aménorrhées, bouffées d’angoisse… Ils peuvent contrarier la vie sexuelle et installer une sensation d’amertume, de nostalgie, avec des touches légèrement dépressives. Les femmes se disent qu’elles ont « raté le coche », que les années de jeunesse n’ont pas servi à la découverte de l’extase et qu’il est trop tard. Une forme de frigidité peut s’installer.
Côté lumière : joie, spiritualité, tonicité
À l’inverse, cette période peut être un grand moment de révélations. Les femmes ne veulent plus concevoir le lien au plaisir sous la forme d’un mélodrame. Elles veulent ressentir leurs désirs et leurs possibilités de jouissance comme une grande « ode à la joie ». Ce besoin de jubilation se traduit par l’acquisition d’une grande légèreté et d’une attitude à la fois mutine et courageuse. Elles veulent tenter de nouvelles choses et les abordent sans culpabilité. Ce qui ressort également, c’est un besoin d’allier la sexualité à des valeurs spirituelles fortes. Ces femmes s’interrogent souvent sur le lien entre l’amour, le sexe et des énergies que nous qualifierons ici d’existentielles, à défaut d’autre mot. Elles ont l’appétit pour sortir d’une sexualité pulsionnelle trop proche de celle des hommes, et explorer le terrain d’une intensité orgasmique et relationnelle au centre de laquelle se niche l’émotion. Lorsqu’elles y parviennent, elles se sentent envahies d’une tonicité flamboyante qui n’est ni plus ni moins que le triomphe de la pulsion de vie !
Entre 47 et 50 ans : le questionnement
Quatre années importantes, celles d’un tournant essentiel, car il permet de négocier l’entrée dans la cinquantaine. Les questions qui se posent là se doivent d’être résolues. Le temps presse et il devient urgent de pouvoir appréhender son aptitude au plaisir avec force et sérénité. Ce compte à rebours est la « pierre de touche » qui va permettre de prendre l’élan nécessaire pour les années à venir. Il oblige à une profonde introspection, et à regarder ses années passées sans fioritures et en toute honnêteté. Trois étapes reviennent souvent dans ce moment de bilan. D’abord, une envie de revisiter les émois de celle que l’on fut : il s’agit de reconnaître le chemin parcouru, comme un point d’appui pour aller vers autre chose, et accepter son présent… et l’avenir.
Ensuite viennent les questionnements sur le sens du couple : les femmes qui ont investi dans la vie à deux en ont attendu des joies et des satisfactions qui n’ont pas toujours été au rendez-vous ; soit elles oeuvrent pour affirmer le lien qui les relie à leur compagnon, soit elles le remettent en cause. Non pas pour aboutir à la rupture, mais pour donner du sens à ce lien, pour le rendre vivant. Enfin vient le questionnement de la place de la femme dans la sexualité : aux alentours de la cinquantaine, elle recherche la féminité. On est plutôt dans un cheminement existentiel très intériorisé : il débouche bien souvent sur une meilleure connaissance de soi et sur un sentiment très net d’appartenance au monde des femmes. C’est la fonction du gynécée, période de grande recherche intellectuelle qui n’est pas sans s’associer avec les questionnements spirituels abordés plus haut. Les femmes lisent beaucoup pour comprendre et intégrer cette question de la place du féminin dans le sexuel.
Côté ombre : alternances dépression/exaltation
Entre 47 et 50 ans, peut s’installer de manière intermittente une peur de vieillir. Celle-ci titille certaines femmes et les amène à considérer leur corps comme n’étant plus tout à fait désirable. Cette peur se traduit parfois par une perte de désir et une sublimation de la libido, alors vécue de manière symbolique dans le développement des rapports sociaux – activités de toutes sortes, engagement dans des associations ou développement de la créativité. Cette forme de renoncement à la sexualité peut s’installer à long terme.
Côté lumière : le jaillissement
Une fois la nostalgie du passé digérée, il s’inscrit comme un jaillissement, un besoin de vivre sexuellement. Ce réveil des sens entraîne les compagnons à reconsidérer leur compagne, à les désirer de nouveau tant elles sont dans l’éclat et la puissance. Moment de grâce qui laisse entrevoir de belles heures à venir…
Entre 50 et 55 ans : l’ouragan
S’il fallait qualifier d’un mot la sexualité des femmes entre 50 et 55 ans, « encore » serait le plus juste. Mais pour le vivre dans sa totalité, pour être dans cet « encore » vivifiant, il est nécessaire de prendre en compte certaines caractéristiques liées à cette période particulière d’une vie de femme. Souvent, vers 45 ans, les premiers signes de la ménopause font leur apparition. Passé la cinquantaine, c’est un véritable ouragan physique et psychique qui se déchaîne ! Le corps se modifie, les règles disparaissent, la libido baisse, les bouffées de chaleur s’accompagnent souvent de crises d’angoisse ; un sentiment dépressif, accompagné d’une irritabilité constante, prend place.
De nombreuses femmes associent ces signes à la fin de leur vie de désir. Mais beaucoup – de plus en plus – savent que « ménopause » n’est pas équivalent à « fin de la sexualité ». Il y a donc comme un combat interne entre le vécu hormonal, qui semble interrompre le désir, et un ressenti qui, à l’inverse, tend vers plus d’épanouissement, plus de plaisirs des sens, plus de légèreté, plus d’ouverture. Les femmes inscrites dans cette lutte contre les aléas du temps sur leur désir en sortent toujours victorieuses, car elles sont animées par une pulsion de vie solide et conquérante. Grâce à celle-ci, elles se donnent le droit d’entrevoir des lendemains qui chantent et qui jouissent. Et même si la peur de vieillir est concomitante à la ménopause, elles vivent au présent des joies érotiques d’autant plus fortes qu’elles n’ont plus rien à prouver, ni à elles-mêmes, ni à leur compagnon, ni à qui que ce soit.
Quoi qu’elles aient vécu auparavant, elles cultivent un profond désir d’expérimentation sexuelle. Cela va de la confirmation de sensations déjà éprouvées à la découverte de nouveaux territoires de leur sexualité. Elles interrogent leur corps et leurs capacités, non pas dans le sens d’un « toujours plus », mais dans la préoccupation d’une meilleure connaissance de leur puissance sexuelle et jouissive. Elles ne veulent pas retrouver une jeunesse physique ni ne croient qu’elles ont le même corps qu’à 20 ans. Ce qu’elles souhaitent par-dessus tout, c’est éprouver des sensations et des émotions qui les bouleversent. Elles savent pouvoir le vivre avec ce corps qui est le leur !
Côté ombre : peur, solitude, dépression
Certaines femmes peuvent vouloir des réussites sensuelles dans leur tête et penser que leur corps n’est plus apte à jouer le jeu. Une amertume certaine s’installe alors et des émotions précises s’érigent en vérité, principalement la peur et la solitude. Lorsqu’elles trouvent place dans l’univers psychique de la femme, elles font souvent le lit d’un état dépressif parfois profond. La dépression met alors sous couveuse la libido, et ce n’est qu’au prix d’un sérieux travail sur soi qu’il devient possible de sortir du marasme, de retrouver un appétit pour ce qui est de l’ordre du charnel. D’où viennent cette peur et cette solitude ? Elles sont directement issues d’une incapacité pour les femmes à se vivre telles qu’elles sont et à n’éprouver du plaisir que seules, en détruisant petit à petit le lien social et affectif avec leur entourage.
Côté lumière : sérénité, plénitude, désinhibition
À l’inverse, les caractéristiques d’un tournant de vie bien négocié vont s’inscrire dans la triade sérénité, plénitude et désinhibition. La première est une sensation physique pleine et entière, et c’est bien la base qui permet de vivre le reste. Lorsque le corps est accepté de manière simple et naturelle, il répond par un renvoi de sensations… simples et naturelles ! Celles-ci sont alors vécues à leur plus haut niveau d’intensité. Il est évident que de tels fondements ne peuvent qu’entraîner, en ce qui concerne la possibilité d’un épanouissement sexuel, une désinhibition logique et joyeuse. Cela ne peut se réaliser que si les femmes de 50-55 ans acceptent de faire le deuil d’une jeunesse perdue et de construire un lien au présent plus calme. Ainsi peuvent-elles entrevoir comme une deuxième naissance possible : la naissance à elles-mêmes et à l’étendue de leurs possibilités jubilatoires. Elles se sentent en confiance et en vitalité.
55 ans et plus : la « sexygénaire »
Il serait faux de dire qu’aux alentours de 65 ans, le corps ne pose aucun problème aux femmes. Cela étant, le désir reste intact. Il est une source vivifiante. Lorsqu’il trouve l’espace pour se dire et se vivre, il peut déboucher sur des orgasmes postménopauses qui sont comme des cadeaux inespérés. Dans ces moments-là, la sexualité est investie d’une énergie centrée uniquement sur la grâce du plaisir. Elle ne devient plus un enjeu relationnel ou le terrain de jeux psychologiques complexes avec soi-même ou son partenaire. Au cours de cette période, et pour peu qu’un travail suffisant sur soi ait été fait, la femme est prête à s’ouvrir à elle-même et à se donner la possibilité d’une vie sexuelle plus pleine. La notion de plaisir devient différente d’une simple décharge. C’est le besoin de se rencontrer dans l’expression de sa joie orgasmique qui compte.
Côté ombre : dépression, solitude, détachement
Lorsque la vie laisse au fond du coeur et du corps des blessures indiscutables, c’est le manteau sombre de la dépression qui peut recouvrir les femmes. La sexualité peut être reléguée au rayon des souvenirs anciens, et l’idée qu’un épanouissement est encore envisageable paraît saugrenue. Il s’agit d’une dépression particulière, qui envahit le corps et ne dirige le regard que vers ce qui dysfonctionne. Conséquence, un certain détachement installe ses prérogatives : refus de participer à ce qui est autour de soi, retrait sentimental, absence d’émotions…
Côté lumière : spiritualité, liberté, joie de vivre, équilibre
Prendre son corps en charge, ouvrir sa sexualité, se connecter à la joie d’être en vie… Tous ces paramètres peuvent installer une femme au-delà de ses 60 ans dans une certitude fougueuse où la notion de désir est constamment activée. Se joue aussi le besoin de mieux comprendre qui elle est ainsi que sa place au monde. Cette sagesse qui s’inscrit dans le corps ne va pas sans une certaine dose d’hédonisme. Et c’est avec une grande liberté qu’à 60 ans et plus, la femme s’ancre solidement dans sa jouissance et dans son incarnation.
Source: Un dossier de Violaine Gelly pour psychologies.com