« Cette musique me rappelle le jour où j'ai rencontré ma femme pour la première fois ; c'était pendant la fête du village ; elle a accepté mon invitation à danser. J'étais tellement heureux... » Quels souvenirs la musique est-elle capable de faire resurgir chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ! Un tel souvenir, comparé à ceux que peuvent décrire les mêmes personnes de leur propre initiative, est beaucoup plus chargé émotionnellement et évocateur de leur histoire personnelle. Mohamad El Haj et Philippe Allain, du Laboratoire de psychologie de l'Université d'Angers, ont demandé à des patients de se rappeler divers souvenirs, dans le silence ou pendant qu'était diffusée une musique de leur choix. Ils ont constaté que les souvenirs évoqués étaient plus forts émotionnellement, se rapportaient à des épisodes précis et importants de leur vie, et leur revenaient plus vite en mémoire. La musique serait un bon moyen pour ces malades de rester en contact avec leur passé et de l'évoquer avec des proches.
Comment la musique ravive-t-elle les souvenirs autobiographiques ? Les psychologues ont évalué la façon dont les patients mobilisaient certains mécanismes de régulation de l'attention, d'inhibition des pensées non pertinentes ou de flexibilité mentale, pour remonter à leurs souvenirs. Ils ont constaté que ces facultés cognitives (nommées fonctions exécutives) sont davantage sollicitées lorsque le sujet n'écoute pas de musique : le sujet est alors engagé dans une recherche consciente du souvenir, peu efficace chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer en raison de l'altération des capacités cognitives. En revanche, la musique fait remonter les souvenirs sans faire intervenir (ou beaucoup moins) ces fonctions exécutives. Dans ce cas, le souvenir resurgit involontairement et emprunte probablement d'autres circuits cérébraux, plus émotionnels. Le souvenir est plus réel, contextualisé, et évoque les phénomènes de « madeleine de Proust », lorsque le passé se présente soudain à nos yeux dans toute sa vivacité.