" Les salariés se plaindraient d’être évalués tout en réclamant de l’être !" C’est sur ce paradoxe que Bénédicte Vidaillet, psychanalyste spécialiste des théories de l’organisation, s’est penchée afin de déterminer ce qui pousse un salarié à solliciter lui-même les outils d’évaluation mis en place par son entreprise.
Les salariés subiraient l’évaluation mais la ressentiraient également comme un besoin, remplissant certaines fonctions sur le plan psychique. Le système de l'évaluation aurait-il trouvé un moyen paradoxal pour s'auto-entretenir, notamment au moyen de l'infantilisation de l'employé modèle perdu dans la norme ?
Selon la psychanalyste, la recherche d’évaluation correspondrait en réalité à une recherche identitaire. En appelant de ses vœux l’évaluation, le salarié chercherait à se définir par rapport au jugement porté par son entreprise. La question « qui suis-je ? » glisserait ainsi vers « que suis-je par rapport à ce que l’on attend de moi ? », et donc par surcroît « qui suis-je par rapport à l'autre ?»
Angoissé à l’idée de se définir lui-même, le salarié préférerait confier cette tâche à un système d’évaluation extérieur à lui-même. Ce transfert permettrait de lui rendre visibles ses propres facultés et faiblesses jusqu’à ce que l’autoévaluation permette d’intégrer complètement ce regard extérieur sur soi, si celle-ci le permet.
Mais, selon Bénédicte Vidaillet, la manière dont le système d’évaluation répond à cette question identitaire ne fait que relancer indéfiniment le salarié dans son questionnement. Renonçant à sa faculté subjective de jugement, le salarié ne peut plus se passer de l’évaluation établie par son entreprise. Il en viendrait à demander toujours plus d’évaluation, entraîné dans un cercle vicieux.
Pour la psychanalyste, c’est ici le cœur du paradoxe de l’évaluation telle qu’elle se pratique actuellement. La personne qui travaille, en demandant à être évaluée, espère régler ce qui par nature est impossible à régler, à savoir sa quête identitaire jamais achevée et constitutive de sa personne !
Bénédicte Vidaillet psychanalyste, « Le sujet et sa demande d’être évalué : angoisse, jouissance et impasse symbolique », Nouvelle revue de psychosociologie, n° 13, 2012/1.