12 mai 2014 1 12 /05 /mai /2014 15:43

Gilbert Simondon est issu d’un curieux mariage entre la philosophie de Maurice Merleau-Ponty et des catalogues des armes et cycles de Saint-Étienne... 
Il propose avec génie une théorie de l'individuation en rapport avec la technique !

 

 

Imaginons... Vous ignorez tout de Gilbert Simondon ! Son nom ne vous dit rien. Son parcours, son oeuvre, son influence vous demeurent également inconnus. Le 7 février, vous n'avez pas remarqué le 25e anniversaire de sa disparition, d'ailleurs presque personne ne s'en est soucié. Mais voilà, vous tombez, par hasard, sur cette phrase : « Ce serait déjà un progrès moral inestimable si l'on appliquait à tout être humain et plus généralement à tout vivant les normes de protection, de sauvegarde et de ménagement que l'on accorde intelligemment à l'objet technique ; on doit traiter l'homme au moins comme une machine, afin d'apprendre à le considérer comme celui qui est capable de les créer. »

 

 

Ces quelques mots vous font déjà entrevoir que cet homme n'est pas un philosophe comme les autres. La plupart ont méprisé les machines, abhorré la mécanisation du monde, combattu l'emprise de la technique sur la nature, dénoncé ses saccages et ses méfaits. Simondon, lui, a suivi un tout autre chemin. Aux antipodes de Heidegger, il ne voit pas dans la technique une inéluctable aliénation, moins encore une menace. Avant tout, elle incarne ce lien essentiel – inventif, singulier, toujours en évolution – qu'élaborent sans cesse les humains pour se relier au monde comme à eux-mêmes. Elle n'est donc ni paradis ni enfer, mais mode d'existence essentiel de l'humanité. Il faut changer de regard, cesser d'encenser ou de maudire le progrès, en finir avec les altercations stériles – technophobes contre technophiles.

 

AU FIRMAMENT DES TRÈS GRANDS

 

C'est ce que montre en détail, de manière lumineuse et précise, le recueil de textes de Simondon, Sur la technique, qui vient d'être publié. Au fil de 450 pages d'articles, de conférences, de cours, de notes inédites – le tout échelonné sur trente ans, de 1953 à 1983 –, on mesure l'acuité de son regard et la diversité de ses angles d'analyse. Chemin faisant, vous comprendrez vite pourquoi cet universitaire discret, dont on réédite progressivement l'oeuvre intégrale, est en train d'apparaître au firmament des très grands. Depuis une bonne dizaine d'années se multiplient, autour de son travail, colloques, revues, séminaires, films, sites Web et nouvelles éditions. Sans doute n'eut-il qu'un tort : être en avance. Au coeur de sa pensée, élaborée il y a un bon demi-siècle : des questions devenues aujourd'hui cruciales, des outils conceptuels qui serviront encore demain. Car ce diable d'homme ne s'est pas intéressé seulement, loin de là, au mode d'existence propre aux objets techniques. Il s'est aussi penché, et de fort près, sur la psychologie, en particulier la relation corps-esprit, sur l'énigme nommée « individu », en scrutant sa genèse et son développement. Plus on découvre l'ampleur et la force de cette démarche, plus il devient clair qu'elle n'est pas celle d'« un penseur de la technique », si fécond et original qu'il soit. Simondon est bien un philosophe de première grandeur, combinant savoir immense et rare puissance d'invention conceptuelle.

 

Fils d'un employé des postes de Saint-Etienne, où il est né en 1924, il s'est intéressé très tôt au génie des ingénieurs en même temps qu'à la philosophie. Dans la khâgne du lycée du Parc, à Lyon, il devient l'élève du philosophe Jean Lacroix, avant d'entrer à l'Ecole normale supérieure, à Paris, de 1944 à 1948. Il travaille ensuite une dizaine d'années à ses deux thèses, tout en enseignant la philosophie, mais aussi le grec et la physique ! Au lycée de Tours, il organise parallèlement un atelier de technologie, où les élèves s'initient aux moteurs et construisent même un poste de télévision. Soutenues en 1958, ses deux thèses feront date. Elles rassemblent le gotha discret de la philosophie française de l'époque : Jean Hippolyte et Georges Canguilhem en sont les directeurs respectifs, au jury siègent notamment Raymond Aron, Paul Ricoeur et Paul Fraisse, et l'on remarque dans la salle, excusez du peu, Maurice Merleau-Ponty, Jean Wahl et l'ami très proche que fut Mikel Dufrenne.

 

Sa thèse principale, L'Individuation à la lumière des notions de forme et d'information (Millon, 2005), contient des analyses époustouflantes sur le système « préindividuel », requis pour qu'apparaisse un individu, et ses propriétés paradoxales, évoquant la physique quantique. L'autre, devenue célèbre, porte sur Le Mode d'existence des objets techniques (Aubier, 2012). Le coup de génie de Simondon – Gilles Deleuze l'a vu d'emblée – fut en effet de saisir que tout se joue dans la manière spécifique dont existent ces bizarres objets : ils concrétisent des pensées et des gestes, concentrent savoirs et savoir-faire, fonctionnent selon des normes assurant qu'ils sont durables et stables, évitant qu'ils soient autodestructeurs. Pourquoi est-ce si important ?

 

Simondon rompt avec l'idée trop simple que « l'utilité » suffit à définir la technique. Avant d'être un outil à utiliser, chaque machine constitue plutôt une singularité pensée, savamment élaborée, intelligemment agencée, située toujours dans un contexte physique et social donné. Vue sous cet angle, chaque machine ne doit donc pas être simplement entretenue. Il faudrait aussi qu'elle fût respectée, comprise, éventuellement contemplée dans sa beauté particulière. Tout ceci implique un extraordinaire renversement de l'attitude habituelle, un dépassement du clivage entre utilité et esthétique, entre objet d'art et ustensile, qui n'est pas dépourvu d'une dimension éthique. Une des maximes de cette nouvelle posture pourrait être : « Dis-moi comment tu considères les objets techniques, je te dirai comment tu traites les humains. »

 

CHAQUE REGARD HUMAIN

 

En fait, nous méprisons nos machines à la mesure de la déshumanisation infligée autrefois aux corps humains exploités : « L'objet utilitaire est le remplaçant de l'esclave. » C'est pourquoi Simondon en appelle à sa libération : « L'objet technique ne doit plus être traité comme un esclave ou appréhendé comme moyen de jeu. » Ces phrases de 1954 trouvent leur écho dans le dernier entretien accordé par le philosophe, publié en 1983 : « L'objet technique, affirme-t-il alors, doit être sauvé de son statut actuel qui est misérable et injuste », avant d'expliquer : « Je crois qu'il y a de l'humain dans l'objet technique, et que cet humain aliéné peut être sauvé à la condition que l'homme soit bienveillant à son égard. Il faut en particulier ne jamais le condamner. »

 

Car chaque objet technique a ses particularités : le camion n'est pas la voiture, la transmission à cardan importe plus que l'enjolivement du bas de caisse. En outre, chaque regard humain, lui aussi, se distingue : la même voiture est différemment jugée par le bourgeois, le rural, l'ouvrier. Les objets techniques, concrétisant des intentions et des connaissances, sont aussi exposés aux rêveries collectives, aux tensions du marché, aux fantasmes individuels.

 

Théoricien de haut vol, Gilbert Simondon s'intéressait aussi aux conditions de vie des prisonniers, des travailleurs agricoles, aux questions d'ergonomie et de sécurité. Il a travaillé à l'invention, à laquelle il tenait beaucoup, de phares non éblouissants pour automobiles. Si vous l'ignoriez, demandez-vous pourquoi c'est éclairant.

 

Par Roger-Pol Droit pour Le monde.fr

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