12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 08:17

Le lien entre prospérité économique et niveau de santé d'une population paraît d'une évidence absolue. Mais la crise traversée par l'Europe et le régime d'austérité adopté par certains Pays de l'Union ont généré bien plus qu'une réaction de cause à effet : Le Sud de l'Europe compte ses victimes ...

 

 

 

Le nombre de suicides progresse sans cesse : en Italie, le rapport de l'institut Public de Recherches Economiques et Sociales indique que la mort par suicide des personnes au chômage a augmenté de 40% entre 2008 et 2010. Encore plus dur, le constat de l'étude (1) menée par Michael Marmot, professeur d'épidémiologie et santé publique à l'University College de Londres qui pointe une augmentation du taux de suicide de 56% par an, contre 10,2% en 2007.

 

Tous les Pays du Sud Europe sont touchés par le même phénomène : la dépression ouvre ses portes à la consommation d'alcool et des drogues (2). Et parallèlement, la réduction de fonds pour les programmes d'échange des seringues va de même avec l'augmentation d'infections HIV (3).

 
 En Grèce, les restrictions budgétaires coupent des mesures de prévention et contrôle des maladies. C'est le cas du paludisme, qui reprend sa propagation après avoir disparu, grâce à la prophylaxie, pendant 40 ans.

 

Encore plus frappantes, les données (4) sur la mortalité des nouveau-nés indiquées par le Hellenic Statistical Authority (ELSTAT) : après 42 ans de diminution constante de la mortalité néonatale (16.03/1000 en 1966 contre 3.31/1000 en 2008), les années 2009-2010 ont enregistré un pic de 4.36/1000, ce qui corresponde à une augmentation de 32% entre 2008 et 2010.

 

A ce sujet, une étude (5) récemment publiée sur le British Medical Journal tire la sonnette d'alarme: moins de détection précoce du retard de croissance, majeure mortalité néonatale. Et depuis la crise économique, souligne le Pr Nikolaos Vlachadis, le nombre de femmes enceintes sans couverture médicale (car sans emploi) n'arrête pas d'augmenter.

 

En Italie (6), comme partout ailleurs dans le Sud de l'Europe, environ 1 million 800 000 enfants et adolescents vivent dans des familles dont les revenus sont tombés en dessous du seuil de pauvreté et plus de 700 000 d'entre eux sont en conditions de pauvreté absolue .


Les enfants des ces familles ont un risque augmenté de développer des maladies aigues, de la même manière que le pronostic sera moins bon pour ceux d'entre eux qui sont atteints d'une maladie chronique .

 

"Aujourd'hui la pauvreté doit être considérée comme l'obstacle principale à la promotion de la santé de l'enfance" affirme le Pr Mario De Curtis de l'Université La Sapienza de Rome, "Chaque pays touché par la crise économique devrait mettre cette question au centre de son action politique" (7).

 

La réduction des budgets pour le système de santé est flagrante. Et ce cri n'arrive pas des militants anti-Européistes, mais de David Stuckler, diplômé de Yale en Santé Publique, PhD à Cambridge, chercheur senior à Oxford. Dans son livre The Body Economic (8), Stuckler affirme : "Actuellement, l'austérité imposée pour satisfaire les requêtes de la Troïka conduisent le système de santé vers le désastre. La Grèce a coupé le budget de la santé de plus de 40%. Comme il a été dit par le Ministre de la Santé : Il ne s'agit pas de coups de scalpel, mais de coups de couperet."

 
Et le pire est que ces coupures n'ont pas été décidées "par des médecins ou des professionnels de santé, mais par des économistes et des dirigeants de la finance. L'objectif était simple : réduire le budget de santé de l'Etat au 6% du PIB. D'où sort ce chiffre ? C'est moins qu'en Grand Bretagne, en Allemagne et aux Etats Unis."

Comment ne pas anticiper l'impact des mesures d'austérité sur les populations ? Les médicaments, notamment ceux qui font partie de la Liste des médicaments essentiels, deviennent de moins en moins disponibles. Plusieurs pays ont réduit les salaires des professionnels de santé... qui prennent désormais la route vers les pays du Nord : "La perte de compétences médicales fait partie des nombreux problèmes qui couteront à long terme bien plus que les économies qu'ils sont censés faire" (9).

 

Et pourtant, on constate que des pays comme l'Islande, la Finlande et l'Allemagne, qui n'ont pas touché à leur système de santé ni à leur sécurité sociale, ne rencontrent pas les mêmes conséquences. Même analyse pour les Etats Unis pendant la Grande Dépression des années trente.

 
La conclusion de Stuckler est claire, quelle que soit la crise économique, les impacts négatifs sur le système de santé ne sont pas inévitables. Tout dépend de la façon dont les communautés répondent aux défis du bouleversement économique.

 

Puisque l'austérité est mauvaise pour la santé, il sera nécessaire, pour le futur, d'anticiper la diffusion épidémique des crises financières. Mais surtout, il est nécessaire de reconnaitre le lien causal entre un bon niveau de santé publique et le système de protection sociale.

 

Dans l'ancienne Rome, le Quirinal (aujourd'hui siège de la Présidence de la République), accueillait le temple de Salus, déesse de la santé et de la prospérité, personnification du bien vivre sous le profil individuel et collectif.

 

Pour que le sens de cette terrible crise économique puisse se transformer en levier d'évolution, il est nécessaire de reprendre cette logique et d'entamer une nouvelle réflexion sur la place de la santé publique comme pivot de nos sociétés.

 

Mettre la santé au centre des réflexions communes, repenser les politiques publiques en fonction de la salus des citoyens sont des obligations majeures pour nos Etats.

Seul cela nous permettra de sortir du déclin et de léguer à la postérité une société basée sur le bien commun, la protection des personnes en fragilité et l'accès de tous à la santé et à la prospérité: "salus populi suprema lex esto" (10)

 

Notes:

 
- Lire également l'article complet du journal diplomatique, ocotobre 2014 : "Quand l'austérité tue !"

 

1. De Vogli R, Marmot M, Stuckler D. Excess suicides and attempted suicides in Italy attributable to the great recession. J Epidemiol Community Health2013 doi:10.1136/jech-2012-201607
2. lien
3. ECDC 2012. Risk assessment on HIV in Greece. Technical report. Stockholm: European Centre for Disease Prevention and Control.
4. BONOVAS S & NIKOLOPOULOS G (2012). High-burden epidemics in Greece in the era of economic crisis. Early signsof a public health tragedy. J Prev Med Hyg, 53, 169-71
5. Vlachadis N ,Kornarou E. Increase in stillbirths in Greece is linked to the economic crisis BMJ 2013;346:f1061
6. lien
7. Reading R. Poverty and the health of children and adolescents. Arch Dis Child 1997; 76 (5): 463-7
8. lien

9. Helmut Brand, président du Forum Européen de Santé de Gastein
10. Cicéron "De legibus"

 

Source: http://www.huffingtonpost.fr/

 
Article de Giovanna Marsico, avocate italienne, qui vit actuellement à Paris où elle met en œuvre son engagement dans les questions de parité, d'égalité et d'accès aux droits des sujets fragilisés. Elle est responsable de www.cancercontribution.fr, plateforme collaborative dédiée au cancer et à ses impacts sur les citoyens. 

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